Discussion : L'ouverture de l'âme au sens et le problème des apories.

Du passage précédant, il ressort en fait que les grandeurs ou la géométrie n'ont rien avoir avec l'acte spéculatif de la pensée. L'illustration que rapporte Aristote à quelque chose à voir avec un argument général universel à toute pensée. Cet argument est celui que nous venons de mentionner avec Aristote dans le De Anima III, 7, 431, b 2. C'est un argument qui consiste à dire que le raisonnement se produit dans la plupart des cas au moyen d'images ou de pensées dans l'âme comme si celle-ci voyait. C'est-à-dire que la perception n'est une véritable perception que lorsqu'elle devient une perception compréhensive, que lorsqu'elle nous favorise la compréhension. Cependant, la différence essentielle entre l'utilisation de figures dans l'argumentation géométrique et l'emploi inévitable d'images dans toute pensée, est qu'en général, nous n'avons pas besoin de recourir à la perception sensible. Car nous venons de dire avec Aristote que “ dans la pensée les images remplacent les perceptions sensibles ”. Cela est aussi l'idée de Husserl qui vient d'affirmer que la pensée organise, classe les fragments appariés d'un arbre tout en construisant un sens qui se démarque de potentialités articulées par les fragments de l'arbre. C'est la pensée dans son inactualité, qui organise le sens déjà-là-articulé.

Cette conception aristotélicienne de la perception sera aussi reprise par Averroès lorsque ce dernier en paraphrasant Aristote, laissera entendre que la séparation, la démarcation entre 'aql (intellection) et fahm (compréhension) 873 est une nécessité pour mieux comprendre le sens de la perception humaine, qui réalise à travers l'acte de bien penser la médiation et la séparation entre la faculté rationnelle et les autres facultés de perception. Pour mieux comprendre le rapport de la philosophie de Husserl à celle d'Aristote et par là même à celle d'Averroès tenons à exposer et analyser le Grand commentaire du de Anima livre III 429 a 10-435 b 2, d'Aristote transposé et transmis par Averroès, traduit par Alain de Libera, et ce à partir du texte I jusqu'au texte V.

D'abord on doit dire que c'est dans ces textes que le sens de la perception et de la sensation (en tant que processus supérieurs de la personnalité, qui nous intéresse ici), est largement commenté et exposé. Un apport directe avec ces textes nous permettra de saisir par la suite le rapprochement du sens de la transposition didactique de ces mêmes processus dans la pensée médiévale, dans son rapport avec la pensée moderne qu'incarnent Husserl et Heidegger. Avant d'y parvenir revenons en donc sur la fin du paragraphe 16 de Chose et espace auquel nous proposons d'arrêter nos commentaires du sens de la perception chez Husserl. A la fin de ce paragraphe, Husserl va tenter de dégager les conséquences des deux moments (perception propre et perception impropre) de la perception tout en montrant qu'ils s'impliquent l'un à l'autre dans la perception externe insensée. Cette perception, est insensée parce qu'elle est simplement la ressemblance qui se réalise dans l'apparition entre l'objet qui apparaît et l'apparition dont témoigne l'exposition des qualités physiques qu'elle représente. Le contenu de ces qualités physiques sera exposé dans les paragraphes qui suivent le § 16. Ceux-ci nous ne intéressent pas en premier lieu, car ils représentent une analyse rigoureuse des contenus physiques sensibles dans leur différence et dans leur ressemblance.

Le texte Médiéval d'Averroès portant sur la place de l'âme pensante, est un texte décisif qui par la suite aura des impacts sur l'histoire de la pensée psychologique et philosophique. Ces impacts seront transmis indirectement dans la pensée philosophique moderne dont témoignent Husserl et Heidegger. Si pour Descartes, le “ je pense donc je suis ” n'est rien d'autre qu'une autosuffisance que se donne le sujet psychologique à soi-même pour penser son propre destin et son propre existence tout en se donnant sa propre loi, alors le sujet averroècien bien qu'il soit animé d'une âme donatrice de sens, il n'obéit pas d'une manière spontanée à son désir, mais il use de sa "faculté rationnelle" pour percevoir les sens des choses. Cet usage est le même que Husserl nous incitera à suivre lorsqu'il parlera de la perception auto-positionnelle qui arraisonne les choses de l'apparence. Si la pensée est une chose pensante (comme Gassendi le laisse entendre dans sa critique dirigée à l'encontre de Descartes), alors il en va de même pour Husserl et Heidegger 874 ainsi que pour Averroès. Ce dernier avait une conception de l'âme tout à fait particulière. Il pense qu'elle forme des strates, des compartiments que l'on peut arraisonner et pénétrer voire exposer. C'est ainsi, qu'il souligne dans son commentaire du De Anima d'Aristote que : “ ‘Mais concernant la partie de l'âme par laquelle connaît et pense (qu'elle soit différente [des autres parties de l'âme] ou non différente [d'elles] par la grandeur, mais
[seulement] par la notion) il faut examiner quelle est [sa] différence, et comment se produit
[l'acte de] concevoir par l'intellect’ ”. 875

D'abord on doit faire remarquer que ces propos sont ceux d'Aristote traduit par Averroès de la langue grecques à la langue arabe et ensuite au Latin. Mais voilà que le texte arabo-latin est à son tour traduit au français par Alain de Libera. La version habituelle que le public intellectuel francophone possède quant à ce passage d'Aristote, avant la parution de la traduction de Libera est exprimée par Tricot. Ce dernier à propos de ce même texte souligne : “ ‘voyons maintenant la partie de l'âme par laquelle connaît et comprend, que cette partie soit séparée, ou même qu'elle ne soit pas séparée par l'étendue mais seulement logiquement ; nous avons à examiner quelle différence présente cette partie et comment se produit l'intellection’ ” 876 . On a ici un modèle par excellence de la transposition didactique du sens de l'ouverture de la pensée à la recherche du sens de l'âme. Ce modèle est celui qui surgit de la traduction d'un texte travaillé par plusieurs intellectuels ayant des spécialités tout à fait identiques. L'aporie qui est à résoudre ici est celle de la composition de l'âme de plusieurs parties, que certains tentent de comprendre, d'analyser, d'exposer et d'arraisonner, et que d'autres se donnent le choix d'en apprécier une seule partie pour en discerner les autres sens. Que peut-on donc apprécier : le lieu de la qualité ou celui de la quantité ? Avant de prendre prématurément le risque pour nous engager dans un lieu du préférable, revenons en sur les deux propositions (celle de Tricot et celle de Libera) qui tentent de résumer les propos d'Aristote quant à l'essence énigmatique de l'âme. Ce sens on ne peut le comprendre que lorsque l'on se réfère à la conception aristotélicienne de l'Etre des choses. Si Aristote a laissé entendre que “ ‘l'Etre se prend en plusieurs acceptions mais ce n'est pas une simple homonymie’ ”, alors on doit maintenir avec Averroès – commenté par Libera – que l'ouverture de la faculté rationnelle à l'égard de l'âme est une approche qui tente d'en discerner les parties, d'en arraisonner les qualités propres pour en maîtriser les facultés de perception. Car si l'âme imagine voit, elle doit alors avoir un oeil à travers lequel elle met en forme le réel.

Du passage d'Averroès à celui de Tricot, on passe d'un lieu de la quantité à celui de la qualité, d'un lieu commun à un lieu de l'unité. Il n'est donc pas question de concevoir une vision d'une seule partie de l'âme mais de concevoir l'âme dans sa différence avec d'autres états d'âmes, de concevoir les visions pour en percevoir les manifestations. L'acte de concevoir par l'intellect n'est pas en rapport avec une seule faculté imaginative de l'âme, mais avec d'autres facultés de perception. C'est là que réside la différence du passage d'Averroès commenté par Libera, avec celui de Tricot. L'intellection n'est pas en relation avec une seule partie de l'âme comme Tricot le laisse penser, elle est au contraire en relation avec plusieurs parties de celle-ci. Il y a dans ce passage et dans cette reformulation un appauvrissement subi par Tricot au texte-source d'Aristote, qui pense que l'être se prend en plusieurs acceptions mais ce n'est pas une simple homonymie. La transposition didactique réussie du sens de l'âme chez Aristote est celle d'Averroès traduit par Libera.

Si Tricot pense qu'une partie de l'âme est responsable de la production de l'intellection, et que c'est celle-ci que l'on doit chercher à examiner puisque c'est par elle et elle seule que se produit l'ouverture de l'intellection aux choses, alors il n'en va de même pour l'Aristote d'Averroès 877 , qui pense que la faculté rationnelle ne réside pas simplement dans une âme conséquente et cohérente avec elle-même, mais dans le rapport qu'elle entretient avec les autres facultés de la perception, comme par exemple celle du sens et celle de l'imagination, ou encore celle de l'appréhension et celle de la compréhension. Il y a là en effet, une distinction majeure qui explique l'emploi par l'auteur (Averroès) de l'expression : “ ‘la grandeur de l'âme ’”, comme si cela est un appel à la mise en mouvement de la grandeur de l'extension du pouvoir physique et cognitif des hommes. L'instrument de mesure de cette grandeur est celui de la puissance et de l'action que l'âme peut accomplir lors de son ouverture à la connaissance et à la pensée. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle l'Aristote d'Averroès lie intimement la grandeur de la pensée et de la connaissance de l'âme à l'examen de la notion de la passivité et de l'action de l'âme. Cependant l'âme est devenue une composante susceptible d'être arraisonnée puisqu'elle est factice. Cela va largement être développé plus tard par Husserl qui – comme nous venons de le voir – bien qu'il ait récusé l'approche psychologique de sa phénoménologie, il n'empêche qu'il fut prisonnier de l'oeil à travers lequel la vision auto-positionnelle du sujet s'astreint à mettre en forme le réel. Cette vision n'est rien d'autre que l'intellection active de la qualité de ce que Husserl vient de penser en terme d'acte auto-positionnel, de croyance, comme étant des actes de poser. Car selon Husserl nous devons admettre dans la perception deux processus : l'appréhension et la représentation. Ces dernières sont déjà acquises dans le toujours-déjà de la vision du sujet pensant.

