5.4.3. L'apport empirique face aux normes et aux buts.

Le statut des textes de nos auteurs se mesure par la fonction que chacun remplit tout en se donnant une norme et un but bien précis. En introduisant le doute, le texte scientifique de Claude Bernard introduit à un raisonnement expérimental dont la fonction sociale est de douter de l'être apparent-réalité. C'est ainsi que Claude Bernard souligne à ce propos : “  L'expérimentateur doit douter, fuir les idées fixes et garder toujours sa liberté d'esprit ”. Il y a bien eu chez Bernard une recherche de la solide méthode scientifique, par la suite d'une démarche appuyée par le doute méthodique. Cette même idée sera reprise dans le texte de la transposition didactique qui est le Traité de Paul Fraïsse. Ce dernier à propos de cette reprise souligne : ‘“ L'experimentateur-observateur prend parfois – sinon dans la plupart des cas – du recul quant à l'observation continue, fortuite des variables personnalités des sujets’  ”. Ce doute, a déjà été souligné par cet auteur dans son Manuel didactique de la psychologie expérimentale, un travail antérieur au texte de la transposition didactique. Ce texte qui fut en 1956 le fruit des travaux pratiques de l'auteur, est à nos yeux un exemple de la transposition pédagogique, car il était déjà amoncelé dans la pratique de l'enseignement de l'objet de savoir : la psychologie expérimentale dont nous traitons. Dans ce Manuel, l'altération quant au sens du doute n'a pas été enregistrée, puisque à cet endroit, Paul Fraïsse a laissé entendre (dans un chapitre intitulé : l'individuel et le général que l'expérimentateur-observateur doit douter de la scientificité de la discipline psychologique, et ce tout en pensant que la science n'a en soi d'objet que le général. Puisque la psychologie est la science de chaque individu, alors elle ne peut en aucun cas s'ériger en science du général. C'est ainsi que Paul Fraïsse note : “ ‘Parce qu'il n'y a de science que du général, la psychologie qui doit être connaissance de chacun ne saurait s'ériger en science’  ”. Par contre dans le texte d'Antoine Léon, le doute est simplement renvoyé à une distinction entre ce que l'auteur appelle : "théorie et position théorique". Cela nous laisse penser que l'auteur Antoine Léon en tant que psychopédagogue est soucieux plus de la transposition didactique du texte de Paul Fraïsse (qui traite de la distinction entre le général et le particulier) que du doute sous sa forme méthodique et philosophique dont traite aussi bien Claude Bernard que Descartes. C'est ainsi que Léon souligne : ‘En psychopédagogie la distinction entre théorie et position théorique est évidente : on devrait que plutôt de théorie, parler de position théorique, de position général, de point de vue admis avant démonstration’  ”. L'auteur ajoute cependant tout en continuant à marquer son doute déguisé sous l'idée de l'affirmation qu' : ‘“ On doit plutôt parler de vues cohérentes sur un problème plutôt que de réelles théories ’ . Dans cette dernière citation d'Antoine Léon, on a l'impression qu'on est plus du côté de l'affirmation des propositions, que de celui du doute méthodologique tel qu'il a été avancé par Claude Bernard et Paul Fraïsse. Cela renforce encore notre idée du départ, une idée qui consiste à penser que dans la vulgarisation de la transposition didactique, l'affirmation d'un fait et la réussite d'une transposition didactique ne garantissent en rien la réussite de tout le processus de la transposition de l'objet du savoir.

De ces remarques, ressort le paradigme des normes et des buts auquel l'apport empirique est désormais soumise. Dans le processus de la transposition pédagogique de méthodologie du doute, on voit donc que l'instauration du vieux rêve cartésien est loin d'être établi. D'ailleurs, du point de vue de la vulgarisation de la transposition didactique, Antoine Léon ne préfère pas accomplir ce rêve. Les raisons de ce but et de cette norme sont du côté de l'approbation de l'acte d'éduquer et de former. Cet acte n'est pas celui du doute, il est celui de l'affirmation d'un certain nombre de valeurs éthiques et morales.

Puisqu'il s'agit des étapes de la recherche, des manières de faire certains choses, alors le doute peut déstabiliser le sujet tout en le forçant à se retourner contre son propre ordre déjà établi. Du point de vue pédagogique, l'extension du doute est intolérable, car ce qui génère cette action est l'ordre de l'éthique. On ne peut pas douter par exemple de la croyance des sujets qui parfois s'engage dans une direction à laquelle ils croient fermement quitte à accepter le courage du sacrifice. On ne peut pas douter non plus des actions des savants qui vivent la pratique scientifique dans le risque gratuit et le vivre dangereusement. De ce fait, on peut dire que la norme et le but du pédagogue reposent sur le fait de s'inscrire dans la norme de la solide méthode scientifique qui n'est rien d'autre que le respect de l'ordre établi par des conventions issues de l'argumentation rationnelles. La norme pédagogique ne s'inscrit pas dans l'incertitude savante, issue d'une âme divisée contre elle-même. Puisqu'il s'astreint donc à distinguer la théorie de la position théorique, le pédagogue se situe par là-même dans une norme typique : celle de l'épistémologie traditionnelle qui se préoccupait des rapports et des relations qui existent entre la science et les donnés sensorielles. D'ailleurs la formulation : “ La mise en évidence de la position théorique avant toute démonstration ” qui est celle du texte pédagogique d'Antoine Léon, renforce ces analyses. Cette formulation est loin du sens global exprimé par Paul Fraïsse pour le sens de la variable (P).

