1.2. Maurice Merleau-Ponty et le but de la phénoménologie de la perception.

Introduction :

L'étude de la phénoménologie de la perception commence par une sorte d'avant propos que Merleau-Ponty présente sous forme d'un éloge à Husserl avant même de commencer l'étude de la sensation. La thèse qu'il a défendu avec force est celle d'une relation de connexion nécessaire qui réside à ses yeux entre sentir et percevoir. C'est pour cela qu'il a évité l'emploi du terme : perception comme titre d'un chapitre de son ouvrage. D'ailleurs toute La phénoménologie de la perception comporte des sous notions que Merleau-Ponty a étudié pour montrer que le contenu de la perception n'est rien d'autre que l'ensemble des processus d'acquisitions des informations que le chercheur doit chercher à comprendre dans leur totalité 901 .

Parmi ces processus il y a le sentir, le monde perçu, la sensation, l'association etc. Au cours de l'étude que Merleau-Ponty a fourni de ces processus à aucun moment donc la perception a constitué une étude à part : sous forme de partie ou de chapitre. Pour cela, il y a une raison. En effet, la perception ne peut se définir qu'à partir d'un grand nombre d'états de fait. Elle est cependant un processus complexe, dont la formulation sous la forme d'un titre d'un ouvrage suffit pour mettre l'accent sur son importance et sur son intérêt. C'est ce que nous allons donc expliquer à travers notre choix de certains chapitres et de certains passages de l'ouvrage : Phénoménologie de la perception. Cette explication une fois donnée, elle nous aide à passer à l'étude de la transposition didactique réussie par Merleau-Ponty de l'approche phénoménologique de Husserl pour en comprende la portée. Nous allons démontrer ensuite les limites du passage d'un savoir (celui de Husserl) qui est philosophique, à un savoir "Psycho-Phénoménologique" que Merleau-Ponty a tenu à mettre en mouvement à travers plusieurs écrits et plus précisément dans ce travail portant sur la phénoménologie de la perception.

L'étude de notre transposition didactique ne saura exhaustive que lorsque l'on compare les travaux de Husserl et de Merleau-Ponty avec ceux des psychologues et des psychopédagogues à savoir par exemple ce que Paul Fraïsse, Maurice Reuchlin ont écrit à-propos de la perception, de la sensation, de la mémoire etc. Pour cela nous allons (une fois que nous avons expliqué leurs propos) dresser un tableau des différentes formulations de chaque auteur, pour enfin en apprécier la légitimité ou l'illégitimité expressive.

Dans l'avant propos, Merleau-Ponty reconnaît à Husserl une notoriété, due à l'exhaustivité de son travail et à ses efforts portant sur l'étude, la détermination et l'instauration d'une “ nouvelle "discipline ” de pensée et de recherche à savoir la phénoménologie. Merleau-Ponty va en quelque sorte ajouter (pour dépasser Husserl) quelque chose d'autre à la tâche de la phénoménologie. C'est ainsi qu'il définit cette dernière comme étant l'étude des essences. A ce propos il souligne : “ ‘La phénoménologie, c'est l'étude des essences, et tous les problèmes, selon elle, reviennent à définir les essences : l'essence de la perception, l'essence de la conscience par exemple’ ”. 902

En quoi cette définition se rapproche ou s'éloigne t-elle de celle de Husserl ? Pour ce dernier – comme nous l'avons déjà fait remarquer, la phénoménologie nous permet de constituer l'objet de la connaissance dans la connaissance : dans la réduction phénoménologique, qui signifie, la possibilité d'une observation organisée du monde, constitué par les premiers immédiats et par les premiers éléments. L'expérience phénoménologique repose donc sur “ une élucidation future de l'essence de la donation empirique, au moins dans ses formes et à ses niveaux inférieurs, commençant par les immédiats et premiers éléments ”. (Husserl 1907, in Chose et espace, op cit. p : 23). Maurice Merleau-Ponty, se retrouve largement dans cette définition husserlienne, surtout lorsqu'il affirme dès l'avant propos que le travail de la phénoménologie repose sur la compréhension des faits factices du monde, sur une compréhension directe du monde vécu. L'accord entre Husserl et Merleau-Ponty porte donc sur le principe de la facticité des choses étudiées, expliquées et analysées par la méthodologie phénoménologique. La description directe de notre expérience telle qu'elle est, relève du domaine de la recherche et de l'étude des essences des choses. Voilà donc ce qui constitue l'accord préalable à toute argumentation rationnelle et à toute discussion entre Husserl et Merleau-Ponty. Etre en continuité à l'égard des choses cela engage des contraintes, des sacrifices et des conséquences épistémologiques dignes d'intérêts. De ces conséquences dues au prolongement de Husserl par Merleau-Ponty, on doit retenir quelques remarques.

D'abord Merleau-Ponty est fidèle à l'engagement husserlien : à une philosophie de l'ouverture aux choses dont la méthode s'astreint non seulement à interroger en direction de la chose, mais aussi à apprécier l'organisation temporelle et spatiale du monde qui est toujous-déjà-là. Mais la question porte en fait sur ce qui lui donne la continuité, sur la manière à travers laquelle ce monde continue à exister et à tenir debout. Est-ce que ce sont nos manières d'être en relation avec lui qui lui assurent la continuité, la configuration ? Ou au contraire, ce monde est factice, actif par lui-même du fait qu'il nous interpelle à y vivre, à le transformer, bref à nous y mettre au travail ?

C'est à ces questions que l'avant propos de Maurice Merleau-Ponty donne quelques éléments de réponses bien précis. En effet, Merleau-Ponty pense que si le monde existe bel et bien comme un déjà-là, animé d'une facticité inaltérable, c'est d'abord parce qu'il s'impose à l'oeil qui le regarde, qui le contemple et l'interpelle à mener à son égard une sorte de psychologie descriptive. Le monde physique ne témoigne pas seulement des relations logiques reconnues dans les choses, il s'impose à nous comme un fait tout en créant un monde de possibilités à acquérir. Parmi ces possibilités, il y a d'abord la place qu'occupe l'homme dans ce monde, et il y a ensuite les manières de vivre la vie dans ce monde tout en lui donnant selon des moyens un sens particulier, différent de ce que par exemple les autres créatures vivantes peuvent y réaliser.

S'agissant de la place de l'homme, on peut désormais affirmer l'accord de Merleau-Ponty avec Husserl en ce qui concerne la question de l'essence du sens. Si pour Husserl l'homme a l'oeil : une manière factice, physique à travers laquelle il se donne le temps pour mettre en forme le réel, alors il en va de même pour Merleau-Ponty qui se retrouve largement dans cette conception lorsqu'il se réfère implicitement à Hegel et ouvertement à Husserl en disant : “ ‘Nous ne trouvons dans les textes que ce que nous y avons mis (...), tous ce que je sais du monde, même par la science, je le sais à partir d'une vue mienne ou d'une expérience du monde sans laquelle les symboles de la science ne voudraient rien dire. Tout l'univers de la science est construit sur le monde vécu et si nous voulons penser la science elle-même avec rigueur, en apprécier exactement le sens et la portée, il nous faut réveiller d'abord cette expérience du monde dont elle est l'expression seconde’ 903 ... ”. Il est donc clair que le Je-sujet a l'oeil à travers lequel il met en forme le réel, car après tout – comme Husserl et Heidegger l'ont déjà laissé entendre – , l'homme est d'une part animé par une visée auto-positionnelle (Husserl) et d'autre il est un (mon-stre) : capable de montrer, de démontrer et de porter (comme disait Hegel) la parole aux faits. Et même la science qui se veut un domaine assurant la valeur objective des choses ne peut guère échapper au domaine de l'exposition auto-positioinnelle. Sur ce point précis, il existe en effet un accord entre Husserl et Merleau-Ponty, car pour le premier comme pour le second la science pense avec des signes, avec des propos exposés par le je-sujet-savant. Ce n'est donc pas pour rien que Louis Althusser a parlé de la relation de connexion nécessaire entre science et idéologie. D'ailleurs, Husserl a pensé que la science puise son fondement dans le mode de l'appréhension, dans la visée auto-potionnelle. Le passage (que nous avons déjà évoqué à travers notre explication de Chose et espace), et qui résume cela, pense le rapport entre la science et le mode ou la visée de l'appréhension. Ce passage souligne : “ ‘Ainsi s'expose le monde à l'appréhension naturelle, de prime abord, avant la science. Et c'est à ce mode que se rapportent ensuite toutes les sciences empiriques. Les sciences physiques de la nature s'occupent des choses sous le rapport de leur constitution physique, tandis que la psychologie et la psychophysique ont affaire aux phénomènes dits psychiques, aux vécus et aux êtres vivants, en considération du fait qu'ils vivent’ ”. Husserl 1907 Op. cit.

