Discussion : Le langage de la sensation comme état de la perception :

Chez Merleau-Ponty, le langage recouvre la sensation. Cette dernière est une composante d'un Je-sujet qui non seulement il aperçoit les choses, mains il les sent. Cependant sentir est un acte qui s'ouvre à l'égard des choses pour les arraisonner. La définition de la sensation est donnée par Merleau-Ponty à travers une affirmation où il souligne : “ ‘Par sensation, je pourrai d'abord entendre la manière dont je suis affecté et l'épreuve d'un état de moi-même’ 926  ”. On voit bien que cette définition témoigne de la présence de deux niveaux de la sensation perceptive. Le premier est celui d'une manière, d'un état intérieure, d'une visée bref d'un oeil à travers lequel on met en forme le réel ; le second est celui de la mise en forme de cette même manière qui est en deçà et non pas au-delà de n'importe quel contenu qualificatif. Car si l'on s'astreint à la perception des contenus qui se présentent sous forme de tableaux localisés d'une manière précise, on s'aperçoit alors que ces mêmes contenus forment une expérience perceptive factice, à travers lesquels la perception des faits s'expose au moi-sujet tout en créant un monde perceptif autonome. L'état de moi-même n'a donc rien avoir avec l'existence des faits mondains. D'ailleurs dans une double référence implicite à Husserl et à Heidegger, Merleau-Ponty faisait allusion à la théorie de l'effacement du sujet devant ce qu'il aperçoit. C'est ainsi qu'il pense que les faits n'ont rien avoir avec l'état intérieur de notre subjectivité. A ce sujet il ajoute que “ le sens de la sensation doit être recherchée en deçà de tout contenu qualifié, puisque le rouge et le vert, pour se distinguer l'un de l'autre comme deux couleurs, doivent déjà faire tableau devant moi, même sans localisation précise, et cessent donc d'être moi-même 927  ”. Cela veut dire en fait que les faits factices sont isolés. Dans cet isolement, l'organisation perceptive est posée en terme de couches d'impressions sensibles. Les strates dont parlait déjà Heidegger pour affirmer la perception historiale des choses créant un monde de possibilité, sont ici repensées par Merleau-Ponty en terme de “ perception de fait ” 928 . A la question : qu'est-ce que percevoir un fait ? Merleau-Ponty va donner une réponse qui synthétise deux courants de pensée philosophique : celui de Husserl et celui de Heidegger. Lorsque l'auteur de La phénoménologie de la perception pense que “ ‘La sensation pure est l'épreuve d'un “ choc ” indifférencié, instantané et ponctuel’ ‘ 929 ’ ”, il est par là même du côté de Heidegger pour qui l'ouverture en direction des choses de la vie est un acte qui doit concevoir le monde en terme de tâche, qui doit concevoir l'homme dans le monde, dans une perspective relationnelle, qui n'est rien d'autre que la reconnaissance de sa capacité à montrer, à nommer et à mettre en forme le réel à travers un oeil qui lui est propre. Car l'homme est un mons-tre, dit Heidegger. Dans sa mise en forme du réel, l'homme dit Heidegger se heurte à l'autre homme comme il se heurte à un étant qui le délimite. Dans cette délimitation, il y a évidemment des chocs instantanés indifférenciés et ponctuels. Mais Merleau-Ponty ne s'arrête pas là. Il passe de l'homogénéité des phénomènes factices sensibles, à l'hétérogénéité des impressions représentatives qui organisent des relations d'une figure perceptive donnée. Il qualifie la pure impression comme une sorte de “ champs ” qui a attrait à l'expérience perceptive. Cette dernière, aperçoit les différents points qui constituent par exemple l'ensemble d'une figure donnée. Seule en tout cas la technique de l'arraisonnement de la figure par des je-sujets-pensant, peut discerner la donnée sensible la plus simple au sujet de laquelle Merleau-Ponty ne cesse de rappeler que “‘ l'acte de sa perception n'est pas le résultat d'un caractère contingent de la perception de fait ’”. Il est au contraire le fruit d'un travail de la raison, à travers laquelle “ ‘l'expérience perceptive est liée à notre expérience mentale de la percevoir ’”.

Si dans le monde il existe des objets isolés, cela ne doit pas dès lors nous dispenser de croire à l'existence du vide et à “ ‘l'existence d'un champs visuel qui n'est pas fait de visions locales, mais qui est l'ensemble des fragments de matière et des points de l'espace qui sont extérieurs les uns aux autres’ ”, comme le note fort bien Merleau-Ponty. Cette vision qui détermine les figures ainsi que les relations qui les anime, a été définie par Husserl en terme "d'acte de la-visée". Cet acte est aux yeux de Husserl indéterminé, indéfinissable et incommensurable. Il est celui d'un acte de la liberté qui laisse un libre jeu entre les facultés de percevoir et de concevoir. Cette idée a été déjà avancée par Kant pour qui le caractère comme loi de la liberté est une notion insaisissable, incompréhensible mais qui reste pourtant nécessaire pour la définition de l'essence de la liberté humaine. La même idée est ici esquissée par Merleau-Ponty qui souligne clairement : “ ‘La pure impression n'est donc pas seulement introuvable, mais imperceptible et donc impensable comme moment de la perception. Si on l'introduit, c'est qu'au lieu d'être attentif à l'expérience perceptive, on l'oublie en faveur de l'objet perçu’ 930  ”. Après avoir avancé (pour redéfinir le caractère, loi de la liberté perceptive), que le "quelque chose perceptif" est toujours au milieu d'autre chose faisant partie d'un champ de possibilité, Merleau-Ponty revient donc sur la notion d'acte perceptif. Il définit celui-ci dans sa relation avec un ensemble de facteurs qui sensibilisent la sensation à l'émission d'actes perceptifs. Du lieu de l'unité au lieu commun, l'écart est donc remarquable lors de la définition de la perception. Il y a en effet de la part de Merleau-Ponty un retour au Kantisme prolongé par Husserl et ce après avoir que celui-ci ait dirigé une critique implicite à l'égard de la phénoménologie heideggerienne. Cette critique surgit du sens que Merleau-Ponty attribut à la sensation comme une forme d'impression pure.

Lorsque Heidegger disait que l'homme est un mons-tre : capable de montrer et de nommer le monde qui est le sien à travers un oeil, une impression dite pure, cela est une occasion privilégié pour Merleau-Ponty de construire sa visée critique à l'égard de cette conception. En effet, pour lui, il n'y a pas d'impression pure, pas même d'aspect impure de la perception. Cependant, dans les mots : "percevoir" et "sentir", il y a d'autres actes composés. Cela explique fort bien l'aspect "impure" et complexe de ces notions. On peut laisser penser que l'acte de percevoir peut aussi renfermer en lui l'action de voir des pairs, des personnes physiques. Il en va de même pour l'acte de sentir qui laisse entendre des sons, des musiques, des sonorités etc. Les couleurs en tant que sensibles, qui se distinguent des sensations, laissent penser que la qualité n'est pas un élément de la conscience, mais une propriété de l'objet. La conscience propre à toute pensée travaillante se résume à l'acte de l'arraisonnement qui détermine l'extension du pouvoir perceptif. Cette conscience n'est pas celle de l'évidence perceptive (au sujet de laquelle Husserl a laissé penser que l'acte de la visée se construit dans une ouverture de la conscience auto-positionnelle ne partageant avec d'autre conscience que la forme de l'existence), elle est au contraire celle de préjugé du monde qui est là, déterminé par la conscience en terme de tâche. C'est ainsi que Merleau-Ponty souligne tout en dépassant Husserl sur ce point précis que : “ ‘la prétendue évidence du sentir n'est pas fondée sur un témoignage de la conscience, mais sur le préjugé du monde’ 931  ”.

Etre pris dans le monde est aux yeux de Merleau-Ponty une forme aléatoire de l'acte perceptif. Car lorsqu'on aperçoit des choses, on transporte leurs formes dans notre conscience pour enfin en faire une action de celle-ci, alors que l'évidence perceptive n'est pas celle d'une transposition objective des formes des objets dans la conscience informe. Elle est au contraire une qualité qui n'est pas éprouvée d'une façon directe puisque la conscience qui est conscience de quelque chose, peut avoir un objet immédiat qui n'est pas toujours quelque chose d'identifiable. Le dépassement de Heidegger par Merleau-Ponty est avancé ici d'une manière ouverte. Car pour Merleau-Ponty la perception comme forme de perception des formes objectives et factices, “ nous enferme dans le monde et nous n'arrivons pas à nous en détacher pour passer à la conscience du monde ”. L'extension du pouvoir physique qui s'offre à l'expérience n'est pas le déterminant de l'extension du pouvoir perceptif. C'est ce que Merleau-Ponty laisse penser en disant : “ ‘L'expérience n'offre rien de pareil’ ‘ 932 ’ ‘ et nous ne comprendrons jamais, à partir du monde ce que c'est qu'un champ visuel. S'il est possible de tracer un périmètre de vision en approchant peu à peu du centre les stimuli latéraux, d'un moment à l'autre les résultats de la mesure varient et l'on arrive jamais à assigner le moment où un stimulus d'abord vu cesse de l'être’ 933  ”. Cela veut dire ouvertement que la relation entre notre acte perceptif (acte de la visée selon Husserl) et les objets factices (acte de la vision selon Heidegger) est une relation indéterminée. Elle est ainsi car de même qu'il existe des impressions sensibles dans l'intention de la visée intentionnelle, qui se multiplient d'une manière imprévisible, il existe aussi des imprévus qui se multiplient lorsque l'on s'astreint à la découverte des liaisons logiques de connexions nécessaires reconnues dans les choses des impressions sensibles. Cette ressemblance des rapports fondée sur l'incommensurabilité des impressions intentionnelles et des impressions sensibles constitue ce que Merleau-Ponty appelle : Monde. Cependant ce qui intéresse l'auteur de la Ph(P) ce n'est ni le stimulus, ni la réponse, mais les relations qui les anime. Ainsi la correspondance :

S (Stimulus)
R (Réponse) qui sera celle de Paul Fraïsse (qui a laissé penser que la perception est en fonction de la relation qui anime le stimulus et la réponse P=f(S
R) ), est une correspondance qui met en évidence la possibilité de la détermination de la relation qui anime le stimulus et la réponse. Car pour Merleau-Ponty, cette relation constitue un ensemble de points indéterminés. Elle reflète une vision indéterminée incarnant une valeur expressive et non pas une signification logique. D'ailleurs dès qu'il s'agit de fonctions expressives, le discours portant sur la valeur perçu en tant qu'image polysémique est un discours de la pensée divergeante.

Pour Merleau-Ponty, il existe donc deux formes de sensations perceptives. La première est celle qui consiste à faire de la qualité un élément de la conscience, alors qu'elle est l'objet pour celle-ci. Elle traite la qualité comme une impression muette alors qu'elle est animée de sens ; la seconde est celle qui croit que le sens et l'objet de la conscience sont (au niveau de la qualité), pleins et déterminés. Ces deux formes de la sensation incarnent deux formes de perception. L'une qui est continue, elle s'astreint à imposer des préjugées dans le monde, l'autre qui est discontinue, se force de s'effacer devant les objets du monde tout en les appréhendant pour soi, tout en y posant des formes transcendantales que Hegel a déjà qualifié “ ‘d'idées les plus hautes d'un peuple’ ”. En réalité, pour Merleau-Ponty ces deux formes manquent le sens d'une perception véritable, car toutes les deux “ se modèlent sur l'objet perçu ”, disait-il. Si l'une fonde sa perception sur le sensible qu'elle saisit par les sens, et que l'autre la fonde sur le visible qu'elle saisit avec les yeux, alors cela pourrait être une raison simple pour affirmer l'aspect objectif de la sensation perceptive qui se forme d'une manière factice. Mais cela n'est pas si simple que l'on pourrait le croire, car pour Merleau-Ponty, la sensation véritable n'est pas un simple procédé expérimental. D’ailleurs, comme il l'affirme, l'expérience nous ne enseigne rien de tout cela. L'expérience dite perceptive de la sensation ne doit pas opposer les deux niveaux de l'analyse à savoir par exemple celui de la psychologie descriptive qui comprend les phénomènes sur la base d'une description rigoureuse de ceux-ci, et celui de la psychologie explicative qui en considère la genèse. Si le psychologue voit que la conscience est dans le monde cela est alors une raison pour que celle-ci soit mise en forme, explicitée et partagée par d'autres consciences similaires ou différentes. L'arraisonnement doit donc emprunter non seulement la méthodologie expérimentale reconnue par ses différentes étapes, mais il doit aussi – comme Merleau-Ponty le souligne fort bien dans une note à la page 13 de la Ph (P), portant le n°1 – “ ‘suivre dans son développement scientifique, l'explication causale pour en préciser le sens et la mettre à la vraie place dans l'ensemble de la vérité’ ” 934 . Dire avec Merleau-Ponty que la conscience est placée dans un corps au milieu du monde, est une manière de penser la complexité de la sensation perceptive qui échappe à l'expérimentation ordinaire. D'ailleurs la relation à laquelle Merleau-Ponty soumet le processus de la sensation perceptive est une relation complexe, indéterminée qui se déroule entre trois processus 935 qui obéissent au même destin : l'incommensurabilité insaisissable. Même dans le monde physique le langage ordinaire nous engage à un déchiffrement, car comme le disait déjà Gaston Bachelard rien n'est donné tout est construit. Les messages mondains ne peuvent donc avoir de sens dans le monde objectif que lorsqu'ils sont portés et posés de manière à ce qu'ils puissent reproduire en nous le texte original dont témoigne le monde. Dans le sillage de cette relation entre le monde objectif et la manière dont on déchiffre, dont on porte un sens au monde, ou plutôt sur le monde, la relation entre la perception et le stimulus est une relation de connexion nécessaire. Elle engage une correspondance constante entre la perception élémentaire et le stimulus.

Bien que le monde physique soit présent comme un La sensible et perceptible, cela ne garanti en rien la continuité de la sensation des objets. Il y a en effet un moment où le commencement d'une perception d'un objet physique cesse d'apparaître à l'oeil qui l'observe. Lorsqu'il devient objet d'une appréhension intentionnelle, l'objet physique perçu cesse dans son extériorité d'être un simple La. Du fait qu'il soit appréhendé dans sa complexité, et dans ses formes combinés, cet objet (par le biais de ses combinaisons centrales), peut donner lieu immédiatement à une sensation différente de ce que les stimulus objectif exigeraient. Dans une référence implicite à la question du mouvement déjà posée par Aristote, Merleau-Ponty, pense que le stimulus physique observé, peut cesser de l'être lorsqu'il subit des changements dans son rapport avec le contour et avec le processus qui constitue la loi formelle des mouvements sociaux qu'il subit. C'est ainsi que Merleau-Ponty souligne (tout en restant fidèle au principe aristotélicien : la relation de connexion nécessaire entre le mouvement d'un objet et son contour) : “ ‘quand la grandeur apparente d'un objet varie avec sa distance apparente, ou sa couleur apparente avec les souvenirs que nous en avons, on reconnaît les processus sensoriels ne sont pas inaccessibles à des influences centrales’ ”. C'est-à-dire que la perception apparente telle qu'elle se donne comme un fait factice, ne saurait une véritable perception que lorsqu'on y ressent nos propres souvenirs. Cependant les processus sensoriels ne sont pas un état mais un processus complexe puisqu'ils sont liés à des intentions intérieurs qui anime notre variable personnalité qui n'est pas physiologique, mais psychologique. Voilà la raison pour laquelle Merleau-Ponty ajoute aussitôt que : “ ‘Dans ce cas’ ‘ 936 ’ ‘ donc le "sensible" ne peut plus être défini comme l'effet immédiat d'un stimulus extérieur’ 937  ”. La perception qu'on voit posée dans le monde, est une véritable perception posée en celui-ci et ce en vertu – comme le disait Aristote dans les Topiques – de ce qui a été déjà posé. Dire que ce qui est posé dans le monde existe en vertu de ce qui a été posé, est une approche qui nous montre fort bien que le processus perceptif n'est pas simplement l'effet d'un stimulus immédiat, mais aussi l'effet d'une intention factice, qui est la cause, ou la saisie des phénomènes élémentaires. Cette intention qui est factice a attrait à une sorte de jugement de goût qui puise son fondement dans le plaisir intéressé que l'on accorde, à partir de l'intériorité de notre conscience, aux objets extérieurs. Ce travail portant sur l'extériorité des objets du monde, par l'intériorité des consciences est en soi un acte de la saisie perceptive. Cette saisie n'est pas physiologique, elle ne fait même pas partie intégrante d'une psychologie physiologique, mais elle a au contraire des caractéristiques biologiques et psychologiques. C'est à ce propos que Merleau-Ponty souligne : “ ‘Et si nous essayons de saisir la "sensation" dans la perspective des phénomènes corporels qui la préparent, nous trouvons non pas un individu psychique, fonction de certaines variables connues, mais une formation déjà liée à un ensemble et déjà douée d'un sens, qui ne se distingue qu'en degré des perceptions plus complexes et qui donc ne nous avance à rien dans notre délimitation du sensible pur. Il n'y a pas de définition physiologique de la sensation et plus généralement il n'y a pas de psychologie physiologique autonome parce que l'événement physiologique lui-même obéit à des lois biologiques et psychologiques’ 938  ”. On voit bien que pour définir le processus perceptif sensible, Merleau-Ponty établit un lien entre psychologie et biologie. Ce lien explique fort bien l'aspect vitaliste de la sensation perceptive qui se déploie dans le monde et qui se donne à l'acquisition de ses différents sens par l'homme, qui, lui, vie avec les faits mondains, les appréhende, les rematérialise, les sacralise et les désacralise. Le sens de la vie des objets dans le monde, surgit de l'affirmation de Merleau-Ponty où il souligne : “ ‘L'expérience sensible est un processus vital, aussi bien que la procréation, la respiration ou la croissance’ 939  ”.

L'aspect concret selon lequel les faits sont analysés et exposés, ce n'est pas celui de l'approche physiologique, mais c'est celui qu'incarne l'analyse psychologique. Car bien que les deux disciplines s'attachent à l'étude des déterminations du comportement, elles différent quant à leur degré. En effet, si la psychologie est concrète dans ses investigations analytiques, alors la physiologie est abstraites dans ses approches synthétiques. Cette différence est due aux tâches que l'une et l'autre s'astreignent à atteindre. En effet, si la tâche du physiologiste est de se donner le temps pour se débarrasser des préjugés réalistes, notamment celui de considérer les contenus des sciences comme une sorte d'emprunt du sens commun qui gène le développement scientifique, alors pour le psychologue, les organes d'essence bien qu'ils saisissent les objets sensibles d'une manière immédiate, ils doivent en plus quitter l'immédiateté qu'incarne la sensation perceptive dans son aspect instrumental et primaire. De la logique de la découverte scientifique, à la psychologie de la recherche savante, le savant doit privilégier la critique de la provenance des objets, que favorise beaucoup plus la seconde démarche par rapport à la première. C'est ainsi que Merleau-Ponty souligne : “ ‘Le savant lui aussi doit apprendre à critiquer l'idée d'un monde extérieur en soi, puisque même les faits lui suggèrent de quitter celle du corps comme transmetteur de messages. Le sensible est ce qu'on saisit avec les sens, mais nous savons maintenant que cet "avec" n'est pas simplement instrumental, que l'appareil sensoriel n'est pas un conducteur, que même à la périphérie l'impression physiologique se trouve engagée dans des relations considérées autrefois comme centrales’ 940  ”.