Dire avec le texte pédagogique que la science a ses données sensorielles, est une manière de revenir au schéma traditionnel de la perception. Ce schéma dont nous avons déjà avancé une critique indirecte qui été dirigée contre lui par Ph. Meirieu, est dit : traditionnel. Il est pensé ainsi parce qu'il concevait la perception en terme d'une relation tripolaire entre identification qui favorise d'abord le repérage, suivie par la signification qui contribue à la compréhension et qui s'achève ensuite par l'utilisation qui permet l'application. Cette épistémologie traditionnelle est aujourd'hui dépassée par le principe humien de connexion nécessaire, une relation que David Hume a conçu entre les mots et les choses. Ainsi la critique indirecte dirigée à l'encontre de ce schéma traditionnel, trouve son sens par excellence dans la relation de connexion nécessaire qui réside entre utilisation et identification qui (toutes les deux réunies d'une manière simultanée) donnent naissance à la signification. Pour reproduire nos schémas, on dira donc qu'il y a passage de l'épistémologie traditionnelle que représente le schéma suivant :

Identification : (repérage)
signification : (compréhension)
utilisation : (application).
A l'épistémologie moderne dont témoigne l'équivalence du schéma de Ph. Meirieu qui s'annonce comme suit :

Malgré cette distinction, on peut souligner une analogie : une ressemblance des rapports entre les propos de Paul Fraïsse et ceux d'Antoine Léon. Cependant et pour construire cette analogie, on dira que la variable P (personnalité) est au milieu éducatif ce que les variables de stimulation à enchaînement rigoureux sont au milieu pédagogique. L'important dans la comparaison des deux épistémologies précédantes est de comprendre les limites de chacun des textes que nous avons étudié. Si l'on maintient que le problème de l'épistémologie traditionnelle est celui de la relation qui réside entre la science et ses données sensorielles, alors ce sont les textes de la transposition didactique que représente le Manuel didactique de Paul Fraïsse et ceux de la vulgarisation de la transposition didactique qu'incarne le Manuel de psychopédagogie d'Antoine Léon qui sont du côté de l'épistémologie dite traditionnelle, car l'un et l'autre réduisent l'activité scientifique à une simple relation ouverte à l'égard des données sensorielles. Pour légitimer cela, on peut nous référer à la place qu'occupent le sens des stimulations dans leurs écrits. En effet, dans la plupart des cas l'accent est mis sur l'extériorité des actions des individus et sur celles des chercheurs ainsi que sur celles des apprenants. L'importance n'est pas donnée par les auteurs à l'intériorité des intentions des sujets. En tout cas dans ces Manuels, comme dans le texte de Maurice Reuchlin, un texte de la vulgarisation de la vulgarisation, le sens de la variable (P) : Personnalité définie en terme de processus incommensurable, n'est pas si bien dégagé. Bien que les différents textes mentionnent modestement l'intérêt attaché aux intentions et aux manières qui affectent les sujets dans chaque recherche, ils n'ont pas été plus loin pour affirmer qu'un sujet est d'abord nerveux : en relation avec des récepteurs qui le rendent ainsi, car le sujet possède par là-même une capacité de montrer. Comme le pense Heidegger, ce sont ces raisons qui font du sujet "un mons-tre" . Dire que l'homme est d'abord et avant tout un "mon-stre" signifie et à en croire Heidegger qu'il est un être du sens délimité par l'être : par le milieu dans lequel il se meut. C'est pour cette même raison que l'on pense le texte scientifique du Traité de Paul Fraïsse (qui a donné une importance capitale à la notion de la variable P, qu'il a lui-même approfondie avec son équipe de chercheurs) sous l'idée de la scientificité, car il s'astreint à la mise en forme d'une autre transposition didactique : celle des démarches expérimentales appliquées au vivant dans son milieu physique.

Ce basculement dans l'épistémologie moderne qui s'astreint d'abord à la recherche du sens des relations qui animent les récepteurs sujets nerveux est celui des stimulations qui animent les manières d'être et de voir. Ces manières viennent comme un pont pour médiatiser ces deux composantes de la variable personnalité du sujet. Ce basculement est à nos yeux une démarche significative de l'enrichissement du schéma O.H.E.R.I.C avancé au départ par Claude Bernard. Cette tentative portant des risques, a donnée naissance non pas à une épistémologie empiriste, naturelle mais à une autre qui cherche le sens de l'ordre de l'empirique. Elle fait parler la chose empirique à l'instar de Socrate, à travers sa prosopopée. Cette épistémologie est celle dont on dit qu'elle est naturalisée. Voilà la raison pour laquelle nous considérons l'éducation comme puisant son fondement dans le processus de la transposition didactique et la vulgarisation scientifique. Ces démarches doivent trouver leur sens dans l'ouverture sur les choses des sujets. Cette ouverture est animée par une prise de risque qui est parfois nécessaire. D'ailleurs que vaut la vie humaine sans la prise de risques ? Rien ! Comme O. Reboul en effet le laisse entendre – l'homme doit apprendre à apprendre des risques même lorsqu'il s'agit de sa propre mort. Il doit apprendre à arracher à la mort sa victoire tout en cherchant sa liberté pratique, car le désir de la liberté ne s'évanouit pas devant la mort. Spinoza a d'ailleurs laissé entendre que lorsqu'un homme libre médite sur la mort ce n'est pas sur la mort qu'il le fait mais c'est sur la vie.