Comme on peut le constater Husserl a largement influencé Merleau-Ponty surtout lorsque ce dernier pense que tous les sens des choses doivent se réduire désormais à notre vision du monde. Cela est une manière de paraphraser et de transposer le propos de Husserl qui a pensé que l'âme humaine sujet, commence à être active dans l'assentiment, et qu'elle l'est de plus en plus dans la compréhension et dans la science. Le solipsisme dont parlait déjà Husserl en critiquant la psychologie qui se retourne envers les toujours-déjà, envers les formes imaginaires, illusoires et abstraites de la conscience, est une critique que Merleau-Ponty s'astreint à cultiver en lui donnant un autre sens qui complète et qui cultive l'approche husserlienne. Si pour Husserl la science n'est pas une activité qui s'éloigne du domaine pseudo-scientifique ou pré-scientifique pour n'enseigner que des qualités sensibles ayant des significations objectives, et qu'elle reste prisonnière de la simple expérience de la perception immédiate, du souvenir immédiat qui est d'abord conçu avant toute expérience, avant même la manière habituelle de penser 904 , alors il en va de même pour Merleau-Ponty, pour qui “ la science n'a pas et n'aura jamais le même sens d'être que le monde perçu pour la simple raison qu'elle en est une détermination ou une explication. Je suis non pas "un être vivant" ou même un "homme" ou même "une conscience", avec tous les caractères que la zoologie, l'anatomie sociale ou la psychologie inductive reconnaissent à tous ces produits de la nature ou de l'histoire, – je suis la source absolue, mon existence ne vient pas de mes antécédents, de mon entourage physique et social, elle va vers eux et les soutient, car c'est moi qui fais être pour moi (et donc être au seul sens que le mot puisse avoir pour moi) cette tradition que je choisis de reprendre ou cet horizon dont la distance à moi s'effondrerait, puisqu'elle ne lui appartient pas comme une propriété, si je n'étais là pour la parcourir du regard 905  ”. Cela veut dire en fait que le solipsisme disparaît lorsque je m'ouvre au sens immanent au monde, lorsque je suis acteur de ma propre expérience mondaine. Etre maître et possesseur de notre propre monde est un geste en faveur de la mise en forme de tous ce qui nous travaille en tant que toujours-déjà ayant des effets dans le déjà-là. Sur ce point, il n'y a pas de différent entre Husserl et Merleau-Ponty. D'ailleurs lorsque Husserl avait laissé penser que le solipsisme psychologique ignore l'incommensurabilité de l'acte, qui rend impossible l'accès directe à l'intention auto-positionnelle, il voulait par là même donner un sens à la “ réduction phénoménologique qui n'est assurément pas la réduction solipsiste, et le Je est bien lui-même un objet chosique, qui ne se constitue que dans le complexe intentionnel et ses formes essentielles, et qui ne se légitime que par là 906  ”. Ce sens est prolongé par la phénoménologie de la perception qui, elle aussi pense l'altérité radicale aux choses factices en terme de nécessité. Car la conscience humaine est toujours conscience de quelque chose, dit aussi Merleau-Ponty. Cependant, là où Husserl parle de l'acte de la visé, Merleau-Ponty le reprend sur ce point précis pour parler d'acte de la saisie. Entre les deux formulations l'écart, la distance sémantique sont gommés, car on ne peut saisir sans la visée, et on ne peut viser sans la saisie. L'une des différences que l'on peut au prime abord relever entre Husserl et Merleau-Ponty dans cet avant propos, porte sur l'essence du rapport entre le Je-sujet et le monde. Là où Husserl pense l'effacement de la mémoire (psychique du sujet) devant ce qu'elle aperçoit, pour céder la place à l'agir actif du sujet afin qu'il puisse mettre en pratique et en forme ses idées et ses projets tout en les projetant, Merleau-Ponty, pense que la réflexion ne se fait pas simplement dans le monde physique, mais aussi en deçà sinon au-delà de ce monde. Car “ l'homme intérieur ” replace la réflexion dans une subjectivité inaltérable, en deçà de l'être et du temps. C'est ainsi que Merleau-Ponty privilégie (par rapport au psychologisme inductif) le psychologisme constructiviste, descriptif des réalités factices. C'est ainsi qu'il souligne : “ ‘Le réel est à décrire et non pas à construire ou à constituer. Cela veut dire que je ne peux pas assimiler la perception aux synthèses qui sont de l'ordre du jugement, des actes ou de la prédication’ ”. (Husserl, op cit. p : IV).

Cette conception fait-elle appelle à l'attitude de l'effacement du Je-sujet devant ce qu'il aperçoit ? Qu'en est-il donc du sens de l'action du Moi dans le monde sensible ? A ces questions Merleau-Ponty donne des réponses contradictoires tout en témoignant de l'antinomie latente qui anime le rapport de la subjectivité au monde objectif. En effet il laisse entendre que l'expérience personnelle du Moi ne peut en aucun cas être étrangère au monde et d'autre part, il laisse entendre le contraire à savoir que le monde physique est un La qui subsiste avant l'avènement de tout autre type de réflexion y compris celle du Moi. Comment donc résoudre l'antinomie du rapport du monde physique sensible à celui de la subjectivité du Moi qui – comme disent aussi bien Husserl que Merleau-Ponty – possède un impact dans le monde. Seul le principe de l'autonomie des deux mondes peut expliquer cette contradiction apparente. En effet, les deux mondes sont tous les deux factices. Ils témoignent d'une autonomie et d'une autosuffisance. L'homme est dans le monde, il n'est pas soumis à celui-ci car sa responsabilité y est désormais engagée. Voilà la raison pour laquelle au début de la page V de la Ph (P) 907 , Merleau-Ponty (après avoir démontré la réalité factice du monde réel), passe à l'affirmation d'une autre réalité dite "intérieur". Ce dernier terme qu'il emprunte à Saint Augustin, tout en démontrant que cette intériorité ne peut avoir de sens que lorsqu'elle s'extériorise dans le monde des phénomènes. L'homme n'est pas un simple être de réflexion qui travaille au service de ses désirs, de ses intentions intrinsèques. Il est au contraire un acteur dans ce monde qu'il soumet à ses pouvoirs d'appréhensions et de compréhensions. C'est ainsi que Merleau-Ponty souligne à la fin du paragraphe de la page V que “ La vérité n'habite seulement l'homme intérieur, ou plus tôt il n'y a pas d'homme intérieur, l'homme est au monde, c'est dans le monde qu'il se connaît. Quand je reviens à moi à partir du dogmatisme de la science, je trouve non pas un foyer de vérité intrinsèque, mais un sujet voué au monde ”. Merleau-Ponty op. cit. p : V.

Il existe donc une différence entre : être dans le monde et être au monde pour se soumettre à lui. La soumission que privilégient aussi bien Husserl que Merleau-Ponty doit être comprise dans une acception très large. En effet, il existe deux mondes réels que l'on peut unir sous l'idée de la réduction phénoménologique. C'est-à-dire, d'une part il y a le monde des liaisons logiques fondées sur la structure du réel. Ces liaisons sont reconnues et extraites des choses de la nature physique sensible ; et d'autre part celui des intentions dynamiques fondant la structure du réel, domaine des possibilités. Percevoir le monde est un acte dont le sens est à découvrir. Voilà la raison pour laquelle Maurice Merleau-Ponty revient sur l'explication de la perception tout en lui donnant un sens bien précis. C'est ainsi que Maurice Merleau-Ponty souligne : “ ‘La perception n'est pas une science du monde, ce n'est même pas un acte, une prise de position délibérée, elle est le fond sur lequel tous les actes se détachent et elle est présupposée par eux. Le monde n'est pas un objet dont je possède par dévers moi la loi de construction, il est le milieu naturel et le champs de toutes mes perceptions explicites’ 908  ”. Qu'est-ce que cela veut dire au juste ? Il y a là une affirmation portant sur le principe de la réciprocité entre mes manières d'être, de voir, et entre le domaine de l'apparence du monde sensible. Cette réciprocité est fondée sur ce que Husserl avait déjà avancé en terme de visée, en terme d'appréhension. L'être apparent est voué au théâtre du domaine de l'apparaître, un monde de possibilités où le “ Je-sujet ” devient acteur de son propre destin qu'il aime, qu'il cherche à mettre en forme. Voilà ce qui nous ramène maintenant à l'explication du § 3 de la page V, un paragraphe qui avance les manières possibles pour l'acquisition du sens de la visée dans le monde pour l'avoir enfin “ sous-la-main ”.

Parmi ses manières il y a d'abord le pouvoir du sacrifice. De prime abord, la transposition didactique du sens de l'action de "l'avoir-sous-la main", une action que Husserl assigne au Je-sujet, n'est pas ici altérée par Merleau-Ponty. Les deux hommes avaient en tout cas un même projet politique : celui de la mise en forme d'un pouvoir concret qui trouve son fondement dans la visée théorique du problème posé par "la question juive". Ce problème tout à fait humain a influencé les grands théoriciens et les grands philosophes à commencer par Marx, Husserl, en passant par Sartre et Merleau-Ponty. Il est évident que la transposition didactique du sens d'une action finit tôt ou tard peu ou prou par s'inspirer et s'influencer par les grands problèmes, les grands désastres de toute une époque. Voilà la raison pour laquelle nous pensons qu'il n'y a pas d'accès directe à un texte. Pour Husserl comme pour Merleau-Ponty la réalisation d'un projet doit d'abord se soumettre à l'acceptation par le Je-sujet du pouvoir du sacrifice. C'est ainsi que Merleau-Ponty revient sur le choix des deux couleurs : le rouge et le jaune, que Husserl avait déjà avancé pour préparer les sujets à se jeter à travers champs dans le risque gratuit et dans le vivre dangereusement en vue de mener la vie pleine, et de réaliser dans le monde sensible des projets concrets. Tout le paragraphe 3 qui commence de la page V à la page IX, de la Ph (P) est construit sur le modèle d'un appel à la mise en forme d'une méthode pour atteindre l'avoir-sous-la main, du monde.