L'esprit critique est l'une des caractéristiques d'une psychologie phénoménologique dont on rêve le développement, le déploiement et l'extension. Elle sert à comprendre pour prendre en compte le déjà-là en vue de le faire appréhender à un sujet objectivant. L'expérience qui incarne des mots comme sentir, voir et entendre, est une expérience qui fait problème. La science dans son effort d'objectivation de cette expérience n'échappe en aucun cas à la représentation du monde et de l'organisme humain comme étant un système physique recouvrant des stimuli définis eux-mêmes par leur propriétés physico-chimiques. Ainsi et pour comprendre ces derniers, la science doit non seulement les prendre en compte mais aussi reconstruire sur leur base le sens de la perception effective pour enfin contribuer à l'achèvement du cycle de la connaissance en découvrant les lois selon lesquelles se produit la connaissance elle-même, en fondant une science objective de la subjectivité. La construction de l'esprit critique sur la base d'une ouverture inachevée à l'égard des choses objectives, ne garantie en rien cette construction effective des connaissances scientifiques objectivantes. Les conditions extérieures du champ sensoriel par exemple ne définissent pas l'autonomie d'un fait, d'une partie d'un tout, il faut que le sujet puisse apercevoir le tout, tout en arraisonnant ses parties l'une après l'autre, tout en réalisant des grandes et des petites perceptions à la fois. Le processus perceptif est un ensemble, un processus où les variables physiques sont soumises à une organisation d'un autre type d'intelligibilité. Dans l'organisme par exemple, la structure intelligible dépend de variables comme le sens biologique de la situation. Ces variables ne sont plus des variables physiques, de sorte que l'ensemble échappe aux instruments connus de l'analyse physico-mathématiques pour s'ouvrir à un autre type d'intelligibilité. Car dans le connu réside une part de l'inconnu, et que l'extension du pouvoir physique et celui du pouvoir cognitif, sont dans leur incommensurabilité le lieu où la causalité sensible échappe au discernement. Seul le travail critique de la raison dans son ouverture dirigée vers les phénomènes apparents en vue d'en comprendre les apparaîtres, peut nous mettre en sûreté dans notre bonne compréhension du domaine pré-objectif. Ce dernier nous devons l'explorer d'abord en nous-mêmes si nous voulons avoir une bonne compréhension du sentir. Ce n'est rien d'autre que le retour au vieil adage : Connais toi toi même, qui fût celui de Socrate.

Pour comprendre le sens que Maurice Merleau-Ponty attribue au sentir, il est donc évident d'expliquer tout un chapitre 941 consacré aux différentes formes du sentir.

Dans le premier paragraphe de ce chapitre consacré au sujet du sentir, Maurice Merleau-Ponty commence par une critique de la pensée objective que représente l'empirisme. Ce dernier – à ses yeux – ignore le sujet de la perception, à savoir le “ Je-sujet ” considéré par Merleau-Ponty comme une sorte d'Ego transcendantal. La critique est portée sur la conception que faisait l'empirisme de l'acte de la perception, qu'il le considère une chose parmi les choses, alors qu'il est en réalité non pas un état de la conscience mais la conscience d'un état. La sensation est la conscience d'un véritable sujet ayant une manière d'être et de viser en direction des choses. Elle est à vrai dire une véritable chose mentale. La perception – comme le pense l'empirisme – ne peut avoir attrait à une simple situation empirique événementielle. Elle est en réalité en rapport avec un événement d'un autre type à savoir la mémoire de la pensée travaillante qui intellectualise le monde tout en s'ouvrant sur lui. La perception n'est pas posée dans le monde que le sujet exploite et décrit, elle est au contraire reconstruite, recrée, et repensée à tout moment. De ce fait, on peut dire qu'elle n'est pas historiale, mais historique.

Penser le monde de la perception revient enfin de compte à y étendre nos capacités intellectuelles. Car l'intellect agent contribue (comme nous l'avons déjà mentionné dans le rapport entre Aristote et Averroès), à une taxonomisation des états de la perception dans le monde. C'est cette même idée que développe Merleau-Ponty dans le premier paragraphe du chapitre consacré au sentir lorsqu'il pense l'intellectualisme en terme d'action capable d'intellections : de prises de consciences qui s'établissent hors du monde. Cette conscience qui est définie en tant qu'acte d'intellection, se trouvant hors du monde, étant aussi capable de décrire, de classer les événements, Merleau-Ponty l'appelle alors : l'Ego transcendantal. Elle est décrite ainsi parce qu'elle arraisonne le monde tout en le liant à la pensée constitutive de réflexions qui, elle, puise son fondement dans une vie de conscience pré-personnelle.

Le rapport entre le sujet corporel et le monde physique est fondé sur la perception permanente. Ce rapport est vivant, dit Merleau-Ponty. L'exposition du sens de cette vie est l'objet du second paragraphe de ce chapitre intitulé : le sentir. Si l'on en croit Maurice Merleau-Ponty, le sujet est alors le lieu de l'acte perceptif. C'est lui qui décide de la sensation des couleurs, de la perception des choses et de leur description. Cela revient enfin de compte à considérer les sensations perceptives comme de "véritables choses mentales". Si le sujet qui aperçoit les choses est – comme le note Merleau-Ponty – le lieu privilégié de toutes sensations perceptives, alors on peut laisser penser que l'oeil à travers lequel il met en forme le réel est le fondement de cette même sensation perceptive qui, si l'on en croit l'auteur de la Ph (P), échappe à la description rigoureuse. C'est d'ailleurs ce que pense Merleau-Ponty lorsqu'il attribue au philosophe qui s'astreint à décrire la sensation perceptive, des qualités partielles, en disant : ‘“ (...) et le philosophe décrit les sensations et leur substrat comme on décrit la faune d'un pays lointain, sans s'apercevoir qu'il perçoit lui-même, qu'il est sujet percevant et que la perception telle qu'il la vit dément tous ce qu'il dit de la perception en général’ 942  ”. L'auteur emploie ici la métaphore du champ et du paysage pour expliquer (à la manière de Claude Bernard et de Descartes) le processus perceptif qui puise son fondement dans la technique du "se jeter à travers champs" pour en apercevoir les différentes strates. Si cette perception (comme dit l'auteur), est lointaine, alors l'acte de la perception est incommensurable de la même manière que le sont les champs du paysage qui se présentent sous forme de strates et de couches. On peut aussi comprendre cette métaphore autrement : si la relation qui lie le travailleur à ses champs est dans la plupart des cas fondée sur une ouverture contraignante nécessitant la maîtrise des qualités des strates, l'arraisonnement des couches terrestres, alors il en va de même pour celui qui aperçoit les données physiques. Il doit en effet s'ouvrir sur les choses de la perception tout en procédant d'une part à l'accommodation avec la nature qui lui livre des modèles de vie construits, et d'autre part à l'assimilation des êtres apparents qui recouvrent des liaisons logiques déjà reconnues dans les choses. Car et comme le disait déjà Gaston Bachelard, rien n'est donné tout est construit. Cependant on peut dire (tout en construisant l'analogie) que “ la faune d'un pays lointain est à la nature physique ce que l'oeil d'un sujet est à la nature humaine ”. La ressemblance des rapports est fondée sur le processus perceptif. Dans les deux cas la perception de la chose est une perception incommensurable qui reste pourtant calculable.

Se donner à la perception, signifie au fond un acte de sentir les choses du monde de l'apparence. Mais cette sensation n'est pas une simple donnée immédiate, elle est au contraire l'objet d'une reconstruction, d'une recréation perpétuelle du sens des choses. Ce sens se construit à travers l'arraisonnement des choses, dans le risque gratuit et dans le vivre dangereusement. La reconstruction permanente du monde de la perception est l'objet d'une action raisonnable qui s'ouvre d'une manière perpétuelle à la reconstruction du sens du monde. Car si ce dernier est marqué par une continuité inépuisable de sens, alors le questionnement à l'égard des choses qui le constituent doit aussi être continuel et permanent. Si le monde persiste et résiste à nos questionnements, c'est par ce qu'il a de quoi se tenir debout, il a de quoi résister à toute reconstruction et à toute rematérialisation. Nous devons donc chercher l'invariant fonctionnel qui contribue à la résistance du monde. On peut apercevoir cet invariant effectivement lorsque l'on arraisonne les stimuli qui le constitue. Cet arraisonnement doit être suivie d'une taxonomisation (classification) du sens des choses pour enfin comprendre l'existence et la continuité du monde des phénomènes de l'apparence effective. Cet effort de la classification et de la taxonomisation des choses est l'objet de l'intellectualisme.

Si les thèses de l'empirisme annoncent la possibilité d'une logique de la découverte qui s'astreint à penser avec les choses et dans les signes de celles-ci, alors il n'en va de même pour les thèses de l'intellectualisme. Si pour les premières la conscience est un état, alors il n'en va pas de même pour celles des seconds qui pensent la conscience en terme de processus complexe. C'est ainsi que Merleau-Ponty souligne : “ ‘L'état de la conscience devient la conscience d'un état’ 943  ”. On voit bien que pour cet auteur, la perception n'est pas un simple état, mais un processus à travers lequel le jugement du goût de la sensation est déterminé par la suite des qualités intellectuelles, que recouvrent le sujet pensant. Ces qualités sont exprimées par ce que Merleau-Ponty nomme : “ l'Ego transcendanta ”". Il est transcendantal, non seulement parce qu'il échappe à l'analyse et à l'explication, mais il est ainsi parce qu'il pénètre la causalité phénoménale de l'intérieur tout en la faisant apparaître. Dire avec Merleau-Ponty que “ l'intellectualisme représente bien un progrès dans la prise de conscience 944  ”, est en soi un appel (du moins implicite) à l'intellectualisation de toutes choses apparentes. L'acte de l'intellection est l'objet d'une perception qu'Averroès avait déjà décrit (tout en paraphrasant Aristote) en terme d'intellection des intentions des formes aussi bien matérielles qu'universelles 945 . Cette idée est reprise par Merleau-Ponty pour qui “ tout le système de l'expérience doit être subordonné à un penseur universel chargé de porter les relations entre les trois termes : monde, corps propre, et moi empirique 946  ”. L'intellection qui pénètre les choses du monde, pense les choses en terme de processus. Pour elle, le Moi empirique, le corps, ne sont pas des objets, ils sont animés d'une vie et d'une conscience pré-personnelle. Dans le domaine de l'art par exemple, bien que les choses et les objets apparaissent sous une forme factice, ils sont pourtant factices de la non-facticité. C'est d'ailleurs ce que note Adorno dans un chapitre intitulé : sujet-objet 947 . Si pour Adorno le plaire est extérieur à l'oeuvre d'art, alors celle-ci qui apparaît témoigne de ce que Hegel a déjà appelé : l'esprit du peuple. Cet esprit n'est pas une chose factice, il est une intention qui met en forme la vérité de la chose. Dire que les oeuvres ne sont pas des objets, revient enfin de compte à les humaniser, à les faire parler, car elles témoignent non seulement des idées les plus hautes d'un peuple ou d'une nation, mais aussi d'un sentiment réactionnaire de l'acte de la visée, et non pas de celui du contemplateur. Cet acte de la visée n'est pas interne, il est une émancipation externe de la liberté objectivante de l'appréhension de la compréhension. Appréhender l'objet pour le comprendre est un acte qui approche le fond des choses en vue d'en réaliser la relation de connexion nécessaire seule apte à comprendre le sens du monde. C'est ainsi qu'Adorno souligne : “ ‘L'exigence de subsomption à une unité distinctive rompt avec cette idée d'une compréhension interne qui, par le concept de finalité dans les deux parties de la Critique de la faculté de juger, doit corriger la méthode de la raison théorique, c'est-à-dire appliquée aux sciences de la nature; méthode classificatoire, renonçant expressément à la connaissance intime de l'objet’ 948  ”. Si pour Kant le beau est ce qui plaît universellement sans concept, alors la méthode de la reconnaissance et du beau et de l'universalité, reste ignorée puisque l'ouverture à des qualités subjectives est renvoyée à des processus intentionnels abstraits. Cela n'est pas le but de la Phénoménologie de la perception, qui conçoit l'acte de la visée dans sa relation avec des processus que conditionne le sujet dans son rapport à l'égard des objets de l'apparence. L'apparaître n'a de sens que dans sa relation de connexion nécessaire et réciproque avec les objets de l'apparence. Voilà la raison pour laquelle Merleau-Ponty achève le premier paragraphe du chapitre : Le sentir, par une phrase englobante, loin de tous commentaires en disant : ‘“ Le sujet de la perception restera ignoré tant que nous ne saurons pas éviter l'alternative du naturé et du naturant, de la sensation comme état de conscience et comme conscience d'un état, de l'existence en soi et de l'existence pour soi’ 949  ”. Cela veut dire que la perception est omniprésente qu'il n'est pas question de chercher à la restreindre à une situation particulière qui soit objective ou subjective, car elle est en réalité l'une et l'autre.

Pour mieux discerner le sens de la sensation perceptive, Merleau-Ponty fait appel (dans le second paragraphe de ce chapitre) à la psychologie inductive qui – à l'en croire – peut nous aider dans la détermination du sens adéquat de la sensation. Il fait en effet, une précision capitale tout en affirmant que la sensation “ ‘n'est ni un état ou une qualité, ni la conscience d'un état ou d'une qualité’ 950  ”. Si elle est ni l'un ni l'autre, alors qu'est-ce qu'elle pourrait être ? A cette question la réponse de Merleau-Ponty est proche de celle que donnait Adorno 951 de la perception de l'oeuvre d'art. Pour celui-ci l'oeuvre d'art est un comportement, car elle crée un processus complexe de conduites. Les couleurs par exemple n'ont rien de sensation en elles-mêmes. Elles sont des sensibles. Elles ne peuvent devenir des sensations véritables que lorsqu'elles ont un impact sur notre corps, sur notre comportement et notre conduite. Si nous sommes affectés par des couleurs c'est parce qu'en nous mêmes réside une physionomie motrice. Cette dernière donne sens à un stimulus qui se transporte dans notre conscience. C'est ainsi que Merleau-Ponty nous propose de ne pas nous interroger sur l'essence des couleurs mais sur leurs impacts sur notre variable personnalité qui en discerne les qualités et les états. C'est ainsi qu'il souligne : “ ‘Il ne faut donc pas se demander comment et pourquoi le rouge signifie l'effort ou la violence, le vert le repos et la paix, il faut réapprendre à vivre ces couleurs comme les vit notre corps, c'est-à-dire comme des concrétions de paix ou de violence’ 952  ”. Lorsque Merleau-Ponty emploie ici le mot : "concrétions", il veut par là-même expliquer l'aspect complexe de la conduite et du comportement du sujet à l'égard des sensibles qu'il sent et qu'il aperçoit. Cependant, la sensation n'est pas un état mais un processus qui puise son fondement dans la conduite qui conditionne l'acte de la visée. La signification de la vitalité que Merleau-Ponty cherche à donner à la sensation nous rappelle cette idée que les Stoïciens faisaient de la sensation perceptive lorsqu'ils ont attribué à la nature des qualités positives incarnant des modèles de vie 953 . La perception compréhensive se distingue (à leurs yeux) de la compréhension du fait que le sujet qui vie conformément à la nature se prépare aussi dans une large mesure à y imposer ses idées les plus hautes, à vivre avec elle tout en la questionnant, en la mettant en forme. On sait d'ailleurs que l'expression : "vivre conformément à la nature" a été prise de la part des Stoïciens dans une acception plus large. Le système philosophique stoïcien est donc largement présent dans l'oeuvre de Merleau-ponty. On peut d'ailleurs le comprendre à partir de cette affirmation qui consiste à dire que “ Les sensations, les qualités sensibles sont donc loin de se réduire à l'épreuve d'un certain état ou d'un certain quale indicibles, elles s'offrent avec une physionomie motrice, elles sont enveloppées d'une signification vitale 954  ”.

L'interaction entre les stimuli et les sujets pensant est fondée sur le degré d'implication qui accompagne la motricité de la conduite perceptive qui se meut à travers les processus du comportement indéfinis de notre variable personnalité. Ce rapport réciproque Merleau-Ponty le décrit à travers l'emploi d'une métaphore : "la communion" incarnant la divinité. En effet le corps qui subsiste et qui se donne à ma vue ainsi que le son – en tant que corps – qui raisonne au fond de mon oreille constituent en tant que sensibles non seulement une motricité vitale, mais aussi une manière d'être au monde qui se sacralise dans la rencontre commune avec mes désirs d'être, de sentir, et de percevoir les choses. C'est ainsi que Merleau-Ponty souligne : “ ‘Le sensible a non seulement une signification motrice et vitale, mais n'est pas autre choses qu'une certaine manière d'être au monde qui se propose à nous d'un point de vue de l'espace, que notre corps reprend et assume s'il en est capable, et la sensation est à la lettre une communion’ 955  ”. Dire qu'il existe une réciprocité entre le corps physique sensible et notre corps dominé par nos désirs et nos manières d'être, revient enfin de compte à admettre avec Merleau-Ponty l'idée d'une authenticité de la sensation qui, en tant que toujours-déjà a des effets dans le déjà-là. C'est ainsi que Merleau-Ponty note : “ ‘On sait depuis longtemps qu'il y a un "accompagnement moteur" des sensations, que les stimuli déclenchent des "mouvements naissants" qui s'associent à la sensation ou à la qualité et forment un halo autour d'elle, que le "côté perceptif" et le "côté moteur "du comportement communiquent’ 956  ”. Dire que cela fut depuis longtemps, est en soi une incitation du lecteur de La Phénoménologie de la perception à la recherche du sens de la sensation perceptive, un sens que nous avons déjà rencontré chez plusieurs auteurs comme par exemple chez Platon (dans la perception des idées de l'âme), chez Aristote (dans la perception des modèles de vie naturels), chez les Stoïciens (dans leur distinction entre perception compréhensive et compréhension), chez Averroès dans son ouverture à l'égard des choses de la nature et dans le sens qu'il donna à la raison perceptive et intellective), chez Husserl (dans le sens de l'acte perceptif de la vissée d'un espace possible) et chez Heidegger (dans la perception de l'historialité de l'oeuvre chosique) et que sais je encore ! Cela témoigne donc de la richesse de la Phénoménologie de la perception et de l'oeuvre laborieuse de Maurice Merleau-Ponty, dans sa totalité.