Par sa référence à la variable P, le texte scientifique de Paul Fraïsse nous force à admettre l'existence d'une grande part du sensible qui se rajoute à celle de l'intelligible pour mettre à l'épreuve ce qui est déjà-connu, déjà-vu. De ce fait, la coïncidence avec l'épistémologie traditionnelle se laisse remarquer, car on voit bien que dans ce même texte (de Paul Fraïsse) dit scientifique (puisqu'il traite de la psychologie expérimentale), la part de l'ordre de l'empirisme est notable surtout lorsqu'il s'agit de la perception. Le fait d'insister sur le rôle de la variable (P) dans toute perception, cela nous conduit à penser cette même notion sous forme d'un empirisme qui reste le premier spécimens de l'épistémologie naturalisée. Par conséquent – et si l'on en croît – notre analyse, nos impressions sur le monde sensible proviennent uniquement des impacts reçus par nos récepteurs sensoriels. De ce fait, en cherchant à traiter de la relation qui réside entre nos manières de voir et d'être, l'auteur reste (comme l'était le texte scientifique de Claude Bernard) prisonnier d'un système philosophique qu'il faut finir par nommer. Celui-ci fait partie intégrante de la systématicité Kantienne qui tenait un très grand intérêt à ce que Kant a appelé la faculté de juger : une manière commune à tous les êtres humains. Bien que ces manières aient un sens polysémique dans le système philosophique Kantien, elles convergent autour d'un point à savoir que l'homme est libre par le fait qu'il possède des idées qui ont un impact, des effets dans le monde sensible. Cette manière idéelle à travers laquelle on peut désormais réfléchir à mettre en forme le réel, Kant (comme nous l'avons déjà mentionné) l'avait nommé tantôt : disposition morale fondamentale (Gesinnung) comme étant un toujours-déjà qui a des effets dans le déjà-là. Cette manière Kant l’a aussi nommée : l'idéal rationnel de l'être commun (gemeinwesen), ou encore, fait de la raison (factum). On constate à travers cette nouvelle analyse que l'écart entre les textes n'est pas si bien gommé tel qu'on peut le croire. Il est simplement renvoyé. Cette même évacuation fait problème lors de la transposition didactique du sens.

On veut démontrer à travers ces comparaisons analytiques, que lors de la mise à l'épreuve d'une théorie, on ne peut en aucun cas laisser sous silence la relation entre le contenu empirique et ce que nous venons d'appeler avec Quine : les récepteurs sujets nerveux. L'idée de la personnalité des sujets reste une chose pensante et non pas une simple pensée. Dire qu'il y a une part du contenu empirique dans la variable P, nous renvoie à enregistrer un dépassement de la pensée Kantienne pour céder la place au néoKantisme. Penser la variable (P) qui est incommensurable, insaisissable, en terme de facticité, revient enfin de compte à admettre la liberté qui affecte l'individu. Cette même liberté est celle dont Kant disait qu'elle est de même nature que la personnalité, c'est-à-dire insaisissable, incompréhensible, mais nécessaire dans son aspect apodictique.

Bien que les normes et les buts de chaque texte soient – comme nous venons de le voir – si différents, il n'empêche que chaque texte tente (à sa manière) de nous instruire et de nous rendre docile et bienveillant à des réalités si différentes. Il y a bien pour chaque texte un contexte. En effet, de la transposition didactique, en passant par la vulgarisation de la transposition didactique et en arrivant à la vulgarisation de la vulgarisation, le renvoi accentue et réduit l'écart sémantique entre les textes dont nous venons d'étudier la transposition didactique. De ce fait, cette dernière en tant que concept, contribue aussi bien à l'autonomie des savoirs et des connaissances, qu'à leur hétéronomie. C'est d'ailleurs ce que nous allons voir dans la transposition didactique de la relation de la connexion nécessaire entre deux notions psychologique à savoir la perception et la sensation.

Bien que les auteurs aient rencontré des difficultés pour accomplir la synthèse entre les différentes méthodologies, on s'aperçoit malgé tout à travers leurs textes (qui traitent de la transposition didactique de la méthodologie expérimentale), que la recherche de l'unité synthétique est maintenue tout au long de leurs écrits. Ainsi de la recherche (avec Bernard et Fraïsse) de la synthèse entre l'idée et le fait, on passe (avec Fraïsse et Reuchlin) à la recherche de la synthèse entre ce qui est prouvée et éprouvée, évoquée ou provoquée. Il en va de même pour Antoine Léon qui insiste sur la synthèse entre ce qui est induit et ce qui est déduit, entre ce qui est théorique et ce qui est hypothétique. Il y a aussi chez Maurice Reuchlin une autre possibilité synthétique entre ce qui est méthode de recherche et méthode d'investigation, entre ce qui est méthode expérimentale et action d'expérimentation. Cela est dû à l'influence du système philosophique Kantien qui a probablement marqué dès le départ le texte "source" et "originaire" de Claude Bernard.