Le choix de la couleur rouge n'est pas ici un choix gratuit. Il représente en effet le sentiment de la douleur sentie par des sujets, un sentiment qui ne peut se dissiper que par le courage du sacrifice en vue de lutter contre l'accroissement du temps de la nuit et du désert de l'ignorance. On ne peut en effet comprendre cela qu'à partir de la fin de cet avant propos là où Merleau-Ponty revient longuement sur le choix du pouvoir du sacrifice, un choix déjà avancé par Husserl. C'est ainsi qu'il souligne à la fin de l'avant propos de la Ph(P) – comme si l'important qui reste à l'homme assoiffé à la liberté – est d'accepter sa propre mort, son sacrifice. C'est ainsi qu'il souligne : “‘ La rationalité n'est pas un problème, il n'y a pas derrière elle une inconnue que nous ayons à déterminer déductivement ou à prouver inductivement à partir d'elle nous assistons à chaque instant à ce prodige de la connexion des expériences, et personne ne sait mieux que nous comment il se fait puisque nous sommes ce noeud de relations. Le monde et la raison ne font pas problème ; disons, si l'on veut, qu'ils sont mystérieux, mais ce mystère les définit, il ne saurait être question de le dissiper par quelque "solution", il est en deçà des solutions. La vraie philosophie est de rapprendre à voir le monde, et en ce sens une histoire racontée peut signifier le monde avec autant de "profondeur" qu'un traité de philosophie’ 909  ”. Et il ajoute aussitôt pour affirmer la place de celui qui s'engage à accepter le courage du sacrifice pour avoir le monde sous-la-main : “ ‘Nous prenons en main notre sort, nous devenons responsables de notre histoire par la réflexion, mais aussi bien par une décision où nous engageons notre vie, et dans les deux cas il s'agit d'un acte violent qui se vérifie en s'exerçant’. ” 910 Ces lignes sont à notre avis loin de tout commentaire. Elles nous rappellent le propos de Husserl qui, dans le choix de la couleur rouge et de la couleur jaune, voulait attirer l'attention de ses auditoires à des moments réels, difficiles, auxquels ils devaient se préparer pour les surmonter. Nous venons de voir avec Husserl que la couleur rouge de la maison par exemple n'est pas une véritable perception du rouge proprement dit. Elle n'est pas une propriété ni une marque distinctive de la perception, mais une marque distinctive de la chose perçue qui est la maison. Cette même idée sera reprise par Merleau-Ponty pour distinguer la couleur perçue et l'objet senti ou perçu. C'est ainsi qu'il souligne: “ le rouge et le vert ne sont pas des sensations, ce sont des sensibles, et la qualité n'est pas un élément de la conscience, c'est une propriété de l'objet ” 911 . Cela veut dire que la perception du monde des objets n'est pas celle de l'avoir-sous-la-main ni l'état du monde ni la conscience de celui-ci. Il y a là de la part de Merleau-Ponty une distinction entre perception et aperception, une distinction déjà avancée par Husserl 912 . Cette distinction Merleau-Ponty va lui donner un sens plus précis plus tonique lorsqu'il choisit de partir de la conscience du monde au lieu de partir des sensations fortuites que l'on reçoit de celui-ci. Car voir le monde ne signifie pas l'avoir de celui-ci. Voilà la raison pour laquelle il souligne : “ ‘Nous croyons très bien savoir ce c'est que "voir", "entendre", "sentir" parce que depuis longtemps la perception nous a donnée des objets colorés ou sonores. Quand nous voulons l'analyser nous transportons ces objets dans la conscience. Nous commettons ce que les psychologues appellent "l'expérience error". C'est-à-dire que nous supposons d'emblée dans notre conscience des choses ce que nous savons être dans les choses. Nous faisons de la perception avec du perçu. Et comme le perçu lui-même n'est évidemment accessible qu'à travers la perception, nous ne comprenons finalement ni l'un ni l'autre. Nous sommes pris dans le monde et nous n'arrivons pas à nous en détacher pour passer à la conscience du monde. Si nous le faisons, nous verrions que la qualité n'est jamais éprouvée immédiatement et que toute conscience est conscience de quelque chose. Ce "quelque chose" n'est d'ailleurs pas nécessairement un objet identifiable’ 913  ”. Merleau-Ponty veut nous faire comprendre par là la possibilité de l'existence d'un monde tout à fait factice de la non-facticité. Ce monde est celui de l'aperception au sujet duquel Husserl disait déjà qu'il s'édifie sur le sentir et l'outrepasse. “ La perception auto-positionnelle comporte en elle-même l'aperception et la croyance ”, disait-il. Si pour Husserl voir le monde c'est d'abord l'avoir, cela n'a pas échappé en fait a Merleau-Ponty. En effet, là où Husserl – tout en s'opposant à Heidegger – pense que “ la simple perception qui est une simple sensation signifie un simple avoir, un avoir conscience d'un contenu dans une "perception" immanente 914  ”, Merleau-Ponty repense l'idée en terme d'un cogito en situation. Le "je pense donc je suis" doit être lié à une situation historique. Autrement dit, aux yeux de Merleau-Ponty, “ mon existence ne doit pas se réduire uniquement à la conscience que j'ai d'exister, mais aussi elle doit envelopper la conscience qu'on peut en avoir et donc mon incarnation dans une nature et la possibilité au moins d'une situation historique 915  ”.

Cependant, le Je-sujet pensant est une chose qui pense le réel tout en étant en situation de penser. Si le Je n'est pas posé en situation, alors il n'y aura pas de monde des possibilités. Cela est la même idée avancée par Kant et reprise par Husserl. La transposition didactique du sens de la phénoménologie en tant que science des essences est donc largement réussie (sur ces points précis) de la part de Merleau-Ponty. En effet, là ou Husserl parle de la conscience auto-positionnelle exposante de la mêmeté de la visée, Merleau-Penty, le reprend sur ce point précis pour parler dès l'avant propos d'un “ retour à la conscience transcendantale ” qui réalise ce que Merleau-Ponty appelle : l'aperception du déploiement du monde en vue de sa reconstruction. Cela n'est rien d'autre qu'une transposition didactique du sens de l'ouverture de la pensée (conscience de quelque chose) à l'égard du monde. Cette ouverture a été pensée par Husserl en terme d'arraisonnement transcendantal, car la conscience doit transcender le monde, le pénétrer avec force quitte à s'y jeter à travers champs dans le risque gratuit et le vivre dangereusement. D'ailleurs la répétition par Merleau-Ponty de la couleur rouge 916 est une métaphore qui souligne la peur et le danger de toute une époque où le sentiment du rouge fut partagé par les grands penseurs de l'époque. Sentir le rouge c'est donc un sentiment de douleur profonde qui fut aussi celui de Nietzsche lorsqu'il a assisté au déchirement de l'Europe. Celui-ci a même été plus loin pour dire que "la douleur du monde a détrônée Dieu". Cette douleur typiquement européenne a été partagée par deux grands penseurs ayant deux formations tout à fait opposée. On peut à cet égard nous référer à la correspondance et à l'échange qui fut entre S. Freud et A. Einstein 917 en ce qui concerne le pourquoi de la guerre. Nous nous sommes d'ailleurs déjà posé la question si la guerre n'est-elle que l'absence de la paix ? Nous avons répondu en laissant entendre que parfois il est nécessaire de s'imposer en se jetant à travers champs pour pouvoir expérimenter les idées rationnelles quitte à vivre dans le risque gratuit à engager notre vie pour mener la vie pleine. C'est d'ailleurs ce qui ressort de la correspondance entre Sigmund Freud et Albert Einstein. (Voir les correspondances in Comment je vois le monde ? par Albert Einstein op cit).

Du point de vue de Husserl, de Heidegger et de Merleau-Ponty, la possibilité de l'arraisonnement du monde ne repose pas sur le principe Kantien du respect. Si Kant a laissé entendre qu'il n'y a aucune finitude à l'égard de l'autre lorsqu'il s'agit du respect, alors il n'en va de même pour Husserl et Merleau-Ponty qui ont pensé le principe de la finitude en terme d'un arraisonnement qui repose en réalité sur le travail du groupe auquel Merleau-Ponty assigne une bonne compréhension et une bonne maîtrise du monde réel. Cependant, il n'y a donc aucune finitude à l'égard de l'autre lorsqu'il est question non pas du respect mais lorsqu'il s'agit de se mettre au travail pour expliquer le monde, pour le reconstituer. Voilà la raison pour laquelle on passe avec Merleau-Ponty d'un lieu de l'unité à un lieu commun du préférable pour dépasser (ne se risque que d'une manière provisoire) Husserl et Heidegger qui ont laissé entendre la nécessité de la mise en forme de la conscience de la mêmeté et la chose de notre Je-sujet. Cette chose est  notre chose et nulle autre , comme Heidegger l’a laissé entendtre en disant ouvetement que “ la chose est cette chose-ci et aucune autre ” ! . Le contenu de ce dépassement surgit de la page VI de l'avant propos de la Ph (P), là où Merleau-Ponty souligne : ‘“ En tant que je suis conscience, c'est-à-dire en tant que quelque chose a sens pour moi, je ne suis ni ici, ni là, ni Pierre, ni Paul, je ne me distingue en rien d'une "autre" conscience, puisque nous sommes tous des présences immédiates au monde et que ce monde est par définition unique, étant le système des vérités. Un idéalisme transcendantal conséquent dépouille le monde de son opacité et de sa transcendance. Le monde est cela même que nous nous représentons, non pas comme hommes ou comme sujets empiriques, mais en tant que nous sommes tous une seule lumière et que nous participons à l'Un sans le diviser’ 918  ”.