Dans le troisième paragraphe de ce chapitre, Merleau-Ponty passe à l'exposé du "sens" objectif de la valeur de la sensation perceptive. Il récuse l'intellectualisme qui refuse la possibilité de l'arraisonnement objectif de la sensation et de la perception, qu'il considère comme étant des entités chosiques susceptibles d'être mises en forme. Dans ce refus et à ses yeux, l'intellectualisme ignore la pensée objectivée qui met en forme le réel dans sa relation d'interdépendance à l'égard de celui-ci. Les couleurs, les choses objectives n'ont en effet de sens que lorsque ma pensée les reconstitue, les repense tout en les identifiant. L'objet en soi n'a de sens que pour le sujet humain qui le sacralise, le rematérialise, le conserve ou le met en mouvement. C'est ce que Merleau-Ponty pense en terme d'ouverture de la pensée à l'égard des objets qui subissent des expériences possibles. Voilà la raison pour laquelle Merleau-Ponty souligne : “ ‘L'objet ne se détermine que comme un être identifiable à travers une série ouverte d'expériences possibles et n'existe que pour un sujet qui opère cette identification’ 957  ”. Il y a là une critique implicite dirigée à l'encontre de Heidegger pour qui la pensée est, d'une part obscure par elle-même, et d'autre part ne possède pas l'objet, puisque celui-ci (dans sa rematérialisation et dans son ouverture au travail et aux actions des hommes), crée un monde de possibilités qui échappe au discernement spéculatif. Il y a ici donc un problème philosophique qui nous incite à la réflexion sur la place de la pensée et de l'objet entre l'ouverture et l'achèvement de l'expérimentation. Evidemment, les objets (lorsqu'ils sont repensés, sauvegardés par la pensée qui les conserve, qui les sacralise), ils deviennent des déterminants spécifiques, des repères des idées les plus hautes d'un peuple. Ils peuvent créer malgré tout une jouissance artistique qui débouchera tôt ou tard sur une sorte de “ fanatisme intellectuel ” que certains considèrent comme une humanisation des oeuvres objectivées, que d'autre au contraire considèrent comme une sorte de déshumanisation des oeuvres. On peut emprunter à ce propos des exemples tout à fait frappant dans le monde d'aujourd'hui. Certains au proche Orient veulent par exemple l'islamisation des oeuvres, alors que d'autres la judaïsation de celles-ci. En revanche, d'autres en Europe veulent la Christianisation des oeuvres et des États en tant qu'oeuvres d'arts etc. La jouissance artistique est un sentiment qui peut tuer l'art de la rencontre et du rendez-vous lorsque la pensée s'ouvre aux objets en les empêchant de s'autonomiser et de témoigner d'eux-mêmes. La perception de l'objet par les idées de la pensée risque donc d'enfermer et pour toujours, les objets d'art dans une sorte d'asphyxiante culture qui (sous l'idée de la communion) organise la sacralisation des objets. Mais elle peut aussi les libérer lorsqu'elle les met en forme, lorsqu'elle les soumet au partage, à la discussion et à l'argumentation rationnelle.

Le partage du savoir est une spécificité de l'acte de l'imagination créatrice, qui est proprement humaine. Cependant, si Heidegger a pensé que la pensée est obscure par elle-même, et que l'ouverture de l'acte spéculatif aux choses est la seule condition pour garantir le partage du savoir historial dans l'être, alors la critique de Merleau-Ponty est dirigée à l'encontre de ce procédé. C'est ainsi qu'il note : “ ‘L'être n'est que pour quelqu'un qui soit capable de prendre recul à son égard et soit donc lui-même absolument hors de l'être’ 958  ”. Pour Heidegger nous avons déjà vue que "l'Etre Commun" (gemeineswesen), dans sa relation de connexion nécessaire avec les états et les manières de viser, propres au Je-sujet pensant, est l'une des conditions qui expliquent le principe de la finitude. Dire avec Heidegger que les êtres humains sont finis, revient enfin de compte à admettre avec lui l'idée de la délimitation des actions humaines par le DA. Autrement dit : si les êtres humains sont finis, c'est parce que d'une part ils peuvent tout échanger entre eux sauf la manière d'exister (qui est une manière factice), et d'autre part parce que dans leurs actions, ils sont soumis au principe de l'action réciproque. Il existe en effet – si l'on en croit Heidegger – une sorte de commerce entre les êtres humains du fait qu'ils agissent les uns envers les autres dans une sorte de limitation régie par cette même action réciproque délimitée par le DA (par l'être des choses). D'ailleurs, Heidegger donne un exemple frappant dans sa conférence portant sur l'origine de l'oeuvre d'art, là où il pense que, s'il y a (ici-là ou ici là-bas) des chaussures, ce n'est pas parce qu'il y a des cordonniers, mais c'est parce que c'est possible quelque chose que l'on appelle d'habitude : l'habillement du pied. Heidegger s'aligne ici sur le principe aristotélicien : la cause efficiente, qui (pour Aristote), reste le déterminant des actions dans l'Etre des choses. Ces propos de Heidegger sont donc réfutés d'une manière implicite de la part de la Phénoménologie de la perception de Maurice Merleau-Ponty. Pour ce dernier, l'Etre se distingue du devoir-être. Autrement dit, l'Etre – Commun (Gemeines-Wesen) est cet invariant fonctionnel que l'on défini d'habitude par l'acte de bien penser qui arraisonne les choses tout en étant extérieur à elles. Cet acte est propre à tous les êtres humains. Il est aussi susceptible d'être partagé dans la discussion et à travers l'éthique de la communication rationnelle. On voit bien que Merleau-Ponty fait un retour au Kantisme pour transposer le sens de la perception qui puise son fondement dans la rencontre et le rendez-vous. Pour Kant ce qui est Etre commun à tous les hommes est, la capacité de penser et de bien penser l'Etre des choses. Cette pensée s'opère à travers un idéal rationnel de l'Être commun, que Kant a formulé sous l'idée de la disposition morale fondamentale (Gesinnung) comme étant un toujours-déjà, ayant des effets dans le déjà-là. Mais Kant ne s'est pas arrêté là. Il a été plus loin pour dire qu'il n'y a pas d'action d'autrui. L'autre en effet ne me fait aucun effet dans mes rapports avec lui : c'est bien à la Loi que dois faire attention à l’autre. Sur ce principe, Merleau-Ponty dépasse Kant pour affirmer que l'ordre du juridique n'est pas quelque chose à craindre. Le juridique est au contraire une partie de l'Etre des choses, une partie intégrante dans le monde, qu'il faut chercher à reconstruire à travers un esprit d'équipe qui investit l'impression sensible en vue de la mettre en forme à travers l'acte du bien penser. A ce propos Merleau-Ponty souligne : “‘ C'est ainsi que l'esprit devient le sujet de la perception et que la notion de "sens" devient impensable. Si voir ou entendre c'est se détacher de l'impression pour l'investir en pensée et cesser d'être pour connaître, il serait absurde de dire que je vois de mes yeux ou que j'entends avec mes oreilles, car mes yeux, mes oreilles sont encore des êtres du monde bien incapables à ce titre de ménager en avant de lui la zone de subjectivité d'où il sera vu ou entendu’ 959  ”. Qu'est-ce que cela veut dire ? Il y a là en fait une précision capitale du sens de la perception. Se donner le temps pour faire intervenir la notion de l'esprit pour expliquer le sens de la sensation perceptive est une occasion privilégiée pour marquer l'aspect sacré de l'acte de la pensée humaine. Cependant, le fait de penser avec l'autre devient proche du sacré, car la notion éthico-politique qui est ici en jeu est celle du respect. Toutes les religions aussi bien civiles que divines, n'ont pas manqué (tout au long de l'histoire de l'humanité) le rendez-vous avec le respect, Dieu des valeurs morales. Même Nietzsche qui rejetait la moralité n'y a pas échappé, car c'est par moralité qu'on rejette des formes de moralités, par le respect d'autres valeurs que l'on rejette d'autres formes valorisantes. Dire avec Nietzsche 960 que Dieu est mort revient enfin de compte à admettre qu'il n'y a aucune finitude à l'égard de l'autre lorsqu'il s'agit du respect. Car le respect est en soi un acte perceptif de l'acte de la visée qui s'opère intérieurement à travers une observation spirituelle, qui se distingue – comme Merleau-Ponty le fait ici remarquer – de l'observation fortuite, organisée ou même systématique.

La spiritualité est l'une des caractéristiques de la pensée qui observe, qui arraisonne les choses, et qui met la perception dans le perçu. Elle existe dans sa relation de connexion nécessaire avec l'acte de l'intention et l'acte de percevoir. C'est d'ailleurs ce que note Merleau-Ponty en disant: ‘“ Si je considère les actes de la conscience de l'intérieur, je trouve une unique connaissance sans lieu, une âme sans parties, et il n'y a aucune différence entre penser et percevoir comme entre voir et entendre’ 961  ”. Cependant, comprendre le monde revient à prendre en compte les liaisons logiques les mieux réparties, fondées sur la structure du réel, reconnues dans certaines choses du monde. Cette reconnaissance de la vérité, puise son mouvement et son fondement dans le travail de la pensée réflexive, qui fonde la structure du réel, qui s'ouvre sur la vue naïve du monde tout en la dépassant à travers la perception compréhensive d'une vue réfléchie. C'est ainsi que Merleau-Ponty note : “ ‘La réflexion doit éclairer l'irréfléchi auquel elle succède et en montrer la possibilité pour pouvoir se comprendre elle-même comme commencement’. 962  ” L'irréfléchi est ce monde sensible qui se donne à nous comme un fait de la raison. Il est fait de la raison parce que la pensée en formule le sens en le contemplant, en le mettant en forme, bref en l'arraisonnant. Lorsque la pensée parle avec ses signes, elle interprète les faits factices, elle sent les choses du monde les mieux réparties et les mieux partagées. “ La parole est d'abord aux faits ”, disait Hegel. Mais qu'est-ce qu'un fait ? Dans l'optique le Merleau-Ponty, le fait est inhérent à la sensation que Merleau-Ponty définit comme “ coexistence ou comme communion ”, entre l'en-soi et le pour-soi, entre le Je pensant et le monde des choses factices. Sentir un fait, c'est donc porter (à travers l'acte de la visée) une intention sur son aspect manifeste. L'acte de la visée n'est pas une intuition sensible, il est un acte qui vise quelque chose d'autre, qui est au-delà de l'intention visée par la visée effective. Cet au-delà de l'être de la visée auquel Merleau-Ponty se réfère, nous rappelle l'idée Kantienne du devoir être, situé au-delà de l'Etre. De la même manière que Kant disait que cet au-delà (bien qu'il soit une limite insaisissable, nous appelle à affranchir toute limite assignée), Merleau-Ponty revient sur cette idée de la liberté (qu'il ne formule pas clairement) pour affirmer que cet même au-delà Kantien, – qu'il repense en terme d'intention – “  ‘n'est reconnu qu'aveuglement par la familiarité de mon corps avec lui, il n'est pas constitué en pleine clarté, il est reconstitué ou repris par un savoir qui reste latent et qui lui laisse son opacité et son eccéité’ 963  ”. Cela est en réalité une transposition didactique du sens de la liberté, au sujet de laquelle Kant disait que bien qu'elle soit insaisissable, incompréhensible, elle reste pourtant nécessaire. Cette nécessité n'est acquise que par la mise en forme dans le monde des phénomènes, de nos idéaux libertaires. C'est ce que Merleau-Ponty vient de dire en marquant une pause sur l’aspect intentionnel de la relation de connexion nécessaire qui réside entre nos corps et nos intentions factices de la non-facticité. Pour définir l'intentionnalité de la sensation, Merleau-Ponty joue sur le sens des mots. C'est ainsi qu'il emploie l'expression : “ abduction, ou adduction ”, pour designer “ le rythme du monde ”. Cette opposition au niveau syntaxique n'est pas vécue au niveau paradigmatique. Cela explique en fait que l'opposition au niveau des catégories intentionnelles et sonores de la parole effective, ne garantie en rien l'opposition au niveau des faits et des actions mondaines. Dans le monde en effet, il existe une abduction et une adduction des corps factices. On peut se demander : cette formulation stylistique est-elle une paronomase ou une antanaclase ? Si l'on s'en tient au sens des mots, on peut dire alors qu'elle est une paronomase puisque cette figure joue sur la répétition d'une ou de plusieurs syllabes dans des mots différents. Si l'abduction est un mouvement qui écarte, alors l'adduction est un mouvement qui rapproche. Si la paronomase – comme l'avait définit Olivier Reboul 964 – souligne une opposition bien qu'un rapprochement, alors cela est aussi vécu dans le monde car l'élasticité, la pesanteur, la lourdeur, sont des mouvements incarnant l'abduction ou l'adduction. Mais ces mouvements sont-ils inhérents uniquement au monde des choses-factices ? Si l'élasticité, et la pesanteur sont des faits auxquels on peut appliquer ces caractéristiques, alors il n'en va de même pour la lourdeur qui est le résultat de l'effort que le sujet emploie pour comprendre son histoire, son patrimoine voire sa liberté. L'homme nous dit-on (Kant) est le seul être raisonnable à pouvoir obéir à une Loi, à pouvoir se retourner contre sa propre Loi. L'élasticité et la pesanteur sont des caractéristiques propre à un autre type d'acte de penser en direction des choses abstraites.

De la paronomase, on peut donc glisser à l'antanaclase. Si la première implique une homonymie, alors la seconde implique une polysémie. Car si un même concept désigne et explique, alors bien que la désignation soit la même, l'explication est pourtant différente. Si dans le domaine physique, il est question de l'adduction et de l'abduction, alors dans le domaine de la pensée et des relations humaines, il est question des actes d'ouverture et d’achèvement de la pensée à l'égard des choses, à l'égard d'autres pensées. C'est ainsi que Merleau-Ponty note : ‘“ (...), je me rapporte à un être extérieur, que ce soit pour m'ouvrir ou pour me fermer à lui’ 965  ”. La qualité qui se distingue de la quantité, est l'oeuvre de la pensée qui juge les faits à travers un oeil qui ne pose pas (sous forme d'objets) les qualités dans le monde des choses, mais qui sympathise avec elles tout en les faisant siennes, tout en trouvant en elles sa loi momentanée. Retrouver cette loi momentanée, est une paraphrase (de la part de Merleau-Ponty) du procédé hégélien qui consiste à dire que l'objet d'art témoigne des motifs de l'oeuvre : des idées les plus hautes d'un peuple. Pour préciser le sens de la loi momentanée qui instaure des moments d'expériences possibles, Merleau-Ponty revient sur le rapport qui réside entre le sentant et le sensible. Ce rapport n'est pas celui de la connexion réciproque, il est au contraire celui de la connexion nécessaire. Vieille idée aristotélicienne et stoïcienne qui sera reprise par David Hume qui a conçu la vérité en terme de liaisons logiques reconnues dans les choses ! L'accouplement du regard de l'oeil avec la couleur, de la main avec le dur et le mou, est une approche à travers laquelle Merleau-Ponty nous incite à nous mettre au travail pour comprendre le monde. Pour que le sensible ne soit pas une vague sollicitation, l'exploration du regard et de la main, doit être mise au service de l'extension du pouvoir cognitif du monde. Connaître le monde repose sur une action expérimentale qui éprouve des sentiments, qui prouve des relations déjà acquises dans le monde. Parcourir le sensible tout en se jetant à travers champs, rend l'acte du sentir plus proche de la réalité chosique. De même que la chose est omniprésente, de même la sensation est une composante de la conscience constituante qui pense la vérité de l'univers. Si la conscience possède une perception constituante arraisonnant les choses de l'univers, alors on peut dire qu'elle s'en distingue du moment qu'elle aperçoit, appréhende et comprend les choses selon des modalités différentes. Elle en formule des notions et des concepts. Elle se donne à la rematérialisation et à la transformation des constituantes chosiques. Voilà la raison pour laquelle Merleau-Ponty note à la fin de ce troisième paragraphe en guise de son achèvement : “ Mais le spectacle perçu n'est pas de l'être pur. Pris exactement tel que je le vois, il est un moment de mon histoire individuelle, et, puisque la sensation est une reconstitution, elle suppose en moi les sédiments d'une constitution préalable, je suis, comme sujet sentant, tout plein de pouvoirs naturels dont je m'étonne le premier. Je ne suis donc pas, selon le mot de Hegel “ un trou dans l'être ”, mais un creux, un pli qui s'est fait et qui peut se faire 966  ”.

De cette fin de ce paragraphe, on peut donc conclure notre explication pour affirmer avec Maurice Merleau-Ponty que l'homme ne peut en aucun cas penser d'une manière anhistorique. Toute ouverture éventuelle à l'être des choses, comporte une trace de notre manière de viser en sa direction. Questionner en direction des choses et en direction des répondants comporte une intention didactique susceptible de chercher à créer un auditoire, dont la perfection serait de se dépasser lui-même, de connaître les choses de l'être apparent en vue d'aller au tréfond du caché. Car l'acte de connaître et de savoir est à la fois connu et inconnu. Chose qui fait que plus on sait plus on désire savoir. Sentir et percevoir les choses, sont des actes qui nécessitent une reconstruction permanente, une ouverture inachevée, une interrogation permanente sur l'en soi et le pour soi. Car il y a bien des moments où l'on doit marquer une ironie, un recule à l'égard des choses et ce en vue d'une disposition morale fondamentale qui nous anime et qui nous force à obéir ou à ne pas obéir à des Lois et à des propos. L'homme est le seul être raisonnable à pouvoir se retourner contre toute autre Lois, y compris la sienne propre à laquelle il obéit. On s'étonne d'ailleurs des progrès, des acquis des hommes, et de leurs conquêtes réalisés par leurs variables personnalités, dans des moments de guerres et de paix. D'ailleurs l'emploi de la part de Maurice Merleau-Ponty de la figure stylistique : la paronomase 967 (un trou ou un creux dans l'être, un pli qui a tendance à se faire ou à se défaire), est un exemple pour marquer l'opposition entre l'agir humain et l'agir animal. Le pouvoir naturel de la nature humaine repose sur le fait d'être capable de produire des inédits, des imprévus qui multiplient d'autres imprévus dans le monde sensible. Par conséquent, dire que l'homme est un creux et non pas un trou dans l'être, revient enfin de compte à affirmer l'impossibilité de discerner sa liberté imaginative, qui met en forme des inédits, des imprévus qui – comme disait Marx – ne cessent de se multiplier.

Le quatrième paragraphe de ce chapitre débute par l'expression : “ insistons sur ce point 968  ”. Cela nous renvoie à penser que l'auteur se veut scolaire dans son travail puisque du point de vue didactique il s'astreint à rappeler à ses lecteurs (devenus des auditoires présumés), l'unité systématique de ses recherches. En effet, Merleau-Ponty est un humaniste, car pour lui l'homme possède une valeur sacramentelle. C'est d'ailleurs ce qu'il vient de préciser dans le précédant chapitre lorsqu'il a parlé des qualités propres au sujet en disant : “ ‘Si les qualités rayonnent autour d'elles un certain mode d'existence, si elles ont un pouvoir d'envoûtement et ce que nous appelons tout à l'heure une valeur sacramentelle, c'est parce que le sujet sentant ne les pose pas comme des objets, mais sympathise avec elles, les faits siennes et trouve en elles sa loi momentanée’ 969  ”. C'est cette valeur sacramentelle que Merleau-Ponty va rappeler pour la mettre en valeur dans ce § 4 après avoir expliqué et précisé son sens dans le § 3. Si l'homme est pour Merleau-Ponty, un creux et non pas un trou dans l'être, c'est parce que sa liberté perceptive qui émerge de sa sensation compréhensive est trop générale. Elle est “ anonyme ”, disait-il. Parler d'anonymat dans l'art de la perception nous rappelle l'idée de Wölfflin, qui a assigné à l'artiste-sujet-créateur d'oeuvres, l'ouverture inachevée à d'autres domaines de créativités. Par-delà sa complexité, toute perception puise donc son sens dans une atmosphère de généralités complexes, insaisissables, mais qui restent pourtant calculables. Le principe de la calculabilité repose sur l'arraisonnement par notre volonté (qui se manifeste dans le mouvement inachevé de nos manières d'être et de voir), des choses de l'être. Dans le mouvement, la perception est comme un coup de vent qui transporte les choses légères d'un lieu à un autre ; notre regard se dirige aussi vers les choses de l'être les plus marquantes. La manière de percevoir ces choses est aux yeux de Merleau-Ponty insaisissable, complexe, puisqu'elle se présente sous forme de tournures cycliques, de creux dans l'être anonyme et général. C'est en direction de cette liberté de sensation perceptive qui nous anime, que nous devons questionner pour mieux comprendre le sens de notre liberté pratique. L'expérience que nous faisons de celle-ci doit se traduire par la mise à l'épreuve du mouvement de notre volonté, de notre vouloir faire, être et dire. C'est ainsi que Maurice Merleau-Ponty souligne : “ ‘Je devrais dire qu'on perçois en moi, et non pas que j'aperçois (...), il n'y aurait pas de contact déterminé sans un mouvement de la main’ 970  ”. Il y a ici de la part de Maurice Merleau-Ponty une transposition didactique du sens aristotélicien du mouvement. Pour Aristote en effet, le mouvement qui est en relation avec un certain nombre qui est nombré : remarqué et mis en forme, est celui que remplit la fonction phatique du discours qui s'ouvre à la nature des choses. Le questionneur qui, dans sa relation à l'égard des répondants, cherche à comprendre ce qui anime ceux-ci, doit donc (du point de vue pédagogique), s'adresser à l'âme comme étant une composante objective, factice qui anime tous les sujets de l'être. Mais Aristote ne fut pas seulement un pédagogue, il était un philosophe qui cherchait à mettre en forme les catégories de la langue dans laquelle il pensait déjà. Parmi ces catégories, il y a avait la fonction poétique qui avait comme but la mise en forme de la fonction phatique du discours articulé incarnant la nature des choses. D'ailleurs, nous avons déjà affirmé qu'Aristote dans toute son oeuvre, illustre plus qu'il ne prouve. Le mouvement tel qu'il est présenté ici par Merleau-Ponty, se présente sous forme d'une relation de connexion nécessaire qui réside entre l'acte de la visée et l'action elle-même. Par exemple, une action déterminée (comme le pense Merleau-Ponty), ne peut avoir lieu que par la suite du mouvement de la main. Vieille idée aristotélicienne, que Heidegger reprendra plus tard en parlant de l'effacement de la pensée devant ce qu'elle aperçoit, pour mettre place au travail de la main, marquant l'extension du pouvoir physique.

