5.3. De la signification ou du poids de la logique ?

Dans le processus de la transposition didactique stricto-sensus du schéma expérimentaliste, on remarque que les écrits des didacticiens 746 , sont en tout cas animés par une clarté esthétique. Le langage des auteurs est en effet facile d'accès à l'exception de ceux de P. Fraïsse dans le Traité...; et ceux de Claude Bernard dans l'Introduction qui sont – comme nous l'avons mentionné – antinomiques du fait qu'ils soient animés d'efforts philosophiques et physiologiques voire parfois même d’efforts métaphysiques au sens schopenhauerien du terme. Notre critique des pratiques didactiques portant sur le passage d'un savoir précis à sa version didactique, un passage qui a engendré – comme on vient de le démontrer – des conséquences qui ont infirmé le sens du concept au lieu de l'affirmer, est une critique qui ne peut être légitimée que par le paradigme de la signification. En droit, certains peuvent nous reprocher cette démarche critique pour nous poser les questions suivantes : comment justifie t-on l'intransportable ainsi que tous ce qui est difficile d'accès ? Faut-il pour autant le laisser à l'abandon de l'ésotérisme de la pensée ? L'humanisation de la connaissance que traduit l'extension du pouvoir cognitif que soutient ce travail, ne réside t-elle pas dans la popularisation et dans l’accès aux contenus par un grand public ? Bien que ces reproches soient sérieuses, elles ne doivent pas nous intimider, car la recherche du sens, de la signification des choses et des contenus (tout en informant les auditoires), sont en elles-mêmes des techniques excellentes pour la transposition didactique du sens en vue de comprendre ce dont on parle réellement. Ainsi, la première question problématique que pose le paradigme de la signification au passage d'un contenu du savoir bien précis à sa version didactique (transposition didactique stricto-sensus), est de savoir ce que la signification véhicule réellement. Les énoncés mis en forme lors de toute transposition didactique réussie sont-ils des énoncés linguistiques ? C’est-à-dire, un ensemble de relations entretenues entre les paradigmes de la chaîne syntagmatique (les mots, les successions d'effets sonores) de la langue, ou au contraire sont-ils ceux de la chaîne paradigmatique ? à savoir les concepts dont témoignent les successions d'énoncés ayant une relation intime et formant par là-même un stocK de causalité. De ces questions on passe donc de la signification d'effets-relations à celle d'effets-causes. Pour mieux illustrer ce passage à transposition didactique stricto-sensus de l'objet du savoir que partagent les textes des didaciticiens et ceux des vulgarisateurs que nous avons jusqu’alors étudié, on doit revenir à notre tableau-texte pour relever quelques formes de formulations et de reformulations et ce pour mieux discerner le problème de la relation qui réside entre les effets causes et les effets relations. Cela nous permettra de comprendre le sens des mots et des énoncés avancés par nos auteurs en vue de renforcer enfin notre idée du départ, à savoir que la transposition didactique doit penser la relation entre le clair-précis et le ressemblant.

S'agissant du sens de la signification des énoncés et des mots, les théories scientifiques du langage sont partagées. Pour ceux qui sont du côté des mots, ils pensent que ceux-ci sont d'une part limité en nombre, d'autant plus qu'ils peuvent être appris une fois pour toute. Cette même limitation, d'autre part, ne signifie pas la faiblesse des mots, mais au contraire leur richesse significative. Car les mots – comme nous l'avons déjà mentionné avec Charles Peirce – peuvent se retourner contre l'ordre établi et dire ou annoncer des propositions posées dans le monde sensible. De ce fait, l'homme est un signe, il ne peut penser qu'avec le signe. Ce rapport est fortement ressenti dans les textes que nous avons exposés jusqu’alors, notamment dans ceux de la transposition didactique de la vulgarisation de la transposition didactique et dans ceux de la vulgarisation de la vulgarisation. Ces textes mettent en évidence le sens de l'homme en tant qu'être pensant avec le signe. C'est pour cette même raison que les auteurs (Fraïsse, Léon Reuchlin) ont mis l'accent sur l'ouverture non seulement à l'égard des choses, mais aussi à l'égard de tout ce qui se passe dans l'esprit des sujets. Ils ont aussi pris en considération les manières dont les sujets se comportent, s'expriment, agissent ou réagissent.