Il est donc clair à partir de là, que la nécessité de la mise en place d'un travail d'équipe est la seule issue pour transformer le monde en le reconstituant, en l'étendant à d'autres domaines de possibilités humaines. Lorsque Merleau-Ponty parle "d'un idéalisme transcendantal conséquent", il veut par là attirer notre attention non pas à une pensée réflexive travaillée par le souci permanent de son histoire personnelle qu'elle porte en elle comme un fardeau, mais à la mise en place d'un idéal rationnel de l'être commun qui participe à l'ouverture sur le monde tout en dépassant les divergences des croyances cultuelles et culturelles pour participer à la reconstruction et à la description du monde des possibilités. Le vrai de L'un bien qu'il soit ici compris en terme de participation à la divinité, il est en tout cas un appel à la pratique d'une religion civile qui met l'idée de Dieu au centre de l'univers et du monde. Cela nous rappelle en effet tout ce que nous avions déjà dit lorsqu'on a répondu à la question : qu'est-ce qu'une connaissance métaphysique ? (voir notre paragraphe 2 : le langage ordinaire entre pensée et contre pensée). En tout cas la réponse à cette question est ici tranchée en faveur de ce que voulait déjà Feuerbach pour la fin de la philosophie idéaliste allemande, lorsqu'il a laissé entendre que toute théologie doit devenir une anthropologie renversée, et que la conscience de Dieu est la conscience de soi de l'homme, de même que la connaissance de Dieu est la connaissance de soi de l'homme. Le dépassement de Husserl et de Heidegger par Merleau-Ponty est ici remarquable. Car là où Husserl et Heidegger pensent la finitude en terme de Tâche provoquée par le monde des Etants et des consciences chosiques, Merleau-Ponty le pense en terme d'ouverture au travail d'équipe, en terme d'affranchissement de tous les toujours-déjà, en vue de s'occuper du déjà-là qui provoque des situations problèmes. Lévis-Strauss disait dans le même sens que tous les enfants du monde pleurent pour la même raison. C'est-à-dire que la douleur physique est quelque chose de senti dans le monde physique, et pour y remédier il faut se mettre au travail dans le monde. Ce dépassement des idées existentielles de Husserl et de Heidegger s'explique davantage par le droit à l'extension du pouvoir physique de la vie de tous les hommes qui dans leur finitude idéelle apparente, participent à la même destinée : l'amour de la vie. Mais si Husserl a pensé que les Je-sujets, (du moment qu'ils “ ont leur propre environnement dans ce monde ”) sont finis, cela n'était qu'un propos provisoire. En effet, Husserl comme Merleau-Ponty sont d'accord sur l'amour du partage de la vie pleine : une destinée humaine. D'ailleurs nous venons de voir que Husserl pense que dans ce monde le processus perceptif est aussi un processus qui se déroule dans l'accompagnement avec d'autres Je-sujets, acteurs dans ce monde.

Bien que des je-sujets se heurtent à ce monde comme on se heurte à un étant, cela n'est pas pour autant une raison pour marquer la finitude entre les êtres humains. C'est pour cette même raison que Husserl a laissé entendre (en parlant d'autres individus qui ne partagent pas sa culture ni même sa foi), que “ Dans ce monde nous trouvons aussi d'autres Je, qui comme nous ont leur environnement dans ce même monde, qui eux aussi tirent des données plus éloignées, et qui se comportent, en tant qu'êtres sentant et voulant, d'une façon semblable à la nôtre ”. Ces Je-sujets sont susceptibles de vivre ensemble et d'échanger des informations du monde dans ce monde. C'est ainsi qu'e Husserl a souligné : “ ‘D'autres Je ont dans le monde une autre position que nous, et conformément à cela un autre environnement immédiat et d'autres liaisons de la médiateté. Qu'ils échangent avec nous, ou nous avec eux, cette position, et voilà échangés environnement proche, perceptions et possibilités de perception, pour parler en général ’”. Cela est-il vraiment le même propos voulu par Merleau-Ponty ? D'abord ce propos de Husserl dissimule un sens caché. En effet, l'auteur de la Ph(P) voulait dire par là, que l'échange, la rencontre et le partage du savoir, bien qu'ils soient possibles dans le monde, cela ne garantie en rien la possibilité du partage du style du savoir vivre, visé par l'acte du concevoir par la visée auto-positionnelle. C'est à partir de là que la divergence entre Husserl et Merleau-Ponty peut être dégagée. D'ailleurs Merleau-Ponty le reconnaît lui-même lorsqu'il reproche à Husserl d'avoir reconnue l'existence d'un autre, une existence finie à travers laquelle l'impossibilité du partage de la visée devient impossible. La critique implicite dirigée à l'encontre de Husserl peut en effet surgir du passage que nous avons choisi dans Ph (P), et qui commence par : ‘“ Il n'y a pas de difficulté à comprendre comment Je puis penser autrui parce que le Je et par conséquent l'Autre ne sont pas pris dans le tissu des phénomènes et valent plutôt qu'ils n'existent . Il n'y a rien de caché derrière ces visages ou ces gestes, aucun paysage pour moi inaccessible, juste un peu d'ombre qui n'est que par la lumière. Pour Husserl, au contraire, on sait qu'il y a un problème d'autrui.....’ ”. Ph (P), op cit. p : VI.

L'ouverture d'altérité radicale à l'égard de l'autre est ici privilégiée de la part de Merleau-Ponty. Pour cet auteur, l'homme en effet n'est pas – comme la physiognomonie de Lavater l'a laissée entendre – reconnu à son visage. Il ne peut y avoir à vrai dire aucune action d'autrui, car l'autre ne me fait aucun effet dans mes rapports avec lui. Il n'agit même pas sur moi. Il agit dans le monde dans lequel je dois désormais appréhender son action. L'importance d'une action, n'est pas celle qui s'astreint à la recherche des manières des actions des sujets, à la recherche des visées des actions, car celles-ci bien qu'elles soient réelles, elles ne sont pas toujours discernables, compréhensibles et saisissables. Ce sont donc les situations déterminantes de l'Ego et de l'Alter, qui doivent faire l'objet de l'analyse.

Il existe une autre possibilité pour comprendre le monde réel, le monde des possibilités objectives que reflètent les relations entre le Moi et Autrui. Cette possibilité surgit en fait du dépassement que réalise Merleau-Ponty à l'égard du cogito cartésien. Si pour Descartes l'autosuffisance du sujet est la loi de sa liberté, alors il n'en va de même pour Merleau-Ponty, qui pense que le Je sujet ne se donne rien, c'est la Loi issue de l'existence mondain, de la possibilité qu'à le sujet à réaliser des projets et des actions, qui font la Loi. Le sujet s'impose tout en exposant ses avis, ses visées et ses projets d'une manière rationnelle, argumentative et convainquante. A la réflexion subjective qui puise son fondement dans le retour au Moi, Merleau-Ponty privilégie la perception compréhensive qui s'astreint à la recherche du sens des apparences. Dans sa critique dirigée à l'encontre de Descartes, Merleau-Ponty souligne : “ ‘Le Cogito jusqu'à présent dévalorisait la perception d'autrui, il m'enseignait que le Je n'est accessible qu'à lui-même, puisqu'il me définissait par la pensée que j'ai de moi même et que je suis évidemment seul à en avoir au moins dans ce sens ultime. Pour qu'autrui ne soit pas un vain mot, il faut que jamais mon existence ne se réduise à la conscience que j'ai d'exister, qu'elle enveloppe aussi la conscience qu'on peut en avoir et donc mon incarnation dans une nature et la possibilité au moins d'une situation historique ’”. (Merleau-Ponty op. cit.). Il ajoute aussitôt que “ ‘le cogito doit me découvrir en situation, et à cette condition seulement que la subjectivité transcendantale pourra, comme le dit Husserl, être une intersubjectivité’ ”. Si l'on poursuit la technique de la critique de la provenance du concept, chère à Gaston Bachelard, on s'aperçoit alors que Husserl aussi bien que Merleau-Ponty n'ont pas pu se défaire de la philosophie Kantienne. Aucune intuition ne peut avoir conscience de quelque chose que dans son rapport avec son autre et est le processus qui l'accompagne. Kant a en effet démontré, qu'aucune intuition n'est sensible. Toute intuition ne peut devenir ainsi que lorsqu'elle se retourne non pas envers elle-même, mais envers les choses du monde sensible dans lesquelles elle fait monde, se manifeste tout en s'exposant. (Voir à ce propos le sens Kantien du principe de la causalité). La seule différence qui puisse exister entre la phénoménologie descriptive et le criticisme Kantien est la place du Moi dans le monde réel. Pour Kant, le Moi est d'abord intentionnel : il est conscient de tout ce qu'il met en forme dans le réel. Car il agit selon des formes de représentation en vue d'une autodétermination ; alors que pour la phénoménologie descriptive, le Moi n'agit que selon les domaines de possibilités à acquérir. Pour Merleau-Ponty, rien n'est acquis d'avance, rien n'est donné, tout est objet de construction. Pour dépasser à nouveau le Kantisme, Merleau-Ponty revient sur le sens de l'idéalisme transcendantal qui pense le monde à partir d'un idéal rationnel puisant son fondement dans la réminiscence. C'est ainsi qu'il souligne tout en privilégiant l'analyse rigoureuse et exhaustive, à la réflexion permanente: “ ‘Le véritable Cogito ne définit pas l'existence du sujet par la pensée qu'il a d'exister, ne convertit pas la certitude du monde en certitude de la pensée du monde, et enfin ne remplace pas le monde même par la signification monde. Il reconnaît au contraire ma pensée même comme un fait inaliénable et il élimine toute espèce d'idéalisme en me découvrant comme "être au monde"’ ”.(Ibid. p : VIII).