La construction du sens des choses, repose sur la reconnaissance d'une sensibilité qui précède toute sensation. Ce n'est rien d'autre qu'une ouverture sur le toujous-déjà ayant des effets dans le déjà-là. Ce n'est rien d'autre qu'une reconnaissance d'une disposition morale fondamentale qui est spontanéité du jugement de mon goût qui appréhende les choses de l'être. C'est ce que pense Merleau-Ponty en disant : “ Entre ma sensation et moi, il y a toujours l'épaisseur d'un acquis originaire qui empêche mon expérience d'être claire pour elle-même 971  ”. A la lumière de tout cela, on peut dire donc que la sensation fait partie intégrante du domaine de ce qui est éprouve, puisque l'expression : “ l'épreuve ” est bien soulignée de la part de l'auteur de Ph (P). S'agissant du passage de la généralité – comme première remarque –, à l'anonymat – comme seconde remarque – portant sur les caractéristiques de la sensation perceptive, Merleau-Ponty pense que “ ‘tous sujet éprouve une sensation comme modalité d'une existence générale déjà vouée à un monde physique et qui fuse à travers son Moi, sans qu'il en soi l'auteur’ 972  ”. Cependant, le monde de l'épreuve, est ce qui est susceptible d'être prouvé, mis en forme. Cela est l'une des possibilités de notre liberté perceptive dont la sensation (comme le pense Merleau-Ponty) fait partie intégrante d'un certain champ. Elle doit se réaliser dans le monde des phénomènes, car si elle reste uniquement dans le monde des noumènes et des intentions, elle n'aura aucun sens pratique. La vision de ce champ dit : visuel, est toujours (si l'on en croît Merleau-Ponty) pré-personnelle. C'est-à-dire, que l'acte de ma vision est limité par l'entourage systématique des choses de l'être formant un horizon de choses connues et inconnues. Apprendre à penser et à connaître les choses, présuppose donc au préalable, la reconnaissance de l'ouverture inachevée à l'égard des choses de l'apparence auxquelles se substitue mon apparaître. C'est ainsi que Merleau-Ponty note à la fin de ce paragraphe : “ ‘(...), Je suis capable par connaturalité de trouver un sens à certains aspects de l'être sans le leur avoir moi-même donné par une opération constituante’ 973  ”. A partir de là, et sur ce point précis, on peut laisser penser que Heidegger n'est pas totalement réfuté. Car l'attitude historiale sur laquelle Heidegger a largement insisté en laissant entendre que la pensée doit s'effacer devant les objets qu'elle aperçoit pour échapper à la jouissance esthétique devant les objets d'arts qui créent un monde, est ici rappelée à l'ordre par Merleau-Ponty. Mais lorsque ce dernier emploie l'expression : “ certains aspect de l'être ”, il n'englobe pas tous l'Etre sous l'idée de l'effacement de la pensée devant toutes les choses de l'Etre. Il rappelle simplement le principe de la taxonomisation des choses de l'être pour mettre en évidence les liaisons logiques reconnues en celles que l'on doit apprécier fortuitement puisqu'elles sont données d'une manière immédiates. L'effort de la pensée ne peut être fournie que lorsqu'on s'ouvre sur les manières dont la pensée use du sensible pour se manifester. Cela est l'objet de l'intellectualisme qui parle de l'acte concret de la connaissance pour analyser le sens des choses. L'analyse de ce sens repose sur le processus de la taxonomisation de deux niveaux de ses formes. Le premier incarne une matière contingente, le second une forme nécessaire. Le sens de cette distinction est rapporté par Merleau-Ponty dans le cinquième paragraphe qui va suivre, dont on doit maintenant fournir l'explication.

Pour l'intellectualisme, il existe bel et bien une distinction entre les sens et le sens : entre l'expérience de l'espace et l'expérience de la conscience, entre la matière et la forme bref, entre les qualités spéciales de la conscience et les qualités spatiales des faits expérimentaux. Du fait qu'il ne pense pas la polysémisation du sens, l'intellectualisme en réduisant tous les sens de l'être à l'unité de la conscience, manque l'expérience spatiale qui crée un monde de possibilités. Si l'espace dans sa forme objective est réduit au changement et au mouvement, alors les sens et les qualités sensibles dans leur mouvement ne peuvent contribuer ni à l'expérience de l'espace ni à la possession de la forme de l'objectivité spatiale parce que pour l'intellectualiste si les choses spatiales sont en perpétuel changement, alors d'une part ils ne peuvent pas nous faire accéder à une véritable sensation formelle, et d'autre part ils ne vont pas permettre aux qualités sensorielles de se mettre en perspective et d'être coordonnée par l'espace. Autrement dit pour que nos qualités puisent se mettre en perspective, il faut admettre leur adaptation à des situations spatiales concrètes dont elles témoignent. Cependant, l'espace n'est rien d'autre qu'un ensemble de choses posées comme vraies par la conscience. Par conséquent, on peut désormais laisser penser que tous les sens ne valent rien s'ils ne sont pas spatiaux. Dans ce chapitre, tout à fait laborieux, Merleau-Ponty compare deux réflexions qui cherchent le véritable sens du sens. La première est la réflexion intellectualiste, la seconde est la pratique expérimentale du monde. Ces deux réflexions sont nourries par un effort philosophique qui témoigne de la transposition didactique des différents systèmes philosophiques, à savoir par exemple celui de Kant de Husserl et de Heidegger. En guise d'étude de cette transposition, tenons en donc à expliquer le sens que ces deux réflexions donnent de la spatialité du sens.

La réflexion intellectualiste doit être soumise à l'ouverture inachevée des concepts. Lorsqu'elle thématise l'objet et la conscience en les ramenant au concept, la réflexion intellectualise fonde le lieu commun cognitif de l'objet et de la conscience. Ce lieu commun est celui du Je-sujet pensant auquel sont à la fois soumis l'objet et la conscience. Dans cette perspective Merleau-Ponty rappelle la réflexion Kantienne du rapport entre sujet et objet, tout en transposant le contenu central de cette réflexion quant à ce rapport. C'est ainsi que Merleau-Ponty souligne : “ ‘Et à l'aide de cette idée de la conscience et de cette idée de l'objet, on montre aisément que toute qualité sensible n'est pleinement objet que dans le contexte des relations d'univers, et que la sensation ne peut être qu'à condition d'exister pour un Je central et unique’ 974  .Qu'est-ce que cela veut dire dans la perspective Kantienne qui se trouve ici transposée ? Où est-ce que Kant a t-il parlé du rapport entre sujet et objet ? Comment a t-il résolu ce rapport ?

D'abord lorsque Merleau-Ponty annonce que : ‘L'objet devient alors ce qui est, et par conséquent ce qui est pour tous et pour toujours (ne serait-ce qu'à titre d'épisode éphémère mais dont il ne sera vrai pour toujours qu'il a existé dans le temps objectif)’  ”, il veut par là rappeler la solution Kantienne de la place de tout objet véritable dans l'espace concret. Cette solution se trouve dans La Critique de la faculté de juger, là où Kant pense que le plaisir qu'on assigne à l'objet est, d'une part un plaisir désintéressé 975 et d'autre part un plaisir universel puisque l'oeuvre d'art véritable est celle qui plaît universellement sans concept 976 . Mais ce rapport du Je sujet-pensant, à l'égard de l'objet, n'est pas un rapport de l'effacement. Merleau-Ponty le précise bien en parlant d'un "Je central et unique 977 " tout en rappelant la solution Kantienne de la Critique de la Raison Pratique . En effet, Kant rappelle en ce qui concerne le rapport entre l'idée et l'objet que “ ‘Lorsqu'on a une idée, on dit beaucoup eu égard à l'objet comme objet de l'entendement pur, mais on dit peu eu égard au sujet, c’est-à-dire relativement à sa réalité objective sous une condition empirique’ 978  ”. Cette formulation répond à la "contradiction" antinomique qui caractérise la philosophie Kantienne, une antinomie analogue à celle qui a animée la philosophie de l'Avèrroès Latin. Ce dernier – comme nous l'avons déjà fait remarquer dans le rapport entre les Topiques et le Discours décisif – a fondé une philosophie de la “ réconciliation ” : réconciliation du savoir philosophique et du savoir divin, réconciliation de la philosophie grecque dans sa période antique et de la philosophie arabo-islamaque dans sa période d'ouverture. Cette réconciliation fût fondée sur une rupture dans la continuité. Cela apparaît comme une contradiction, mais par rapport à l'esprit de l'époque elle n'en était pas une. Car pendant cette période historique, la philosophie et dans toutes les cultures, était au service de la religion. Et à nous maintenir à l'Islam, la religion musulmane incite l'homme à employer “ La HIKMA ” : la sagesse et la philosophie, pour accéder à la connaissance de l'existence d'un “ Logos parfait ” transcendantal à savoir Dieu. Mais cette démarche elle fût dans une temporalité circulaire où toute philosophie fut une théologie et toute théologie une philosophie.

Si pour certains cette ouverture et cette réconciliation sont une dépersonnalisation et décontextualisation du savoir philosophique authentique, alors pour d'autres cette ouverture est une tradition de l'histoire de la pensée humaine. Elle incarne une intention positive inconditionnelle attachée au savoir d'autrui, adaptée à une culture naissante. Sans entrer dans ce débat complexe qui nécessite une autre recherche, l'important à retenir de ce courant philosophique rationnel dans son essence c'est qu'il fut parti non pas de la structure théologique mais de la structure empirique (le déjà-là de la raison pratique). Dans cette perspective, la liberté au sens d'Averroès se rapproche du sens que lui attribuera Kant plus tard. L'un comme l'autre mettent l'homme au centre de l'univers en le responsabilisant pour lui attribuer la capacité d'accéder à la connaissance dans ces deux aspects : Transcendantal et Transcendant.

Notre objectif n'est pas le rapprochement ni même la comparaison de ces deux philosophies, car cela est très difficile et nécessite un grand effort de traduction des textes arabes authentiques. Cette brève comparaison nous la citons à titre de rappel seulement et ce pour répondre à notre problématique du rapport entre le sujet et l'objet de la conscience rationnelle.

Nous voilà maintenant à travers ce rapprochement devant la validation de la proposition hégélienne qui consiste à penser que “ ‘tout ce que nous produisons dans l'instant du maintenant provient de ce que nous tenons du cercle de nos amis et de nos propres connaissances’  ”. L'acte de penser – si l'on en croit Hegel – s'inscrit donc dans une logique de l'inspiration, de la combinaison de pensées diverses. Le sujet devient donc animé par le principe de l'anonymat que rappelle ici Merleau-Ponty en s'inspirant peut être de Wölfflin. Mais si l'on annonce ce propos actuellement à un occidental qui ne maîtrise pas la pensée absolue de l'humanité ou encore l'unité du genre humain, il n'admettra jamais cela. Il avancera toujours l'argument de l'authenticité qui lui permettra de maintenir l'existence de l'unique, de la singularité et de la différence de la pensée, en vue de défendre le lieu de l'unité qui consiste à rappeler la proposition cartésienne : ‘“ Il n'y a tant de perfection que dans les oeuvres sur lesquels UN a travaillé ’”. C'est d'ailleurs ce que R. Barthes n'a pas cessé de rappeler en soulignant que : ‘“  Bien que toute création soit nécessairement une combinatoire la société en vertu du vieux mythe romantique de l'inspiration ne supporte pas qu'on le lui dise!’ ”.

Ce qu'il faut retenir de cette digression, est la contradiction comme phénomène propre à toute pensée. Dans l'optique Kantienne, on dira que l'homme est le seul être raisonnable à pouvoir se retourner ou obéir à sa propre Loi. Je peux affirmer après avoir fourni un grand effort de décisions contradictoires et sélectives, que ma liberté est le choix du meilleur.

Revenons en maintenant à la formule énigmatique Kantienne que rappelle ici Merleau-Ponty d'une manière implicite. Comment donc peut-on dire : “ on dit beaucoup eu égard à l'objet ?”, alors que Kant avait déjà annoncé que, c'est bien le concept auquel aucun objet ne correspond, qui caractérise l'idée de la raison. On voit donc que d'un côté Kant procède à la manière d'Averroès, pour permettre à la raison de pénétrer les choses de l'intérieur en vue de les arraisonner, mais de l'autre côté il procède à la manière d'Al Farabi pour dire que l'extension du pouvoir cognitif qui est opéré dans cette raison par simple nature est inépuisable, incommensurable, insaisissable mais qui reste pourtant nécessaire.

On peut comprendre du propos Kantien concernant cette contradiction apparente à travers sa formulation portant sur le rapport sujet et objet, que lorsqu'on présuppose une idée transcendantale, on n'est pas plus avancé dans la compréhension de ce que c'est que la chose objective. Par exemple si l'on parlait de Dieu on ne saurait pas faire de distinction entre l'objet de Dieu, de son sujet et de son idée, sachant bien – comme Kant le formule lui-même – qu'on peut dire beaucoup eu égard à l'objet. Comment donc peut-on expliquer cette contradiction apparente? A quoi donnera-t-on de l'intérêt et de l'importance : aux objets ou aux idées ? Ou encore au sujet ?

Pour répondre à ces questions nous devons préciser la terminologie philosophique Kantienne qui est dans son essence métaphorique et polysémique. Précisons donc ce qu'il entend par objet, sujet et idée.

Les expressions : sujet et objet, ne doivent pas être prises au sens littéral du terme. Dans la philosophie de la connaissance de Kant le sujet ne désigne pas un sujet connaissant, ni l'objet en tant qu'il est connu. D'ailleurs lorsque Kant dit : “ On dit beaucoup quand à l'objet ”, cela ne signifie pas un dire de l'idée, mais en réalité un faire de l'idée : une expérience idéelle pratique. Il est bien vrai que lorsqu'on dit : “  ‘Tiens j'ai une idée à vous soumettre’  ”, cela signifie en général une action, car l'idée m'oriente vers une activité, vers un projet vers une proposition. Il en va de même avec Kant, pour qui le projet de l'idée vise quelque chose, et ce qu'il vise c'est sa propre fin, son but et son objet. En revanche en ce qui concerne le sujet, Kant pense qu'on en dit trop peu. Cependant, on doit comprendre le sens du sujet comme quelque chose qui donne un contenu, une matière qui incorpore l'idée. Ainsi je peux dire que je ne sais pas les conditions desquelles dépend la réalisation de mon objet, par contre l'usage objectif de l'idée consisterait non pas à définir un objet mais à le déterminer et à le désigner. Voilà le véritable rôle des idées. Elles pénètrent la causalité sensible de l'intérieur. Si l'usage était un usage cognitif, alors il ne répondrait pas à la vocation de l'idée qui a un usage que Kant nomme : régulateur. Elle thématise l'objet et la conscience : elle les conduit au concept, comme le pense Merleau-Ponty dans sa reprise de Kant. L'idée a donc un rôle à jouer dans son rapport avec l'expérience, et cela justifie le caractère positif de son aspect transcendantal. Bien que l'idée soit incommensurable à l'expérience, elle est ce qui permet de penser l'unité d'une totalité de conditions. Pour reprendre une métaphore Kantienne, l'idée est comme le point focal auquel on peut rapporter toute l'expérience. L'idée rassemble sous une unité, une totalité de conditions.

Dans l'appendice à l'analytique transcendantale Kant fait une comparaison avec un miroir. Pour lui, si le foyer de l'image dans le miroir se trouve de l'autre côté du miroir, alors il n'empêche que même si nous n'avons pas accès à ce foyer, il a quand même une utilité : il nous fait voir ce qu'il y a derrière nous-mêmes. Cette comparaison nous transporte dans un ordre intelligible de choses. Elle signifie qu'une idée si elle ne détermine rien positivement, elle nous fait (par le concept de l'entendement), voir ce qui est déterminé derrière nous. Le rôle des idées transcendantales est de déterminer l'usage de l'entendement d'après des principes dont le tout est formé par l'expérience. Cela permet de justifier en définitif le terme de transcendantal qui est appliqué à l'idée elle-même. Le transcendantal prend un sens voisin du transcendant, c'est-à-dire pratique. Or cette transcendance de l'idée ne fonde pas un autre monde. Elle fournit une tâche de celui-ci. Cela ne signifie pas la même chose que ce que Heidegger dit du monde lorsqu'il le définit comme tâche inhérente au passé de l'homme, à son il y a histiorial, dont la tâche est celle de l'historialité qu'ouvre le DA. La conférence portant sur l'origine de l'oeuvre d'art en est un exemple probant. Pour Kant c'est bien l'idée qui fournit une tâche au monde et non le contraire. Qu'en est-il alors du contenu de cette tâche ?

Kant avance que les concepts de la raison ne sont donnés comme tâche que lorsqu'on assigne aux idées de la raison une fonction transcendantale, et non pas transcendante au sens heideggerien du terme, un sens qui émerge de "l'extension du pouvoir physique". Les idées sont chargées de déterminer ce qui est au-delà de tous pouvoir physique au-delà de toute expérience. “ ‘L'idée affranchit toute limite assignée’ ”, disait Kant. Si l'on aspire à un regard sur les limites, c'est parce que celles-ci nous interpellent. Dans cette perspective, nous devons donc faire la différence entre transcendantal des idées et transcendantal des concepts. Cela signifie que le monde ne s'explique pas à partir de ce qu'il est, mais à partir de ce qu'il doit être. C'est là l'une des oppositions entre la philosophie Kantienne et la philosophie nietzschéenne et heideggerienne.

