§ : 11 Résolution d'une difficulté : les composantes intentionnelles de la perception données aussi sur le mode de l'auto-position.

Après avoir affirmé que “ deux perceptions A, et B exposent le même objet, ou selon le cas un objet différent ”, Husserl passe aussitôt à exposer une difficulté qu'il formule sous forme d'une question. Pour lui, s'il y a une évidence à exposer, alors celle-ci n'est pas au-delà de la conscience immanente à l'évidence de la conscience auto-positionnelle. Mais les objets perçus extérieurement et qui se caractérisent par une vie externe sont en fait des objets exposés par une perception que l'on nomme un objet qui ne réside pas en elle à titre de partie réelle, un objet qui n'est pas donné en elle à titre d'objet auto-posé. Ces modalités d'expositions, sont en fait possibles puisqu'elles sont des données évidentes. Elles établissent des comparaisons entre les données, entre les objets réels, entre ce qui apparaît. Elles établissent aussi des relations entre les moments ou parties de la perception et les parties des propriétés des objets. C'est en ce cas qu'elles sont donc exposantes des objets perçus. La perception est donc une instance des moments que l'on mettent en forme par le biais des moments déjà vécus dans le toujours-déjà de la conscience. Si – comme Husserl le laisse entendre – , les évidences existent, alors d'où tirons-nous leurs possibilités ? D'où tirons-nous notre savoir en général, (qui est immédiat de l'objet exposé, transcendant), de la relation avec lui ?

Pour répondre à ces questions, Husserl avance une affirmation à travers laquelle il laisse entendre que la relation à l'objet n'a de sens que lorsqu'elle témoigne de l'apparition : de la manière d'être, d'une aptitude à atteindre selon des règles non seulement de représentations mais de vécues phénoménologiques qui se révèlent à travers l'essence du vécu objectivant qui en fait le fondement de la perception incarnant une conscience d'identité. Dire que dans l'essence du vécu il y a une conscience d'identité, cela revient à penser que la particularité d'essence de la perception qui rend apte à fonder une identité, trouve son fondement aussi dans l'aptitude fondée dans l'essence du vécu objectivant.

Cette essence de la conscience de l'identité, exclue la conscience de la différence tout en fondant une autre conscience qui se donne le temps d'exclure d'une part toute conscience de l'identité et d'autre part à fonder une conscience de la différence. Ce sont donc les auto-positions respectives de chaque conscience d'identité qui délimitent les possibilités idéales de rattachement d'une identité à d'autres perceptions spécifiés de telle et telle manière. Ces auto-positions règlent les conditions de possibilités de tous les moments des aptitudes. L'essence subjective se conçoit dans la perception singulière qui détermine et désigne l'identité et la non identité de chaque essence de perception. L'essence subjective règle donc le déjà-là et le toujours-dejà de la chose perçue et apparente. Dans le geste de l'auto-position il y a donc une perception préalablement donnée. Elle est de l'ordre d'une disposition morale fondamentale, un être-commun (gemeins Wesen) qui existe déjà dans l'auto-position en tant qu'ensemble, en tant qu'idéal complet telle que “ des perceptions possibles ” d'une même maison par exemple. C'est ainsi que Husserl pense que cet état de fait (l'ensemble idéal de la perception d'une chose), peut se transposer à l'ensemble idéal complet de représentations d'imaginations, de représentations de souvenirs, de représentations figuratives possibles d'une même maison. Dans cette perceptive, l'important est de considérer la relation que les états perceptifs ont à l'égard des choses apparentes. L'important c'est aussi de considérer la relation qui existe entre l'auto-position et la perception possible d'un objet déjà objecté dans la conscience de l'identité. Cela est exploré dans la relation intentionnelle qui prime sur l'effectivité, ou l'ineffectivité de l'existence ou de l'inexistence du représenté. C'est donc le jugement d'existence, l'intention et l'oeil à travers lequel on met en forme le réel qui déclare à bon droit ou non l'existence ou la non existence d'un objet.