La signification est dans la plupart des cas annoncée par les mots. Ceux qui la considère ainsi, pensent que les mots sont achevés, précis et clairs puisqu'ils tentent de mettre en forme un langage à haute densité discursive. Il y a en effet des mots, des expressions qui n'acceptent pas la polysémisation et à la reformulation. Le sens d'un mot doit être réduit à la fonction syntaxique qu'il remplit au sein d'un système linguistique donné, car la langue est un système de signes fini, achevé et soumis à la convention qu'on ne peut pas changer ni réifier à notre guise. Autrement dit, pour ceux qui pense l'invariant fonctionnel du mot, ils admettent enfin de compte que dans une langue il n'y a que des exceptions mythiques achevées dans l'ouverture sur les manières d'être des hommes. L'invariant fonctionnel repose à vrai dire sur la manière à travers laquelle le mot est exprimé, annoncé, car nous avons déjà affirmé que tout énoncé présuppose une énonciation. Par conséquent, entre la parole et la langue, le rapport est un rapport de rupture dans la continuité. C'est-à-dire, que celui qui parle avec ses signes, cherche à les exprimer et à les organiser au sein d'un système conventionnel pour qu'ils soient reconnus par d'autres communautés de langage. Penser et parler devient dans ce cas une image pour une même réalité. Le mythe qui s'inscrit dans le langage est celui de l'action factice, car comme le disait déjà Hegel : la parole est d'abord aux faits. D'ailleurs R. Barthes a repensé cette idée tout en avançant la finitude langagière traduisant la finitude des mythes. C'est ainsi qu'il a souligné : “ ‘Bien que toute création soit nécessairement une combinatoire, la société en vertu du vieux mythe romantique de l'inspiration ne supporte pas qu'on le lui dise’ ”! Du point de vu de la transposition didactique, il y a en effet ceux qui n'acceptent pas le partage des savoirs, car pour eux, dans ce partage il y a altération du sens authentique du terme. Si l'on en croît la classification du sens par R. Barthes, alors on dira qu'il y a de l'asémie : du non sens, dans tout partage du savoir. De ce fait, la transposition didactique définie en terme de passage de l'ésotérique à l'exotérique est une pratique éminemment corruptible et rétrograde, car elle ne réalise pas la noble fonction du discours à savoir la fonction expressive dont parlait déjà JacKobson. Pour sa richesse, celle-ci doit en réalité employer des mots, des jeux de mots, des figures pour émouvoir, pour convaincre, éduquer quitte à endoctriner ou même à manipuler. Le fait de travailler sur la falsification des mots est en soi un travail sur la réification du rôle de la transposition didactique en tant que recherche du sens des mots. Ceux-ci peuvent préciser l'énoncé d'une situation ou d'un fait. C'est d'ailleurs ce qui est arrivé à certains passages de nos textes de vulgarisation de la transposition didactique et de la vulgarisation de la vulgarisation, car lorsqu'ils ont essayé d'affirmer des énoncés, ils les ont infirmé. Reprenons – pour s'en expliquer – les formulations suivantes :

‘“ Les hypothèses issues d'étude de cas fournissent des informations qu'il faudra vérifier sur un plus grand nombre de sujets (...), l'étude de cas comme source possible d'hypothèses est le nécessaire contrôle sur des populations plus importantes pour la vérification de ces hypothèses, donc leur possible généralisation ”.’ ‘“ La méthode expérimentale ne fait autre chose que de porter un jugement sur les faits qui nous entourent à l'aide d'un critérium qui n'est lui-même qu'un autre fait dispensé de façon à contrôler le jugement et à donner même l'expérience ”.’