Pour éviter donc les antinomies afin de favoriser une explication de l'expérience, à partir de ce qui n'est pas dans l'expérience, cette explication n'est pas assurément proposée dans les textes de la Critique de la Raison Pure, mais elle est tenue en réserve en vue d'une extension d'analyse possible du théorique dans La Critique de la Raison Pratique. C'est la raison pour laquelle on peut d'emblée soutenir la non opposition entre le pur et le pratique, et ce en affirmant avec Kant que la raison pure est pratique par elle-même. Or si l'on s'en tient à ce concept de cette idée transcendantale, cela ne nous apprend rien en définitif sur la réalité effective de ce concept, ni même sur sa possibilité. Car la possibilité pour Kant, signifie une possibilité réelle, possibilité de la réalité. C'est ainsi que Kant souligne dans la troisième antinomie : “ ‘Le concept de la liberté n'est pas incompatible avec une règle de la causalité naturelle qui sont les règles que doit adopter l'entendement dans la connaissance de la nature, mais on ne sait pas plus ce qu'il faut, quel contenu faut-il mettre sous l'idée de liberté, c'est une simple pensée de liberté, sa réalité effective ne doit approuver’ ”.

La liberté au sens transcendantale signifie donc une introduction d'une restriction par rapport au concept de la liberté. Kant affirme que celle-ci ne peut se traiter que comme idée transcendantale et non pas comme idée cosmologique. Si la liberté cosmologique signifie un pouvoir réel, alors on peut simplement penser l'idée de la liberté comme non contradictoire avec les règles de la nature. C'est la raison pour laquelle la liberté transcendantale s'apparente avec le sens négatif qui signifie, que la liberté est ce qu'elle n'est pas : n'est pas déterminée par des intuitions sensibles. Le sens transcendantal est donc le sens minimal que l'on peut penser de la liberté. Mais quel est le contenu de ce transcendantal ? Comment peut-on passer d'un concept négatif de la liberté à un concept positif de celle-ci ? Ces questions nous incitent à trouver un contenu à la liberté. Or pour qu'elle ait un contenu, il faut qu'elle ait un minimum de données. Ainsi il y a deux manières à travers lesquelles les données se présentent à nous :

  1. la manière théorique.
  2. la manière pratique.

Ces deux manières sont présentes dans le schéma Kantien dans lequel la critique est conçue sous deux aspects :

  1. L'aspect de la métaphysique de la nature.
  2. L'aspect de la métaphysique des moeurs.

A travers ces deux dualités, qui sont reprises par Merleau-Ponty dans ce paragraphe du Sentir, la question qui se pose est la suivante :

Comment le passage du point de vue critique au point de vue transcendantal s'opère t-il ? Pour répondre on dira que c'est le pouvoir et l'intérêt de l'esprit qui opère ce passage. Dans La Critique de la Raison Pure la philosophie transcendantale est utile à la manière dont l'entendement use des principes dans sa connaissance de la nature. Mais cela n'entraîne pas des principes qui trouvent un lieu pour s'y appliquer. C'est un autre niveau de l'expérience, un niveau dont témoigne La critique de la Raison Pure qui pense qu'il existe bien une expérience fondée sur des concepts purs de l'entendement. Dans cette condition, l'expérience empirique pourrait très bien ne pas exister. Car jamais un raisonnement fondé sur le donné et la spontanéité a existé chez des sujets pensant. Au contraire on raisonne en deçà de toute donation, on raisonne même dans la synthèse. Ce niveau de donnée est celui du mouvement. Pour l'élucider nous devons passer de La Critique de la Raison Pure à la Métaphysique de la nature. Ce mouvement se réalise à travers l'usage des principes de l'entendement pur. On peut envisager sous l'idée de l'idée deux déterminations positives de la liberté.

  1. La liberté cosmologique.
  2. La liberté pratique.

Le mouvement réflexif est une composante du travail de la raison. C'est d'ailleurs pour cette même raison que Merleau-Ponty – tout en se référant à Kant – pense qu'il est légitime voire nécessaire de marquer un arrêt dans le mouvement réflexif pour parler par exemple d'une conscience partielle ou d'un objet isolé 979 . Cela veut dire que la volonté dans son vouloir peut freiner ses désirs comme elle peut accomplir ses projets en toute liberté pratique. C'est pour cette raison que La Critique de la Raison pure nous interdit de revenir à la liberté cosmologique en un seul sens possible. Car cette dernière nous montre que le seul usage possible de cette liberté cosmologique est transcendantal. Par conséquent, il ne reste plus qu'un seul sens qui s'oppose à la liberté transcendantale, à savoir celui de la liberté pratique. Ainsi la liberté pratique c'est la liberté transcendantale à laquelle on vient de donner un contenu dans la mesure où on a attribué au sujet la liberté. On lui a donné en quelque sorte une matière. Dans cette destinée c'est donc l'homme qui donne un contenu à la liberté.

C'est pour cette raison que Kant dans la Critique de la Raison Pure oppose systématiquement liberté transcendantale et liberté pratique. Cette opposition se justifie par la différence existante ente les deux idées à savoir : l'idée pratique et l'idée transcendantale.

L'idée transcendantale ne peut pas être donnée concrètement. On ne peut pas trouver un sujet qui incorpore l'idée transcendantale. En revanche l'idée de La Critique de la Raison pratique est une donnée concrète qui existe en opposition aux idées transcendantales qui sont des idées de la raison pratique. Elles déterminent des actions sensibles. Le transcendantal permet cependant de penser la présence de la liberté pratique dans l'expérience. Il est opposé au pratique et non pas au cosmologique. Par conséquent, le véritable rapport du pratique au transcendantal est un rapport de dépendance. C'est la liberté pratique qui dépend de la liberté transcendantale et non l'inverse, puisqu'elle est aussi la source du cosmologique. L'idée transcendantale constitue un véritable noeud dans la liberté pratique. Sa difficulté émane du sens ambiguë du : "pratique". Dans La Critique de la Raison Pure, il ne s'agit pas de la liberté pratique, mais de la liberté transcendantale.

Avant de passer aux problèmes que posent les sens de la liberté, rappelons que Kant parle d'un quatrième sens : celui de la liberté comme étant un libre jeux des facultés. Qu'en est il de ce sens? Il y a libre jeu parce que les facultés sont incommensurables. Ce libre jeu détermine l'accord entre les facultés. Il fait face à la belle apparence.

Cette unité des facultés est la preuve de la question de l'architectonique. C'est pour cette raison que toute la troisième critique est orientée vers ce problème des facultés. Il y a donc une homologie entre cette liberté à l'égard de la détermination de l'entendement dans le beau. Cette même liberté dans son rapport à la moralité, nous libère de la nécessité naturelle. Il en va de même aussi pour le beau que Kant pensait sous le symbole de la moralité. Le beau pour lui, repose sur une mise à distance du sujet à l'égard de la causalité naturelle. Cette mise à distance est possible à condition à ce qu'un suprasensible soit désigné. Cette orientation vers le suprasensible fait l'unité des facultés. Elle est l'horizon des trois facultés supérieures de connaître à savoir :

  1. L'entendement.
  2. La raison .
  3. La faculté de juger.

Ainsi la liberté comme notion philosophique s'exprime discursivement à travers l'architectonique Kantienne sous ses deux aspects : théorique et pratique. Mais on ne doit pas oublier qu'elle n'a pas le même sens ni le même objectif à travers la quasi-totalité des écrits Kantien. Par exemple dans Les Fondements de la Métaphysique des Moeurs il y a du pratique, mais il n'est pas pensé de la même manière que celui de La Critique de la Raison Pratique, car dans cette dernière, il ne s'agit pas de fonder une morale cela étant déjà acquis dans Les Fondements de la Métaphysique des Moeurs. Le pratique, est un concept que l'on doit comprendre sous forme de l'au-delà de l'être. Ce qu'il faut retenir c'est que dans La Critique de la Raison Pratique, la liberté est pensée à la fois sous son aspect transcendantal et sous son aspect pratique, voire sous un aspect cosmologique. Car la liberté cosmologique est un postulat de la raison pratique.

L'indéterminé dans la philosophie Kantienne et qui est essentiel, c'est l'union du théorique et du pratique dans La Critique de la Raison Pure pratique. Mais qu'est-ce que le problème théorique signifie t-il ? Le sens de celui-ci est posé par le conflit de la thèse et de l'antithèse de la troisième antinomie. Le propos de celle-ci repose sur le postulat suivant :

Faut-il admettre pour expliquer la totalité à des conditions d'expériences, une causalité libre ? Le problème posé par la liberté concerne l'explication de la nature. Il repose sur la possibilité de savoir si on peut faire intervenir la liberté comme principe d'explication de la nature. Il y a ici un problème dans la mesure où le fait d'admettre une causalité libre signifie l'admission d'une causalité qui n'aurait pas elle-même d'antécédent dans l'ordre de la nature. C’est-à-dire : admettre une cause qui ne saurait pas elle-même l'effet d'une autre cause. Aux yeux de Kant nous devons admettre le caractère apodictique de la liberté : la "nécessité de celle-ci". Nous retrouvons ici notre idée du philosophe arabo-musulman : Al Farabi Abou Hamid pour qui, liberté et nécessité ne font qu'un. La causalité libre pour Kant comme pour Al Farabi n'a pas de cause antécédente. A partir d'elle et d'elle seulement le monde est perçu sous la forme de l'émanation. Ce rapprochement entre les deux philosophes de cultures différentes, se justifie par une tâche, à savoir la nécessité de la liberté, ou plus précisément, la nécessité d'une causalité libre commune aux deux hommes. Ce qu'il faut simplement souligner, c'est que pour Al Farabi la nécessité est conçue sous forme d'une générosité divine : Dieu est généreux parce qu'il est parfait, d'où l'émanation de quelque chose à savoir un esprit premier, fondateur d'une chaîne successive d'êtres dans le monde. Cette émanation est donc une nécessité d'implacable liberté, une donation nécessaire qui puise son fondement dans le surgissement opéré – comme le dira Kant plus tard – par simple nature. Mais Kant ne s'est pas arrêté là, il a donné à la nécessité une dimension d'ordre anthropologique, puisque pour que l'homme puise être libre, il doit avoir des idées pratiques qu'il doit formuler en concepts et en actions dans le monde sensible.

Evidemment on ne peut pas comprendre le sens des propos de Maurice Merleau-Ponty si l'on ne rappelle – ne se risque que brièvement – l'articulation du sens de l'objet et de l'idée dans la systématicité Kantienne évoquée par l'auteur de la Ph(P) d'une manière fortuite.

L'adoption par Maurice Merleau-Ponty de la solution Kantienne du rapport entre le sujet et l'objet est frappante dans ce paragraphe. L'objet qui subsiste et qui a existé pour un temps peut témoigner de ce que nos ancêtres (les êtres humains) nous ont laissé, sous forme d'un document écrit ou oral. Cependant, ce qui a existé dans le temps est objectif puisque d'une part, il peut être perçu par des générations futures selon des modalités différentes, et d'autre part, il peut faire l'objet d'un modèle de référence puisqu'il peut parfois – sinon dans la plupart des cas – témoigner de l'histoire des idées d'un peuple. La critique de la provenance du document doit être à la fois internaliste et externaliste pour enfin comprendre le contexte des relations que l'objet entretien – comme le pense Merleau-Ponty – avec les univers et avec le Je sujet centrale et unique. La conscience est conscience de sa chose surtout lorsqu'elle s'ouvre sur d'autres choses qu'elle cherche à comprendre et à maîtriser. Car plus elle se perd plus elle se retrouve.

L'intellectualisme ne peut donc maîtriser le sens des choses que lorsqu'il prend l'initiative de se soumettre au travail de la raison réflexive qui pense les choses de l'être en vue, soit d'en extraire des modèles de vie cognitive, soit d'en examiner les différentes liaisons logiques qu'elle recouvre. Voilà la raison pour laquelle nous avons pensé avec Kant à la non opposition entre le transcendantal et le transcendant. Car la pensée qui transcende les choses, qui les pénètre avec force, n'est pas donnée a priori, mais a posteriori : lorsqu'elle se met au travail dans son ouverture à l'égard des choses qu'elle questionne. C'est pour cette même raison que Merleau-Ponty n'a pas hésité à rappeler tout en paraphrasant Kant que “ ‘si l'on demande à l'intellectualisme d'où il tire cette idée ou cette essence de la conscience et de l'objet’ 980  ”, alors on s'aperçoit que “ le sujet pour qu'il soit un véritable pour soi, le "je pense" doit pouvoir accompagner toutes nos représentations 981  ”. Il ajoute aussitôt que “ ‘si un monde doit pouvoir être pensé, il faut que la qualité le contienne en germe’ 982  ”. Qu'est-ce que cela signifie t-il dans la perspective de la transposition didactique de la philosophie de la connaissance de Kant ? Si l'on définit la transposition didactique comme étant le passage du savoir savant au savoir à être enseigné ou enseigné, alors on s'aperçoit à travers toute la Ph(P), et particulièrement à travers ce paragraphe du chapitre : le Sentir, que Merleau-Ponty cherche à donner un sens à certaines catégories Kantiennes qu'il transpose, qu'il met en mouvement d'une manière à la fois discursive et simpliste. Par exemple, en ce qui concerne la synthèse de l'expérience et de l'idée conceptuelle, Merleau-Ponty est en parfait accord avec Kant qui met l'homme au centre de cette synthèse. Car comme Kant le pensait déjà dans toute sa Critique, on peut raisonner même dans la synthèse. Bien que cette dernière soit achevée, l'esprit critique et analytique sont toujours ouvert à des domaines de possibilités. L'ouverture du sujet au monde est l'une de ces possibilités. Cette ouverture nous dispense de la recherche du lieu de la provenance du sujet et de l'objet. Puisque en agissant, le monde des objets et les sujets cultivent les conditions de l'expérience qui, elles, échappent à toute analyse réflexive rigoureuse. Par conséquent, si l'on en croît Maurice Merleau-Ponty, l'idée du sujet et de l'objet doivent être soumise à une réflexion radicale, “ qui me saisit pendant que je suis entrain de former et de formuler l'idée du sujet et celle de l'objet, elle met au jour la source de ces deux idées, elle est réflexion non seulement opérante, mais encore consciente d'elle même dans son opération 983  ”. Opérer et ressaisir, former et reformuler, sont des actions non seulement réflexives, mais aussi expérimentales par excellence. A partir de là, Merleau-Ponty passe à la seconde réflexion sur l'expérience après avoir montré que l'intellectualisme lui aussi (pour qu'il soit approprié à l'analyse) doit se donner le temps pour mettre en forme les qualités des idées intelligibles qui, elles, sont des projets pro-jetés à travers un oeil qui les détermine. L'analyse réflexive ne remplit pas seulement la fonction de saisie, mais aussi celle de l'opération et de la mise en forme. C'est ainsi que Merleau-Ponty note : “ ‘L'analyse réflexive ne saisit pas seulement le sujet et l'objet en idée, qu'elle est une expérience, qu'en réfléchissant je me replace dans ce sujet infini que j'étais déjà et je replace l'objet dans les relations qui déjà le sous-tendent, et qu'enfin il n'y a pas lieu de demander où je prends cette idée et cette idée de l'objet puisqu'elle sont la simple formulation des conditions sans lesquelles il n'y aurait rien pour personne’ 984  ”. Parler de la formulation des conditions est en soi un retour à la conception aristotélicienne qui pensait la construction du savoir en terme d'acquisition et non pas en terme de réminiscence. C'est d'ailleurs – et comme le souligne Merleau-Ponty – ce que Kant a “ démontré en profondeur 985  ”. En effet comme nous venons de le démontrer avec Kant, l'expérience est toujours donnée, puisqu'elle fait l'objet d'impression. Notre liberté d'agir et de concevoir ne peut être une véritable liberté que lorsqu'elle est mise en forme : articulée en paroles factices et en actions incarnant la fonction phatique du discours. On ne peut avoir l'expérience d'un monde que lorsqu'on met ce dernier en forme. C'est-à-dire lorsqu'on l'arraisonne et on le soumet non seulement à un système de relations qui déterminent entièrement chaque événement, mais aussi à une totalité ouverte dont la synthèse reste inachevée : soumise à l'analyse et à la pensée réflexive. Dans son opposition entre fait de la raison et fait de la conscience, Merleau-Ponty adopte la solution Kantienne qui est celle de la synthèse entre la causalité intelligible et la causalité sensible. Si pour Kant le schématisme et les idées dynamiques a priori, opèrent (à travers le jugement synthétique a priori) la synthèse entre le sensible et l'intelligible, alors il n'en va pas de même pour Merleau-Ponty qui affirme que Kant n'a pas été plus loin pour distinguer les différents espaces expérimentaux. C'est ainsi que Merleau-Potnty notre : “ ‘Nous n'avons donc pas à suivre Kant dans sa déduction d'un espace unique (...), Si l'a priori garde dans sa philosophie le caractère de ce qui doit être, par opposition à ce qui existe en fait et comme détermination anthropologique, c'est seulement dans la mesure où il n'a pas suivi jusqu'au bout son programme qui était de définir nos pouvoirs de connaissances par notre condition de fait et qui devait l'obliger à replacer tout être convenable sur le fond de ce monde-ci’ 986  ”. Que signifie donc cette critique à l'égard du Kantisme ? un dépassement ou une orientation de celui-ci ?

On peut dire qu'il y a dépassement si l'on considère le rapport réel de la conscience aux choses. Si pour Kant l'intention suffit pour affirmer la réalité d'une proposition, alors il n'en va pas de même pour Merleau-Ponty qui se réfère à Husserl et à Hume qui ont mené une réflexion radicale pour nous ramener aux phénomènes dont nous pouvons toujours avoir une expérience. Car ce qui est possible se distingue de ce qui est réel. Les principes du plaisirs ne sont pas toujours ceux de la réalité. En plus, le Je, sujet central (dont Kant a affirmé l'unité), est dans un large rapport avec d'autres entités chosiques, spatiales qui déterminent sa généalogie à partir de l'expérience effective qu'il se donne pour mettre en forme ses idéaux dans le monde sensible. Cela veut dire qu'il n'y a aucune raison de limiter le sujet à une unité de comportement puisqu'il est voué à changer son comportement dans le monde, dans son rapport avec les choses et est le processus qui les accompagne. Par conséquent, l'a priori et l'a posteriori sont dans une relation de connexion nécessaire puisque c'est l'expérience qui en détermine la facticité. Sur ce point précis, on peut dire qu'il n'y a pas eu de dépassement de la philosophie Kantienne puisque Merleau-Ponty, affirme tout (en orientant sa réflexion vers l'expérience, de la même manière que le faisait Kant dans ses Réflexions sur L'Éducation), que “ ‘l'a priori n'est pas connaissable avant l'expérience c'est-à-dire hors de notre horizon de facticité’ 987  ”.

Comme on peut le constater à travers ce cinquième paragraphe du chapitre : le sentir, le dépassement et l'orientation de la philosophie Kantienne par Merleau-Ponty, sont fondés sur une double référence philosophique. L'auteur de la Ph(P) se réfère en effet à la philosophie empirique de Hume et à la philosophie phénoménologique de Husserl. Qu'est-ce que cela peut-il signifier ?

