Les fondements d'une théorie phénoménologique de la perception : Chapitre I : Déterminations fondamentales de la perception externe.

§ : 2 Restriction du domaine de recherche. Le concept préalable de la perception externe.

Pour Husserl, l'objet d'étude de la perception comprend deux niveaux :

  1. la constitution originaire de l'objet empirique.
  2. la manifestation de l'objectité empirique dans l'expérience inférieure.

Ces deux niveaux, seront repris par Paul Fraïsse qui les repensera en terme d'étude des processus supérieurs de la personnalité. Cependant, l'écart va porter sur les effets de la reformulation. En effet, ce que Husserl a pensé en terme d'étude de l'expérience inférieure de l'objectité empirique, Paul Fraïsse le pensera en terme d'étude des processus supérieurs de la personnalité. Ces effets de la reformulation sont dûs aux présupposés théoriques de chacun. Car là où Husserl considère les désirs, l'auto-position, les manières d'être, de dire et de faire, comme étant des choses susceptibles d'être arraisonnées et étudiées, Paul Fraïsse considère cela comme étant de l'ordre du psychologique qui parfois – sinon dans la plupart des cas – échappe à l'étude rigoureuse. C'est la raison pour laquelle son étude scientifique des faits psychologiques se fonde sur des hypothèses que formule le savant pour l'étude d'un phénomène. Ces avis hypothético-déductifs, ne sont pas toujours saisissables et vérifiables. Cela n'est pas en tous cas l'avis de Husserl qui parle de la sûreté de la méthode phénoménologique qui expose les faits.

Ce qui nous pose problème avec Husserl, est sa définition de la perception externe, c’est-à-dire de ce qui y est supérieur et ou inférieur, car Husserl parle d’ :

  1. intuition ou saisie intuitive, définies comme matériaux sensible,
  2. actes supérieurs de la sphère spécifiquement logique.

Pour lui, les premiers fondent les seconds. C'est ainsi qu'il souligne :

‘“ Sur les vécus ou les simples intuitions ou saisies sensibles s'édifient les actes supérieurs de la sphère spécifiquement logique et par là seulement amènent l'objectité scientifique à se constituer dans ce que l'on appelle le traitement du matériau sensible sous-jacent ” 774 .

L'étude de la perception repose pour Husserl sur :

  1. l'étude de la perception pour elle-même.
  2. l'étude de la perception dans sa relation de connexion nécessaire avec tous les phénomènes objectivant voisins.
  3. l'étude de la perception dans sa relation de connexion nécessaire avec tous les phénomènes objectivant de même niveau.

Ce problème relationnel nous rappelle le débat quant à la question de la définition de la perception entre l'état et le processus. Si l'on croit la correspondance suivante :

éta
perception
processus, alors on doit maintenir la perception dans sa relation intermédiaire entre l'état des choses, et le processus complexe dont elles témoignent. C'est-ce que Husserl va penser dans les pages qui suivront, en terme d'ouverture sur l'acte auto-positionnel, auto-fondateur, qui distingue l'exposition des choses, et les manières qui les posent et qui les exposent dans le monde sensible. Pour affirmer la relation de connexion nécessaire entre concevoir et percevoir, Husserl avance une hypothèse en disant : “ ‘on a en vue corrélation entre perception et choséité perçue ’”. Si l'on en croît donc cette corrélation schématique : choséité perçue
chose au sens stricte, alors la réponse à question : Qu'est-ce qu'une chose ? posée par Heidegger, se complique davantage.

La réponse de Husserl repose sur une taxonomisation des choses au moins en trois niveaux :

  1. chose physique.
  2. chose spirituelle.
  3. être animé.

Si pour Husserl le “ je propre ” et le “ je étranger ”, sont des choses prises en relation avec l'environnement de chose, dans la mesure où la perception et par suite la simple expérience, prétendent faire fonction de phénomène constituant un mouvement à l'égard de l'environnement externe, alors la réponse à la question : Qu'est-ce que la perception ? n'est pas donnée par Husserl d'une manière précipitée. Car Husserl dit simplement qu'elle est “ vague de signification 775  ”.

Sur ce point précis, Paul Fraïsse le reprendra pour dire que la perception est incommensurable et insaisissable 776 . Pour définir la perception, Husserl va se tracer une tâche : “ le retour aux choses même ”. C'est ainsi qu'il souligne : “ ‘Retourner aux phénomènes eux-mêmes sous la conduite de cette vague signification, les étudier intuitivement, puis forger des concepts fixes, exprimant avec pureté des données phénoménologiques, telle sera la tâche’ ” 777 . Le but pour Husserl est de :

  1. nous approcher des choses.
  2. nous laisser instruire par elles.

Pour cela il faut donc un commencement que Husserl pense en deux étapes :

  1. partir d'exemples de perceptions dites externes.
  2. partir de perception de choses au sens strict, de choses physiques, car dit Husserl, voir, entendre, toucher, sentir, goutter etc. sont des titres qui nous mettent sous les yeux des exemples de perceptions de choses. Les organes d'essence engendrant des formes (exemples de perceptions) se rapportent toujours à des choses corporelles. Par conséquent, le voir de la phénoménologie se distingue de celui de la psychologie. Par exemple, le fait de voir que l'autre est en colère et le fait de voir la couleur, sont deux faits distincts. Le dernier voir est un voir physico-chosique. La vision du psychique doit être écartée. Car la colère et la joie (et à en croire la physiognomonie de Lavater) se lisent sur les traits du visage et du comportement. Ces traits sont l'oeuvre de l'étude phénoménologique puisqu'ils sont physico-chosique. D'ailleurs Husserl souligne à ce propos : “ En tous cas écartons d'emblée cette vision psychique ” Ibid. : c'est-à-dire celle qui explique le comportement des individus par un oeil “ latent ” qui “ met en forme le réel ”.

Pour désigner la perception, Husserl reste fidèle à la classification des faits perceptifs observés. C'est ainsi qu'il laisse entendre que la perception est :

  1. perception de quelque chose d'objectif, d'une réalité chosique.
  2. la perception est perception d'un Je percevant en tant que vécu. Elle est inhérente au vécu de toute espèce quelconque.

Cependant, la perception peut se subdiviser en deux niveaux :

  1. perception globaledont “ les activités logiques d'idéalisation et de mathématisation ” déterminaient au préalable le monde.
  2. perception séparée de l'objetdont “ les objctités catégorielles ” et dont la constitution présuppose la médiation des synthèses logiques voir, Chose et espace, note n°5 pp. : 441 et 442..

Notes
774.

in Chose et espace, op. cit.

775.

Ibid. p : 30.

776.

Voir le débat évoqué par Husserl entre psychologie et phénoménologie, divergences et convergences, dans les notes n°1 pages 436 à 438 et note n°1 page 443 de Chose et espace, là où l'opposition entre science de la fondation-explication (ErKlärung) et science de la clarification du sens (AufKlärung) est explicité par Husserl. Voir aussi Paul Fraïsse, in la psychologie expérimentale, Histoire et méthode , op cit.

777.

Husserl, op. cit.