Ces deux passages sont ceux du texte d'Antoine Léon, texte que nous avons qualifié de vulgarisation de la transposition didactique. Sans chercher à revenir sur la qualification des statuts des textes, l'important pour nous est de montrer que la méconnaissance du public auquel est dirigé chaque transposition didactique qui emploie certains mots incarnant des propositions, représente un glissement dans le non sens. D'ailleurs, Averroès avait déjà avancé que le plus important dans toute discussion, dans toute transmission des connaissances et des savoirs est de “ Parler aux hommes de ce qu'ils connaissent ”. Et il a ajouté : “ ‘Ces mêmes propos sont de même ordre que ceux que l'on rapporte de maints autres pieux anciens’ ”. Lorsque Averroès évoquait cela, il voulait sans doute penser ici à Socrate et à Aristote. Mais on peut se demander : comment les gens connaissent-ils que ce qu'ils possèdent comme connaissances est proche ou loin de la vérité ? Pour cela, il faut comme le pense Ph. Meirieu “ ‘faire de l'énigme du savoir et faire du savoir de l'énigme’ ”. C'est-à-dire : faire de toute information une formation en vue de rendre toute opinion une hypothèse de travail pour comprendre enfin la destinée de l'agir humain. Cela est-il vraiment réussi dans le texte d'Antoine Léon ?

Ce qui est souligné à travers les deux passages précédents d'Antoine Léon, n'est pas le rôle des hypothèses, mais celui des opinions. Autrement dit, l'auteur s'astreint à la mise en évidence du monde de l'information, du monde des sentiments dont témoigne le pôle du ouï-dire et du sens commun. Cela est légitimé par la tâche de l'auteur, une tâche propre à la pédagogie en tant qu'art de mise en forme des connaissances et des savoirs. Or nous avons déjà vu dans le texte scientifique de Claude Bernard et dans celui de la transposition didactique de Paul Fraïsse, que les hypothèses ne peuvent en aucun cas se réduire au pôle de l'information, car d'une part le discernement de toutes les informations des individus n'est pas faisable puisque la temporalité scolaire et éducative, ne sont pas soumises à la conception rousseauiste 747  ; et d'autre part, ces mêmes informations (si riches soient-elles), sont incommensurables, du moment qu'elles sont amoncelées dans d'autres pratiques qui échappent au discernement.

Dans le domaine de la science, la formulation des hypothèses n'est pas toujours la conséquence des jugements que le sujet porte sur les faits. Cette opération relève de l'ordre de la morale et de l'éthique. En réalité, le savant se retourne contre l'ordre établi, contre les pratiques vulgaires, contre le non sens.

Le fait de porter un jugement sur un fait, cela est contre la pensée dite discursive, contre même l'idée du doute dont parlait déjà Claude Bernard tout en s'inspirant de Descartes, car si tel est le cas, alors la science ne serait rien d'autre qu'un jugement sur un fait. Elle serait réduite à l'idéologie pure et simple. Lorsqu'il s'agit par exemple d'un contrôle des populations par le biais d'un questionnaire, on peut laisser penser que la technique du questionnement d'un fait n'est jamais fiable, car lorsqu'on est devant une situation concrète on ne sait pas si l'on doit la prendre en tant que simple situation factice, ou au contraire comme une situation qui témoigne d'autre chose qui n'apparaît pas et qui nous laisse la décrire de factice de la non-facticité. Cette technique du questionnaire – comme nous l'avons déjà vu avec Gaston Bachelard – est largement critiquée. C'est ainsi que l'auteur de La formation de l'esprit scientifique souligne à son sujet que : “ ‘L'esprit scientifique nous interdit d'avoir une opinion sur des questions que nous ne comprenons pas, sur des questions que nous ne savons pas formuler clairement. Avant tout, il faut poser des problèmes. Et quoi qu'on dise, dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d'eux-mêmes. C'est précisément ce sens du problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique. Pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une question. S'il n'y a pas eu de question, il ne peut y avoir de connaissance scientifique. Rien ne va de soi. Rien n'est donné. Tout est construit’ 748  ”. En réalité la méthodologie expérimentale en sciences exactes ne questionne un fait que si elle est sûre de le maîtriser et de l'étudier.

On doit relever une autre altération du point de vue sémantique Celle-ci consiste – aux yeux d'Antoine Léon – à dire que “ La tâche est parfois la personnalité du sujet ”. De ce fait, on passe de l'idée de la variable P, à l'idée de tâche. C'est-à-dire on part du schéma SPR de Paul Fraïsse, et on arrive à un ultime retour au schéma classique SR : stimulusréponse, et ce pour affirmer clairement avec Antoine Léon que : ‘“ La relation entre variable est directement liée à la situation expérimentale’ ”. Cela est une altération du sens bernardien des mots : faits, situations, tâches, personnalités etc., d'autant plus que l'expression : “ la tâche ”, n'est pas la même chose que celle de “ la variable personnalité de l'individu ”. La première a en réalité un sens qui émerge de ce qui est extrinsèque, alors que le sens de la seconde, surgit du domaine de l'intrinsèque. C'est là toute la difficulté de la transposition didactique du sens de l'action, de la motivation et de la perception.