La faculté rationnelle est pour l'Aristote d'Averroès une chose pensante. Elle a la même fonction : l'arraisonnement, que Husserl et Heidegger lui assigneront plus tard. Dans l'action perceptive que reflètent l'imagination et les sens, il est nécessaire (à en croire l'Aristote d'Averroès), de distinguer (al-quwâ al-munfa'ila), c'est-à-dire la puissance passive, et (al-quwâ al-fâ-ila), c’est-à-dire la puissance active. Cette distinction qui est l'objet de l'âme, n'est pas seulement quantitative, mais elle est aussi qualitative, car l'intellection est à l'origine de la visée de l'action. Si l'Aristote d'Averroès a pensé que le degré d'implication est le propre de l'homme qui raisonne et arraisonne l'être des choses, alors et par conséquent, il n'y a rien de moins husserlien et heideggerien que ces propos. Car le "Je" pensant, est pour les deux hommes (Husserl et Heidegger) un fait, une chose factice qui s'impose à nous, un fait auquel on se heurte comme on se heurte à un étant.

L'arraisonnement que procure la faculté rationnelle à l'homme se distingue de celui que les autres facultés : l'imagination, le toucher, le regard, bref toutes les facultés de sens, lui favorisent. Cette distinction peut se produire soit par le sujet (approche biologique et psychologique), soit par la notion (approche ontologique et axiologique). A partir de là, on peut dire qu'on est à nouveau devant l'approche phénoménologique et ontologique que Husserl et Heidegger développeront plus tard. En effet, le sujet en tant que maître et possesseur de la tâche métaphysique est ici défini par l'Aristote d'Averroès comme possédant des intentions. Cela n'est rien d'autre que le domaine des possibilités qu'assignent Husserl et Heidegger à la vision humaine. Si la chose – comme le disait Heidegger est notre chose et nulle autre, et si l'être en chair et en os – comme Husserl le laisse entendre – réside dans notre visée exposante et auto-positionnelle des notions, alors, on doit dire que ces notions avaient déjà été analysées sous d'autres formes sans que leur contenu puisse être altéré. En effet, la notion et le sujet qui sont des notions que l'intellection rationnelle de l'Aristote d'Averroès avait déjà tenté d'élucider, correspondent à l'étendue du pouvoir cognitif d'une partie de l'âme à savoir celle de l'intellect. La capacité de l'âme raisonnable repose donc sur le pouvoir de fournir des intellections. Elle existe dans son étendue et dans son changement, de la même manière que l'existence de l'être mondain, au sujet duquel l'Aristote d'Averroès disait déjà dans le Discours décisif qu'il n'est pas susceptible de disparaître mais de se transformer. Car la transformation du monde n'est pas un anéantissement de celui-ci. Elle est un changement, que l'homme assume parfois comme une tâche métaphysique, surtout lorsqu'il médite sur la mort, sur l'au-delà de l'être.

Pour donner un sens à la perception, Averroès va dans sa lecture du De anima et des Topiques, procéder à une taxonomisation des faits cognitifs, de la même manière que Husserl le fera plus tard lorsqu'il distinguera : 1) la perception globale : “ ‘les activités logiques d'idéalisation et de mathématisation’ ” qui déterminaient au préalable le monde, et 2) la perception séparée de l'objet : “ les objctités catégorielles ” dont la constitution présuppose la médiation des synthèses logiques. Cette classification est héritée d'une manière directe ou indirecte d'Aristote et des Stoïciens. Elle est exposée clairement dans l'Aristote d'Averroès, qui considère la qualité chosique de la perception dans sa relation à l'Esprit de la Raison en tant que chose raisonnable capable de saisir et de distinguer. C'est ainsi qu'Averroès a tenu (dans sa reprise des Topiques et du De anima d'Aristote), à poser une distinction qui surgit de l'opposition de deux termes arabe : (aql), c'est-à-dire intellection raisonnable, et (fahm), c'est-à-dire compréhension rationnelle. Comme on peut le constater, on est à nouveau devant la vieille distinction stoïcienne de deux niveaux de la perception : la perception compréhensive et la compréhension. Si percevoir n'est pas toujours comprendre, alors le choix de l'appréciation d'un type d'âme désormais s'impose. C'est ainsi que l'on peut comprendre maintenant le passage du lieu de la quantité au lieu de la qualité, du lieu commun au lieu de l'unité, un passage exprimé par le commentaire et la traduction du De anima d'Aristote par Tricot. L'appréciation de cette âme n'est pas dû à sa capacité à gouverner la destinée du sujet, mais à sa qualité contingente ayant pour tâche la distinction du vrai et du faux. Cette âme, intelligente et raisonnable est donc séparée des autres facultés. Cette séparation est une preuve de sa capacité à discerner le sens des choses. Par conséquent, on peut maintenant laisser penser que c'est bien l'auto-position de la visée (dont parlera Husserl plus tard) qui est ici visée par Aristote. A son sujet, l'Aristote d'Averroès souligne : “  relativement à la partie de l'âme par laquelle nous percevons suivant le type de perception nommé intellection ('aql) et compréhension (fahm) – qu'elle soit séparée du reste des facultés de l'âme par sa situation vis-à-vis du corps et par la notion ou qu'elle soit séparée d'elle seulement par la notion, non par la situation – , notre objet en premier est de chercher en quel sens et comment cette partie de l'âme est séparée du reste des facultés de l'âme. Autrement dit : qu'est-ce que la représentation par l'intellect et comment se produit-elle ? ” 878 .

L'âme raisonnable dont il est question ici est intentionnelle. Elle pose (en vertu de ce qui a été déjà posé en elle) des intentions réelles et logiques dans la structure du réel. L'activité notionnelle à laquelle elle s'astreint est celle du classement des différents sens de son action. Car l'âme est divisée en parties distinctes selon le lieu. Cependant, on peut laisser penser que la notion moderne : l'écologie du savoir a été déjà exprimée dans l'Aristote d'Averroès du fait que le lieu, le milieu jouent un rôle important dans la modification des âmes individuelles et collectives des sociétés humaines. D'ailleurs certains philosophes soutiennent que l'âme est partageable selon le lieu, selon les aventures savantes des sujets. Il pourrait en effet y avoir des âmes qui désirent, d'autres qui conçoivent. Cette séparation des âmes pose aussi le réel problème de la séparation des fonctions psychiques de l'homme. La division de l'âme selon le lieu, est un constat typiquement aristotélicien. Pour Aristote, la division de l'âme n'a pas le même sens que lui attribuait Platon 879 . Ce dernier a pensé l'âme dans sa division en terme de séparation intrinsèque au psychisme. C'est ainsi que Platon a laissé entendre dans le Timé qu'il existe des parties de l'âme, réparties selon les fonctions psychiques qu'elles remplissent. Par exemple, “ ‘il existe une partie “ moyenne ” logée dans la poitrine et isolée par le diaphragme d'une partie concupiscible, située dans le bas du ventre, mais jointe à la partie rationnelle, logée dans la tête, par l'isthme du cou ’”. (Propos d'Alain de Libera (op. cit. p : 177).

Cette pluralité de l'âme sera d'ailleurs reprise par Aristote qui, lui aussi va distinguer trois niveaux de l'âme : végétative, sensible et raisonnable. Ces trois niveaux correspondent à des réalités naturelles et non pas à d'autres réalités abstraites. La reprise critique de Platon par Aristote quant à cette question précise est largement commentée par Averroès. Ce dernier pense que Aristote en faisant allusion à Platon, va le dépasser pour affirmer que l'âme se divise d'abord dans le corps et ce suivant la distinction des fonctions des membres dans lesquels elle accomplit ses différentes activités. Pour Aristote, l'âme n'est pas rassemblée dans un même membre. C'est ainsi qu'il classe les différentes âmes selon les localités qui correspondent à chaque intention accomplie par chaque membre. Par exemple, au cerveau est liée la partie intelligente, au coeur la partie désirante, et au foie la partie nutritive. Par conséquent, on peut dire que la perception et la sensation ne font qu'un. Car apercevoir n'est rien d'autre qu'une réponse à un stimulus sentie, qui affecte les organes des sens et le goût incarnant le degré d'implication du sujet dans la situation. Etre impliqué dans une situation signifie donc être en parfaite continuité avec ce qui se déroule dans le monde des phénomènes. “ La chose est notre chose et nulle autre ”, nous dit-on. (Heidegger).

Si le problème de la division de l'âme est chez Platon intrinsèque, alors l'ordre s'impose de soi pour organiser l'intériorité des consciences sur lesquelles on doit agir pour modifier l'extériorité des actions. Cette conception n'est pas celle d'Aristote, qui conçoit la division comme étant une fatalité naturelle, dans sa relation intime avec le développement et du contour extrinsèque et de l'intériorité des contenus corporels. L'extériorité des actions est donc une chose à cultiver en tant qu'exception parce que l'âme raisonnable est un sujet que l'on doit canaliser. Peut-on donc dire pour autant que l'âme pense et connaît les membres auxquels elle appartient ? Pour répondre à cette question passons donc à l'analyse de la relation qui existe entre la perception de la connaissance et la perception de la pensée, dans leur rapport au sujet expérimental qui est l'âme.