Du point de vue de la transposition didactique du philosopher, on constate d'emblée que la méthodologie de la transposition didactique s'inspire des méthodologies déjà acquises dans les champs philosophiques correspondant. Cependant, la référence à Hume et à Husserl, est une illustration de l'aspect expérimental par excellence de nos manières d'être et de voir. Ces manières sont des faits factices qui relèvent de l'être. Elles doivent être considérées comme un devoir être. Le devoir être n'est pas donc celui de la recherche du sens d'un au-delà de l'être qui se dissimule derrière des volontés, des intentions, derrière des caractères formant une "Loi de la liberté", mais il est au contraire la pratique de la mise en forme de notre sensation qui est toujours spatiale. Car toute qualité en tant qu'objet, ne peut être pensée que dans l'espace. Tel était d'ailleurs le sens que Husserl attribuât à l'espace en tant que mise en forme de l'acte de la visée. C'était aussi le sens que Hume 988 a donné à la liberté en tant que relation de connexion nécessaire entre le dire et le faire, entre une sensation spatiale indiquée par le sensible, et le sujet sentant la réalité donnée dans le déjà-là. C'est ainsi que Merleau-Ponty souligne tout en paraphrasant Hume et Husserl : “‘ Toute sensation est spatiale, nous nous sommes rangés à cette thèse non pas parce que la qualité comme objet ne peut être pensée que dans l'espace, mais parce que, comme contact primordial avec l'être, comme reprise par le sujet sentant d'une forme d'existence indiquée par le sensible, comme coexistence, c'est-à-dire d'un espace’ 989  ”. Cependant on passe du fait de la raison, (dont Kant disait qu'il est une mise en forme du caractère Loi de la liberté qui affranchie toutes limites assignées), au fait de l'expérience sensorielle comme reprise d'une forme d'existence, susceptible d'être expliquée et arraisonnée. C'est sur ce point précis que Merleau-Ponty achève ce paragraphe tout en se démarquant de Kant. Car si pour ce dernier la sensation est une qualité de l'acte de la visée, alors pour Merleau-Ponty elle est une forme expérimentale qui émerge de notre contact permanent avec l'être et non pas avec des idées abstraites susceptibles de nous enfermer dans l'ordre de l'éthique, de la morale, qui nous différencient, qui nous éloignent de l'être et du monde. Nous devons donc nous effacer (en tant que sujets historiques) devant l'extension du pouvoir physique de ce monde puisque c'est bien lui qui est devenu aujourd'hui une tâche. Nos manières d'être ne doivent pas constituer un moment abstrait que l'on doit rappeler à tous moment pour le cultiver d'une manière permanente. Car si ces manières sont pensées ainsi, elles peuvent déboucher sur la jouissance artistiques, dont Adorno vient de dire qu'elle est un sentiment qui tue l'art. Et puisque l'ouverture aux choses est aussi une forme artistique, alors l'expérience ne peut être l'ouverture à un moment abstrait, mais à une de nos surfaces de contact avec l'Etre. C'est ainsi que Merleau-Ponty conclut ce paragraphe 5 en disant : “‘ La sensation telle que nous la livre l'expérience n'est plus une matière indifférente et un moment abstrait, mais une de nos surfaces de contact avec l'être, une structure de conscience, et au lieu d'un espace unique, condition universelle de toutes les qualités, nous avons avec chacune d'elles une manière particulière d'être à l'espace et en quelque sorte de faire de l'espace. Il est ni contradictoire ni impossible que chaque sens constitue un petit nombre à l'intérieur du grand et c'est même à raison de sa particularité qu'il est nécessaire au tout et qu'il s'ouvre sur lui’ 990  ”. Si pour Merleau-Ponty toute intuition est de l'ordre du sensible, alors cette affirmation explicite le distingue de Kant pour qui l'intuition doit faire partie intégrante de l'ordre de l'intelligible qui échappe à toute sensibilité factice et apparente. Car l'ordre de l'apparaître, qui est l'ordre du caractère de la liberté échappe à toute expérience factice. La seule façon d'en faire l'expérience est de le manifester, de le pratiquer selon des modalités désirées par la Loi civile et par la Loi morale, que Kant qualifie de Lois de la liberté. Cela n'est pas le propos de Merleau-Ponty qui pense (comme nous venons de le voir dans l'explication de l'avant propos de la Phénoménologie de la perception), que l'ouverture à l'être des choses peut avoir son fondement dans une manière particulière d'être à l'espace qui n'est rien d'autre que le risque gratuit et le vivre dangereusement, manières qui peuvent aussi créer un monde et faire l'espace.

Parmi les autres spécificités de cette manière, il y a la facticité. Quelques exemples seront donc donnés par Merleau-Ponty dans le paragraphe 6 pour montrer que c'est toujours l'unité du corps qui est le sujet de la perception. En effet, l'auteur s'appuie dans un premier temps sur une expérience personnelle : celle de la musique qu'il écoutait lors d'un concert. Par conséquent, cela veut dire que toutes les hypothèses que l'on peut parfois formuler à l'égard d'un problème donné sont à la fois prouvées et prouvées, puisque dans les faits nos expériences heureuses ou malheureuses y sont toujours impliquées. Cependant, le fait d'écouter la musique tout en fermant les yeux est en soi une perception d'un espace invisible qui se montre aussi grandiose et étendue que ne l'est même pas l'espace concret : la salle du concert chargée d'individus. Cela nous rappelle en effet ce que Aristote pensait déjà de la noble nature de la musique, lorsqu'il a laissé entendre une liaison entre l'écoute et l'agir moral. C'est là tous l'enjeu de ce paragraphe si concis. Nous allons donc expliquer en quoi la musique pourrait-elle être un espace incommensurable dépassant tout autre espace factice possible ?

Si aux yeux de Merleau-Ponty, l'utilité de la musique en tant qu'espace sensorielle, est de faire répandre d'autres espaces possibles, alors on peut laisser penser que cet auteur est encore aristotélicien puisque pour Aristote la noblesse propre à la nature de la musique consiste en ce qu'“ elle tend à former le caractère et s'étend jusqu'à l'âme 991  ”. Cette thèse n'a rien d'original, Aristote l'a emprunté à Platon, qui lui-même l'a emprunté aux pythagoriciens. Le contenu de la thèse platonicienne portant sur la noble nature de la musique montre que “ ‘les rythmes et l'harmonie sont particulièrement propres à pénétrer dans l'âme (...) Quand la voix atteint jusqu'à l'âme voilà me semble t-il la formation à la vertu que nous avons appelé musique’ 992  ”. Cette musique qui pénètre l'âme en produisant d'autres sensations qui nous dispensent de la considération majeure d'un espace factice possible, est ce que Merleau-Ponty appelle : “ la perception non spatiale ”. Y a t-il donc de la part de Merleau-Ponty une contradiction dans ce retour à la considération des choses non spatiales, puisqu'il vient dans le précédant chapitre d'affirmer la facticité d'un monde de perception qui est toujours spatial ? Il n'y a guère de contradiction dans cette nouvelle affirmation, car pour Merleau-Ponty, il y a bien des moments où l'expérience tactile ne prépare pas à la perception de l'espace. Il nous arrive en effet parfois de traiter et de parler de chose que l'on a ni vécu ni observé. L'exemple de la musique est donc bien choisi pour montrer l'autre aspect de l'expérience sensationnelle qui puise son fondement dans une autre perception non spatiale. Cette perception est celle que conçoit un malade lorsqu'il écoute des sons auxquels il répond positivement. Bien que ces sons ne soient pas en relation de connexion nécessaire avec l'espace visuel, ils ont pourtant un impact sur le corps et sur l'âme. C'est là toute la question de la problématique de la perception qui fut approfondie par Aristote, et qui se trouve directement ou indirectement transposée par Maurice Merleau-Ponty. Ce dernier prend des situations pathologiques pour montrer le rôle que joue la musique aussi bien dans la canalisation de la douleur que dans l'orientation de la perception tactile. Cela était aussi le travail des pythagoriciens, un travail qui sera poursuivi par Aristote. On sait que Pythagore s'est servi de la musique dans un but curatif, soignant par elle les maux du corps et de l'âme, et nommant catharsis le soulagement qu'elle rapporte. D'ailleurs cela s'explique par la définition que les pythagoriciens donnaient de l'âme comme une sorte d'harmonie, une définition qui sera reprise évidemment par Aristote. Puisque la noble nature de la musique est d'agir sur les caractères pour en réaliser l'harmonie, et mettre l'âme en mouvement, alors elle est évident qu'elle prendra une dimension politique. En effet, l'interdiction de changer les modes musicaux avait une portée conservatrice, qui se dégage d'ailleurs de la phrase célèbre de Platon dans la République où il souligne : “ ‘Jamais on porte atteinte aux formes de la musique sans ébranler les plus grandes lois des cités comme dit Damon’ 993  ”. Mais Aristote va cultiver la diversité sensorielle pour donner un autre sens à la noble nature de la musique. C'est ce sens qui nous intéresse ici puisqu'il va nous aider à comprendre la portée des exemples repris par Merleau-Ponty dans ce paragraphe. En effet, la diversité sémantique est avancée par Merleau-Ponty lorsqu'il souligne : “ ‘Les sens sont distincts les uns des autres et distincts de l'intellection en tant que chacun d'eux apporte avec lui une structure d'être qui n'est jamais exactement transposable’ 994  ”. Cela est en soi, d'une part un rappel de la part de Merleau-Ponty pour le maintien de sa critique dirigée contre Kant qui a parlé d'un “ Je-sujet central et unique ”, et d'autre part un rappel aussi de la conception aristotélicienne de l'Etre. Car Aristote a laissé entendre que l'Etre se prend en plusieurs acceptions mais ce n'est pas une simple homonymie. La diversité sensorielle que procure la musique rend le processus de la perception incommensurable. C'est ce que montre justement Aristote dans l'impact de la musique sur l'âme. L'incommensurabilité est la résultante du rapport d'équivalence et non de celui de la ressemblance entre l'expérience musicale et l'être des choses. Il existe en effet une identité entre la réalité et la représentation que l'on en fait. Cette quasi-identité sur laquelle Aristote a insisté est réelle, puisque toute situation traduit un état musical qui correspond exactement à la sensibilité réelle qu'il incarne. Par conséquent, percevoir est (aux yeux d'Aristote) l'acte commun du sensible et du sentant. Nous voilà donc devant le principe de la relation de connexion nécessaire et réciproque qui existe entre l'imitation et la ressemblance, entre les sentiments et la réalité. A ce sujet Aristote note : “ ‘Toutes les choses que nous percevons en les touchant elles-mêmes, c'est par le tact qu'elles sont sensibles (...) ; par contre celles que nous percevons à travers des milieux et sans les toucher elles-mêmes, nous les appréhendons grâce aux corps simples, je veux dire par exemple l'air et l'eau’ 995  ”. En fait il existe deux niveaux de perception. Le premier, est celui que représente la relation de la synonymie qu'incarne le rapport d'indemnité entre l'imitation et la ressemblance ; le second est celui que reflète l'homonymie entre musique et caractère, car pour Aristote l'acte commun entre le sensible et le sentant est celui de la perception qui puise son fondement (lorsqu'il s'agit de l'ouverture sur des sons musicaux) dans l'âme. L'homonymie est donc une relation qui réside entre musique et caractère. La réalité de cette relation peut être élucidée à partir de l’examen de la différence que Aristote établit entre l'ethos pictural et l'ethos musical. La faiblesse du premier par rapport au second est expliquée par le fait que les mélodies rythmées sont (disait Aristote) des homoiômata : des équivalents, alors que les tableaux incarnant l'ethos pictural ne sont que des séméia : des signes. La problématique que nous avons déjà évoquée, à savoir si l'on peut penser dans les signes ou avec les signes, et qui sera discutée par Leibniz et par Peirce avait été déjà avancée par Aristote. Les mélodies sont (à la différence des oeuvres picturales), capables de nous transporter dans un monde étendu de sentiments et de souvenirs. L'oeuvre musicale est parente de l'âme du fait qu'elle est plus apte à accueillir, dans ses rythmes et mélodies mêmes, l'ethos humain. “ ‘Le signe d'une qualité éthique – comme le note Gilbert Romeyer Dherbey – agit moins fortement que cette qualité elle-même : le séméion n'est pas un miméma’ 996  ”. Il ajoute aussitôt que ‘“ la mélodie rythmée n'est pas le signe de l'ethos, mais son mime ; le signe est extérieur et détaché, le mime est immanent’ 997  ”. Cette immanence s'explique par ce qui est le propre de l'homme à savoir les principes éthiques. Ces principes sont ceux de la liberté qui, elle, puise parfois (sinon dans la plupart des cas) son fondement dans l'imagination créatrice. C'est ainsi qu'Aritote note (tout en valorisant les principes éthiques) que “ ‘C'est dans les mélodies elles-mêmes que sont les imitations des dispositions éthiques’ 998  ”. Aristote n'oppose pas la peinture à la musique, mais l'oeuvre picturale à l'oeuvre musicale. Cette dernière est plus du côté de l'âme, parce qu'elle s'adresse à la sensibilité et aux sentiments, alors que l'oeuvre picturale s'adresse plus à la culture du déchiffrement et au cognitif. L'ethos humain est implanté dans l'âme, dont le caractère est facilement influençable par la musique à recevoir une qualité spécifique plutôt qu'une autre. La preuve – comme le note Dherbey – en est que le langage lui-même ne partage pas le privilège de la musique, et pourtant lui aussi s'adresse à l'oreille. Mais dans son langage, il use des accidents symboliques (catégories des langues) pour permettre à l'oreille de recevoir des significations. La musique quant à elle, use d'une supériorité pratique que lui procure la nécessité éthique qu'elle incarne. En musique l'âme fait selon la nature tout en écoutant. L'extension du pouvoir de la musique est donc due à la réalité éthique dont elle témoigne. Car du moment que l'ethos humain est un domaine de possibilités incommensurables vue le principe de la liberté qui est lui aussi imprévisible, on doit dès lors admettre aussi l'incommensurabilité des possibilités imaginatives et factices du musicien qui par des mélodies accompagne des réalités concrètes proprement humaines. Cet accompagnement est parfaitement naturel puisque nous avons une parenté avec l'être des choses, qui, elles sont marquées par des rythmes et des harmonies. Nous les hommes nous avons aussi une parenté avec les rythmes et les harmonies, disait Aristote. Il est donc claire que Merleau-Ponty s'est inspiré d'Aristote et de Phytagore pour monter la portée du cosmos et du monde dans la vie de l'homme, qui lui, calcule, organise et prévoit le bonheur de son état actuel et avenir. L'existence humaine est en effet nombres et mélodies, comme le disait déjà Phytagore. L'harmonie musicale qui est au fondement de l'univers et de l'extension du pouvoir physique, médiatise l'harmonie cosmique et l'harmonie de l'âme. La musique et donc en nous le chant du monde. Elle est une mémisis de l'harmonie céleste. Comme le note Dherbey, Platon a laissé entendre dans le Timée que “ ‘les mélanges proportionnés de sons rapides et lents, donnant pour l'oreille un mélange équilibré d'aigu et de grave, procurent une sensation agréable aux ignorants et une jouissance raisonnée à ceux qui savent, par l'imitation de l'harmonie divine qu'ils réalisent dans les mouvements mortels’ 999  ”. L'harmonie de l'âme est donc la tâche primordiale que la musique cherche à accomplir. Et sur ce point précis, l'accord entre Platon et Aristote est fondé sur l'accomplissement de la perfection humaine que la musique doit atteindre. Platon disait en effet que l'âme doit avoir une harmonie, alors qu'Aristote (tout en se référant aux Pythagoriciens), disait qu'elle est en elle-même une harmonie. Cependant, une harmonie ne contredit pas une autre mais s'accorde avec elle et lui rend témoignage. C'est cet accord que Merleau-Ponty va penser en terme de saisie de coexistence entre le visuel et le toucher, dont la synthèse est réalisée dans l'espace. Ce type de synthèse transfigure l'objet, tout en impliquant des mélodies actives (en tant qu'actions factices) dans l'être des choses.

C'est dans le paragraphe 7 qui va suivre, que toutes ces affirmations (concernant l'extension du pouvoir perceptif de la musique) vont se confirmer. Merleau-Ponty affirme en effet que “ la musique n'est pas dans l'espace visible, elle mine, elle l'investit, elle le déplace 1000 ... ”. Cette affirmation, rejoint celle du début du paragraphe précédant là où Merleau-Ponty a affirmé que la musique crée un autre monde de possibilités. Il avait en effet noté “ ‘qu'elle insinue à travers l'espace visible une nouvelle dimension où elle déferle, comme chez les hallucinés, l'espace clair des choses perçues se redouble mystérieusement d'un “ espace noir où d'autres présences sont possibles’ 1001  ”. Il y a donc un autre mode de perception qui se distingue de celui qui lie d'une manière directe la vision, aux corps factices apparents. Ce mode est celui de l'abstraction qui se crée à travers le pouvoir que procure l'imagination créatrice à un sujet en action lorsqu'il s'ouvre sur les souvenirs de son propre histoire. Ces expériences proprement personnelles échappent donc à l'analyse directe et immédiate puisqu'elles sont imprévisibles. Elles relèvent du domaine de la sensation dont l'expérience sensorielle reste – comme l'affirme Merleau-Ponty quelque chose d'instable. Autrement dit : ce qui est insaisissable et incommensurable est cette manière d'être qui est une qualité de l'acte de la visée dont parlait déjà Husserl et que Heidegger reprendra en disant que la chose est notre chose et nulle autre. Ce qui est particulier et exceptionnel doit donc être cultivé puisqu'on le voit qu'une seule fois. Il relève du domaine du préférable, car il est durable et se distingue de ce qui est donnée dans l'immédiateté. Voilà la raison pour laquelle Maurice Merleau-Ponty (tout en se penchant du côté d'une phénoménologie psychologique) souligne : “ ‘L'expérience sensorielle est instable et elle est étrangère à la perception naturelle qui se fait avec tout notre corps à la fois et s'ouvre sur un monde intersensoriel. Comme celle de la qualité sensible, l'expérience des "sens" séparés n'a lieu que dans une attitude très particulière et ne peut servir à l'analyse de la conscience directe’ 1002  ”. Et il précise quelques lignes plus loin (pour expliquer la mise en forme de l'attitude analytique) que “ ‘La qualité sensible, loin d'être coextensive à la perception, est le produit particulier d'une attitude de curiosité ou d'observation. Elle apparaît lorsque, au lieu d'abandonner au monde tout mon regard, je me tourne vers ce regard lui-même et que je me demande ce que je vois ; elle ne figure pas dans le commerce naturel de ma vision avec le monde, elle est la réponse à une certaine question de mon regard, le résultat d'une vision seconde ou critique qui cherche à se connaître dans sa particularité, d'une "attention au visuel pur’ 1003  ”.