Puisque l’on vient de voir avec Charles Peirce que les mots peuvent tourner et dire, et que tout ce qu'ils disent n'est rien d'autre que ce que l'homme leur a fait dire, alors on doit maintenir l'idée de leur limitation de leur finitude et de leur achèvement, car les mots sont (dans la plupart des cas) annoncés d'une manière incompréhensible. Dire que les mots incarnant des propositions, des expressions et des énonciations sont insaisissables, incommensurables et incompréhensibles, revient d'une part à admettre que le processus linguistique est animé par des différences, et d'autre part – comme le rapporte Lévinas en paraphrasant Heidegger – les sujets sont délimités par les manières de dire et de faire, qui forment le processus de l'énonciation, de telle sorte que l'on ne peut guère nous mettre à la place de l'autre. D'ailleurs dans son ouvrage : Le Temps et l'Autre 749 , Lévinas laisse entendre que dans le domaine des relations humaines on peut tout échanger avec l'autre sauf la manière d'exister. Mais on peut pourtant poser à Lévinas la question suivante : Y a t-il une finitude à l'égard de cet autre qui est différent de moi, lorsqu'il s'agit du respect ? Si ma liberté comme Kant l'a laissé entendre est le choix du meilleur, alors on voit mal comment on pourrait juger du meilleur si l’on ne réalise pas le processus de l'ouverture qui est la seule démarche pour se mettre en continuité avec les énoncés d'autrui. Cette démarche ne peut en effet s'accomplir que dans le jeu de rôle à travers lequel les sujets échangent (pour un temps) leurs expériences que le texte pédagogique et didactique d'Antoine Léon a décrit d'expériences pour-voir. C'est à partir de là que l'on peut passer maintenant à la seconde composante à savoir les énoncés qui reflètent le sens de la signification.

Les linguistes qui attachent de l'importance aux procédés énonciatifs pensent que les énoncés sont en nombre illimités, inachevés. De cet inachèvement surgit la nécessité de l'apprentissage, car plus on sait plus on désire savoir. Cela ressort en effet de l'évolution de la transposition didactique du schéma O.H.E.R.I.C, qui a connu une extension à divers domaines de recherche. Ainsi, l'apprentissage de la manière de la construction des énoncés, présuppose en soi l'humanisation de la connaissance. Celle-ci signifie la nécessité de la continuité avec le processus d'énonciation, qui n'est pas un état, mais un processus dans lequel on doit penser désormais aux besoins préalables à partir desquels des contenus et des notions sont préalablement comprises. Cette technique de l'ouverture sur le système des mots, attribue une nouvelle définition au langage comme étant un comportement. Ainsi – et comme les béhavioristes l’ont laissé entendre – le langage n'a de sens qu'au sein de l'approche systémique qu'il incarne nécessairement. Pour ce courant de pensée, qui met l'accent sur les énoncés comme étant le véhicule de la signification, les mots ne doivent pas leur signification aux rôles qu'ils jouent dans les énoncés, car c'est l'apprentissage et la manière dont on use de nos facultés et de nos référentiels respectifs, qui déterminent le statut des mots dans un texte. Il est donc insuffisant d'affirmer que ce sont les jeux de mots, les procédés rhétoriques et argumentatifs qui décident de la haute ou de la basse densité du discours didactique ou pédagogique. Il existe en effet des cas où cela peut effectivement se produire. Par exemple en poésie, ou dans un discours épidictique, là où l'on tente de faire l'éloge devant un grand public.