Connaître et penser sont deux actes tout à fait distincts. Si tous les hommes pensent, cela n'est pas une raison pour affirmer pour autant qu'ils connaissent les sentences de leurs imaginations créatrices. La connaissance n'est pas universelle. Elle n'est pas non plus une donnée fortuite qui se construit dans l'immédiateté. Elle est l'objet d'une construction qui est dans la plupart des cas très lente. Nietzsche disait à ce propos que l'homme du coeur et du génie doit être préparé à une lente lecture. Cette idée que Husserl et Heidegger 880 cultiveront plus tard a été reprise dans le commentaire du De Anima, là où Averroès avait distingué l'acte de penser de l'acte du connaître. En effet, dans le texte 2 du De Anima de l'Aristote d'Averroès la question à laquelle Averroès se prépare à répondre est celle de savoir si l'acte de concevoir par l'intellect est une action ou une réception. Car si la connaissance des actions de l'âme précède celle de son essence, alors il existe une possibilité d'arraisonner l'âme pour en maîtriser les intentions. Par conséquent, on peut maîtriser par là même la connaissance théorique et la connaissance pratique de l’âme. C'est d'ailleurs ce que le texte 2 propose de discuter en soulignant : “ ‘Disons par conséquent que, si concevoir par l'intellect est comme sentir, ce sera soit comme pâtir d'une certaine façon sous l'action de l'intelligible, soit quelque autre chose de semblable ’”. (Libera, op. cit. p : 50). La traduction de Tricot de ce même passage commence par : “ ‘Si donc l'intellection est analogue à la sensation, penser consistera ou bien à pâtir sous l'action de l'intelligible, ou bien dans quelque autre processus de ce genre’ ”. Ibid.

Il y a ici une précision capitale pour le rôle que doit jouer l'intellection dans l'arraisonnement de l'âme. Averroès parle dans le texte original arabe de "at tasawwur- bi-l-'aql", c'est-à-dire de l'imagination par l'intellect, ou encore de la représentation par l'intellect. Cependant le geste de former par l'intellect, d'intélliger l'intellection est un geste à travers lequel on peut distinguer et classer les actions de l'âme entre la connaissance spéculative et la connaissance pratique. Ce n'est rien d'autre que ce Descartes pensera plus tard en terme du bon sens : chose du monde la mieux partagée. Le rôle de l'intellection est de contribuer à ce que Aristote pense en terme de la prudence pratique. L'âme rationnelle dans son activité discursive, soumise à l'intellection qui l'arraisonne, contribue à la connaissance qui va de pair avec la prudence. Le problème d'Averroès est donc de savoir si l'acte de concevoir par l'intellect appartient-il (comme la sensation) au genre des puissances passives, ou à celui des puissances actives ? La réponse est donnée par la suite d'une supposition à travers laquelle Averroès suppose que l'acte de concevoir par l'intellect est comme l'acte de sentir. Car dans la réception fortuite des intelligibles il se passe la même chose que dans la réception des sensibles qui affectent la faculté sensorielle. Les affects externes en effet, représentés par l'extériorité des actions peuvent contribuer à la perfection de l'intellection puisqu'ils enferment des liaisons logiques, des schèmes causales transcendants du fait que parfois la perfection du sens peut résider dans le corps. C'est ce que Kant pensait de la causalité sensible.

Mais dans le cas où l'intellection n'est pas affectée par les activités passives externes, on peut dire que la pureté de la perfection qui lui revient n'existe pas dans le corps mais elle s'associe à lui. C'est d'ailleurs ce que l'Aristote d'Averroès vise à travers le sens qu'il attribut à l'âme rationnelle qui ne pâtit pas d'une passion égale à la passion des sens. D'ailleurs dans sa réflexion sur le sort de l'âme après la mort, Averroès a pensé que seules les âmes "raisonnables", "savantes et "connaissantes" sont vouées à la résurrection. Elles seront responsables disait-il devant Dieu le jour du jugement dernier. Cette idée est lourde de sens. Elle nous montre la pensée extrême du rationalisme d'Averroès. Ce rationalisme lorsqu'il s'est penché sur la question de l'éternité et de la résurrection des âmes, a posé comme solution la responsabilité des sujets connaissants. Ceux qui sont les plus concernés et reponsables de l'extension du pouvoir cognitif sont les savants, les philosophes héritiers des prophètes. Ce qui est intrinsèque à une âme consciente intelligente est d'abord la possibilité d'obéir ou de ne pas obéir à des Lois. Elle est (l'âme raisonnable) la seule qui est apte à se retourner contre sa propre Loi.

L'action de l'âme intelligente, rationnelle sera l'objet du texte 3, qui va nous renseigner et nous informer des manières à travers lesquelles l'âme rationnelle reçoit des formes de l'extérieur. C'est ainsi et à propos d'elle que l'Aristote d'Averroès souligne : “‘ Il faut donc qu'il soit non passif, mais qu'il reçoive la forme, et qu'il soit en puissance, comme cela, sans être cela. Et il en va de lui, selon cette comparaison : ce que la faculté sensorielle est par rapport aux sensibles, l'intellect l'est par rapport aux intelligibles ’”. (Libera, op cit. pp. : 51 et 52). La traduction de Tricot de ce même passage s'annonce comme suit : “ ‘Il faut donc que cette partie de l'âme soit impassible, tout en étant susceptible de recevoir la forme ; qu'elle soit, en puissance, telle que la forme, sans être cette forme elle-même, et que l'intellect se comporte par rapport aux intelligibles de la même façon que la faculté sensitive envers les sensibles’ ”. (Libéra, Ibid. p : 181).

Après être en mesure de s'interroger sur la passivité ou l'activité de l'intellect, l'Aristote d'Averroès commence ensuite à expliquer ce que l'intellect est susceptible de mettre en forme et d'établir. Du fait que l’intellect n'est ni corps ni une faculté existant dans le corps, alors il n'est pas sujet de changement. Cela veut dire que l'intellect (qui est une partie de l'âme rationnelle), ne se laisse pas affecter par les changements extérieurs qui affectent nos sens familiers. Il est une faculté de jugement rationnel, un invariant fonctionnel qui classe, qui distingue les faits en vue de les comprendre. Il distingue lors de son mouvement et dans les changements des faits, la perception compréhensive de la compréhension. Voilà la raison pour laquelle Libera souligne à son sujet a cet même endroit mentionné d'en haut que : “ ‘la partie de l'âme dont dépend l'acte de concevoir est une faculté qui ne subit pas de changement sous l'action de la forme qu'elle perçois’ ”. Lorsque la partie de l'âme à savoir l'intellection rationnelle, s'efface devant les formes apparentes qu'elle aperçoit, cela veut dire qu'elle se donne le temps de la constitution de son propre objet. Elle est de ce fait auto-suffisante. Elle se donne sa propre loi dans le mouvement réflexif de l'action accomplie par le geste : connais toi toi même. Mais la partie de l'âme si elle est conçue sous cette unique forme, elle devient totalement passive. Cela n'a pas été la visée de l'Aristote d'Averroès. La passivité ne s'applique à la partie de l'âme rationnelle : à l'intellection rationnelle que dans la mesure où, (comme la faculté sensorielle), elle reçoit la forme qu'elle perçoit. Elle est aussi en puissance ce qu'elle perçoit puisqu'elle le maîtrise de l'intérieur. Cette maîtrise n’est pas au sens où elle serait en acte quelque chose dont on dit ceci, c'est-à-dire comme un corps ou une faculté existant dans le corps comme l'est la faculté sensorielle. Cela veut dire que l'intellect n'est pas "quelque chose", c'est-à-dire un corps ou une faculté du corps. Il n'est pas ce dont on dit "ceci". L'intellect matériel existe donc sans forme littéralement amorphe. Dans la note portant le numéro 22, Libéra s'explique longuement sur cette vision averrocienne de l'intellect. C'est ainsi qu'il souligne : “ ‘Averroès combine ici deux lignes d'exégèse distinctes : (1) l'intellect est comme le sens, passif, mais sa passivité s'arrête à la pure réceptivité : il se distingue de lui en n'ayant pas d'organe corporel correspondant à la qualité de la chose qu'il perçoit et l'endossant dans la perception il n'est donc pas "mélangé au corps", "quelque chose" du corps ou dans le corps ; (2) l'intellect est en puissance la forme de la chose qu'il reçoit, mais il ne l'est pas en acte : il est donc comme cela (comme la forme) sans être cela (la forme elle-même). Il est en puissance ce que l'intelligible est en acte. On a ici potentiellement deux thèses distinctes : (1) l'intellect est sans mélange avec le corps et (2) il est sans mélange avec l'intelligible qu'il reçoit ’”. (Libéra , op cit. p : 182).

Dans le texte 4, l'Aristote d'Averroès va nous montrer les acceptions à travers lesquelles l'intellect matériel peut concevoir toutes les choses sans en être une. Cette partie de l'âme qui arraisonne les choses perçoit aussi tous les existants extérieurs à elle. C'est ainsi qu'il souligne : “ ‘Il faut, par conséquent, s'il conçoit toutes choses, qu'il soit sans mélange, comme le dit Anaxagore, afin de commander, c'est-à-dire de connaître. Si en effet une chose apparaissait en lui, ce qui apparaîtrait empêcherait l'étranger d'apparaître parce qu'il est autre’ ”.(op. cit. p : 53).

Tricot traduit ce passage en disant : “ ‘par suite, pensant toutes choses, l'intellect doit nécessairement être sans mélange, comme le dit Anaxagore, afin de commander, c'est-à-dire de connaître, car en manifestant sa propre formule à côté de la forme étrangère, il met obstacle à cette dernière, et s'oppose à sa réalisation’ ”. Libéra, op cit. p : 183.