Il y a là une sorte de logique de la découverte, à laquelle Maurice Merleau-Ponty attire notre attention. On peut dire et à partir de ce qui vient d'être souligné, qu'il est resté fidèle au principe philosophique : la théorie de l'effacement, qui fut propre aussi bien à Husserl qu'à Heidegger. Cependant, on peut laisser penser qu'aucune intuition n'a conscience de soi que si elle est conscience de la chose (le monde) qui lui est propre, qui l'environne. C'est à partir de là, qu'on peut laisser penser qu'il y a aussi chez Merleau-Ponty un véritable dépassement de Husserl, en vue de s'aligner sur une partie des conceptions heideggerienne comme par exemple le principe de l'effacement de tous les toujours-déjà (réminiscence) de la pensée devant ce qu'elle aperçoit. Dire que Merleau-Ponty est plus du côté de la logique de la découverte que du côté de la logique de la psychologie de la recherche, est un fait qui s'impose lorsqu'il reproche à Husserl d'avoir pensé le caractère immotivé du monde. C'est d'ailleurs pour cette même raison qu'il note : “ Tout le malentendu de Husserl avec ses interprètes, avec les "dissidents" existentiels et finalement avec lui-même vient de ce que, justement pour voir le monde et le saisir comme paradoxe, il faut rompre notre familiarité avec lui, et que cette rupture ne peut rien nous apprendre que le jaillissement immotivé du monde ”. (Ibid.). Qu'est-ce qui est donc motivé et ou immotivé, le monde ou la pensée ? Pour Merleau-Ponty, la pensée est aussi un monde qui doit au même titre que le monde physique être immotivée. Car rien n'est acquis d'avance, tout doit être ouvert à la communication, à la discussion et à l'argumentation rationnelle. Cette ouverture immanente de la pensée à l'égard d'elle-même, et à l'égard des autres pensées dans le monde, éloigne le risque de la jouissance artistique émanant d'une pensée totalitaire qui jouit devant ses propres créations qu'elle considère authentiques, impossible d'être partagées. La vraie philosophie est cependant celle qui se construit dans le dialogue et le rendez-vous. Elle n'est pas celle qui se construit dans le soupçon. C'est ainsi que nous considérons la réponse à la question : qu'appelle t-on bien penser ? (une question que Heidegger ne s'est pas posé ouvertement car pour lui celui qui pense, dès qu'il commence à agir, pense le vrai), est une question qui trouve sa réponse dans la fin du troisième paragraphe de l'avant propos de la Ph (P). La fin de ce paragraphe s'achève en effet sur un appel à l'unité du genre humain, un discours pathétique qui nous rappelle le cri : “ Oh Hommes soyez humain ! ”, apostrophé de Rousseau. C'est ainsi (et en parlant d'un véritable sens pour la pensée), que Merleau-Ponty souligne : “ ‘Le philosophe est un commencement perpétuel. Cela veut dire qu'il ne tient rien pour acquis de ce que les hommes ou les savants croient savoir. Cela veut dire aussi que la philosophie ne doit pas elle-même se tenir pour acquise dans ce qu'elle a pu dire de vrai, qu'elle est une expérience renouvelée de son propre commencement qu'elle consiste tout entière à décrire ce commencement et enfin que la réflexion radicale est conscience de sa propre dépendance à l'égard d'une vie irréfléchie qui est sa situation initiale, constante et finale’. ”. Ibid.

Pour apprendre à bien penser, nous devons donc avoir conscience du fait que nous sommes d'abord des êtres humains capables d'apprendre à viser aussi bien la vérité que la fausseté, capables aussi de nous ouvrir à un apprentissage permanent. Car (et comme nous l'avons déjà fait remarquer avec Philippe Meirieu) plus an sait plus on désire savoir. Du point de vue épistémologique, cette idée est révélatrice du sens de ce qui pourrait être l'homme en situation d'apprentissage et d'enseignement. La vérité des propositions n'est jamais donnée d'avance. Elle est toujours objet de construction. Car – comme Gaston Bachelard l'a déjà noté dans La Formation de l'esprit scientifique –, rien n'est donné tout est construit. L'homme n'est homme que lorsqu'il se soumet à cette tradition lointaine à savoir celle du dialogue communicationnel, qui est proprement humain, qui ne peut trouver son fondement que dans une éthique de la communication au sujet de laquelle J. Habermas a laissé penser que le pouvoir des pairs et celui des experts ne peut devenir un pouvoir véritable que lorsque les avis des deux parties qui s'opposent mutuellement sont soumis à l'argumentation rationnelle et à l'échange permanent desquels peut enfin surgir le principe de l'universalité des arguments. Du point de vue de la transposition didactique définie comme une méthodologie de l'ouverture permanente à l'égard de la pensée renouvelée des sujets pensant, cela nous force à admettre avec Emile Benveniste la réciprocité entre les catégories de langues et les catégories de paroles. Car l'expression, incarne en elle-même la fonction phatique du langage. Cette ouverture inachevée permet en effet la construction du bon sens des propositions au sein d'un travail de groupe. Faire par exemple face à des obstacles pour surmonter l'illettrisme et le désert provoqué par l'extension du pouvoir de l'ignorance, dont parlait déjà Nietzsche, est un travail dans lequel il faut impliquer tout un groupe de gens responsables et irresponsables sur l'avenir de nos établissements d'enseignement. C'est d'ailleurs pour cette même raison que Nietzsche a préféré exposer – sous forme de séries de conférences – ce qu'il pensait de l'avenir des établissements d'enseignements de l'Europe de son époque.

Percevoir le monde, revient donc à percevoir les effets factices de son langage. Nous communiquons dans le monde et avec le monde des possibilités, dont témoigne le principe de l'acquisition du sens. Cette acquisition se construit en effet dans la rencontre et le rendez-vous avec d'autres possibilités et est le processus qui les accompagne. D'ailleurs, dès le début du quatrième paragraphe de l'avant propos, Merleau-Ponty va démontrer cela. C'est ainsi qu'il pense que toute perception du monde n'est perception véritable que lorsqu'elle constitue une unité avec celui-ci : “ ‘(..) nous ne pouvons pas soumettre au regard philosophique notre perception du monde sans cesser de faire un avec cette thèse du monde, avec cet intérêt pour le monde qui nous définit, sans reculer en deçà de notre engagement pour le faire apparaître lui-même comme spectacle, sans passer du fait de notre existence à la nature de notre existence, du Dasein au Wesen’ ”. Ph (P) op cit. p IX. Ce passage est aussi l'objet de toute transposition didactique du sens. Car même l'enseignant qui s'astreint à faire varier les distances tout en mettant en place une transposition didactique différenciée, adaptée à son public, prend en compte l'ordre de l'éthique de la communication, une éthique qui témoigne d'une continuité du domaine de l'information dans celui de la formation. Si le passage de l'être au devoir être est (du point de vue de Husserl et de Heidegger) quelque chose d'inévitable, alors le domaine des essences en tant que monde des possibilités ne peut devenir un monde factice que lorsque les essences sont mises en forme. Ce retour au Kantisme dont témoigne la formulation de Husserl : “ toute conscience est conscience de quelque chose ”, nous renvoie dans sa reprise par Merleau-Ponty à admettre avec ce dernier le domaine des essences. Car comme Kant l'avait déjà laissé entendre toute perception intérieure n'est possible que par la perception de son extériorité : le monde dans sa connexion phénoménale est anticipé dans la connexion réciproque entre les intentions qui font de moi une unité, qui me permettent de me réaliser comme conscience de quelque chose qui m'anime, qui m'habite comme toujous-déjà-vrai, ayant des effets dans le déjà-là.

Mais le domaine de l'essence est-il vraiment le seul déterminant des domaines de possibilités que j'acquière dans le monde sensible ? La réponse explicite à cette question implicite que se pose Merleau-Ponty va le différencier de Husserl pour qui seul le domaine des essences reste le déterminant primordial de mon action dans le monde des possibilités. C'est d'ailleurs pour cette même raison que dès le début du quatrième paragraphe de l'avant propos il souligne : “ Un même malentendu du même genre brouille la notion des essences chez Husserl ”. Pour mieux comprendre le sens de ce début, on doit revenir sur les dernières phrases du paragraphe précédant. En effet, le sens de ces dernières lignes repose sur une réfutation du caractère essentiel de toute action. Il n'y a pas selon Merleau-Ponty d'invariant fonctionnel essentiel, auquel on peut réduire toutes les perceptions externes. Cependant si Husserl est du côté du domaine de la réminiscence, Merleau-Ponty est au contraire du côté de celui de l'acquisition. Le dépassement est donc ici largement remarquable surtout lorsque Merleau-Ponty souligne : “ ‘Il est clair que l'essence n'est pas ici le but, qu'elle est un moyen, que notre engagement effectif dans le monde est justement ce qu'il faut comprendre et amener au concept et polarise toutes nos fixations conceptuelles. La nécessité de passer par les essences ne signifie pas que la philosophie les prenne pour objet, mais au contraire que notre existence est trop étroitement prise dans le monde pour se connaître comme telle au moment où elle s'y jette, et qu'elle a besoin du champ de l'idéalité pour connaître et conquérir sa facticité’ ”. Ibid.