La transposition didactique de notre schéma expérimental, témoigne de ces deux points de vue contradictoires qui sont présents dans certains écrits de nos auteurs. En effet, des mots comme “ expérience ”, “ expérimentation ”, “ tâche ”, “ administration de la preuve ”, “ induction et déduction d'hypothèses ” etc., sont des expressions méthodiques que nous retenons dans les textes didactiques et dans ceux de la vulgarisation. Ces expressions sont des énoncés concis incarnant des généralités et des totalités. La légitimité de cet emploi repose sur l'égalité entre le tout et la partie. Dans la quasi-totalité des énoncés didactiques, les mots n'ont de sens que par leur usage pratique, car il y a une continuité entre ce que font les auditoires et ce qu'ils pensent ; alors que si l'on abandonne cette logique interne du contenu textuel, ces mêmes énoncés n'auront pas le même sens. Cela reflète les trames conceptuelles, qui découlent du changement personnalisé du savoir.

L'indépendance du système social à l'égard des mots, à l'égard de la signification et à l'égard des énoncés, est due à son rapprochement des rôles que chaque sujet accomplit dans son mouvement dans le système. Les rôles joués par les sujets témoignent du principe de la combinatoire au sujet duquel nous venons de voir que ce principe logique permet de construire à partir de divers énoncés appris, d'autres énoncés contradictoires ou similaires à ceux déjà appris. C'est à partir de là que l'on peut affirmer avec certains philosophes du langage, que “ dans une langue il n'y a que des différences ” (F. de Saussure). Voilà l'une des caractéristiques de notre schéma O.H.E.R.I.C, qui a évolué dans le temps et dans l'espace. Dans le sillage de cette évolution ouverte aux mouvements, le schéma expérimental a connu un enrichissement (à travers les différentes altérations négatives et ou positives) tout en étant en mouvement d'un secteur de connaissance à un autre. De ce constat on doit donc maintenir avec Quine que : “ C'est bien l'examen des énoncés qui permet la recherche d'une notion claire et substantielle des significations ”. Dire qu'il faut examiner les énoncés, présuppose en fait leur exposition à une technique d'arraisonnement et d'ouverture. Si le schéma O.H.E.R.I.C a été partagé par d'autres langues et par d'autres cultures, alors son altération négative peut être repensée positivement, car et à nous maintenir par exemple à la culture anglo-saxonne, on s'aperçoit que ce même schéma a fait l'objet d'analyses diverses soit de la part de Th. Kuhn soit de la part de Karl Popper. Pour le premier, nous nous sommes tenu à ce qu'il en a pensé du point de vue de ce qu'il a lui-même appelé : la psychologie de la recherche scientifique, quant au second, à ce qu'il nommé : la logique de la découverte scientifique. En tout cas, ces deux logiques, bien qu'elles soient contradictoires, elles convergent de manières différentes au niveau de la pratique du schéma O.H.E.R.I.C. Ainsi et à nous maintenir à la théorie de la connaissance objective de Karl Popper, on s'aperçoit que celle-ci fait l'éloge d'une ouverture aux choses, d'une possibilité d'un réalisme du sens commun. A l'en croire, sur ce point précis, la connaissance au sens objectif du terme, présuppose un effacement du sujet devant ce qu'il aperçoit. Popper a pensé cela sous son expression : pour une épistémologie sans le sujet connaissant. Si dans cette perspective l'ouverture est comprise comme étant une occasion privilégiée pour apprendre d'autres énoncés à partir des mots ou de concepts ainsi appris, alors on doit accepter avec l'auteur de La connaissance objective, que toute chose (aussi bien la vérité que la fausseté) a raison d'être. Du point de vue pratique ou expérimental, cela se traduit par le propos de Popper qui disait : “ ‘Toutes les théories sont des hypothèses ; toutes sont susceptibles d'être renversées’ ”.

La méthodologie expérimentale au sens popperien du terme, incarne une relation de connexion nécessaire que le chercheur pratique à travers non pas une observation des faits, mais au cours d'une attente ou d'une hypothèse, car l'observation est postérieure par rapports à elle. Ce sont les liaisons logiques reconnues dans les choses qui déterminent la démarche expérimentale.

A nous maintenir aux textes de la vulgarisation scientifique, qui s'inscrivent dans la logique du dépassement du sens des textes scientifiques, et à ceux de la transposition didactique, on s'aperçoit que l'attitude popperienne est incarnée dans les propositions que les auteurs avancent. En effet, dans la quasi-totalité de ces textes, les auteurs (Antoine Léon et Maurice Reuchlin) procèdent par conjectures et réfutations. Ils avancent d'abord le sens de la méthodologie expérimentale tel qu'il a été formulé par Claude Bernard et par Paul Fraïsse, et ensuite, ils proposent ce que celui-ci devrait être, c'est-à-dire en relation de connexion nécessaire avec les actions, les pratiques, les comportements des êtres humains dans leurs relations réciproques et dans leurs rapports aux êtres vivants.