Pour concevoir et percevoir toutes les choses, l'intellect matériel doit s'ouvrir sur les séries combinés des choses qui dévoilent certaines vérités. Cette ouverture est fondée sur la simple réceptions des faits, car l'intellect matériel-récepteur appartient au genre des puissances passives. La matérialité de l'intellect-récepteur est fondée sur son autosuffisance du fait qu'il ne subit pas de changement lorsqu'il est affecté par la réception d'un intelligible. Cette passivité inhérente à la réception est due au fait que l'intellect matériel récepteur n'est ni un corps ni une faculté existant dans le corps. Mais dans sa perception de tous les existants extérieurs à l'âme, il peut selon ce mode (du fait qu'il n'est ni corps ni une qualité de celui-ci) tous comprendre, tous connaître, tous percevoir. La perfection de l'intellect matériel est due au fait qu'il est d'une part sans mélange et d'autre part extérieur à l'âme, qu'il peut en vue de cette spécificité arraisonner les choses tout en les percevant même passivement. Du fait qu'il soit ainsi, on peut alors laisser penser qu'il est un invariant fonctionnel. C'est d'ailleurs la visée d'Axagore auquel Aristote s'est référé à plusieurs reprises. La référence aristotélicienne à Anaxagore se trouve aussi dans la Physique là où Aristote souligne : “ ‘C'est pourquoi, également Anaxagore a raison de proclamer que l'intellect est impassible et sans mélange, puisque justement il en fait un principe de mouvement ; s'il peut en effet mouvoir, c'est à condition seulement de n'être pas mû ; s'il peut dominer c'est à condition d'être sans mélange’ ”. (Aristote, Physique VIII, 5, 256b 24-26. (voir Alain De Libera, op. cit. p : 184).

Le mouvement de l'intellect matériel en tant que faculté d'arraisonner et de raisonner est un mouvement que nous devons comprendre, dans sa relation à l'égard des faits, lorsqu'il questionne en direction des choses. Cependant, le mouvement qui lui est propre et que lui assignent Aristote ainsi qu'Anaxagore est un mouvement de domination de la connaissance. Ce mouvement autonome et autosuffisant permet à l'intellect matériel de percevoir toutes choses et de les recevoir. Le fait d'affirmer que l'intellect matériel ne possède même pas de forme propre est une idée héritée de Platon, qui, dans le Timée a laissé penser que l'intellect “ S'il n'était dénué de toutes figures, n'épouserait pas certaines d'entre elles ”, car il ferait “ ‘inférer son propre aspect’ ”. Le fait qu'il soit sans forme, l'intellect matériel peut donc commander. Car s'il était formel, substantiel, l'interférence de l'étranger lui crée un obstacle et lui fait écran.

Si l'acte de concevoir par l'intellect appartient aux puissances réceptives comme la faculté de sentir, alors son action est commode, animée par une sorte d'altérité radicale à l'égard de toutes les choses. Les expressions arabe qui font dire que l'intellect est : "quabil" (commodité réceptive) et non "munfa'il" (angoisse hasardeuse), expriment beaucoup mieux le sens de la réceptivité positive des choses par l'intellect. Car ce dernier se donne le temps de l'assimilation des choses. Il est animé d'une lente lecture issue de son travail de formulation, de reformulation d'interprétation, et de traduction des faits. Ce travail puise son fondement dans la réception positive des formes des choses par l'intellect matériel, qui meuvent l'âme rationnelle en tant qu'elles sont en acte à l'extérieur de l'âme. Ce mouvement coïncide avec celui de l'intention de l'intellect matériel, une intention qui produit des effets dans le monde sensible. Le terme arabe : (al-ma'âni as-saKhsiyya) (l'imagination personnelle) traduisant fortement l'expression : l'intention, qui anime l'intellect. Cette traduction est beaucoup plus significative pour désigner l'imagination créatrice de l'intellect matériel-récepteur.

Si dans l'intellect – comme Platon l'a laissé entendre – tout est établi d'avance, alors ce que l'on sait est donc déjà connu : il relève d'un tojours-déjà-vrai. D'ailleurs c'est Platon qui dans le Ménon avait évoqué la possibilité d'un enseignement de la vertu : chose que l'on maîtrise et que l'on connaît déjà d'avance. Cependant, connaître c'est d'abord affirmer la possibilité intellectuelle de l'enseignement de ce que l'on maîtrise. C'est dans l'acte d'enseigner que la réceptivité par l'intellect des autres valeurs, peut avoir lieu. Dans l'enseignement, le mouvement des connaissances et des savoirs puise son fondement dans l'acte de concevoir par l'intellect qui, à son tour intègre les réceptions des divers discours. L'intellect rationnel reçoit les discours au même titre que la parole qui forme un langage expressif et énonciatif. La réception des idées et des projets se déroule dans le cadre de la rencontre intellectuelle entre des sujets connaissants. Les puissances actives et les puissances passives doivent en réalité se mettre en mouvement et se poser dans l'âme rationnelle afin que celle-ci puisse les arraisonner, les recevoir et les connaître. Tout cela ne peut se réaliser que par le biais de l'enseignement, par le biais du partage du savoir. Comprendre ce que c'est que la passivité et l'activité, revient enfin de compte à chercher leur lien avec la passion et la réception. En réalité, ces deux dernières ne se distinguent guerre. Elle se différencie par rapport à l'action. Cependant, percevoir une action revient à chercher la place de la passion et de la réception. Cette place est assurée par la capacité qu'à la raison à pénétrer dans le royaume de la passion et de la réception. Ce que signifie percevoir est cette part de la raison à pouvoir calculer et à pouvoir discerner les stimuli et les réponses, les passions et les réceptions des sujets pensant.

Dans le cadre des relations interindividuelles et collectives on peut laisser penser que les intelligences produisant des intellections matérielles sont d'abord des substances recevant des formes, et ensuite des facultés rationnelles infinies, car elles restent ouvertes à des domaines de possibilités, qu'elles créent des espaces nouveaux, jamais vues. Cette faculté rationnelle met la parole d'abord aux faits tout en produisant des faits factices ayant des effets dans le monde sensible. C'est d'ailleurs ce que l'Aristote d'Averroès 881 pense dans la langue arabe en terme de : (al-quwwat an-nâtiqa) 882 , que nous proposons de traduire littéralement par (les forces parlantes), expression qui signifient au font et du point de vue philosophique, la possibilité qu'ont les facultés rationnelles à créer et à poser un pouvoir expressif et énonciatif concret. Heget comme Husserl diront plus tard que la faculté rationnelle auto-positionnelle pose la parole dans le monde sensible tout en étant elle-même exposée par ce qui est déjà posée en elle. “ La parole est d'abord aux faits ”, disait Hegel. Ce dernier n'a d'ailleurs pas hésité à mentionner – de la même manière qu'Averroès l'avait déjà fait – la force de l'intellect matériel. C'est ainsi qu'il souligne : “‘ (...) La puissance de l'esprit pensant consiste non seulement à se saisir soi-même sous sa forme propre’ ‘ 883 ’ ‘, comme pensée, mais tout aussi bien à se reconnaître dans l'extériorisation’ ‘ 884 ’ ‘ par laquelle il se porte vers la sensation et la sensibilité, à se concevoir dans son autre en convertissant en pensées ce qui lui était devenu étranger et en le ramenant ainsi à soi. Et il ne faut pas croire que l'esprit pensant, en s'employant ainsi à l'autre de lui-même, se renie au point de s'oublier et de s'abandonner lui-même en cet autre, de même qu'il n'est pas non plus si impuissant qu'il ne puisse appréhender ce qui est distinct de lui : mais il se conçoit et conçoit son contraire. Car le concept est l'universel qui se conserve dans ses particularisations, étend son emprise sur soi-même et son autre et de la sorte est tout aussi bien le pouvoir et l'activité de réabolir l'étrangement où il s'engage ’” 885 .

Mais si l'intellect matériel n'est ni une forme parmi les formes matérielles, ni – comme le précise le texte arabe : "sûra mina s-suwar" (une forme parmi les formes) – , alors que pourrait-il être ? L'Aristote d'Averroès nous répond qu'il est absolument sans mélange avec la matière. Mais cette réponse n'est pas si précise que l'on pourrait le croire. Cependant, et logiquement parlant, si l'intellect matériel reçoit les formes des choses matérielles, alors on peut laisser penser qu'il est d'abord une substance réceptive, ouverte aux choses et aux formes matérielles sans pour autant en faire partie intégrante. Dans le mode de la réception il y a deux niveaux : une réception en acte, et une autre en puissance. En effet, la matière première reçoit les intelligibles en puissance, alors que l'intellect matériel les reçoit en acte. Cependant, l'intellect matériel n'est pas "passif" car sa passion n'est pas une "altération" des formes qu'il reçoit puisqu'il les raisonne et les arraisonne.