La haute densité discursive des textes que nous avons présenté, varie selon la variation du public auquel ils s'adressent. Mais si l'on se réfère à la philosophie Kantienne proprement dite, on peut nous rendre compte que l'effort Kantien n'était pas toujours celui de la clarté esthétique malgré les différents exemples qu'il a donné pour élucider certaines notions philosophiques. Cela veut dire en fait que la haute densité discursive héritée de l'effort Kantien n'est pas la même lorsqu'il s'agit de l'élucidation pédagogique et didactique des notions difficiles d'accès. D'ailleurs, cela peut être expliqué au niveau de l'argumentation distincte poursuivie par chaque auteur. En effet – et comme nous l'avons fait remarquer – , l'argumentation Kantienne se présente sous forme d'une argumentation de substitution qui laisse ses traces explicites dans les textes scientifiques de Claude Bernard et dans ceux de Maurice Reuchlin. Cette substitution incarnant la relation de connexion nécessaire à l'égard des faits, nous force à admettre l'effort de la scientificité auquel aspire la quasi-totalité de ces textes ; alors que les textes de la transposition pédagogique dont témoigne l'effort du travail d'équipe pédagogique dirigée par Antoine Léon sont des textes qui poursuivent une argumentation du distinguo qui différencie les connaissances des acteurs de la situation pédagogique et didactique 755 . L'expérimentation dans ce dernier cas porte un autre sens proche de la différenciation cognitive qui engendre des phénomènes épistémologiques propres à la transposition didactique. Parmi ces phénomènes, il y a ceux que nous venons de voir dans la postérité de l'évolution du schéma bernardien, à savoir par exemple les différents nivaux de formulation des concepts soit sur le plan linguistique (les changements des répertoires lexicaux), soit au niveau du plan méthodologique (la falsification, l'altération, le transcodage), ou encore sur le plan épistémologique (les trames conceptuelles, la dépersonnalisation, la decontextualisation et la naturalisation du message). Ce sont d'ailleurs ces différents changements et altérations que nous avons tenu à clarifier pour en apprécier enfin le sens de la légitimité ou de l'illégitimité.

Pour être maintenant complet quant à ce sujet, passons donc à l'exposé et à l'analyse d'autres étapes du schéma O.H.E.R.I.C, vues par les autres textes de vulgarisation scientifique. Avant de passer à la transposition didactique des processus supérieurs de la personnalité : la perception et la sensation, nous allons finir avec l'exposé de la méthodologie expérimentale tout en étudiant la transposition didactique de ses quatre dernières étapes : expérimentation, résultats, interprétation et conclusion.

Ce qui est de l'ordre du Kantisme dans le texte d'Antoine Léon que nous avons qualifié de vulgarisation de la transposition didactique, est-cette part obscure de la liberté qui puise son fondement dans l'expérience des sujets pensant, dont parlait déjà Kant. Ce dernier a qualifié la liberté humaine d'insaisissable, d'incompréhensible mais de nécessaire et d'apodictique. Kant s'est en effet posé le problème de l'expérience que l'homme peut faire de sa propre liberté, en terme d'ouverture pratique sur les modalités et les manières de l'expérimentation. Cela ressort fort bien de ses réflexions sur l'éducation . Cette expérience du sujet s'explique du point de vue didactique et pédagogique par la nécessité de l'extension du pouvoir cognitif auquel Kant faisait déjà l'éloge.

Comme on peut donc le constater, le texte de notre auteur (Antoine Léon) que nous avons critiqué dans ce travail est resté conséquent, cohérent et fidèle à cette notion typiquement Kantienne qui ressort du renvoi et du silence du texte psychopédagogique quant à la signification de certaines notions psychopédagogique tel que par exemple la motivation et les différents rôles des variables dépendantes et indépendantes au sujet desquelles Antoine Léon ne dit presque rien. D'ailleurs son expression : "limite" peut tout expliquer. La pensée des limites est en effet l'une des caractéristiques de la pensée Kantienne à laquelle Antoine Léon se réfère implicitement en disant : ‘“ (...) Les moyens dont dispose le chercheur sur le plan des connaissances déjà acquises et sur celui des possibilités expérimentales doivent lui permettre de déterminer ses limites’  ”. La différenciation didactique et pédagogique incarnant l'expérimentation différenciée montre fort bien que toutes les recherches n'obéissent pas aux mêmes modalités méthodologiques. Mais il existe des recherches qui privilégient l'unicité méthodologique. Ces recherches sont celles qui privilégient par exemple le travail de l'un (lieu de l'unité) à celui de plusieurs au sein d'une équipe (lieu commun). Le silence du texte psychopédagogique en ce qui concerne ce problème qui est pourtant d'ordre pratique, ne peut être expliqué que par le procédé Kantien qui faisait l'éloge de la non détermination du caractère de la liberté du sujet, de la non détermination de la causalité libre incarnant une relation intelligible et indéterminée entre la cause et l'effet. Cependant, si l'on en croît Heidegger, on peut alors laisser penser qu'il existe entre les êtres humains une finitude, une limite qui rend le travail d'équipe parfois impossible du moment que la collaboration entre des compétences variées est rendue parfois impraticable. Kant avait en effet déjà remarqué que la relation entre la cause et son effet n'est pas de l'ordre du sensible. Cela veut dire que l'on peut tout échanger entre les êtres humains apprenants sauf la manière d'exister : sauf ce libre-jeu des facultés cognitives qui est le mystère de l'Éducation. Par conséquent, le silence, le renvoi sont en Éducation des formes légitimes, car ils reflètent la technique de l'interpellation du déjà-là. Il est une forme d'écoute de notre auditoire présumé pour enfin établir à son égard l'aspect abstrait de l'expérimentation de sa propre liberté. Ce n'est rien d'autre que la relation d'altérité radicale propre à l'acte de former et d'éduquer.