Ce n'est donc pas mon essence qui détermine toujours mon existence, mais c'est au contraire la manière d'appréhender le monde des possibilités qui me permet de l'avoir sous la main. Cette manière est un comportement chosique. Elle n'est pas une idée abstraite dépourvue de sens, mais un projet "pro-jeté" à travers mon action que je pratique parfois (sinon dans la plupart des cas) dans le risque gratuit à me jeter à travers champs en vue d'atteindre un but. Il y a ici aussi un dépassement de Husserl par Merleau-Ponty, un dépassement qui se réfère au même présupposé théorique husserlien, à savoir la visée Kantienne de la perception. Dans sa réfutation de l'Idéalisme, Kant a en effet démontré que toute perception extérieure dans sa relation de connexion nécessaire et réciproque avec mes idées définies en terme de projets, en terme d'actions, ne peut avoir de sens que lorsque l'action est projetée dans le monde sensible : devenue phénomène apparent. L'apparaître doit cependant faire l'objet de l'apparence. Le caractère comme loi de la liberté n'est pas du domaine de l'essence, il est du domaine de l'existence factice. L'action d'autrui n'est pas essentielle, elle est existentiale : elle ouvre un monde de possibilité. Si pour Merleau-Ponty les essences doivent être séparées de l'existence, il n'en était pas de même pour Husserl qui les relie. D'ailleurs c'est ainsi que Merleau-Ponty reproche à J. Wahl d'avoir pensé que “ ‘Husserl sépare les essences de l'existence ’”. Ph (P) op. cit. p : X. Aux yeux de Merleau-Ponty, la seule séparation réalisée et pensée par Husserl est la fonction remplie par le langage. Lorsque Husserl sépare en effet le langage des autres essences de celui de l'existence, il voulait par là même définir le principe de l'identité. Pour lui en effet, la parole n'est pas toujours aux faits. Elle peut au contraire se réduire à un fait factice puisqu'elle dit et annonce le monde à travers des énoncés, des visées ayant des énonciations. Par exemple si l'on reprend le slogan : “ Das is Deutsche ” ! qui veut dire “ C'est Allemand ! ”, slogan rendu célèbre dans la pratique politique de l'Allemagne hitlérienne, on peut laisser penser avec Philippe Lacoue-Labarthe que le poids de ce langage était déterminant pour la propagande qui avait pour but de faire répandre le principe de l'identité. Cette dernière – si l'on en croit l'auteur de La fiction du politique Heidegger l'art et la politique, – avait pour mission “ la substitution du national-socialisme au national-esthétisme ”. Le problème qui désormais s'impose est celui de savoir si le langage est séparé ou lié à la conscience et s'il détermine aussi l'identité.

Nous avons déjà fait remarquer à travers l'étude des différentes transpositions didactique que le langage seul ne peut guère déterminer le statut épistémologique d'un discours, car le public auquel on s'adresse n'est pas toujours homogène. Il existe en effet une hiérarchie dans le monde des relations interindividuelles, qui nous force à nous adresser au gens en leur parlant de ce qu'il connaissent. Cependant, le langage n'est pas un état, il est un processus qui est, d'une part inséparable des différents états de conscience puisque la langue reflète un réféant qui nous anime et dont on parle ; et d'autre part le langage est séparé de ces mêmes états puisqu'il peut entrer en contact avec les choses pour les nommer, non seulement à travers un oeil bien déterminé d’un sujet, mais aussi dans une large relation avec d'autres formes (présentées et représentées) du langage. Comme nous venons de le faire remarquer, ces formes imagées Husserl n'en disait rien. Le sens du monde ne réside pas dans l'idée, dans l'essence idéelle. Il fait au contraire partie intégrante du monde des possibilités. Cependant et tout en affichant un dépassement de Husserl, Merleau-Ponty note : “ ‘Chercher l'essence du monde, ce n'est pas chercher ce qu'il est en idée, une fois que nous l'avons réduit en thème de discours, c'est chercher ce qu'il est en fait pour nous avant toute thématisation’ ”. Ibid. p : X. Si Husserl a laissé penser que le monde est d'abord ce qu'il est pour nous, Merleau-Ponty, le reprend sur ce point précis en ajoutant qu'il est ce qu'il est pour nous, mais pas ce que nous sommes pour lui. Il y a ici une inspiration heideggeriene car pour Heidegger, la pensée essentielle doit s'effacer devant ce qu'elle aperçoit, tout en laissant les objets en parfaite autonomie, car plus elle les pense plus elle se fatigue puisque (et de ce fait) elle est obscure par elle-même. C'est-à-dire on ne doit pas penser (à l'instar de Hegel) que les objets témoignent de nos idées les plus hautes. Car cela bien qu'il soit une humanisation de la connaissance des oeuvres, il peut parfois aussi engendrer une jouissance artistique : un sentiment qui tue l'art “ dans l'oeuf avant même son éclosion ”.

La fin du quatrième paragraphe de l'avant propos de la Ph (P) va centrer ses efforts analytiques sur les grands propos de Husserl tout en les dépassant. Si Husserl pense que le sens du monde se définie par l'essence de la visée, alors cela est réfuté par Merleau-Ponty, pour qui “ la réduction eidétique c'est au contraire la résolution de faire apparaître le monde tel qu'il est avant tout retour sur nous mêmes ”, Ibid. p : XI. Le retour à nous mêmes n'est donc pas le domaine du réel physique mais il est celui d'un autre réel à part, une méthode qui met l'homme au centre de l'univers des possibilités imaginaires, qui rendent l'homme désirable d'un monde qu'il pense dans la forme a priori de l'intention. Or on sait avec Freud qu'entre les principes du plaisirs et ceux de la réalité le faussé se creuse largement. Car ce qui est possible n'est pas toujours réel. Pour que le possible puisse devenir réel, faut-il encore parler le langage de Leibniz qui a pensé que seule la raison suffisante chargée d'efforts métaphysique peut rendre factice la transformation du possible en réalité perçue ? Prendre ses rêves pour des réalités est pour Husserl quelque chose de possible, de proprement humain. Alors que pour Merleau-Ponty, le rêve bien qu'il soit ainsi : "un état de conscience humaine", qui use des critères pour se mettre en forme dans le monde, il est pourtant une réalité autre qui doute du réel apparent, car elle use de la distinction avant toute analyse. Elle fait l'expérience du réel qu'elle adapte à l'imaginaire. Elle crée des imaginations créatrices non pas du sens, mais d'une fiction de sens. Tout le problème est de savoir cependant si le sens comme le disait Hegel réside dans la fiction et dans le frisson du sens. Si l'on en croît Merleau-Ponty sur ce point précis, le sens du monde ne repose pas sur l'expérience imaginaire du réel, sur la recherche des manières dont use la pensée pour se donner des équivalents secondaires, mais sur l'explicitation de notre savoir primordial du réel, un savoir qui se réalise à travers les méthodes d'acquisitions du sens du réel lui-même. Ces méthodes ne peuvent être au fond que descriptives d'un idéal dit rationnel que nous devons imposer délibérément à tous les individus de ce monde, elles ne sont pas prescriptives de celui-ci. C'est à partir de là que le vieux Husserl sera dépassé, car pour lui la visée ne doit pas être partagée. Elle doit s'imposer à travers des expositions auto-positionnelles. Voilà la raison pour laquelle Merleau-Ponty nous met en garde (quant au propos de Husserl) d'une manière implicite en disant : “‘ Il ne faut donc pas se demander si nous percevons vraiment un monde, il faut dire au contraire : le monde est cela que nous percevons ’”. Ibid. p : XI. Cela veut dire que la refondation du possible sur la base du réel passe par ma conscience de la chose : monde. En effet pour Merleau-Ponty le sens du monde est à l'opposé de celui de Husserl. Car si pour le premier le doute doit s'installer d'une manière a priori dans notre conscience qui s'astreint à rêver et à donner un sens possible et illusoire aux choses du monde, alors il n'en va pas de même pour le second qui a pensé que la visée est claire dans sa manière d'être et de viser en direction de la chose : le caractère du monde qui, lui, reste à acquérir et à mettre en forme. Si pour le premier la vérité et l'erreur doivent être distinguées dans le monde par la perception directe et immédiate de celui-ci, alors il n'en va pas de même pour le second pour qui l'évidence auto-positionnelle s'expose et se heurte au monde des étants, qu'elle doit affranchir comme on affranchi un obstacle. C'est ainsi que Merleau-Ponty ajoute aussitôt (après avoir démontré le sens de la perception) que l'important dès lors que l'on s'astreint à nous ouvrir sur le monde perçue, est que nous ne devons pas nous demander “ si nos évidences sont bien des vérités, ou, si par un vice de notre esprit, ce qui est évident pour nous ne saurait pas illusoire à l'égard de quelque vérité en soi : car si nous partons d'illusion, c'est que nous avons reconnu des illusions, et nous n'avons pu le faire qu'au nom de quelque perception qui, dans le même moment, s'attestât comme vraie, de sorte que le doute, ou la crainte de se tromper affirme en même temps notre pouvoir de dévoiler l'erreur et ne saurait donc nous déraciner de la vérité. Nous sommes dans la vérité et l'évidence est "l'expérience de la vérité" 919  ”.