Enfin le texte 5 va maintenant nous informer du vrai sens de l'intellect matériel, un sens dont la nature est la possibilité de mise en forme et de dévoilement de la vérité. Dire que l'intellect matériel se dévoile et s'expose, signifie au fond qu'il est en rapport à la vérité dont Averroès disait déjà que chaque vérité est possible du moment qu'“ ‘une vérité n'en contredit pas une autre mais s'accorde avec elle et lui rend témoignage ’” (Al haK la youdadou alhaK bal youoifiKouhou oi yachhadou lah). C'est d'ailleurs l'une des expressions que A. Badawi attribue à l'intellect matériel, dont la vérité n'est autre que sa possibilité. Voilà la raison pour laquelle l'Aristote d'Averroès qualifie le travail de la raison par l'acte du "tibian", c’est-à-dire de montrer par excellence l'exposition qui s'impose, sachant bien et comme Heidegger le dira plus tard, l'homme est un mon-stre. Ce travail s'astreint aussi à la recherche de la vérité et à sa mise en forme et en mouvement. L'Aristote d'Averroès souligne à ce propos : “ li daliKa laysa la-hu tibyan illa tibian al imKan ”, c'est-à-dire, et en parlant du travail de l'intellect rationnel : “ c'est pourquoi il n'a d'autre nature que la nature du possible ”. Averroès va plus loin pour marquer le domaine de la disposition de l'intellect en disant : ‘“ fa in Kana alamrou fi ha da alâKli haKada fa laysa tabiâtouhou illa tabiâta alistiâdadi faKat ’”. C'est-à-dire : “ ‘si l'intellect matériel est ainsi (une exposition qui s'impose) alors sa nature n'est rien d'autre que celle de la disposition seulement’ ”. Cela nous rappelle le sens Kantien de la raison en tant que factum. En effet, Kant a laissé entendre que la raison en tant que spontanéité et qui relève du domaine du possible, est animée par des dispositions morales fondamentales qui sont des toujours-déjà ayant des effets dans le déjà-la. Le domaine de la possibilité auto-positionnelle doit être compris ici comme une source d'énergie inépuisable qui, à chaque moment où la raison veut se manifester elle peut le faire pour acquérir des sens, des possibilités factices. La raison possède donc deux domaines : celui de l'acquisition et celui de la réminiscence. Le texte 5 d'Averroès, auquel nous allons nous arrêter dans nos comparaisons avec les textes des autres auteurs modernes et contemporains, porte sur le sens de la perception visée par l'intellect matériel. Le contenu de ce texte se résume à ce passage qui souligne : “ ‘Et ainsi il (l'intellect matériel), n'aura d'autre nature que celle-là, à savoir d'être possible. Donc ce qui de l'âme est appelé intellect (et j'appelle intellect ce par quoi nous distinguons et concevons) n'est en acte aucun étant de concevoir ’” 886 .

Du point de vue de la phénoménologie de la perception, on peut laisser penser que ce que Husserl et Maurice Merleau-Ponty penseront (après Aristote et Averroès) en terme de conscience (qui est toujours consciente de quelque chose), l'Aristote d'Averroès l'avait déjà pensé en terme de conception. La pensée de l'âme possède en effet une manière pour acquérir des notions et des concepts. Cependant on peut désormais se demander s'il existe vraiment des limites entre concevoir et percevoir. Si Husserl (tout en attribuant à la pensée et non à l'âme (psychologie) une possibilité de mettre en forme des inédits) pense que toute conscience et consciente de quelque chose, alors l'Aristote d'Averroès a au contraire pensé que l'âme est une pensée intelligible qui use de la spontanéité de la raison pour mettre en forme un pouvoir concret. C'est ainsi qu'il conçoit l'intellect matériel inhérent à l'âme comme étant quelque chose de possible. Dire qu'il faut mettre en forme des possibilités revient enfin de compte à penser le problème de la liberté de la conscience dans sa relation avec les actions pratiques des individus pensant et agissant. Voilà la raison pour laquelle la conception est inséparable de la perception puisque avant même de percevoir une chose, il existe un motif et un degré d'implication de l'intellect matériel (objet de l'âme) pour mettre en forme le réel apparent. C'est ainsi que l'Aristote d'Averroès souligne :

“ ‘De sorte qu'elle (l'âme) ne peut même avoir la moindre nature, en dehors de celle qui consiste à être un possible ! Par conséquent, ce qu'on appelle l'intelligence de l'âme et par là j'entends ce qui permet à l'âme de réfléchir et de se former des idées n'est effectivement aucune des réalités avant de penser’ 887  ”. A la question : qu'appelle t-on penser ? qui sera tardivement posée explicitement par Heidegger, la réponse de l'Aristote d'Averroès était donc déjà claire. En effet la pensée est indissociable du sujet "Je" qui est affecté par l'intelligence de l'âme, qui, elle, apprécie la chose ainsi que les formes matérielles sans pour autant en faire directement partie intégrante. Si Heidegger a laissé penser que la chose est notre chose et nulle autre, alors l'Aristote d'Averroès avait déjà pensé que la chose est celle de l'âme qui pense et qui raisonne tout en questionnant en direction des choses factices en vue d'en extraire des formes et des modèles de vie.

Si l'intellect matériel fait partie intégrante du domaine des possibilités, alors il convient de décrire les formes de son apparition. Bien qu'il ne soit aucune forme matérielle, il est pourtant une faculté qui n'est pas simplement imaginative, mais une faculté à travers laquelle nous pouvons distinguer les choses théorétiques et pensons aux choses pratiques que nous accomplissons dans le futur. Cependant, on doit donc distinguer dans l'intellect matériel deux niveaux : l'intellect spéculatif théorique (al-aql anadari) et l'intellect pratique (al-aql al amali). Cette distinction pose le problème de l'acte perceptif entre le stimulus physique, et la réponse qui se traduit par les degrés d'implications qui affectent le sujet à s'engager pour répondre ou ne pas répondre à une stimulation. Mais le rôle de l'intellect matériel est aussi de viser certaines actions, de viser la compréhension de l'intellection des indivisibles et des composés, en tant qu'objets de jugement. Les choses pratiques que nous accomplissons dans le future font partie aussi de la visée de l'intellect matériel qui prévoit le sens des actions pratiques. L'intellect matériel est animé par des intentions ayant des tensions, des puissances visées dans la pratique et dans la conception. Toute pratique est une pratique d'une théorie. Toute théorie n'est valable que dans le mouvement qu'on en fait dans le monde sensible. Un Etant n'est un véritable Etant que lorsque l'intellect matériel l'a déjà conçu auparavant. Percevoir est avant tout concevoir. La conception peut prendre beaucoup de temps, car lorsque l'on se donne du temps, on perd la dimension temporelle du moment du mouvement, tout on en gagnant l'espoir du futur. D'ailleurs lorsque Jacques Derrida emploie l'expression : Donner le temps, titre de l'un de ses ouvrages, il pense à cette dimension averroècienne de la conception qui, selon Aristote, n'est rien d'autre qu'une continuité à l'égard de tout ce qui apparaît, en vue d'y réaliser la rupture pédagogique qui n'est rien d'autre que celle dont Rousseau disait déjà que le temps en Enduction il vaut mieux en perdre que d'en gagner. Perdre du temps c'est donc un gain de la formation des générations futures : les enseigner c'est aussi les renseigner surtout lorsqu'on leurs inculquent un savoir nouveau, qui leurs permet d'évoluer dans leurs pratiques et dans leurs conceptions du monde. Les Topiques, en tant que remèdes à la "pathologique éducative" apparente de l'époque d'Aristote, avait cet même objectif. Car lorsque l'on s'astreint (avec Aristote) à questionner en direction du répondant, on est voué à écouter ce dernier, on s'appuie sur ses arguments soit pour les retourner contre lui si ceux-ci sont inadéquats, soit pour s'en inspirer en vue de montrer à notre auditoire présumé qu'une vérité (sa vérité) n'en contredit pas une autre (celle du domaine de l'acquisition), mais s'accorde avec elle et lui rend témoignage. Si l'on en croit l'Aristote d'Averroès, il n'y a donc pas d'opposition entre le domaine de la formation et celui de l'information. L'intellect théorétique, spéculatif est une faculté qui vise l'acquisition dans le futur. Elle donne le temps de la mise en forme des idées et du mouvement. Cependant, et si l'on en croit le commentaire d'Alain De Libéra, on peut alors laisser penser que : ‘“ (...), l'intellect matériel est ce qui est en puissance toutes les intentions des formes matérielles universelles et n'est en acte aucun étant avant de l'avoir conçu’ ” 888 .

L'acte de la conception est un acte englobant. Il peut être défini – si l'on en croit Heidegger – en terme de TACHE. Cette notion de tâche, l'intellect matériel la porte en lui sous forme d'un fardeau duquel il ne peut guerre se débarrasser que s'il met en puissance et en forme toutes les intentions en tant que toujours-déjà-vraies. Ces intentions le travaillent en tant que formes universelles. Cependant pour s'en débarrasser, il doit comme disait Heidegger se mettre au travail. Mais il ne s'agit pas ici d'une substitution du national socialisme au national esthétisme 889 , il s'agit au contraire de retrouver dans les formes artistiques la grandeur de la conception qui sera perçue et mise en forme par un idéal rationnel de l'être commun : de ce qui est commun à tous les être humains à savoir la possibilité de bien penser, une possibilité qui puise son fondement dans la disposition intentionnelle, morale et fondamentale de la spontanéité de la raison. L'effort Kantien qui sera plus tard celui de la distinction entre la causalité du monde intelligible et la causalité du monde sensible avait déjà été celui de l'Aristote d'Averroès. En effet, si Kant avait pensé que les lois dynamiques de la raison pratique sont celles des intentions, fait de la raison (factum), qui produit des effets dans le monde sensible, alors cette idée n'avait pas échappée à la paraphrase d'Aristote par Averroès. Cette paraphrase sera aussi celle de Husserl qui a distingué ce qui est posé de ce qui est exposé. A vrai dire, l'intellect matériel dont les intentions diffèrent de la matière première, met en acte et en puissance le toujours-déjà. Il met en forme tous ce qui le travaille (toutes les intentions), dans le déjà-la. Par contre la matière première : la causalité sensible (si l'on s'astreint à parler le langage Kantien), est en puissance toutes les formes sensibles singulières qui, ni se connaissent ni s'aperçoivent. L'opposition tardive entre Kant et Heidegger avait déjà été travaillée par l'Aristote d'Averroès qui a cherché – comme nous venons de le voire avec Husserl – à distinguer le domaine de l'auto-position et celui de l'appréhension. Là aussi réside le retour à la vieille distinction stoïcienne entre la perception compréhensive et la compréhension. Si l'idéal rationnel de l'être commun (gemeins Wesen) (Kant), se distingue de l'être-commun (gemeinswesen) (Heidegger), alors il y a lieu de penser que notre nature à savoir l'intellect matériel est capable de distinguer, de connaître les formes des matières premières, qui ne peuvent ni connaître ni distinguer. Si ces formes sont aptes à recevoir uniquement les formes divisées, alors l'intellect matériel est à leur opposé puisqu'il reçoit les formes universelles. C'est la raison pour laquelle – si l'on en croît Kant – il est un être commun universel (Gesinnung).