Le fait d'écouter l'autre est une technique méthodique que l'on peut ajouter au schéma bernardien pour contribuer à son évolution. Elle est une technique qui nous aide à argumenter et à contre argumenter tout en marquant par là-même l'argument d'autophagie. Ce dernier argument, nous aide pour montrer à notre auditoire présumé que ses propres arguments ne valent rien : qu'ils se détruisent par eux-mêmes. C'est en effet ce que souligne Perelman (Ch) en disant : ‘C'est donc la nature de l'auditoire auquel des arguments peuvent être soumis avec succès qui détermine dans une large mesure et l'aspect que prendrons les argumentations et le caractère, la portée qu'on leur attribuera ”.’ Cela présuppose donc une ouverture à double sens. Il y a d'une part celle que Ph. Meirieu pense en terme de : "en dire trop" et d'autre part celle qu'il pense en terme de : "pas assez". Ainsi le fait d'être silencieux est un acte qui peut servir à maîtriser l'erreur, car après tout – comme les Alchimistes ainsi que Karl Popper le laissèrent entendre –, la vérité est dans l'erreur. Voilà ce qui approuve le procédé selon lequel, la maîtrise de l'erreur en transposition didactique est l'une des raisons pour légitimer aussi bien le faux, l'image et la copie. Car dans toutes nos situations d'apprentissages nous avions tous débuté par l'observation d'images auxquelles on a toujours porté des mots. Une image n'est pas toujours un luxe doublement condamnable. Elle peut dans la plupart des cas, contribuer à l'extension du pouvoir expressif tout en favorisant la formulation de phrases diverses. C'est-ce que nous avons tous vécu lors de l'apprentissage des langues vivantes au cours des séquences d'élocution.

La vulgarisation scientifique use d'images concrètes pour transmettre des savoirs et des connaissances abstraites tout en les falsifiant positivement. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous avons fait remarquer que le faux prolonge la série des vérités déjà acquises tout en les reformulant, en les transformant, et en les reproduisant quitte à les altérer positivement. (Voir ce qui se passe dans l'apprentissage des matières scientifiques comme par exemple le cas de l'enseignement cellulaire et respiratoire).

Cette technique de la falsification qui se traduit par “ le comme si ... ” se manifeste au cours de la pratique didactique et pédagogique dans des jeux de rôle, là où l'enseignant s'ouvre parfois sur le faux, sur l'obstacle pour maîtriser le vrai, car rien n'est donnée tout doit être construit même par le biais du mentir-vrai. Lorsque par exemple Gaston Bachelard a employé la métaphore du feu pour expliquer le fluide, il savait d'avance que l'homme populaire, ordinaire ne pense pas à la formule physique de ce corps 756 . L'enseignement en tant qu'art, doit donc utiliser parfois des métaphores filées, des hyperboles et d'autres figures pour faciliter l'appropriation des concepts et des contenus difficiles d'accès. On peut dès lors maintenir avec Karl Popper qu'on peut apprendre de nos erreurs tout en admettant par exemple que l'enseignement de la géométrie non-euclidiènne est en soi une maîtrise des différentes erreurs d'Euclide. Cela nous renvoie aussi à soutenir avec Th. Kuhn que la pratique scientifique émerge de l'innovation révolutionnaire au sein du poids qu'exerce la tradition sur le savoir scientifique.

Nous allons maintenant voir si vraiment cette révolution a un sens dans la postérité du développement de la méthode de la recherche expérimentale dans le champs des sciences humaines en général et dans celui des sciences de l'éducation en particulier.

A nous maintenir au concept de la transposition didactique, on doit ajouter à ce qui a précédé que cette méthode a connue une falsification. Elle s'est enrichie tout en s'aliénant sous les effets de son ouverture à d'autres domaines de recherches. Elle est (qu'on nous permette l'emploi de cette métaphore vulgaire que nous avons mentionné au départ) comme cette putain dans sa relation ambivalente entre le principe de l'autonomie et celui de l'hétéronomie, entre le principe de la liberté, de l'émancipation à vouloir traquer les valeurs et le principe de la solitude et de l'exclusion. Ainsi et à vouloir rêver d'un monde où tout serait une marchandise, la "putain" tombe – sous l'effet de la marchandise – dans l'aliénation de sa propre liberté. Car même si l'on tente de réifier le rôle des valeurs sous le principe marchand, ce qui s’inscrit nécessairement est que le principe de l'anti-valeur est en lui-même une valeur surtout lorsqu'il s'agit des concepts de notre schéma O.H.E.R.I.C que l'on tente d'étudier dans ce travail. A vrai dire, l'expérimentation porte toujours un risque dont les effets sont toujours ambivalents. Elle est une pratique soumise à la fois à l'autonomie et à l'hétéronomie, à l'émancipation et à l'aliénation. Cependant, si Dubuffet a laissé entendre qu' ‘on ne peut abolir la valeur marchande qu'en abolissant la valeur esthétique et c'est au surplus cette dernière qui est toujours pernicieuse bien plus que la valeur marchande ’ , alors on doit être attentif au sens de l'expérimentation et au sens de la valeur d'un concept. Etant en Sciences de l'Éducation, on peut d'emblée afficher notre désaccord avec Dubuffet dont l'opinion reste malgré tout respectable, car l'auteur de l'Asphyxiante culture, fait l'éloge d'une esthétique de l'effacement, d'une esthétique sans le sujet pensant, sans valeurs marchandes et esthétiques. Pour nous en revanche, toute chose juge avec un jugement, avec un oeil que l'on ne peut en aucun cas négliger. Cet oeil nous l'avons appelé : la manière avec laquelle on met en forme le réel. Cette manière n'est rien d'autre que celle du sujet pensant. Celui-ci ne peut en aucun cas se réduire à une chose pensante. On a beau à définir l'observation sous son aspect chosiste, mais – comme on le voit dans la postérité de la méthodologie expérimentale – cette première étape penche de plus en plus vers la manière dont le sujet aperçoit les choses. Cette manière même si l'on tente de l'exposer aux différents marchés du monde, elle reste alors malgré tout reconnaissable. D'une part, l'observation d'une oeuvre d'art témoigne de l'idée de celui qui l'a mis en forme, et d'autre part – comme Lavater l'avait déjà fait remarquer – l'homme reste reconnue à son visage. Peut-on donc maintenant reconnaître les étapes de la méthodologie expérimentale en nous référons à leurs visages : à ceux qui les ont mis en forme pour un but précis, qui n'est rien d'autre qu'un objectif devenu objectivé ? Telle est la question qui s'impose !