Mais l'examen des énoncés sous cette forme popperienne est à nos yeux insuffisant, car il méconnaît l'attitude de l'ouverture des mécanismes de la pensée à l'égard d'autres pensées. En effet, l'acte de penser et l'acte du bien penser sont deux choses différentes. C'est par souci de la distinction entre ces deux démarches que la méthodologie expérimentale préfère la démarche de la critique de la provenance du concept, à celle de la logique de la découverte. La première propre à G. Bachelard, rejoint celle de la psychologie de la recherche chère à Th. Kuhn. Cette méthode a un sens très particulier chez Th. Kuhn. Elle signifie qu'en pratique : “ ‘Le chercheur doit être suffisamment débarrassé de tout préjugé pour pouvoir examiner des faits ou des concepts allant de soi sans nécessairement les accepter, et réciproquement, laisser son imagination jouer avec les possibilités les plus invraisemblables’ ”. La question d'ordre pratique qui se pose dans cette perspective, est celle de savoir si en fait il serait possible pour le chercheur de se débarrasser de tout les préjugés. Pour résumer les propos de Th. Kuhn quant à ce problème, on doit avoir présent à l'esprit ce qu'il a pensé sous l'idée de la tension essentielle dans les sciences. Celle-ci est-cette part qu'on retient d'une part de la tradition, elle émerge d'autre part, de l'innovation. A la tradition est lié le principe de la réorganisation, quant à l'innovation celui de la révolution. Pour élucider cela à la lumière de notre schéma O.H.E.R.I.C, on doit affirmer que la réorganisation porte sur le retour aux techniques diverses et aux démarches expérimentalistes connues depuis longtemps dans les traditions des histoires des sciences. Mais la révolution visée ici porte sur l'extension du schéma O.H.E.R.I.C au domaine social, éducatif, pédagogique et didactique, car actuellement l'intelligence (nous dit-on) est éducable expérimentalement. Sans vouloir entrer dans le débat entre Th. Kuhn et Karl Popper quant à la démarche expérimentale et à l'éducabilité de l'intelligence, (car ce travail nous l'avons déjà avancé dans notre tableau que l'on a consacré à la dispute cognitive que nous avons menée entre les deux grands épistémologues de ce siècle) on veut simplement – et à la lumière de notre tableau (didactique de l'immanence et didactique de la transcendance) affirmer que les deux démarches convergent vers un point bien précis à savoir celui de l'extension du pouvoir physique de la connaissance et du savoir. Cette problématique qui est la nôtre est la tâche des textes scientifiques, des textes de la transposition didactique et de ceux de la vulgarisation scientifique. On s'aperçoit donc à travers ces analyses que le même schéma O.H.E.R.I.C en tant qu'énoncé, est traduit à travers des différentes logiques dont la signification est en relation avec ce qu'elle a en commun avec les différentes méthodes qui le constituent. Ces logiques sont des processus complexes et non pas des états de faits.

On vient de voir que la transposition didactique stricto-sensus de l'objet du savoir traduit deux paradigmes que nous avons qualifié avec Quine de paradigme de la signification et de paradigme la référence. Il pourrait y avoir d'autres paradigmes. Par souci d'exhausvité, on a préféré de traiter de ces deux paradigmes qui vont nous éclairer sur d'autres à avoir les normes, les buts, l'esprit empirique, le holisme et l'imprégnation théorique, qui sont différents par rapport aux deux paradigmes précédants. Ces cinq derniers paradigmes traduisent l'autre paradigme opposé, à savoir celui de l'apport empirique dont témoigne la transposition didactique sensus-lato. Qu'en est-il donc de ce rapport ?