La distinction husserlienne entre ce qui est posé et ce qui est exposé, entre l'auto-position et l'appréhension est une distinction à retenir et à cultiver. Elle met en évidence la valeur de l'intellect matériel qui arraisonne les faits. D'ailleurs, l'Aristote d'Averroès avait laissé penser que cette distinction repose sur le mode de la réception des formes sensibles par l'intellect matériel. Ce dernier reçoit en effet les formes sensibles sous une autre forme qui n'est pas divisée ni même singulière. Puisqu'il se met seul au travail tout en cultivant l'exception de son individuation, alors on peut lui imputer le caractère de la perfection à propos duquel Descartes dira qu'il n'y a tant de perfection que dans les oeuvres sur lesquelles Un a travaillé. Vieil lieu de l'unité et du préférable, qui s'oppose à la diversité dans la nature du reçu, une diversité qui, si elle est maintenue, finit tôt ou tard peu ou prou d'imposer une diversité dans la nature du récepteur. Cela qui est pensé par Descartes n'est pas le cas pour la fonction de l'intellect matériel de l'Aristote d'Averroès.

Reste maintenant à chercher si l'intellect matériel est une chose parmi les choses, ou encore possède t-il une catégorie de la chose ? Autrement dit : est-il adventice ou éternel ? Ce sont les questions cruciales de la fin de ce texte 5 qui va nous introduire à la comparaison analytique du texte de Merleau-Ponty, un texte portant sur l'étude de la sensation 890 , de la perception du monde 891 et du sentir 892 . Dans ces textes, l'élément central qui revient à plusieurs reprises est celui qu'incarne la célèbre citation : “ toute conscience est conscience de quelque chose ” 893 qui fut celle de Husserl dans sa paraphrase du Kantisme, et qui est reprise par Merleau-Ponty. Dans l'optique de l'Aristote d'Averroès, l'intellect matériel pratique (al-aql al amali) c'est-à-dire la raison pratique, est une raison adventice. Mais du fait que l'intellect matériel pratique est sans mélange, certains (et Averroès fait ici allusion à Théophraste et à Thémistius) ont pensé que du fait qu'il soit ainsi (sans mélange) il est une disposition existant dans une substance séparée, tout en étant lui aussi une substance. Cependant, Averroès reste fidèle à la notion de l'adventicité-éternelle de l'intellect qu'il avait déjà évoqué dans son Discours décisif, tout en affirmant cette fois-ci une précision capitale. Il pense que tous ce qui est soumis à la génération et à la corruption ne peut pas être démontré sous un même état de fait durable, il n'est pas un "ceci". Il en va de même pour l'intellect matériel qui n'est pas quelque chose dont on peut dire qu'il est ici là, ou ici là-bas. L'intellect matériel du fait qu'il soit une intention sans être un corps ou une forme existant dans le corps, il est alors “ une substance en puissance, une substance intellective dont l'être est en puissance dans la mesure où il réside dans les puissances réceptives des formes matérielles ”. (note n°78 in Liera Alain op. cit. p : 192).

Si l'intention attribue à l'intellect matériel une nature inengendrable et incorruptible, alors son état est donc séparable et simple, du fait qu'il ne soit pas passif. Cet intellect qui est en puissance (al aqul bi lquwwa) se subdivise en deux parties : l'intellect en acte (al aqul bi- lfiîl) et l'intellect agent (al aqul al faâl). Le quel est-il (à travers cette classification) marqué par l'adventicité-éternelle ? Si l'intention attribue à l'intellect matériel le caractère, loi de la liberté nécessaire à son aspect inengendrable et incorruptible, alors on peut dire que c'est bien cette intention, qui est éternel-adventice. Mais le problème est que l'intellect agent fait passer de la puissance à l'acte ce qui est en puissance. Dans cette opération du passage, l’intellect-agent joue donc l'intermédiaire entre le logos parfait "alaql alKhalis" (l'intellect parfait existant en puissance) et le logos agissant (alaqul al faâl), existant en acte. Ce problème a été en fait celui d'Al-Faraâbi, qui dans sa théorie de l'émanation s'est heurté au problème de la rupture et de la continuité de la succession des Logos dans leurs relations respectives entre le logos parfait (l'intellect en puissance) et le logos agissant (l'intellect en acte). C'est ainsi qu'il a laissé entendre que “ mata oujida lilmâoijoud aloujoud aladi hou lah, lazima anhou darrouratan saîr almaôijoudath) : (Dès qu'il a existé pour l'existant l'existence qui lui appartient (ou qui lui revient), il est nécessaire que les autres existences en découleront ”. (notre traduction des propos d'Al-Faâbi). Si l'on maintient les propos de ce philosophe, alors on peut dire qu'il existe une continuité de principe entre ce qu'il est convenue d'appeler : (al âKlania al machriKiyya) "le rationalise orientale", et (al-âKlania almaghribiyya) "le rationalisme du Maghreb". Cette continuité est une continuité principièlle. Car pour Al-Fârabi comme pour Averroès, "al âql al faâl" (l'intellect agent) représenté par l'homme est étèrnel-adventice, puisqu'il est en relation de connexion réciproque et nécessaire avec "alâqul alKhalis" (l'intellect parfait existant en puissance). Sur ce point précis, les deux auteurs cherchaient peut être à concilier deux points de vues religieux : celui du Christianisme et celui de l'Islam, car "la perfection humaine" dans sa "sacralisation", est l'invariant fonctionnel des deux religions. Cela nous amène en fait à revoir le sens de la sacralisation, de l'éternité-adventice de l'homme dans son intellect dit : "théorétique" (al-aqul annazari). Si l'homme est donc au centre de la question de la métaphysique de la connaissance c'est parce qu'il est capable du point de vue de la transposition didactique de porter les mots aux faits, de donner un sens à la vie des choses. C'est d'ailleurs ce que visent les deux auteurs (Al-Farabi et Averroès). Cette vision est apparemment indissociable de leurs convictions religieuses. Car l'Islam lui-même met l'homme au centre de l'univers des responsabilités tout en donnant un sens positif à la vie, en privilégiant la "religion civile". L'intellect matériel est marqué par une exception : il n'est ni du genre des matières singulières, ni du genre de la matière première elle-même. Cette exception fait de l’intellect matériel un être de valeur dont l'acquisition de la perfection humaine, est le but recherché par excellence. L'intellect matériel représenté par la raison humaine active et réceptive, qui arraisonne les faits, renferme elle-même aussi bien la matière première que la forme des choses. La raison pratique représentée par l'intellect agent, actif et récepteur, n'est pas une forme qui fût créée. Elle fût conçue universellement par simple nature. Car si des hommes en tant qu'espèces disparaissent, cela n'empêche pas le genre humain de continuer à exister. C'est ce qui a poussé l'Aristote d'Averroès à penser l'adventicité-éternelle de l'intellect matériel substantiel, représenté par l'intention agissante, active et réceptive 894 . Mais les intentions perçues par l'intellect sont-elles de l'ordre de l'imagination ou de l'ordre des sensations ? Si l'on maintient la réponse d'Aristote qui a laissé entendre que l'image est le support de l'imagination, alors on peut laisser penser que l'intention n'est rien d'autre qu'une image propre à l'âme à travers laquelle elle met en forme le réel. D'ailleurs c'est la raison pour laquelle Aristote a laissé penser que l'âme ne conçoit rien sans l'imagination, de même que les sens ne sentent rien sans la présence du sensible. Cependant on peut construire une analogie en disant que les sensations sont à la faculté imaginative, ce que les intentions imaginables sont à la faculté rationnelle. La ressemblance des rapports est fondée sur la continuité de l'acte du concevoir incarnant la perception. Ce rapport traduit aussi un autre : celui du “ ‘rapport de l'intellect aux intelligibles des images qui est le même que le rapport du sens aux sensibles ’” 895 . Cette ressemblance des rapports finit tôt ou tard par l'affirmation d'une identité entre l'acte de concevoir et celui de percevoir, une continuité qui marque l'aspect éternel des deux actions. Telle est la thèse que nous avons déjà démontrée aussi bien avec Husserl qu'avec Heidegger. Car les deux hommes pensent la relation entre concevoir et percevoir en terme de relation de connexion nécessaire entre les deux actions. Et Averroès reste fidèle à sa conception déjà avancée dans le Discours décisif à savoir la continuité du monde, sa transformation et non pas sa disparition lors du "jugement dernier".

La conception imaginative est l'une des caractéristiques de l'intellect matériel de l'homme qui n'est pas une faculté adventice. Pour démontrer cela, (avant de passer à l'exposé de cette même idée que partagera Husserl et Merleau-Ponty), on va nous référer au sens de la perfection humaine avancée par Aristote, et reprise, ou transposée par Averroès. A propos de ce sens, Aristote disait de la “ ‘perfection première de l'homme ” que “ l'âme est l'entéléchie première d'un corps naturel organisé ’”. (voir le De anima II, 1, 412b5, Tricot, p : 68-69, repris par Libera, in note n°108, op. cit. p : 195).