Il est vrai que si l'on maintient une autre classification qui s'annonce opposée à la précédante, et à travers laquelle on va désormais considérer le texte du Que sais-je ? comme un texte scientifique, puisqu'il est dérivé du texte source : le Traité, qui est scientifique, et le texte de Maurice Reuchlin comme celui de la vulgarisation de la transposition didactique, alors on va (à lumière de cette nouvelle classification) présupposer qu'un étudiant en D.E.U.G de psychologie ne possède que ces deux textes. Dans cette perspective, l'argumentation distincte des deux textes sera différente des précédantes. D'ailleurs c'est pour cette raison que l'argumentation se présenter sous la forme suivante:

A un texte scientifique descriptif de Paul Fraïsse dans le Que sais-je ? correspond un autre qui est prescriptif dérivé. Ce dernier qui traite des méthodes en psychologie, et qui use de la forme de la vulgarisation pour transposer certaines notions difficiles d'accès, est celui de Maurice Reuchlin. Pour nous faciliter l'étude de cette comparaison des deux transpositions didactiques, nous proposons de partir du dernier alinéa du texte de Maurice Reuchlin que nous requalifions (selon les circonstances) de didactique, de prescriptif et de dérivé, car il se réfère à la fois à Claude Bernard, et à Paul Fraïsse. La compréhension de la différence des deux argumentations (celle de Fraïsse et celle de Reuchlin) peut être expliquée à partir du dernier alénéa du texte prescriptif de la vulgarisation de la transposition didactique. Ce dernier affirme que : ‘Les études sur l'animal élargissent les possibilités expérimentales’  ”.

En réalité, cela est une transposition didactique du concept de l'expérimentation. De prime abord, nous pensons que cette transposition didactique est illégitime, car il y a bien des expériences appliquées à l'animal qui prouvent qu'on ne peut pas transposer toutes les expériences réussies dans le champs de l'investigation sur l'animal à celui de l'humain. Cela explique que l'homme n'est pas un animal. Ainsi, la formulation qui vient de précéder est purement rhétorique. Elle est fondée sur un argument qui n'est pas celui de la dissociation mais de la substitution. Il y a en effet une substitution de l'homme à l'animal. Il reste maintenant à savoir si l'expérimentation peut être fondée ontologiquement ou sociologiquement ? Si l'on en croît le texte didactique prescriptif de Maurice Reuchlin, l'expérimentation est alors toujours possible. La psychologie expérimentale comme discipline autonome peut alors aborder tous les domaines. Cela étant d'ailleurs la visée du discours de Maurice Reuchlin en tant que pédagogue, du début jusqu'à la fin.

A nous maintenir à cette affirmation qui surgit de la fin du texte, on doit dire que l'autonomisation des situations auxquelles il tente de nous ramener n'est pas l'autonomisation des concepts. Le texte du fait qu'il ne prenne pas en compte la constitution, la gnoséologie du savoir scientifique, il fonctionne alors sur une structure profonde du préconstruit. Autrement dit, il ne se rend pas compte que l'intuition puisse – dans une large mesure – nous tromper. L'important dans ce texte est son exorde, première phase de la disposition d'un discours. Pour nous rendre attentif et bienveillant de deux réalités (la réalité humaine et la réalité animale) que Maurice Reuchlin considère compatibles, non contradictoires, son texte procède par une substitution des arguments quasi-logiques et des arguments fondés sur la structure du réel.

Dans le domaine de l'éducation, un domaine purement contradictoire et problématique, cette double argumentation antagoniste est tolérable, voire légitime. Dire qu'il y a incompatibilité lorsqu'on procède en même temps dans un même texte par deux argumentations distinctes, est un constat purement formel, car l'art d'éduquer, de former présuppose au préalable des jeux de rôles, à travers lesquels la vraie personnalité du questionneur reste inébranlable face à celle des répondants. C'était d'ailleurs le rêve de Nietzsche qui invita à l'oubli. Ce rêve est celui que prolongea Heidegger à travers sa théorie de l'effacement incarnant à ses yeux les plus hautes valeurs de l'objectivité scientifique 757 . Mais dans le domaine de l'éducation on voit mal comment une relation didactique, pédagogique ou éducative peut être génératrice d'effacement des différentes sensibilités du questionneur et du répondant devant les différentes situations qu'ils aperçoivent ! Le sentiment est l'une des composantes des processus supérieurs de la personnalité à savoir la sensation, la perception, l'apprentissage, la mémoire et les activités intellectuelles, dont traitent tous les textes que nous avons présentés.