Il y a ici et du point de vue épistémologique, un retour à une épistémologie sans le sujet pensant, au sujet de laquelle nous avons déjà vu avec Karl Popper que toutes nos vérités hypothético-déductives sont susceptibles d'être renversées. Percevoir une chose c'est donc être en parfaite continuité avec elle en vue d'y découvrir des liaisons logiques reconnues dans les choses dont elle témoigne. Ce n'est rien d'autre qu'une logique de la découverte scientifique. Cela n'est pas le propos de Husserl qui a pensé que même la science ne peut se défaire des préjugés subjectifs dont témoigne la psychologie de la découverte scientifique, une psychologie que Husserl voulait constitutive et descriptives des états de la conscience. Pour définir le vrai sens de la perception, Merleau-Ponty pense que la seule solution est d'être en relation de connexion nécessaire avec le monde, car ce qui apparaît dans son état d'apparition continue à exister et à se tenir debout. La perception compréhensive doit donc décrire les phénomènes pour déterminer et comprendre les faits sur lesquels les choses s'appuient pour continuer à exister et à se maintenir debout. L'approche descriptive se différencie de l'approche prescriptive qui est (selon Merleau-Ponty) le propre de la visée husserlienne. Car l'absolu-clarté des mes pensées – dit encore Merleau-Ponty –, ne repose pas sur l'évidence auto-positionnelle, exposante des visées, mais elle est au contraire une recherche de tout ce qui le rend possible dans le monde au lieu de chercher ce qu'elle “ est réellement ”. Il y a ici une critique dirigée à l'encontre de la question de l'origine, critique qui nous rappelle le débat théorique qu'Adorno a mené avec Heidegger sur la problématique de l'origine entre l'état et le processus 920 . Si pour Husserl l'origine est un état de l'intention interne de la conscience, alors il n'en va de même pour Merleau-Ponty qui considère l'évidence de la perception, en opposition radicale avec la pensée dite adéquate ou avec l'évidence dite apodictique. D'ailleurs pour confirmer cela, Merleau-Ponty achève le quatrième paragraphe par un appel pathétique lorsqu'il souligne (pour émouvoir, pour nous rendre docile et bienveillant à une réalité mondaine irréfutable) que : “ ‘Le monde est non pas ce que je pense, mais ce que je vis, je suis ouvert au monde, je communique indubitablement avec lui, mais je ne le possède pas, il est inépuisable ’”. Ibid. p : XII. Parler de l'extension du pouvoir physique nous rappelle le sens qu'Alexandre Koyré 921 a donné au monde physique comme étant un univers infini, non clos. Cet extension nous rappelle aussi le point de vue de Heidegger quant à l'extension du pouvoir cognitif qui trouve son fondement dans l'extension du pouvoir physique. Cela nous rappelle aussi l'ouverture inachevée et permanente à l'égard du monde que des philosophes (comme Aristote, Averroès ou encore Nietzsche) se sont tracés pour questionner en direction des choses du monde pour en tirer des modèles de vie. On peut d'ailleurs remarquer à la fin de ce paragraphe de l'avant propos que la répétition du mot : "monde" (il y a un monde, il y a le monde, ce qui fait le monde est monde...) prouve l'appel pathétique à travers lequel Merleau-Ponty s'adresse au grand public de ce monde. Cet appel est sous forme d'un cri apostrophé à travers lequel Merleau-Ponty s'astreint à sensibiliser pour mobiliser le public de ce monde à fonder le possible sur le réel.

Dans le cinquième paragraphe, Merleau-Ponty revient sur le sens de l'intentionnalité considérée par Husserl comme la découverte de la phénoménologie. Aux yeux de l'auteur de la phénoménologie de la perception, cette découverte n'est pas une nouveauté. Kant, lorsqu'il a d'ailleurs parlé du fait de la raison (factum), il visait le travail de l'intention qui s'ouvre aux choses du monde pour non seulement en apprécier les liaisons logiques que la raison reconnaît en elles, mais aussi pour y imposer des idées qui fondent la structure du réel : des idéaux que la raison juge favorables à la manifestation et à la mise en forme. L'idée intentionnelle est donc définie en terme de projet, d'action. D'ailleurs si l'on s'astreint au sens étymologique du mot : projet, on s'aperçoit que le mot incarne l'action d'un jet, comme s'il s'agit d'un jet d'encre, d'un jet de pierre etc. Cependant, on peut donc se demander : le jet d'encre de la liberté peut-il se construire dans une action qui aperçoit les phénomènes d'une manière hasardeuse, fortuite tout en se jetant à travers champs, ou au contraire d'une manière organisée tout en passant d'une perception compréhensive à la compréhension ? Tel est tout l'enjeu de ce cinquième paragraphe de l'avant propos. Merleau-Ponty privilégie la réflexion par rapport au hasard, car pour lui, les phénomènes bien qu'ils soient des données objectives, ils doivent être soumis à la réflexion rationnelle qui opère les formes posées dans le réel. La mise en forme doit être posée dans les formes. Dire que le sens formel “ est posé ”, nous rappelle l'idée aristotélicienne : ce qui est dans la nature est posé en vertu de ce qui a tété posé, une idée que nous avons déjà évoquée en comparant les Topiques et le Discours décisif. L'acte de la position est un acte rationnel qui, (du point de vue de la phénoménologie de la perception), doit être compris comme une sorte de méthode organisationnelle de l'apparence fortuite qui, malgré tout témoigne d'une combinaison organisée. Lorsque Merleau-Ponty rappelle la distinction husserlienne entre l'intentionnalité d'acte et l'intentionnalité opérante, il voulait par là-même attirer notre attention à deux sortes de perceptions que les Stoïciens avaient déjà mentionné. La première est celle que nous avons qualifié avec Emile Bréhier dans Chrysippe et l'ancien stoïcisme de perception compréhensive, tandis que la seconde est celle de la compréhension. Le passage de la première à la seconde est l'objet de la phénoménologie de la perception. En effet, comprendre un fait revient enfin de compte à établir la critique de sa provenance : à chercher son historicité qui est un fait factice parmi d'autres, afin de comprendre son historialité et sa destinée. Comprendre un fait, n'est pas l'intellectualiser, car l'intellection classique qui se limitait aux vraies et immuables sens des choses, (qui impose des idéaux dans les formes objectives) a manquée le vrai sens des choses. D'ailleurs lorsque la temporalité spirituelle, circulaire pensait que la terre est statique, elle a manquée le sens du mouvement tout en se référant à des invariants fonctionnels qu'elle croyait vrais et immuables. Percevoir revient donc à saisir et à ressaisir l'intention totale, les propriétés divergentes des choses qui forment un système combiné, incommensurable qui demeure pourtant calculable. Cela étant la visée de la phénoménologie de la perception qui se distingue de la phénoménologie constitutive 922 que Husserl voulait pour la visée auto-positionnelle exposante d'un sens qui s'opère dans le toujours-déjà-vrai. La dimension historique si elle est considèrée de la part de Husserl comme une sorte de nostalgie, d'idée ou de vision, qui est susceptible de revenir éternellement, elle n'est pas pour autant aux yeux de Merleau-Ponty, quelque chose qui doit me faire mal : une algie que je dois porter en moi comme un fardeau. Je ne dois donc pas chercher à tous pris à imposer aux autres ce que je considère comme un idéal rationnel de mon être-commun, mais ce que je dois partager avec autrui, est ma manière d'apercevoir le réel, ma manière de chercher à l'avoir sous-la-main. Ces manières sont en fait des comportements accessibles à l'appréhension. Car comme le dit Merleau-Ponty : “ ‘Dans chaque civilisation, il s'agit de retrouver l'idée au sens hégélien c'est-à-dire non pas une loi du type physico-mathématique, accessible à la pensée objective, mais la formule d'un unique comportement à l'égard d'autrui, de la Nature du temps et de la mort, une certaine manière de mettre en forme le monde que l'historien doit être capable de reprendre et d'assumer. Ce sont là les dimensions de l'histoire. Par rapport à elles, il n'y a pas une parole, pas un geste humain, même habituels ou distraits, qui n'ait une signification’ ”. Ibid. p : XIII.

A partir de là, on voit bien que l'intentionnalité est une chose factice. Elle se manifeste d'une manière formelle dans le réel, dans l'apparence physique. Lorsque Merleau-Ponty se réfère à Hegel, (tout en empruntant d'une manière implicite le sens que ce dernier attribuât à l'idée comme étant un comportement manifeste des idées les plus hautes dont la parole est d'abord aux faits d'un peuple), il a voulu attirer notre attention à cette relation de connexion nécessaire et réciproque qui existe entre l'idée et les faits. Cette relation nous force à considérer l'histoire comme un ensemble de comportement dont les gestes doivent être mis en forme. Car là où il n'y a pas de forme, il ne peut y avoir guère d'histoire, pas même des informations sur le caractère posé dans les formes.

A la fin de l'avant propos, Merleau-Ponty va revenir sur la place de la phénoménologie de la perception dans le monde de l'apparence et de l'apparaître. C'est ainsi qu'il pense que la méthode phénoménologique, dans son acquisition du sens qui apparaît à l'intersection de mes expériences et de celles d'autrui, est capable de joindre l'extrême subjectivisme et l'extrême objectivisme. Cela veut dire que la rationalité qu'incarne la méthode phénoménologique est à l'encontre de celle que reflète la méthodologie expérimentale puisque l'une et l'autre n'ignorent ni les hypothèses idéelles des sujets pensant ni les expériences objectives de leurs actions factices dans le monde réel. Voilà la raison pour laquelle Merleau-Ponty fait une remarque allant dans ce sens on disant : “ ‘Le monde phénoménologique c'est non pas de l'être pur, mais le sens qui transparaît à l'intersection de mes expériences et de celles d'autrui, par l'engrenage des unes sur les autres, il est donc inséparable de la subjectivité et de l'intersubjectivité qui font leur unité par la reprise de mes expériences passées dans mes expériences présentes, de l'expérience d'autrui dans la mienne’ 923  ”. La transposition didactique du sens est donc aussi une méthode qui prend en considération la manière d'être dans le monde des Etants. Elle est une technique qui use à la fois de la phénoménologie et de la méthodologie expérimentale pour questionner en direction du toujours-déjà et du déjà-là des groupes et des individus aussi bien d'une classe que d'un système social donné. Elle use de la vulgarisation scientifique (taxinomisation des savoirs) comme il emprunte la technique de la taxonomisation (transposition didactique) des contenus à acquérir. Cette idée ressort d'une affirmation à travers laquelle Merleau-Ponty n'oppose pas le monde des choses à la rationalité qui les explique, qui les étudie et les analyse. C'est ainsi qu'il note à ce propos que : “ ‘La rationalité n'est pas un problème, il n'y a pas derrière elle une inconnue que nous ayons à déterminer déductivement ou à prouver inductivement à partir d'elle : nous assistons à chaque instant à ce prodige de la connexion des expériences, et personne ne sait mieux que nous comment il se fait puisque nous sommes ce noeud de relations. Le monde et la raison ne font pas problème’ 924  ”. Du point de vue méthodologique, cela veut dire que l'ouverture de la pensée rationnelle au monde des choses fortuites n'est pas une déformation des informations, mais au contraire une occasion pour faire ressortir le sens du frisson du sens, comme Hegel l'avait déjà laissé entendre. Pour affirmer que les informations ne sont en aucun cas des déformations, Merleau-Ponty emploie une métaphore exemplaire en disant : ‘“ La vraie philosophie est de rapprendre à voir le monde, et en ce sens une histoire racontée peut signifier le monde avec autant de "profondeur" qu'un traité de philosophie’ 925  ”. Voir le monde consiste donc à vivre avec lui : non pas en parfait accord, mais en le questionnant d'une manière permanente et organisée soit pour en sortir des modèles de vie, soit pour y poser nos manières d'être et de voir, qui sont factices et réelles.