Si l'homme est engendrable et corruptible cela n'empêche pas de penser l'éternité du concept : "Homme". Voilà ce qui a poussé Libera en expliquant les propos d'Averroès à souligner que : "L'homme pris universellement existerait avant que n'existent des hommes individuels" . (op. cit. p : 62). Ce problème est difficile à démonter, car Averroès lui-même le reconnaît lorsqu'il fut tombé dans des contradictions concernant le sens de la perfection. Car on ne sait pas si la perfection première est celle de l'âme ou celle de l'homme pris dans son universalité. Comme le montre fort bien la note n°111 de Libera (op, cit, p : 195-196), l'effort d'Averroès est le rejet de l'unicité de perfection dernière, pour laisser la place à la recherche de la bonne interprétation et de la bonne compréhension du sens de l'unicité de la perfection première. Ce problème fut celui de Plotin, un problème qui sera discuté par Al-Farabi 896 . En effet, lorsque Emile Bréher 897 évoque le sens de l'âme, il pense que tous les êtres humains sont le résultat d'une même âme universelle. Cette idée est chère à Al-Farabi qui a transposé la théorie de l'émanation de Plotin tout en pensant à la même idée : l'universalité de l'âme, explicitée par le Coran 898 .

Si l'on en croît les propos d'Alain de Libera quant à ce que Aristote pensait de la question “ de la perfection première de l'homme dont l'intellect théorétique est sa perfection dernière ”, alors on peut laisser penser que “ ‘l'homme ne serait pas engendrable et corruptible en tant qu'homme, il le serait, s'il l'était, qu'en tant qu'animal’ 899  ”. Il y a là une précision capitale quant au sens de la conscience humaine, qui sera plus tard l'objet d'étude de la phénoménologie de la perception représentée par Husserl et Merlau-Ponty. La conscience première est une intention singulière c'est-à-dire individuelle. Elle réside dans une matière, nombré par les individus qui sont des hommes. Dire que la conscience humaine est engendrable et corruptible, revient à penser en fait que les êtres humains sont des êtres qui peuvent échanger des choses : ils donnent aussi sens à la vie en la transformant via la génération et la corruption. Du point de vue philosophique, cela signifie que la rencontre avec le pour autre chose, est une rencontre à travers laquelle la perte se récompense par les retrouvailles. Car plus on se perd plus on se retrouve. Si Averroès a parlé de l'étérnité-adventice de la perfection première, et de l'adventivcité-éternelle de la perfection dernière, alors la définition de la place que l'homme doit occuper est désormais une tâche pour l'Aristote d'Averroès. Cette place est représentée par le concept de "lijtihad" : "l'effort" de la pensée travaillante qui interroge en direction des choses en vue de préparer le récepteur (qui demeure existant) à la réception du sens des choses. La pensée travaillante s'opère dans la conscience raisonnable qui conçoit l'acte de penser dans une large relation avec le travail d'équipe. L'effort de la pensée se construit dans une combinatoire d'idées héritées du cercle de nos ancêtres, de nos amis et de nos propres connaissances en tant que processus complexe difficile d'accès. Seule l'acte de concevoir une bonne interprétation du déroulement du processus de la connaissance, peut nous permettre la compréhension et non pas la perception de l'unité du genre humain. Cependant la célèbre expression : “ Toute conscience est conscience de quelque chose ”, qui fût celle de Husserl (reprise par Merlau-Ponty), est représentative de ce que l'Aristote d'Averroès avait déjà essayé de mettre en évidence. Si l'universalité de la conscience humaine en tant que chose première parfaite se répand dans toute l'humanité en tant que chose dernière parfaite, alors la jonction des intellects universaux avec l'intellect matériel est une évidence du caractère de l'aspect chosique de tous les actes auto-positionnels. Par conséquent, la conscience est une chose consciente de toutes les choses qui se présentent à elle et dont elle réalise l'arraisonnement. Telle fut aussi l'opinion d'Averroès lorsqu'il a incité dans son Discours décisif (un discours qui fut sous forme d'un enseignement pratique à ciel ouvert), à une ouverture sur la pensée de ceux qui nous ont précédés à savoir les Grecs. Cet appel renforce l'idée d'une pédagogie de la rencontre et du rendez-vous, mais aussi, il nous montre fort bien que l'acte de penser qui est universel à tous les hommes est une chose que la conscience utilise pour s'affirmer et se répandre dans toute l'humanité. Par conséquent, on ne peut pas nous opposer à la pensée travaillante, qui se met au travail pour construire le sens en tant que processus dans sa relation avec son autre et est le processus qui l'accompagne.

Dire que la conscience est une chose consciente de quelque chose, est une expression qui n'a pas encore finit de susciter des débats qu'elle fait encore couler beaucoup d'encre.

Après avoir présenté, expliqué et commenté le contenu de la perception (en tant que processus supérieur de la personnalité) avancée par Chose et espace de Husserl dans sa relation avec l'histoire de certaines doctrines philosophiques, passons maintenant à l'explication du contenu de la perception avancée par Merlau-Ponty dans la phénoménologie de la perception 900 .

Notes
873.

Voir à ce sujet la note N°1 in Averroès L'intelligence et la pensée . Présentation et traduction inédite par Alain de libera. Édit G.F Flammarion 1989. pp. : 175 et suiv.

874.

Le raisonnement de Husserl est de Heidegger est le suivant : l'âme est une composante de tous les corps factices. Le “ Je ” est une chose objectivée. Voir à cet égard dans Qu'est-ce qu'une chose  ? le commentaire de Heidegger des Règles pour la direction de l'esprit de Descartes notamment de la règle 1 à la règle V, op cit.; pages 108 à 116, là où l'accent est mis sur ce que nous avons déjà appelé : le “ Je ” en tant que chose pensante. Le rapport avec Husserl est ici frappant, car celui-ci considère aussi le moi phénoménal comme étant une sorte d'auto-position qui vise et qui expose dans le déjà-là des acquis antérieurs chosiques comme étant des toujous-déjà faits. Ceux-ci sont des faits factices. La différence entre les deux hommes porte sur le principe de l'effacement. Si pour Heidegger la pensée subjective doit s'effacer devant ce qu'elle aperçoit pour céder la place à l'objectivation de notre chose objective (la chose est notre chose et nulle autre), alors il n'en va pas de même pour Husserl qui pense que l'exposition est une mise en forme de l'acte auto-positionnel. Il est la mise en place en chair et en os de la “ visée ” “ exposante ”.

875.

Libera (A.), Averroès l'Intelligence et la pensée De anima. II, 4, 429a10-13.op cit. pp. : 49 et suiv.

876.

Propos de Tricot rapportés par Libera. Op cit. p : 175.

877.

l'Aristote d'Averroès est une formulation que nous proposons pour le grand commentaire du De Anima Livre III (429a10-439b), mais aussi pour le Discours décisif qui est une reprise des Topiques d'Aristote.

878.

Ce passage est repris par Alain De libera dans une note portant le N°1, in Averroes l'intelligence et la pense , op cit. page 175. En réalité, il est une traduction du De anima de l'Aristote d'Averroès par Elamrani Jamal. Voir Averroès : La doctrine de l'intellect matériel dans le Commentaire moyen du De anima d'Aristote . Présentation et traduction suivie d'un lexique-index du chapitre 3, livre III : “ De la faculté rationnelle ”, in A. De libera, A Elamrani-jamal A; Galonnier (éd.) Langage et philosophie, Hommage à Jean jolivet (Etude de philosophie médiévale) LXXIV, Paris J. Vrin 1997 p : 292 [281-307].

879.

On doit rappeler que Platon avait une idée du destin de l’âme proche de la vision théo-sophique qui sera celle des théosophes musulmans (Al Farabi, Averroès et bien d’autres). Si pour Platon l’âme se purifie à travers les tois mouvements (La réincanation, que l’on traduit en langue arabe par AtaKamous ; la transmigration que l’on traduit par AttanasouKh, et la transmutation que l’on traduit par AlmasKh) qu’elle subit sans pour autant disparîte, alors cette même idée n’a pas échappée à l’Islam qui reconnaît la purification de l’âme qui se purifie aussi à travers cetains mouvements. Le verset qui dit clairement cela s’annonce comme suit : “ Ya ayatouha annafsou almotmainatou irjiâi ila abiKi adiâtan mardiyanat oi dKhouli fi ibadi oidKhouli janati ”. Ce verset nous l’avons déjà traduit ainsi : “ Oh âme tanquilisée retourne à ton seigneur agréante et agrée et ente dans mes vénérés et dans mon paradis ”.

880.

Husserl parle de l'extension phénoménologique du champs des possibilités auto-positionnelles et exposantes, posées et exposées, quant à Heidegger, il parle de l'extension du pouvoir physique de la chose et du "je" sujet-chosique.

881.