On doit retenir de ces deux passages deux points fondamentaux. Le premier, est celui de l'aspect transcendantal de l'acte de la visée de la perception. Cet acte est aux yeux de Merleau-Ponty transcendantal, car il est animé d'une manière, d'une attitude très particulière qui, d'une part ne peut pas être arraisonnée facilement, et qui, et d'autre part, se distingue de la perception directe des choses de la nature. On voit bien qu'il y a ici un retour au Kantisme dans son idéalité transcendantale qui (comme nous l'avons déjà fait remarquer avec Kant) puise son fondement dans un idéal rationnel de l'être commun. Ce retour se précise davantage à travers le second point qui se dégage du second passage. Le fait de récuser le "commerce naturel" qui médiatise ma vision et le monde, est en soi une critique implicite dirigée à l'égard de Heidegger. Ce dernier (à la page 247 de Qu'est-ce qu'une chose ? 1004 ) avait en effet laissé penser l'existence d'un commerce naturel entre les hommes qui sont à ses yeux, des êtres finis par le principe de l'action réciproque puisqu'ils agissent les uns sur les autres 1005 tout en étant délimités par le DA : par les choses de l'être, qu'ils cultivent et qu'ils répartissent. Pour Kant comme pour Merleau-Ponty, la finitude et la limitation ne résident pas dans le principe de l'action réciproque et dans la facticité de la nature des choses que les hommes se partagent et cultivent. La finitude réside au contraire dans la manière d'être et de voir de chacun : dans leur idéalité transcendantale. Celle-ci pénètre les faits et les transcende de l'intérieur. Cependant, on peut dire qu'il n'y a pas d'action d'autrui, la seule action qui puisse exister effectivement est celle de la Loi de la liberté dont Merleau-Ponty vient de tracer les caractéristiques à travers ces deux passages précédant. Parmi ces caractéristiques, il y a d'une part l'intelligibilité permanente traduisant l'incommensurabilité de l'expérience abstraite de la conscience, et d'autre part, l'exception de l'attention positive inconditionnelle de la vision à l'égard des choses factices du monde sensible. Observer une chose, revient (aux yeux de Maurice Merleau-Ponty) à s'interroger sur ses propres qualités. L'interrogation ne doit pas être dirigée vers une observation extrinsèque de ces mêmes choses, mais vers l'acte de la visée qui s'interroge sur les manières adéquates de voir et de viser en direction des choses. L'expérience sensorielle se modifie à travers l'interaction de ma vision avec la chose observée. Dans cette interaction, je ne prescris pas des qualités aux choses, mais je décris celles-ci en faisant leur expérience. Cela n'est rien d'autre que ce que des pédagogues comme Maurice Reuchlin appellent : l'expérience pour voir. Cette démarche qui est aussi celle de l'essai et de l'erreur, Merleau-Ponty pense qu'il faut l'expliquer l’interroger pour en distinguer l'essai des propositions, en dénouant le lien de notre vision et du monde pour enfin la surprendre et la décrire. L'acte de concevoir et de décrire (du fait qu'il relève de l'intention) se réalise donc avant toute autre expérience. Il est comme le pense Merleau-Ponty antérieure à la division des sens. Cette antériorité incarne t-elle une approche analytique qui relève de l'intellectualisme ? Si la réponse est affirmative, alors cela serait une contradiction dans les termes, puisque Merleau-Ponty vient de récuser l'approche intellectualiste dans toute perception adéquate. Faute de revenir à l'analyse intellectualiste qu'il a écarté, Merleau-Ponty va dans le paragraphe 8, préciser la nature de la signification sensible pour définir la nature de la relation entre la visée et l'acte de la visée. Cette nature est fondée sur une unité synthétique qui s’opère entre les objets des sens et ceux de la science.

Dans ce paragraphe, Merleau-Ponty explique le fondement de cette unité en faisant allusion à des invariants fonctionnels communs à tous les âges Il fait aussi allusion à une ressemblance des rapports qui résident entre la vie physique et la vie biologique. Evidemment, il est difficile pour nous de traiter d'une manière exhaustive et rigoureuse de ces questions du fait que nous nous en sommes pas spécialistes, mais à travers ce paragraphe on peut comprendre la teneur de cette unité. Lorsque Merleau-Ponty s'interroge sur le caractère innée de la fusion des images, il avance l'hypothèse de cette union dans le dispositif du système nerveux. Pour mieux comprendre cela la référence à l'ouvrage intitulé : l'Homme Neuronal 1006 de Jean Pierre Changeux, est une évidence qui s'impose. L'accent est mise dans cet ouvrage, sur l'organisation neurologique, et sur les jeux des possibles que peuvent produire des organisations efficaces des différentes parties de notre corps. Dans la perception, la synthèse entre le domaine des possibilités biologiques et celui de la psychophysique peut se faire par la suite de l'agencement du fonctionnement anatomique de l'appareil visuel, et par l'usage qu'en fait le sujet psychophysique qui observe, compare et identifie les stimuli. Mais ce sujet est d'abord corporel. Car si Merleau-Ponty le conçoit autrement il sera en pleine contradiction avec lui-même, puisqu'il vient de récuser toute forme d'intellectualisme. C'est ainsi qu'il souligne : “ ‘Ce n'est pas le sujet épistémologique qui effectue la synthèse, c'est le corps quand il s'arrache à sa dispersion, se rassemble, se porte par tous les moyens vers un terme unique de son mouvement (...), Nous ne retirons la synthèse au corps objectif que pour la donner au corps phénoménal, c'est-à-dire au corps en tant qu'il projette autour de lui un certain milieu, en tant que ses parties se connaissent dynamiquement l'une l'autre et que ses récepteurs se disposent de manières à rendre possible par synergie la perception de l'objet’ 1007  ”. L'unité synthétique qui s’opère entre une perception qui est intrinsèque au sujet pensant corporel, et celle qui est extrinsèque au corps productif, repose donc sur la facticité qui lie les deux niveaux de perception. D'ailleurs aux yeux de Merleau-Ponty, même l'intentionnalité ne peut être considérée comme une pensée, du fait qu'elle prend pour acquis tout le savoir latent qu'a mon corps de lui-même. Pour affirmer ouvertement son opposition à la synthèse intellectualiste, Merleau-Ponty ajoute aussitôt cette phrase qui est loin de tous commentaires : “ ‘Adossée à l'unité prélogique du schéma corporel, la synthèse perceptive ne possède pas plus le secret de l'objet que celui du corps propre, et c'est pourquoi l'objet perçu s'offre toujours comme transcendant, c'est pourquoi la synthèse paraît se faire sur l'objet même, dans le monde, et non pas en ce point métaphysique qu'est le sujet pensant, c'est en quoi la synthèse perceptive se distingue de la synthèse intellectuelle’ 1008  ”.

Cette distinction repose sur une absorption par l'objet des différents aspects de la perception. Par exemple dans le cas d'une diplopie qui frappe l'oeil normal, la progression de la perception se fait grâce à l'attraction que procure l'objet à la vison. Ce n'est donc pas l'oeil qui (dans son abstraction) décide de la présence ou de l'absence de la perception. C'est au contraire l'objet transcendant qui décide de la continuité de la chose à apercevoir. Voilà la raison pour laquelle l'intellectualisme est récusé par Merleau-Ponty, du fait qu’il soit (et à l’en croire) incapable de penser la continuité de l'objet : pour qu'il réalise ce but, il doit être en relation de connexion nécessaire avec lui. C'est ainsi que Merleau-Ponty souligne : “ ‘L'aséité de la chose, sa présence irrécusable et l'absence perpétuelle dans laquelle elle se retranche sont deux aspects inséparables de la transcendance. L'intellectualisme ignore l'un et l'autre, et si nous voulons rendre compte de la chose comme terme transcendant d'une série ouverte d'expériences, il faut donner au sujet de la perception l'unité elle-même ouverte et indéfinie du schéma expérimental. Voilà ce que nous enseigne la synthèse de la vision binoculaire. Appliquons-le au problème de l'unité du sens’ 1009  ”. Qu'est-ce que cela veut dire ? Il y a là une affirmation capitale pour le sens que voulait Merleau-Ponty pour la perception directe et immédiate des objets qui s'imposent à nous comme des faits factices. Il voulait dire à partir de ce passage, que l'objet qui s'impose à nous comme un LA, prolonge la série des vérités tout en reproduisant d'autres formes qui se donnent à la vision. Cependant, on peut laisser penser que l'auteur de La Phénoménologie de la Perception est encore heideggerien, du moment que pour lui comme pour Heidegger, l'objet crée un monde de possibilités perceptives. Par exemple dans le cas des images, on peut dire que l'oeil est parfois incapable de discerner à première vue les différentes combinaisons dont témoignent les images polysémiques. Celles-ci en réalité aident l'apprenant à reformuler des phrases, et des discours à hautes densités discursives. D'une image et d'une seule, on peut en effet construire une infinité de discours. Cela veut dire que l'objet-image est toujours déterminant pour l'extension du pouvoir expressif de la parole. Voilà peut être la raison pour laquelle Hegel a laissé entendre que la parole est d'abord aux faits 1010 . Par conséquent, on peut donc affirmer avec Merleau-Ponty que toute intention objectivante en pénétrant l'objet intersonsoriel, créée en lui une tension, qui rend à son égard incommensurable toute communication perceptive. C'est ainsi qu'on peut reconstruire l'analogie avancée par Merleau-Ponty dans ce paragraphe 1011 . Cependant, si la vision binoculaire est à l'objet visuel, ce que l'objet intersonsoriel est aux images monoculaires de la diplopie, alors la ressemblance des rapports entre les deux niveaux de l'analogie, n'est rien d'autre que la communication et la collaboration qui fondent la perception. Autrement dit, si les sens (du toucher ou du sentir) communiquent dans la perception comme les deux yeux collaborent dans la vision, alors il est difficile de réfuter l'aspect concret de l'analogie, car ici la comparaison est réelle. Elle se réalise dans le mouvement général de l'être au monde. On ne peut pas lui appliquer la maxime : comparaison n'est pas raison, moyennant la réfutation de l'analogie de l'expérience.

La fidélité que préserve Merleau-Ponty à la théorie de l'effacement de la pensée devant ce qu'elle aperçoit est à nos yeux incontournable. En effet, si pour Heidegger la pensée se fatigue à déchiffrer et à interpréter les choses qu'elle aperçoit, alors cela n'est pas passé inaperçu de la part de Merleau-Ponty. Ce dernier s'aligne sur le propos : penser dans le signe, un propos qui fut celui de Leibniz qui a engagé la pensée dans une perspective de la relation de connexion nécessaire entre le signe et la pensée. C'est ainsi que Merleau-Ponty souligne à cet égard : “ ‘Les sens se traduisent l'un l'autre sans avoir besoin d'un interprète, se comprennent l'un l'autre sans avoir à passer par l'idée. Ces remarques permettent de donner tous son sens au mot de Herder : l'homme est un sensorium commune perpétuel, qui est touché tantôt d'un côté tantôt de l'autre’ ” 1012 .

Pour conclure ce huitième paragraphe, Merleau-Ponty rappelle (d'une manière implicite) l'unité de l'acte perceptif et celle de l'acte de la compréhension. Cette unité se réalise sur la base de la continuité à l'égard des objets perçus, lieu privilégié de la réalisation de la synthèse entre les corps, les objets et les sens. Cette unité n'est rien d'autre qu'un rappel de la vieille conception du monisme stoïcien et spinoziste. Elle n'est pas idéelle. Elle est corporelle puisque c'est bien mon corps qui donne (comme le pense Merleau-Ponty) sens aux mots et aux objets. C'est dans le paragraphe suivant (le neuvième) que Merleau-Ponty va maintenant démontrer cela.

L'enjeu de ce paragraphe porte sur la place du corps productif de significations sensibles. Pour Merleau-Ponty toute activité humaine est corporelle. La démonstration de la facticité du corps réfléchi et productif de significations possibles, ressort de l'exemple du langage, un exemple bien choisit par Merleau-Ponty, en vue de démontrer que la parole est d'abord aux faits. Si le langage est un comportement, alors il existe donc des attitudes et des manières de dire les mots. L'homme qui porte avec des gestes la parole aux faits, ne fait que produire des énoncés, qui sont en relation de connexion nécessaire avec des manières d'être et de dire. Cela explique fort bien notre affirmation du départ : tout énoncé présuppose une énonciation. Cependant, on remarque aisément que tout ce paragraphe est construit pour démontrer le rôle des sciences du comportement et de l'environnement dans la détermination de la relation entre énoncé et énonciation. C'est ainsi que Merleau-Ponty souligne : “ ‘Le mot n'est alors pas distinct de l'attitude qu'il induit et c'est seulement quand sa présence se prolonge qu'il apparaît comme image extérieure et sa signification comme pensée’ 1013  ”. La relation entre une attitude, entre une manière d'être, de voir les choses, et entre une manière de les dire, est une relation de connexion nécessaire. Dans cette même perspective, on voit bien que Merleau-Ponty procède – comme le faisait Husserl – à un retour à Nietzsche qui a laissé entendre que la manière dont laquelle je porte libre est la même dont laquelle je me porte tyran. Cela laisse entendre aussi que chaque individu a une manière qui le distingue de son semblable. Cette affirmation ressort du propos de Merleau-Ponty qui souligne : “ ‘Les mots ont une physionomie parce que nous avons à leur égard comme à l'égard de chaque personne une certaine conduite qui apparaît d'un seul coup dès qu'ils sont donnés’ 1014  ”. La paraphrase de deux systèmes philosophiques : celui de Nietzsche 1015 et celui de Lavater 1016 est ici largement avancée d'une manière implicite. A la question : qu'est-ce qu'un mot ? on peut donc répondre avec Merleau-Ponty qu'il est une proposition du corps productif de significations possibles. Dans une référence à Werner qu'il développe, Merleau-Ponty pense que “ ‘le mot lu n'est pas une structure géométrique dans un segment d'espace visuel, c'est la présentation d'un comportement et d'un mouvement linguistique dans sa plénitude’ 1017  ”.

En somme, et pour conclure ce paragraphe, Merleau-Ponty pense que le corps est producteur de langage significatif. Il dit les mots lorsqu'il s'apprête à accueillir les sensibles par des manières qu'il lui sont propres. C'est toujours mon corps qui produit le sens, qui s'apprête aussi à donner un sens à une stimulation dont il dessine la forme. Dans le chapitre 10 qui va suivre, Merleau-Ponty va se forcer à démontrer l'extension du pouvoir physique du corps tout en affirmant que l'ouverture (pour la recherche du sens) sur quelque chose d'autre que le corps (à savoir par exemple la personne qui voit, qui réfléchit et qui pense), est une ouverture qui restera toujours factice et corporelle. Cependant, on peut dire que le corps est omniprésent. Par conséquent, on peut dire que Merleau-Ponty reste (du moins indirectement) fidèle au propos de Gassendi, qui dans sa critique dirigée à l'encontre de Descartes a laissé entendre que le : "je pense donc je suis" est en réalité une action factice, du moment que l'homme est en soi une chose pensante. Cependant le Cogito devient une Cogitation : une manière factice d'être. Car je peux affirmer que je suis pensée dès que je prolonge une histoire passé dans le présent et dans l'avenir. C'est ce que Merleau-Ponty va démontré dans le dixième paragraphe tout en se référant d'une manière implicite à Nietzsche.

Le fait de chercher à saisir le corps, est en soi une action qui repose sur l'ouverture au domaine de l'apparence où des liaisons logiques peuvent être reconnues dans des choses si bien réparties dans ce monde. Comprendre revient donc à prendre en compte les objets en tant qu'états et processus. Ils sont des états parce qu'ils se donnent à la description dans l'apparence et dans leurs rapports à d'autres objets. Ils sont par contre des processus parce que la vision qui les saisie, ne fait pas simplement de les contempler fortuitement, mais elle en use pour manifester sa chose pensante : sa conscience factice. Celle-ci se met en mouvement dans sa transparence à travers l'apparence constituée qui interpelle le sujet constituant. Cela veut dire que la conscience est historiale : elle se manifeste à travers l'objet. Voilà la raison pour laquelle Merleau-Ponty laisse entendre que “ le sujet en tant que conscience constituée n'est rien, de la même manière que les "sensations", la "matière" de la connaissance ne sont pas des moments où des habitants de la conscience, elles sont du côté du constitué 1018  ”. Cela veut dire en fait que l'objet phénoménal crée une histoire en prolongeant des normes déjà acquises dans le passé. Ces normes témoigneront dans le futur, des idées les plus hautes d'un peuple. Dans sa paraphrase de Nietzsche, Merleau-Ponty prend l'exemple de la perception historique. Le corps est pour lui le médiateur du temps de l'histoire. Si pour Nietzsche il n'y qu'un seul temps : le présent du passé, le présent du présent, et le présent de l'avenir, alors le corps qui subit la quasi-totalité de ce temps est pour Merleau-Ponty, comme pour Nietzsche, le lieu privilégié pour tout mouvement de fixation. C'est d'ailleurs pour cette même raison que Merleau-Ponty souligne : “ ‘Dans chaque mouvement de fixation, mon corps noue ensemble un présent, un passé et un avenir, il sécrète du temps, ou plutôt il devient ce lieu de la nature où, pour la première foi, les événements, au lieu de se pousser l'un l'autre dans l'être, projettent autour du présent un double horizon de passé et d'avenir et reçoivent une orientation historique’ 1019  ”. Il est donc claire à partir de là, que l'intérêt du corps pour l'histoire est irréfutable puisqu'il prolonge et crée un autre moment historique où la liaison entre le passé et l'avenir est vécue selon des modalités formelles de liaisons. C'est ainsi que Merleau-Ponty reconnaît au processus des liaisons logiques reconnues dans les choses, un poids dans la mise en forme des processus cognitifs concrets qui témoignent de l'extension du pouvoir physique. A ce propos il souligne : “ ‘C'est à partir du liée que j'ai secondairement conscience d'une activité de liaison, lorsque, prenant l'attitude analytique, je décompose la perception en qualités et en sensations et que, pour rejoindre à partir d'elles l'objet où j'étais d'abord jeté, je suis obligé de supposer un acte de synthèse qui n'est que contre-partie de mon analyse. Mon acte de perception, pris dans sa naïveté, n'effectue pas lui-même cette synthèse, il profite d'un travail déjà fait, d'une synthèse générale constituée une fois pour toutes, c'est ce que j'exprime en disant que je perçois avec mon corps ou avec mes sens, mon corps mes sens étaient justement ce savoir habituel du monde, cette science implicite ou sédimentée’ 1020  ”. Cela revient donc à reconnaître l'impact des liaisons logiques reconnues dans les choses, sur le caractère de la pensée objectivante, qui s'ouvre sur les choses générales et parfaites, mieux réparties dans le monde, pour enfin permettre à la pensée du "gai-avoir" d'en réaliser l'expérience de l'objectivité. Car le fait de chercher à vivre l'unité de l'objet et du sujet c'est d'abord une aspiration à la pratique de sa mise en forme. Mais la perception du monde n'est pas simplement un acte unitaire que je peux réaliser en solitaire. Elle est le lieu commun à tous les êtres humains raisonnables et actifs dans ce monde. C'est la raison pour laquelle Merleau-Ponty (tout en dépassant Nietzsche de la pensée solitaire, premier moment de la pensée de l'attitude monumentale, un moment qui sera dépassé par Nietzsche dans son attitude critique) pense que la perception est toujours la pratique du groupe, puisqu'elle puise son fondement dans le monde du "On". C'est-à-dire, que la perception est un moment qui se prolonge à travers les objets tout en prolongeant une histoire déjà acquise dans le passé, déjà fondée par d'autres pour qui nous devons reconnaître une part dans ce monde. Cela n'est rien d'autre qu'une humanisation de la connaissance : une méthode qui nous permet à travers une critique de la provenance des objets d'être en contact directe avec ceux qui ont met en formes des idées et des projets scientifiques, pour enfin comprendre les raisons, les motifs et les degrés d'implication de ces mêmes savants dans une direction de recherche bien déterminée. Cela nous permet aussi – comme le pense ouvertement Merleau-Ponty – de “ laisser au sujet de la perception son opacité et son historicité ”. Dans le processus perceptif, les hypothèses sont donc invoquées et non pas provoquées. Car il existe dans le présent un prolongement par les objets de la perception, des états et des comportements passés. C'est pour cette raison que Merleau-Ponty souligne : “ ‘Il y a ici l'invocation, mais non pas l'expérience d'un naturel éternel’ 1021  ”.