D'abord on doit rappeler que les trois mouvements de la démarche de la transposition didactique sensus-lato ne s'appliquent pas tous au textes que nous avons étudiés. Le premier mouvement : le passage de l'implicite à l'explicite, de l'inconnu au connu, est l'oeuvre du texte d'Antoine Léon. Cet auteur a mis en place dans son texte une autre approche du schéma expérimental qui jusqu’alors demeure inconnue. Cette approche, Claude Bernard la voulait pour la biologie et les sciences de la nature. Elle n'est rien d'autre que le discours de la méthode de la recherche. Quant au second mouvement : le passage de la pratique à la théorie, il est celui du texte du Manuel didactique de Paul Fraïsse, un texte qui a vu le jour grâce à la pratique savante de l'auteur. Ce dernier était un praticien de la théorie expérimentale appliquée au phénomènes psychologiques. En effet, Antoine Léon a mis en place l'étude scientifique des processus supérieurs de la personnalité, qui sont le propre de la psychologie expérimentale comme discipline autonome. Ce second mouvement, est aussi celui des textes de la vulgarisation scientifique, car Maurice Reuchlin auteur du manuel : Guide pratique de l'étudiant en psychologie est aussi un homme du terrain, un praticien d'une théorie qui s'annonce comme une combinatoire d'autres théories. C'est pour cette même raison qu'on a parlé (en commentant ses écrits), de la complexité de la simplicité qui émerge du processus de l'altération qui émèrge des textes de cet auteur.

Reste enfin à expliquer le troisième mouvement : le passage du préconstruit au construit, un mouvement dont témoignent tous les textes scientifiques, didactiques et de vulgarisations. Ces textes sont tous d'accord sur l'acte de cultiver l'exception du sens commun, du pôle de l'information pour mettre en forme et en mouvement un sens et une signification. Lorsqu'il s'agit d'enseigner ou de former, tous ces textes privilégient les moyens possibles pour la réalisation de cette noble tâche. La légitimité du passage du préconstruit au construit, repose sur le principe hégélien qui consiste à penser l'existence du sens dans le frisson du sens. Dans toutes situations fortuites, il y a à vrai dire de l'ordre dans le désordre. On dira pour rappeler notre formulation en introduction, que l'activité artistique est omniprésente. En tout cas, les exemples qui légitiment ce constat ne manquent pas dans l'histoire des sciences. Ainsi par exemple, les recherches de Goethe (qui fut influencé par la manière dont l'autre sort du même), ont données naissance à l'accroissement des recherches dans le domaine de la botanique. Ces recherches ont contribuées à l'extension du pouvoir physique du vivant, un effort qui retrouvera ses échos chez F. Dagognet qui dira que “ Toutes chose palpite de la vie ”. C'est donc à partir de l’appréhension du préconstruit que l'on peut remonter à la reconnaissance et à la mise en forme du construit. C'est à partir des situations fictives que l'on peut marquer le poids de l'imaginaire. Ce n'est rien d'autre qu'une vérité qui réside dans l'oeuvre d'art figurative. Dire que l'art est là où l'on ne se rend pas compte, est une incitation à une ouverture sur l'apport empirique, à une ouverture sur les liaisons logiques reconnues dans les choses.

Le premier moment de l'apport empirique que traduit la transposition didactique sensus-lato, est celui que l'on peut nommer avec Quine : la stimulation est la prédiction. Qu'en est-il donc de ce moment ? Et comment se traduit-il à travers les textes que nous avons jusqu’alors étudiés ? Quels seraient leurs impacts sur ceux que nous allons exposer, qui traiteront de la transposition didactique des processus supérieurs de la personnalité, en particulier la perception et la sensation ? Pour répondre à ces questions, on doit discuter trois moments de cet apport. Ces moments constituent la totalité de ce que nous intitulons :

Notes
746.

Voir Paul Fraïsse, dans le Manuel de psychologie expérimentale, Antoine Léon dans Manuel de la psychopédagogie expérimentale , et les textes de la vulgarisation scientifique du même Paul Fraïsse dans le Que sais-je ? intitulé : La psychologie expérimentale et dans celui de Maurice Reuchlin, intitulé : Guide de l'étudiant en psychologie. (La référence à ces ouvrages a été déjà mentionnée dans notre travail).

747.

Rousseau avait laissé entendre que le temps en éducation il vaut mieux en perdre que d'en ganger.

748.

Bachelard (G.), La formation de l'esprit scientifique , op cit.

749.

Lévinas (E.), Le Temps et l'autre . P.U.F. 1983.