Cette idée ressort d'une note où Alain De Libera évoque (tout en se référant à l'Aristote d'Averroès) les spécificités de l'intellect matériel. C’est ainsi qu’il note : L’intelect matériel “ fait partie des faits évidents par soi que l'intellect matériel doit pouvoir concevoir toutes les formes. Il est donc nécessaire que cette faculté ne soit pas dissociée (disgregata) ou disséminée (distensa) dans le corps, ni divisible selon la division du corps, comme le sont les facultés sensibles, qui sont dissociées dans le corps et divisibles selon la division du corps suivant un certain mode. Et on peut prouver cette thèse par quatre moyens démonstratifs. Le premier est que si l'intellect matériel était une faculté d'appréhension dans le corps selon le mode des sens, il n'appréhenderait qu'une seule forme, puisque les sujets propres ne reçoivent que les formes propres, de même que la nature du sens de la vue ne reçoit pas le sensible du goût. Deuxièmement, parce que s'il était une faculté dans le corps ordonnée à une forme propre, il n'appréhenderait que la chose qui lui serait appropriée, car si l'oeil était coloré il ne pourrait recevoir la puissance visible de la couleur (virtus visibilis colorem), et s'il y avait une saveur dans la langue, elle ne pourrait appréhender les autres saveurs. Troisièmement, si cette faculté était ordonnée dans le corps à une forme propre, ainsi qu'on l'a dit, elle ne pourrait s'appréhender elle-même, car on sait bien que les formes sensibles matérielles ne s'appréhendent pas elle-même et que leur fin est l'appréhension d'autres choses que soi. Quatrièmement, si cette faculté et préparation était ordonnée dans le corps à une forme propre, il lui arriverait ce qui arrive aux sens, qui appréhendent qu'un seul senti. Et si cela arrive au sens c'est pour l'une de ces deux raisons : soit par ce que, quand il appréhende tel sensible, il ne reçoit pas simultanément son contraire ; soit par ce que, s'il reçoit, il le reçoit imparfait et transformé, comme cela arrive à la vue pour les couleurs contraires et au goût pour les saveurs contraires ; et c'est-ce que voulait dire le Philosophe , quand il a dit que s'il (l'intellect) était mélangé, il ne recevrait les contraires ou il les recevrait imparfaits et transformés. Voilà en résumé, ce que l'on peut comprendre à partir des mots d'Aristote concernant l'essence de cet intellect ”. (Voir : Libera Alain, op cit. p : 186 note N° 38). Ce passage confirme bien le sens de la force de l'intellect matériel qui dans son évidence conçoit toutes les formes selon des modalités différentes qu'Aristote d'Averroes a réduit a quatre modalités différentes.

882.

On peut d'ailleurs se demander la raison pour laquelle Alain De Libéra traduit-il l'expression arabe : (al-quwwat an-nâtiqa) par (la faculté rationnelle) ? Alors que la bonne traduction littérale est celle de “ la force parlante ”. Cette expression : la force parlante correspond fort bien au sens de la parole que Aristote et Averroès ont voulu expliciter. En effet, pour eux la parole n'est pas simplement aux faits, comme le dira plus tard Hegel, mais aussi, elle réside partout car toutes les créatures sont des créatures parlantes à commencer par les animaux (la chauve-souris, l'hirondelle, le cheval le chameaux, les oiseaux), pour arriver à la terre qui, – comme disent certains – “ parle arabe ” et à l'aimant qui possède une âme parlante : attractive de certains solides. La force parlante est une expression qui exprime la fonction phatique de la parole, une réciprocité entre les catégories de parole et les catégories de langue. (voir à ce propos le chapitre : réciprocité entre catégories de parole et catégories de langue. Emile Benveniste , in Problèmes de linguistique générale , op cit).

883.

C'est-à-dire sous sa forme passive réduite uniquement à la réception et à l'autosuffisance.

884.

C'est-à-dire sous sa forme active réduite à l'arraisonnement, à la rencontre et au rendez-vous avec le pour autre chose. Il n'y a pas d'angoisse dans la rencontre d'autre chose de différent, car plus on se perd plus on se retrouve.

885.

Hegel (G.W.F.), Cours d'esthétique , traduction de Jean-Pierre Lefebvre et VeroniKa von SchencK, traduit par le Centre national du Livre. Édit. Aubier, Paris, 1995 p : 21.

886.

Libera (A.), op cit. p : 57.

887.

Ibid.

888.

Op cit. p : 58.

889.

Lacoue-Labarthe (Ph.), La fiction du politique Heidegger l'art et la politique, Association des publications Presse Universitaire de Strasbourg 1987 p : 17.

890.

Merlau-Ponty (Maurice), Phénoménologie de la perception . Édit. Gallimard, collection Tel, 1945, pp : 9 à 19.

891.

Ibid. pp : 235 à 239.

892.

Ibid. pp : 240à 280.

893.

Ibid. In avant propos, pp : XII.

894.

Averroès, va s'aligner sur les conceptions de certains commentateurs (Théophraste Thémistius) d'Aristote tout en soulignant implicitement leur bonne compréhension de la visée d'Aristote. C'est ainsi qu'e Averroès souligne : “ Les anciens commentateurs, comme Théophraste et les autres, ont compris que l'intellect matériel n'est pas un des êtres en acte, mais qu'il est une substance en puissance ; à savoir qu'il est une substance intellective dont l'être est en puissance , dans la mesure où il réside dans les puissances réceptives des formes matérielles ; autrement dit : que la possibilité en elles réside dans une substance qui est puissance proportionnée à la forme qu'elle reçoit. Et il semble bien que, dans leur opinion, l'on comprenne la nature de l'intellect d'après la manière dont on comprend la nature de la matière première, à savoir au sens où l'on dit que cet intellect est celui dont le rapport à ce qu'il intéllige est celui de la matière d'une forme déterminée à cette forme, bien que l'étantité de cette matière soit en puissance. Et puisqu'ils ont décrété que l'étantité de cette substance était seulement en puissance , ils n'ont évidemment pas pu dire qu'elle était engendrable et corruptible ; en effet, ce qui est en puissance n'est soumis ni à la génération ni à la corruption, comme on l'a exposé dans les Physiques au sujet de la matière première ”. (Voir note n°78 in Averroès l'intelligence et la pensée , par Alain De Libera op. cit. p : 192). Ce texte montre fort bien à quelle limite Averroès était attaché à la liberté du caractère intentionnel de ce qui anime l'âme et l'intention humaine. C'est ainsi qu'on peut comprendre que la puissance de la raison humaine réceptive et donatrice du sens est une raison qui – comme le dira Kant plus tard – incompréhensible, incommensurable, mais qui (à travers son caractère, loi de la liberté), demeure nécessaire dans sa mise en forme. Voilà la raison pour laquelle Alain De Libera commente cette note (Cf. pages 58 et 59) en empruntant une expression : “ s'impose d'elle-même ”, (De fait, cette conception (intentio) c'est-à-dire celle qui attribue à l'intellect la nature (inengendrable et incorruptible) susdite, s'impose d'elle-mêrme ....). Les termes : “ s'impose d'elle-même ”, sont proprement Kantien. L'auteur les emploie pour montrer que la raison pratique s'impose à nous comme un fait de la raison (un factum) qui fait et qui produit des effets dans le monde sensible. (voir Kant et le problème de la causalité, in La Critique de la raison pratique au chapitre intitulé : De la déduction des principes de la raison pure pratique. (Cf. Emmanuel Kant , Critique de la raison pratique . Traduction française de François Picavet. Introduction de Ferdinand Alquié P.U.F 1943. pp. : 41 à 43). Le passage d'Averroès n'est pas repris directement par Kant, mais il est paraphrasé dans sa version latine. Le contenu de ce passage repose sur ce que Kant a déjà visé pour le sens de la raison pratique, qui interroge l'au-delà de la chose. Ce n'est rien d'autre qu'une puissance qu'à l'intellect matériel à pouvoir produire des idées (définies en terme de projets, en terme d'action) dans le monde sensible. Si “ la puissance est proportionnée à la forme ”, – comme le pense Averroès –, alors toute liberté émanant du caractère de la pensée intellective est proportionnée à la cause sensible qu'elle rencontre, qu'elle reçoit. Cette causalité sensible est celle qui se produit dans la rencontre, le rendez-vous avec d'autres hommes, d'autres faits culturels. Cependant, on peut laisser penser que percevoir est un acte proportionné à la réception qui se produit à travers une technique de l'arraisonnement dont use l'intellect matériel pour acquérir (à travers son intellection), le sens des formes.

895.

Propos d'Averroès, voir note n° 103, Libera op. cit. p : 195.

896.

Voir à ce propos le chapitre intitulé : comment Farabi a lu les Lois de Platon, in Leo Strauss : Qu'est-ce que la philosophie politique  ?.Traduit de l'Anglais par Olivier Sedeyn P U F 1992 pp. : 131 à 150.

897.

Bréhier (E.), La philosophie de Plotin, Edit. J. Vrin 1998. pp : 82. En fait à cette même page, l'auteur de dit rien sur le sens de l'intelligence ni sur le sens de l'âme transmis de la philosophie grecque dans le monde arabe. Ce silence est légitimé peut être par deux raisons : soit l'auteur – en vue de sa formation de non arabisant – ignore ces problèmes, soit qu'il les connaît mais il reste fidèle à la politique éducative française qui se réserve le droit de faire un saut sur une période (du VII au XIII siècle), de l'histoire de la philosophie pour n'enseigner que la pensée des Lumières et de la Renaissance sans enseigner les problèmes philosophiques de la scolastique.

898.

Dans un verset coranique, il est explicité que la création de tous les êtres humains fût d'une même âme universelle. Le sens de cela – qui tente de marquer l'unité du genre humain –, est exprimé par ce verset qui dit : (ya ayouha annass itaKou rabaKoum aladi KhalaKoum min nafsin oihidah oi KhalaKa minha zaoujaha oi batta minhouma rijalan Katiran oi nisaâ). C'est-à-dire, “ Oh Hommes, soyez fidèle à votre seigneur qui vous a crée d’une seule âme et qu’il a crée d’elle son double comme il a encré en eux beaucoup d'hommes et de femmes ”.“ Le doubl ”" (Azaoij) est ici compris en terme de pair. Il est ainsi car il veut marquer la pluralité engendrable à partir de l'identique et du non-identique. Dans l'ouvrage d'Emile Bréher, notamment au chapitre V, intitulé : l'âme, cette idée de l'unité du genre humain rapportée par le Plotin d'Al-Farabi est une idée qui s'astreint (si l’on en croît Emile Bréher) à évoquer la perfection première de l'âme universelle et non pas celle de l'âme dernière qui dans sa perfection dernière subie la génération et la corruption.

899.

Libera (A.), op. cit.

900.

Merlau-Ponty (Maurice), Phénoménologie de la perception . Op. Cit. pp : 9 & 19 et pp : 235 à 239 et pp : 240 à 280.