L'un des aspects de l'argumentation quasi-logique dominant le texte de Reuchlin, repose sur l'argument de la comparaison. Dans son discours, l'auteur-vulgarisateur s'astreint à comparer des notions propres à la psychologie expérimentale et à sa méthode en tant qu'objets de savoir à être enseignés. Cette comparaison a pour but l'évaluation d'une notion par rapport à une autre. Lorsque l'auteur compare en effet des réalités, cette comparaison est fondée sur une simple constatation des faits. Comme on peut le constater, l’auteur part d'une affirmation qui consiste à penser que l'objet de savoir (qui est la psychologie expérimentale), a connu une extension considérable depuis une quarantaine d'années à des domaines très variés dans le champs des sciences humaines. Mais l'auteur ne s'arrête pas là. Il procède par l'emploi d'une terminologie spécifique en parlant de “ psychophysique-subjective ” et de “ la psychophysiologie ” “ ayant l'une comme l'autre un lien intime avec la psychophysique ”. Cette terminologie reflète deux réalités différentes, deux vies opposées. La première incane la vie physique, la seconde la vie biologique. Cette argumentation de comparaison et de la substitution rend le texte de l'auteur plus didactique que nous ne l'imaginons, car il avance d'une manière implicite que toute chose palpite de la vie tout en paraphrasant d'une manière directe le texte de Claude Bernard qui propose d'expérimenter d'une manière indifférenciée aussi bien sur les corps vivants que sur les corps naturels. Ce texte du Guide pratique de l'étudiant en psychologi e de Maurice Reuchlin (qui s'inscrit dans une optique de la vulgarisation scientifique) permet en réalité à son lecteur de s'instruire, de sortir de la norme, de penser à l'existence d'une autre vie, à l'existence d'autres niveaux de sensations, de perceptions difféentes de celles qui sont propres à la sphère de l'humain. Voilà la raison pour laquelle nous pensons que ce texte est proche des spéculations philosophiques ordinaires que certains philosophes comme Aristote ont empruntés pour expliquer la nature des choses tout en cherchant le sens dans le frisson du sens. D'ailleurs nous avons déjà fait remarquer que Aristote s'est jeté (de la même manière que Claude Bernard le fera plus tard) à travers champs pour expliquer et comprendre la nature des choses. Dans le domaine éducatif, la technique de se jeter à travers champs, à travers les intentions et les degrés d'implications des apprenants dans des situations diverses, est nécessaire pour la maîtrise des obstacles qui luttent contre le progrès des apprentissages. Mais on peut se demander si la comparaison est-elle toujours une raison pour assimiler et substituer des choses contradictoires ? Peut-on expérimenter par exemple de la même manière dans tous les domaines que cite l'auteur dans son texte ? On doit faire remarquer pour répondre à cette argumentation quasi-logique dominée par l'argument de la comparaison, que l'auteur du texte de la vulgarisation glisse dans une argumentation fondée sur la structure du réel, une argumentation qui est à son tour dominée par l'argument des liaisons et de coexistences. Mais ce qui manque à cette liaison est le fondement. Elle est simplement une donnée marquée par l'immédiateté. Elle n'est pas construite discursivement. Elle est livrée aux lecteurs de ce Guide pratique par le biais d'une clarté esthétique.

Ce glissement ne peut être expliqué que par le but que Reuchlin poursuit dans son texte. Il y a en effet dans ce Guide pratique une tendance à la recherche du sens des processus supérieurs de la personnalité. Dans cette recherche, Maurice Reuchlin se situe dans l'optique de l'explication objective des phénomènes apparents. Cependant, pour lui l'apparence est une réalité concrète qui s'impose à nous comme un fait. Par conséquent, l'auteur du Guide pratique de l'étudiant en psychologie est un praticien de l'action éducative qu'il se situe par là-même dans le cadre de la recherche-action. Si l'argument qui gouverne les liaisons de coexistences est celui de l'essence, un argument qui consiste à expliquer un fait par l'essence dont il est la manifestation ou l'exception, alors l'auteur est-cependant conséquent, cohérent dans son argumentation puisqu'il cherche à prouver l'essence des phénomènes apparent. Pour lui, la question : qu'est-ce qu'un phénomène ? trouve sa réponse du côté d'une relation d'arraisonnement, d'ouverture à l'égard de la facticité des faits.

Le souci du vulgarisateur est aussi celui de la recherche de l'essence des choses que le plus grand nombre de gens doivent connaître et acquérir, car même l'argument de l'essence explique ce qu'un grand nombre de cas ont de commun. Dans le texte du Guide pratique ..., l'auteur affirme que les processus supérieurs de la personnalité (la sensation, l'apprentissage, la perception), sont des grandes fonctions. Il y a à travers cette affirmation un changement de répertoire lexical entre M. Reuchlin et P. Fraïsse. Le premier parle en effet des grandes fonctions, tandis que second parle des processus supérieurs de la personnalité. A vrai dire, les deux formulations ne sont pas les mêmes !

Maurice Reuchlin, auteur du Guide pratique de l'étudiant en psychologie, commence d'abord par définir l'essence de l'expérimentation pour expliquer ensuite son objet de savoir qui est la psychologie expérimentale et sa méthode. A vrai dire, il se sert du signifiant (l'expérimentation) qui est d'ordre matériel, pour expliquer ensuite le signifié (le psychologisme) qui est au fond, son objet de savoir. Ce dernier est marqué par une abstraction du moment que chacun expérimente selon des circonstances et selon ses qualités propres. Cela rend l'expérimentation proche du domaine des possibilités et non pas de celui de la réalité. Maurice Reuchlin use de l'argumentation de l'essence pour rejeter les prétentions des psychologues qui tentent de réduire la psychologie expérimentale uniquement au domaine de l'humain. Il veut aussi laisser penser que le sens est l'union d'un signifiant et d'un signifié. Ce lien trouve son fondement dans un effort méthodique où la théorie rejoint la pratique, car après tout toute pratique est d'abord une pratique d'une théorie. Il y a donc lieu de penser avec Maurice Reuchlin à la relation de la connexion nécessaire entre le psychologique et la méthode. Autrement dit, dans le domaine de la psychologie expérimentale, il n'est pas question d'après l'auteur du Guide... de chercher à mettre en forme de nouvelles méthodes pour l'action, car s'il y a bien des lieux où la vie n'attend pas et nous demande parfois d'apprendre sans comprendre, est bien celui de l'action psychologique qui tente de favoriser le bien être de l'être humain. Les expériences pratiquées par Jean Piaget et son équipe sur "les irrécupérables" de la guerre, sont un exemple probant de l'action psychologique qui cherche les moyens et les méthodes pratiques pour remédier aux maux et aux blessures des noms propres.