Pour légitimer la nostalgie du processus historique, et non pas le retour d'un naturel éternel, Merleau-Ponty renforce son argumentation par une double référence philosophique, ayant pour forme une argumentation d'autorité. La première référence est celle de Hegel, la seconde celle de Husserl. Dans l'optique hégélienne en effet, il existe trois moments à travers lesquels le sujet cherche à réaliser la perception de tous ce qui le travaille comme toujours-déjà. Le premier moment est celui où le sujet est en parfaite cohésion avec soi-même, il aperçoit son moi en toute liberté. Il se prépare à accueillir les formes sensibles. Le second est celui où l'esprit se manifeste à travers l'objet, expérimente dans le réel tout ce qui le travaille intérieurement. Car comme disait Hegel tout ce qui est réel et rationnel et tout ce qui est rationnel et réel. Enfin le troisième moment est celui du retour du moi sur soi-même, car plus on se perd plus on se retrouve. En cette troisième phase de l'esprit absolue, puisque tout a été expérimenté, vient alors le moment de la synthèse où le sujet ne fait que contempler les acquisitions d'un passé (dans sa profondeur présente) et le contractait : la manière d’entrer en contact avec autrui dans la perception de l'absolu. Ce temps de la perception contractée est donc un temps multifactoriel : il fonde l'unité de l'objet, mais il laisse aussi un libre jeu au sujet pensant pour se ressaisir tout en donnant naissance à un autre temps nouveau qui se construit sur la base du temps passé. Car la fin de l'histoire dans l'optique de Hegel est une naissance d'une unité du sujet et de l'objet, une unité qui apparaît dans le temps, qui s'échappe, qui se perd, et qui se retrouve à mesure que le sujet se ressaisisse lentement dans le temps présent.

Quant à la seconde référence de Merleau-Ponty à Husserl, elle est liée à la conception hégélienne du temps. Ce lien n'est pas un simple hasard, car Merleau-Ponty voulait réfuter les deux systèmes philosophiques traitant de cette même question du temps. Voilà la raison pour laquelle à la fin de ce paragraphe, il récuse le maintien de la proposition hégélienne qui consiste à penser le temps en terme d'existence de l'esprit. Comme il réfute aussi la conception husserlienne qui pense l'auto-constitution du temps. Tout cela est avanc é en vue d'affirmer l'aspect factice de la temporalité perceptive dont l'expérience antérieure existe en parfaite continuité avec l'expérience ultérieure. Le temps est donc le lieu commun factice de toute reconstitution possible des objets. Cette constitution se construit dans la dialectique entre un temps constitué et un temps constituant. Cette idée philosophique de la subsistance du temps, de sa continuité, se trouve transposée, paraphrasée et mise en forme d'une manière tout à fait simpliste chez plusieurs poètes. Voilà à titre d'exemple seulement Ronsard 1022 qui souligne à ce propos, dans ces deux vers :

  • Le temps s'en va, le temps s'en va, Madame
  • Las ! Le temps non, mais nous nous en allons...

On voit bien que le poète achève le second vers en marquant des points de suspensions et ce pour mettre en évidence la donation du temps du départ vers une destinée méconnaissable (la mort), une destinée qui nous échappe bien que l'on se donne largement le temps d'y réfléchir. Le temps est un lieu commun, un invariant fonctionnel qui gouverne l'esprit du chercheur dès lors qu'il est en situation d'acquisition du sens. Il gouverne la vie de tous les êtres. Voilà comment et d'une manière humoristique un autre poète en use pour réfuter les arguments de sa “ bien aimée ”. Nous voulons parler d'un beau texte de Pierre Corneille 1023 (que nous avons retenu par coeur pour des besoins de certaines causes) qui a reproché à Marquise, (une de ses admiratrices) de ne pas avoir mesuré et contrôlé son langage expressif, faute d'avoir blessé le nom propre de Pierre corneille. Le texte commence par :

‘Marquise

Marquise, si mon visage
A quelques traits un peux vieux,
Souvenez-vous qu'à mon âge
Vous ne vaudrez guère mieux.

Le temps aux plus belles choses
Se plaît à faire un affront,
Et saura faner vos roses
Comme il a ridé mon front.

Le même cours des planètes
Règle nos jours et nos nuits ;
On m'a vu ce que vous êtes ;
Vous serez ce que je suis.

Cependant j'ai quelques charmes
Qui sont assez éclatants
Pour n'avoir pas trop d'alarmes
De ces ravage du temps.

Vous en avez qu'on adore ;
Mais ceux que vous méprisez
Pourraient bien durer encore
Quand ceux-là seront usés.

Ils pourront sauvez la gloire
Des yeux qui me semble doux,
Et dans mille ans faire croire
Ce qu'il me plaira de vous.

Chez cette race nouvelle
Où j'aurai quelque crédit,
Vous ne passerez pour belle
Qu'autant que je l'aurait dit.


Pensez-y belle Marquise :
Quoiqu'un grison fasse effroi,
Il vaut bien qu'on le courtise,
Quand il est fait comme moi.’

Tout ce texte est construit sur le modèle d'une transposition didactique issue de la vulgarisation du sens philosophique du temps. Ce dernier – comme on peut le remarquer – est le lieu commun à toute créature. Car tout se meut et "baigne" dans le temps, y compris la vie et la mort des asters et des Hommes. Ce lieu commun qui est le temps, est un lieu de préférable. Car de même (si l'on en croît le poète) qu'une belle fille doit respecter, voire aimer un homme d'un âge avancé et ce grâce à son expérience de la vie, de même qu'en éducation, on doit se donner le temps pour acquérir des concepts, des expériences utiles à vivre. N'avons-nous pas déjà avancé avec Rousseau que le temps en éducation il vaut mieux en perdre que d'en gager ? Cependant, Merleau-Ponty ne s'est donc pas trompé lorsqu'il a assigné au temps la fonction du dressage et de la sélection.

Après avoir étudié le rapport entre sensation et perception, un rapport qui est aux yeux de Merleau-Ponty fondé sur la relation de connexion nécessaire entre l'acte du sentir et les objets sentis, une relation qui puise son fondement dans l'acte objectif du sentir, l'auteur de la phénoménologie de la perception va maintenant dans le onzième paragraphe finir ce chapitre du Sentir par un résumé confirmant la place de deux tendances : l'intellectualisme et l'empirisme, dans le processus perceptif. Au premier est lié le travail de la pensée qui se démarque des objets pour mettre en place ses réflexions objectivante en vue de parcourir le divers des objets, au second est lié un nouveau genre de réflexion où l'on s'ouvre sur les objets pour les synthétiser en vue d'aboutir à des résultats de l'analyse expérimentale. Cela nous permet donc de repenser la nature de la connaissance pour que nous puissions enfin retrouver le sens posé dans des pratiques expérimentales. Dire que le sens est posé, revoie en dernière analyse à la conception aristotélicienne de la connaissance. Celle-ci n'était rien d'autre que ce que Aristote avait pensé en terme d'ouverture sur ce qui est posé, un fait qui existe en vertu de ce qui a été posé. Le monisme réaliste de Merleau-Ponty, ressort donc de ce dernier paragraphe où l'on s'aperçoit que l'empirisme doit prendre une autre forme méthodologique qui n'est rien d'autre que celle qui replace dans le monde des attitudes de vérification, des opérations réflexives qui retrouvent l'expérience irréfléchie du monde. Cette synthèse est pour Merleau-Ponty quelque chose de possible, du moment que l'acte perceptif n'est pas simplement un acte à travers lequel on visite des champs que l'on parcours, mais il est aussi une action réfléchie, qui doit retenir des moments privilégiés de ce parcours. Voilà la raison pour laquelle la synthèse entre le faire du corps et le dire de l'âme et de la pensée est une synthèse tout à fait possible. Ce n'est rien d'autre (comme le pense Merleau-Ponty), que la pratique de l'expérience de la chose qui est le lieu fondamental de la réalisation de l'idéal réflexif de la pensée éthique.

Avant de passer à l'analyse de la transposition didactique du philosopher, on doit élargir l'étude de la perception et de la sensation à d'autres domaines de recherches possibles à savoir la psychologie expérimentale et la psychopédagogie.

Au premier champs sont liés les travaux de Paul Fraïsse, que nous retenons à trois endroits différents :

  1. Le Manuel pratique de psychologie expérimentale, publié en 1956 dans les mêmes éditions qui vont suivre.
  2. Traite de psychologie expérimentale, tome VI ayant comme titre : La perception. Publié chez P.U.F en 1963.
  3. Le chapitre II intitulé : La prise d'information. Sensation et perception, de son ouvrage : La psychologie expérimentale, publié dans la collection Que sais-je ? en 1966 chez le même éditeur.

Quant au second champs, sont liés les travaux de certains psychopédagogues (Maurice Reuchlin et Antoine Léon), qui sont des vulgarisateurs de ces mêmes notions : la perception et la sensation. Nous retrouvons leurs causeries pédagogiques dans deux endroits différents. Dans :

  1. Guide de l'étudiant en psychologie, publié chez P.U.F en 1973.
  2. Manuel de psychopédagogie expérimentale, publié par toute une équipe de pédagogues et de chercheurs en Éducation, dirigée par Antoine Léon. L'ouvrage est aussi édité chez P.U.F en 1977.

Que faut-il retenir de ces remarques préliminaires ?

D'abord on voit bien que tous les travaux (malgré leur différences d'âges) sont publiés chez le même éditeur. Cela ne remet en aucun cas en question leur intérêt scientifique, sachant bien que ces éditions sont depuis leurs créations d'une grande renommée à l'échelle nationale et internationale. Ensuite, malgré leurs différences et leurs spécialisations, les auteurs traitent d'un même sujet : le contenu du processus perceptif, sa teneur, ses effets et son rôle dans le monde des choses. Avant de dresser un tableau des différentes formulations et reformulations correspondantes, expliquons dans l'ordre chronologique le contenu des chapitres de ces ouvrages traitant du processus perceptif. On ne doit pas aussi oublier de signaler au passage que chaque chercheur et chaque auteur se souciait de la transposition didactique et de la mise en mouvement de son propre savoir, à l'exception par exemple de Paul Fraïsse qui possède une particularité : il a été sur le terrain avant de commencer à publier au niveau de la recherche fondamentale. Autrement dit, parfois la transposition didactique peut être définie en terme de tâche qui surgit des préoccupations pratiques que rencontre le chercheur en action. A ce niveau, c'est bien le paradigme nomothétique (à travers lequel les problèmes sont sociologiquement nommés voire prouvé), qui est à prendre en considération. Ce paradigme nous le rencontrons chez Antoine Léon que nous allons exclure de notre réflexion car pour comprendre ses propos il faut avoir vécue la transposition didactique qui est au fond une transposition pédagogique. Chose que nous ne pouvons pas inventer. Car il faut vivre le fait pédagogique pour en comprendre la transposition.

Notes
926.

Ibid. p : 9.

927.

Ibid.

928.

“ Perceptions de fait ”, est une expression propre à Merleau-Ponty. Il l'emploie pour designer les “ couches d'impression ” qui animent l'expérience perceptive des fonctions que remplissent certains figures apparentes.

929.

Ibid.

930.

Ibid p : 10.

931.

Ibid p : 11.

932.

C'est-à-dire que l'expérience ne détermine pas d'une manière précise les limites, les grandeurs d'un segment mondain, car les mesures doivent être posées suite à une intervention perpétuelle d'un sujet qui est conscient de la chose à calculer, à déterminer dont il mesure les quantités et les qualités.

933.

Ibid. p : 12 et 13.

934.

Ibid p : 13.

935.
Les notions dont il est question dans la note de la page 13 de la Ph(P) sont : le stimulus l'impression-perception. On peut ainsi dire que la sensation est toujours en fonction des relations qui se déroulent entre les stimuli, les impressions et la perception. D'où l'équivalence suivante : Sn =f(S
I
Pr), qui peut se lire : la sensation est toujours en fonction des relations qui se déroulent entre les stimuli, les impressions et la perception des objets dans le monde.
936.

C'est-à-dire dans le cas de la variation de la grandeur avec la disante apparente des souvenirs.

937.

Ibid p : 14.

938.

Ibid p : 16.

939.

Ibid.

940.

Ibid. p : 17.

941.

Ibid p : 240 à 280.

942.

Ibid p 240.

943.

Ibid. p : 241.

944.

Ibid. p : 240.

945.
Voir à ce propos tout le chapitre III intitulé : Commentaire 5
=De anima III, 4, 429a21-24
, in Averroès l'intelligence et la pensée, op cit. p : 57 et suiv.
946.

Merleau-Ponty op cit p : 241.

947.

Adorno (T W.), op cit p : 211 et suiv.

948.

Op cit p 213.

949.

Merleau-Ponty op cit p 241.

950.

Ibid.

951.

Adorno donne un exemple du comportement qui se construit dans l'imitation de la nature, dans une conduite à la fois objective et objectivée. C'est ainsi qu'il souligne : “ L'oeuvre d'art est en elle-même un comportement qui, même lorsqu'elle s'en détourne , réagit à cette objectivité. Qu'on se souvienne du vrai rossignol et de son imitation dans la Critique de la faculté de juger, du thème célèbre du conte d'Anderson, si souvent mis en musique ”. Adorno, Théorie Esthétique, op cit. p : 230.

952.

Merleau-Ponty, op cit. p : 245

953.

Voir à ce propos notre rapprochement entre les Stoïciens et Spinoza dans notre Chapitre II intitulé : Etude de l'argumentation distincte à la fois de la transposition didactique et de la vulgarisation scientifique des étapes de la méthodologie expérimentale comme objet de savoir à être enseigné.

954.

Merleau-Ponty op cit. p : 242 et 243.

955.

Ibid p : 245 et 246.

956.

Ibid p 243.

957.

Ibid p : 246.

958.

Ibid.

959.

Ibid.

960.

Lorsque Nietzsche dit que Dieu est mort, on ne sait pas exactement de quel Dieu s'agit-il. C'est pour cela que l'idée est énigmatique et polysémique. Le type de Dieu qui instaure des limites entre les êtres humains peut être qualifié ainsi car Nietzsche de l'attitude critique de l'homme face à son histoire peut expliquer notre interprétation.

961.

Ibid.

962.

Ibid p : 247

963.

Ibid.

964.

Reboul (O.), La Rhétorique, Coll. Que sais-je ? Édit. P.U.F. 1984. p : 38 & 39.

965.

Merleau-Ponty, op. cit. p : 247.

966.

Ibid. p : 249.

967.

Suhamy (H.), la définit comme étant “ un procédé antique par lequel on rapproche deux vocales qui se rassemblent par le son, mais diffèrent ou s'opposent par le sens ”. in Les figures de Style par Suhamy. Coll. Que sais-je ? P.U.F 1981 p : 66

968.

Merleau-Ponty, op cit. p : 249.

969.

Ibid. p : 247

970.

Ibid. p 249.

971.

Ibid. p : 250.

972.

Ibid.

973.

Ibid. p : 251.

974.

Ibid p : 253.

975.

Khodoss (F.), Kant le jugement esthetique Édit P.U.F 1987 p : 10

976.

Ibid p : 18.

977.

Merleau-Ponbty (M.), op cit p : 253.

978.

Kant (E.), Critique de la Raison Pratique . Op cit.

979.

Ibid. p : 253.

980.

Ibid.

981.

Ibid.

982.

Ibid.

983.

Ibid

984.

Ibid.

985.

Merleau-Ponty (M.), op cit

986.

Ibid p : 254 & 255.

987.

Ibid. p : 255.

988.

Malherbe (M.), L'empirisme et le transcendantal dans les philosophies de Hume et de Kant. Article N°4 paru in Revue Métaphysique et Morale Octobre 1978.

989.

Merleau-Ponty op cit. p : 255 & 256.

990.

Ibid. p 256.

991.

Reboul (O.), Éducation et philosophie , ouvrage collectif Édit P.U.F. 1993 p : 71 et suiv. Voir article intitulé : La noble nature de la musique par Gilbert Romeyer Dherbey.

992.

Ibid p : 74.

993.

Ibid p : 77.

994.

Merleau-Ponty (M.) op cit p : 260

995.

Reboul (O.), Éducation et philosophie, op cit p : 79.

996.

Ibid p: 81

997.

Ibid

998.

Ibid.

999.

Ibid p 83.

1000.

Merleau-Ponty (M.) op cit p : 260.

1001.

Ibid p 256.

1002.

Ibid p : 260 & 261.

1003.

Ibid p : 261 & 262.

1004.

Op cit.

1005.

Ils agissent les uns sur les autres et non pas les uns envers les autre.

1006.

Changeux (J.P.), L'Homme neuronal ., Édit. Fayard. 1983

1007.

Merleau-Ponty (M.) op cit. p 269.

1008.

Ibid.

1009.

Ibid. p : 270.

1010.

Cette reprise du hégélianisme surgit ouvertement de la réciprocité entre catégories de parole et catégories de langue, qui sera l'intitulé d'un chapitre de l'ouvrage : Problèmes de linguistique générale T 1, d'Emile Benveniste, op cit. Elle est avancée par Merleau-Ponty qui souligne : “ Chez le spectateur, les gestes et les paroles ne sont pas subsumés sous une signification idéale, mais la parole reprend le geste et le geste reprend la parole, ils communiquent à travers mon corps, comme les aspects sensoriels de mon corps, ils sont immédiatement symboliques l'un de l'autre parce que mon corps est justement un système tout fait d'équivalences et de transpositions intersonsorielles ”. Merleau-Ponty op cit. p : 271. La fonction du discours à laquelle il est ici fait allusion est la fonction phatique, centrée sur l'action.

1011.

Ibid. p : 270

1012.

Ibid p : 271.

1013.

Ibid. p : 272.

1014.

Ibid.

1015.

Nietzsche a en effet laissé penser que le droit à la différence est quelque chose que l'on doit reconnaître puisque les différences s'imposent à nous : on se heurte à elles comme on se heurte à un étant. C'est ainsi qu'il souligne à ce propos : “ le semblable connaît le semblable. On doit montrer de quelle manière toute grande intelligence littéraire fait retour aux grands génies qui lui sont apparentés, ce qui fournirait une preuve remarquable du pitoyable état de l'intellect commun. Celui-ci ne peut en aucun cas créer une grande oeuvre : à plus forte raison n'est-il au grand jamais à même d'en reconnaître une (...) l'existence des grands esprits est "nécessaire", c'est-à-dire que non seulement elle peut être expliquée par l'époque et l'influence du milieu, mais que bien plus elle en est le résultat nécessaire ”. (Cf : Nietzsche (F.), SUR DEMOERITE. Ibid. p : 41 et Suiv). Comme il a ajouté aussi : “ Bien ne signifie plus bien dans la bouche du voisin. Et comment y aurait-il un bien commun ? Le mot renferme une contradiction. Ce qui peut être commun n'a jamais que peu de valeur. Finalement, il en sera comme il en a toujours été : les grandes choses appartiendront aux grands hommes, les profondeurs aux hommes profonds, le raffinement et le frisson aux hommes raffinés et, en un mot, tout ce qui est rare aux hommes rares ”. Cf : NIETZSCHE (F.), Par delà Bien et Mal, op. cit. p : 62.

1016.

Lavater a en effet parlé de la science qui étudie les traits du visage comme possibilité de la reconnaissance de l'homme à son vissage. Cela a donné lieu a ce qu'on l'on appelle habituellement : la physiognomonie de Lavater.

1017.

Merleau-Ponty (M.), op cit. p : 273. voir aussi la note n°2 à la même page, là où il pense que le sens d'une phrase puise son fondement dans une totalité de chose sur laquelle on doit s'ouvrir pour comprendre son sens qui est produit dans un contexte bien déterminé. Cela explique fort bien la relation entre le texte et contexte, entre le système de pensée d'une époque et la production des phrases, des hypothèses qui s'y mettent en mouvement.

1018.

Ibid. p : 274 & 275.

1019.

Ibid p : 277.

1020.

Ibid p : 275.

1021.

Ibid. p : 277.

1022.

Reboul (O.), La Rhétorique , op cit. p : 52.

1023.

Corneille (P.), Œuvres. Paris. 1930 Corneille, Pierre. 1606-1684, à ne pas confonder avec Corneille Jean-Pierre, le linguiste.