A partir de ce qui précède, Husserl veut viser la recherche du sens de l'acte du viser et de représenter un objet. Cet acte de viser, de questionner envers quelque chose, de représenter quelque chose, est un élément appartenant à la représentation qui puise son fondement dans l'essence de l'identité, dans l'auto-position déjà auto-posée. Elle est quelque chose qui s'opère par simple nature inaccessible à l'appréhension, mais qui est compréhensible une fois qu'elle est mise en forme. Cette action (le viser, le représenter) en tant que chose qui s'impose à la conscience par simple nécessité fortuite immanente, est quelque chose qui existe partout, omniprésente. Elle vise la conscience de l'identité. L'être constitué est donc considéré comme un toujours-déjà-vrai.

Si l'on cherche à aller plus dans la considération de l'objet externe, alors celui-ci n'existe pas en lui-même et pour lui-même. Il existe en vertu de quelque chose d'autre qui le détermine déjà. L'objet externe comporte naturellement le problème de sa propre possibilité, dit Husserl. Le problème réside au coeur de sa possibilité. Lorsque l'on a aperçu chez Husserl cette conception, on a eu l'impression qu'il était encore hégélien. Car dans l'optique de Hegel l'objet d'art qui est un déjà-là présent, témoigne du toujours-déjà-vrai des sujets qui exposent des auto-positions. Voilà d'ailleurs la raison pour laquelle Hegel disait déjà que “ c'est dans l'art que le peuple a déposé ses idée les plus hautes ”. Cette conception n'est rien d'autre que celle qu'il a nommé : l'esprit du peuple. Mais pour “ dépasser ” Hegel, Husserl va aussitôt affirmer que l'essence immanente n'est pas celle qui se dégage de l'objet perçu, ni même celle qui est en relation de connexion nécessaire avec une conscience d'identité qui aperçoit (selon des manières différentes) toujours le même via la mêmeté, mais elle est celle qui est consciente – par le biais de l'auto-position – d'une perception qui s'opère en général dans l'unité de la différenciation.

L'important pour Husserl ce n'est pas l'absolu de l'identité qui englobe l'identique et le non identique, mais l'important pour lui – comme il le souligne fort bien – est la conscience de la différence des identités essentielles qui traduisent des comptabilités et des incompatibilités d'essences des auto-positions. Si dans le domaine des mathématiques l'axiome selon lequel A est identique à B et B à C, alors A est identique à C. Cette identité peut être transposée dans le domaine des sciences humaines par le biais de l'éducation. L'identité est possible lorsque A, B et C se partagent dans la différenciation et dans l'identification des points de vues et des regards 804 . On peut en effet rassembler la conscience de l'identité AB et celle de BC lorsque (sous le regard) cela est possible. Une fois cela est acquis nous trouvons en effet des possibilités de conscience d'identité AC, ou encore l'incompatibilité de cette liaison avec la conscience de la différence AC. La conscience de l'identification ou de la différenciation engage et exige de nous l'explication des contenus réels des moments de la perception et de l'objet. C'est ce que Husserl va s'efforcer de montrer dans le paragraphe suivant.

Notes
804.

Dans le domaine pédagogique, et dans celui des relations humaines, cette idée est d'actualité. Elle est chère à Carl Rogers, qui laisse entendre qu'il ne peut y avoir de rapport authentique entre deux individus que si leurs rapports sont à leurs tours authentiques. Cela veut dire et comme il le laisse entendre que l'action à travers laquelle le sujet a une forte chance de mener “ la vie pleine ” est celle de rester soi même. Mais on peut se demander si le problème de l'authenticité souligné par cet auteur n'est-il pas une illusion ? Car l'unique authenticité est celle de l'unité du genre humain, (qui à travers son déploiement et son mouvement) crée des situations de dialogue et d'éthique de communication, situations qui n'altèrent pas l'authenticité originaire, mais la renforce.