Deux figures rhétoriques dominent l'argumentation du texte de Maurice Reuchlin. Elles ne sont pas dégagées d'une manière explicites, mais si l'on tente de les chercher au trèsfond, on peut alors les extraire et les construire d'une manière indirecte. La première est celle qui s'astreint à la personnification des choses concrètes, figure que nous avons déjà mentionné avec Socrate et Aristote sous l'idée de la prosopopée, tandis que la seconde est au contraire celle qui fait parler un absent, figue que nous avons aussi rencontré chez Rousseau sous l'idée de l'apostrophe. Pour ce qui est de la première, on remarque que l'auteur personnifie les objets tout en faisant l'éloge de l'anthropomorphisme. On peut remarquer cela dans son exposé portant par exemple sur l'étude des sensations, là où il étudie la sensation physique tout en laissant penser que tous les corps sentent et aperçoivent selon des échelles différentes. Il en va de même pour la fin de son texte là où Maurice Reuchlin achève son discours par l'étude de la perception. Au cours de cet achèvement, on constate une personnification à la fois de l'objet technique (tachistoscope) et de l'être animal (le chimpanzé). Pour ce qui est de la prosopopée, on peut la remarquer à partir du langage du tachistoscope, là où l'auteur du Guide...s'astreint (à la manière socratique) à faire parler ce qui ne parle pas. Ce procédé sert dans la plupart des cas à émouvoir et à nous rendre compte de l'ordinaire que nous jugeons parfois banal. Deux problèmes se posent malgré tout à travers cette tendance. Le premier est celui de la faisabilité de cette action, le second est celui de sa conséquence indirecte sur la personnalité du questionneur en direction des choses. Pour ce qui est du premier, on voit mal comment on peut émouvoir en cherchant à faire parler l'objet technique. On peut fasciner notre auditoire tout en le dispensant d'efforts physiques que la technique modifie positivement. Mais on ne peut guère contraindre tout auditoire à adhérer à nos conceptions, car cela présuppose un effort de séduction qui puise son fondement dans l'ouverture d'altérité radicale et dans un libre-jeu de rôle. Par contre le second problème traduisant une situation positive est celui de la mise en forme d'une nouvelle tendance qui témoigne d'une manière indirecte de la modestie de l'auteur, d'une direction particulière de recherche qui n'est rien d'autre qu'un moyen pour renforcer son argumentation portant sur l'omniprésence de la perception tout en attribuant à l'outil technique une fonction, une action qui sert à mesurer les réponses perceptives. Par conséquent, l'incommensurabilité des actions humaines est une chose qui est désormais calculable.

Puisque ce texte est une transposition didactique d'une transposition didactique, alors le problème épistémologique auquel il est confronté est celui de la vulgarisation de la vulgarisation. La comparaison des différentes formulations et reformulations de ces deux transpositions didactiques permet l'étude des différents problèmes épistémologiques qui résultent de la naturalisation d'un discours descriptif en un discours prescriptif. Cette comparaison porte sur deux notions de l'objet de savoir à être enseigné : la méthode de la psychologie expérimentale. Ces notions tournent autour de la prise d'information dans ses deux aspects à savoir la sensation et la perception. La première notion psychologique qui est commune aux deux textes est d'abord précédée par une étude sur le sens de la méthode en psychologie. Cela est l'une des raisons qui nous ont conduit à mener une étude complète et laborieuse sur la question de la méthode, tandis que la seconde : la prise d'information, reste le noyau dur de tous les textes. Son sens se différencie d'un texte à l'autre. Dans le texte de Paul Fraïsse par exemple, les deux notions (sensation et perception) sont traitées simultanément, alors que dans le texte de Maurice Reuchlin elles sont traitées d'une manière séparée. Nous proposons dans une perspective philosophique et pédagogique d'étudier dans une troisième et dernière partie de notre travail, le sens de ce lien entre sensation et perception.

Notes
755.

Rappelons que la différenciation didactique et pédagogique est un concept avancé par certains auteurs comme Lois Legrand, Ph Meirieu et Jean Houssaye. Elle connaît actuellement une extension au sein même des Universités, car la loi portant sur l'autonomie des Universités a donnée lieu à des pratiques de divers programmes et de diverses connaissances. D'ailleurs lorsque nous avons débuté nos études à Lyon avant de les avoir achevées à Strasbourg, certains de nos aimables enseignants à Lyon nous ont fait savoir que chacun fait et enseigne ce qu'il veut dans son Université. Cela veut dire que le droit à la différenciation cognitive est un fait qui s'impose à toute transposition didactique réussie dans une Démocratie moderne. Evidement on ne doit pas douter de l'efficacité de cet argument, mais l'important est de savoir si l'autonomie des Universités va plus loin pour déboucher sur une ouverture démocratique à toutes les différentes connaissances déjà acquises dans une République dite démocratique. Cet ouverture est en réalité une ouverture déjà achevée. Elle n'est pas un achèvement qui se soumet à une ouverture d'altérité radicale à l'égard de l'autre et est le processus qui l'accompagne.

756.

Bachelard (G.) Fragments d'une poétique du feu P.U.F. 1988.

757.

On doit rappeler que pour Heidegger la science ne pense pas. Elle agit, puisque (par exemple) pour lui le primat de l’artiste sur son œuvre n’est pas à prende en compte.