Le savoir incarnant des manières d'être, de voir et de concevoir, n'est pas une idée abstraite, il est au contraire un corps vivant factice. Ce caractère corporel du savoir est pensé par certains didacticiens (comme par exemple Chevallard) en terme d'écologie du savoir. Cette dernière signifie en effet que le savoir n'est pas une feuille d'automne qui tombe par "hasard", et même cette dernière ne tombe que sous les effets de la nécessité. L'écologie du savoir est un concept qui s'astreint à penser la connaissance et le savoir dans leur large relation avec un “ sol ” originaire auquel ils appartiennent. C'est sur ce point précis que s'achève la fin de l'avant propos de Merleau-Ponty. Ce dernier a voulu en effet attirer l'attention de son lecteur à la question de “ l'origine ” du savoir. Ce débat qui fut entre Heidegger et Adorno, est un débat d'actualité. Il pose le problème de la transposition didactique du sens des propositions, entre la réminiscence et l'acquisition. Les connaissances ont-elles vraiment une origine ? Qu'en est-il de la place de la reformulation des propositions dites "originaires" ? L'origine est-elle un état ou un processus ? C'est à de telles questions que nous devons désormais répondre tout en étudiant la sensation et la perception chez Merleau-Ponty. L'origine phénoménologique du verbe avoir (l'il y a) puise son fondement dans une réalité autonome et autosuffisante, dont témoignent nos postulats et nos manières d'être et de voir. Ce sont des faits factices que Merleau-Ponty considère sous forme d'un sol sur lequel nos connaissances doivent désormais s'appuyer pour établir une certaine rationalité. Cela veut dire que le savoir est déjà constitué, il suffit simplement d'organiser notre rapport au monde pour enfin apercevoir le sol du monde des actions. Le monde de la raison constitué est celui qui doit désormais user d'une méthode qui se donne le temps pour interroger d'une manière permanente en direction des choses tout en méditant (d'une manière infinie) les faits factices. Car plus on sait plus on désire savoir et tout ce que l'on ne sait constitue pourtant une situation problème, car il est voué à l'indéterminé. Cet indétérminé est une chose que récuse la rationalité qui s'astreint à pénétrer au trèfond des choses, comme disait Nietzsche, car elle s'attache uniquement au domaine de l'évidence rationnelle qui s'impose à la raison comme un fait donné comme déjà-là. L'inachèvement de la phénoménologie descriptive est une réalité irréfutable. Elle a toujours eu pour but (en tant que méthodologie de l'arraisonnement du réel) la révélation à la fois du mystère du monde et de la raison. Ces deux mondes du fait qu'ils soient incommensurables, ils renvoient aussi à l'inachèvement de la phénoménologie descriptive, et à l'inachèvement de l'ouverture de la méthodologie expérimentale qui, elle aussi observe, décrit et interprètent les résultats acquis dans ce monde. Son langage est un langage perceptif des états et des processus.

Notes
901.

Celle-ci est la recherche d'une étude globale des faits en vue de comprendre le sens et la situation totale du monde. Merleau-Ponty récuse et s'oppose à la vision de l'idéalisme et de l'empirisme qui croient que, sens et fait, essence et existence, sujet et objet, tombent de part et d'autre d'une frontière. Cette vision n'est en fait qu'une illusion commune à ces deux courants de pensée. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle Merleau-Ponty note ailleurs : “ Ce qui nous importe c'est précisément de savoir le sens d'être du monde ; nous ne devons là dessus rien présupposer, ni donc l'idée naïve de l'être en soi, ni l'idée, corrélative, d'un être de représentation, d'un être pour la conscience, d'un être pour l'homme ”. (Cf. : Pierre Rodrigo Aristote et les chose humaines . Préface de Pierre Aubenque Edition Ousia 1998, note n°35 pp. : 82 & 83).

902.

Merleau-Ponty (M.), Phénoménologie de la perception, op, cit. Avant propos p : I.

903.

Ibid p : II.

904.

Husserl a souliogné à ce propos que “ Tous les jugements d'effectivité que fonde le scientifique en étudiant la nature se réfère à de simples perceptions et souvenirs, et se rapportent au monde qui accède à une première donation dans cette simple expérience ”.

905.

Merleau-Ponty (M.), op. cit. p : III.

906.

Husserl (E.) , op. cit.

907.

A lire : Phénoménologie de la perception .

908.

Ibid p : V.

909.

Ibid. p : XVI

910.

Ibid.

911.

Merleau-Ponty (M.) op. cit. p : 10.

912.

Nous avons déjà avancé que Husserl tout en s'opposant à Heidegger, faisait une précision capitale quant à cette distinction en laissant penser que “ la simple perception qui est une simple sensation signifie un simple avoir, un avoir conscience d'un contenu dans une perception immanente ”. Cela converge en réalité avec l'opinion de Heidegger qui a parlé de l'être sous-la-main : d'un avoir de la chose qui est notre chose est nulle autre. Par contre le sens que Husserl attribut à l'aperception, est celui d'un acte qui appréhende, qui s'édifie sur le sentir et sur l'au-delà du sentir. L'aperception est donc en relation avec un "idéal-rationnel-de-l'être-commun".

913.

Merleau-Ponty (M.) op, cit. p : 11.

914.

Husserl (E.) 1907, op, cit.

915.

Ibid. p : VII.

916.

Dans un passage de l'avant propos de la Phénoménologie de la peception , Merleau-Ponty n'a pas cessé de répéter que la sensation du rouge est un sentiment incarnant la peur, la terreur, le danger. Chose que Freud avait déjà fait lorsqu'il avait dit que si l'on ne trouve pas une issue pacifique à la guerre ce serait la catastrophe. Et d'ailleurs s'en était une. Il ressort de cette répétions où Merleau-Ponty souligne : “ Ainsi ma sensation du rouge est aperçue comme manifestation d'un certain rouge senti, celui-ci comme manifestation d'une surface rouge, celle-ci comme manifestation d'un carton rouge, et celui-ci enfin comme manifestation au profil d'une chose rouge, de ce livre.... ”. Merleau-Ponty 1954. op. cit. pp : V et VI. Évidemment le danger peut résider même dans les écrits des livres !

917.

Le danger était réel, mais les intellectuels n'ont pas été écouté. D'ailleurs cela ressort fort bien de la correspondance entre Freud et Einstein. Voir en ce qui concerne la lettre de réponse à Albert Einstein l'extrait de Albert Einstein-Sigmund Freud. Pourquoi la guerre ? Institut international de coopération intellectuelle, I vol., Paris 1933. 63 p. Traduction française Blaise Briod. Publié in Revue Psychanalyse de la société psychanalytique de Paris section française de l'association psychanalytique internationale, publié avec l'autorisation de Sigmund Freud Copyright I,td, aimablement accordé par E Freud, son Directeur, et de l'Institut international de Coopération intellectuelle ainsi que de L'U.N.S.C.O. Par contre en ce qui concerne la lettre d'Albert Einstein voir son ouvrage : Comment je vois le monde Flammarion 1958 pp. 64 à 66.

918.

Merleau-Ponty (M.), op. cit. p : VI.

919.

Ibid.

920.

Adorno (T.W.), op. cit.

921.

Koyré (A.), Du Monde Clos à l'Univers Infini par Tarr Raissa. Édit. Gallimard. 1988.

922.

Il y a une différence à établir entre les différents sens de l'approche phénoménologique :

1 : phénoménologie descriptive : celle qui décrit les différents états de la conscience et de l'apparaître dans l'apparence.

2 : phénoménologie intuitive : celle qui considère toute intuition comme étant sensible et factice.

3 : phénoménologie de la genèse : celle qui réduit tous les états de l'apparence à une visée indubitable, insaisissable, nécessaire à en déterminer les dépouillements.

4 : phénoménologie génétique : celle qui considère le déjà-là comme étant un fait factice fondé sur le toujours-déjà vrai : sur l'histoire d'un fait, comme un invariant fonctionnel.

5 : phénoménologie constructive : celle qui cherche à construire le sens des faits sur la base de l'inachèvement et du monde et de la raison.

Il y a là cinq méthodes qui correspondent (dans l'absence de la conclusion) parfaitement au cinq étapes de la méthodologie expérimentale que nous avons mentionné sous l'expression : OHERIC. Cet évacuation de la conclusion est due au fait que dans les sciences humaines, et plus particulièrement dans les sciences de l'éducation il n'est pas toujours possible de conclure une expérience donnée. Tout est objet de discussion, d'ouverture possible à d'autres effets imprévisibles

923.

Merleau-Ponty (M.), 1954. op. cit. p : XV.

924.

Ibid.

925.

Ibid.