3 : Les facteurs psychologiques :

Ce sont les plus important pour Paul Fraïsse, car à leur sujet, il a beaucoup écrit par rapport à ce qu'il a dit des autres facteurs. La complexité de ces facteurs s'explique par le classement de la part de Paul Fraïsse, d'autres niveaux de perceptions possibles.

Le premier niveau est la possibilité de la perception de l'attitude du sujet. C'est-à-dire sa manière de viser en direction des choses. Husserl disait à propos de cette manière, qu'elle est insaisissable, incompréhensible, impossible de la faire partager avec d'autres. Heidegger le reprit sur ce point précis, en disant que la chose est notre chose et nulle autre. Etant donné que la chose est pour ce dernier quelque chose de factice, elle peut alors nous faire réfléchir en tant que je-sujet-pensant. Cependant, on voit bien que les rapports entre philosophie et psychologie ne sont pas encore prêt à être gommés. Il nous arrive d'apercevoir l'objet sur lequel nous portons notre attention beaucoup plus vite qu'un autre objet inattendu. La mesure de la perception est donc ici en fonction de l'attention que nous portons sur les choses posées dans le monde sensible. Les choses disait Aristote, sont posées en vertu de ce qui a déjà été posé. Sur ce point précis : de l'acte de la position, Paul Fraïsse n'altère ni Merleau-Ponty, ni Husserl ni même Heidegger, qui se sont inspirés d'Aristote en ce qui concerne l'acte de la visée en direction des choses, un acte qu'ils ont considéré comme factice dans sa relation intentionnelle à l'égard des choses. C'est ainsi que Paul Fraïsse souligne : “ ‘Le stimulus vers lequel on porte son attention est perçu plus rapidement que celui qui est inattendu. Il en résulte que de deux stimuli qui agissent dans les mêmes conditions sur l'organisme, celui vers lequel on porte son attention apparaît comme antérieur à l'autre’ 1053  ”. Cela veut dire en effet, que l'objet-chose n'est pas simplement notre chose et nulle autre, mais il est aussi un stimulus chargé de degrés d'implications qui attirent notre intention. Il nous engage, il nous contraint à l'appréhender, en passant (lors de son observation), de l'observation compréhensive à la compréhension. Ce n'est rien d'autre que ce que Heidegger nomme : l'historialité de l'oeuvre-chosique. Du point de vue de la transposition didactique, on peut donc laisser penser que la vie des objets est liée à leur continuité surtout lorsqu'on les fait parler tout en exposant ce dont ils témoignent. Mais ce dont ils témoignent n'est pas simplement un état fortuit, il est aussi un processus complexe, qui s'inscrit dans un système susceptible d'être arraisonné et observé. Ce dont ils témoignent est en relation avec l'entourage, avec toute une écologie du savoir. Voilà ce qui nous ramène maintenant à ce que Paul Fraïsse appelle : l'ordination naturelle.

Ce second niveau, est celui de la taxonomisation des stimulations. Par exemple la lumière et le son ne peuvent pas être perçus simultanément : pour les apercevoir on doit donc organiser leur aspect syntagmatique. Cependant, puisque tout est ordonné naturellement, alors la perception est-elle du côté du son (organisation syntagmatique), ou du côté de la lumière (organisation paradigmatique) ? Telle est la question implicite qui ressort de la recherche du sens de l'ordination naturelle. La réponse à cette question est du côté d'une organisation par séries de la perception des successions. Paul Fraïsse pense qu'il est possible voire facile de percevoir la série de l'intervalle et non pas l'intervalle de la série. C'est-à-dire, qu'une série de sons ou d'aperception, peut être organisée et reproduite, beaucoup mieux qu'une autre qui est inversée, et non organisée. Cela nous rappelle bien sûr ce que Descartes disait déjà dans la Règle VI des Règles pour la Direction de l'Esprit, là où il a pensé que la chose organisée, mieux répartie et représentative de toutes les autres choses, doit être appréciée par l'esprit critique qui doit l'arraisonner et s'ouvrir sur elle. Lorsque Paul Fraïsse pense que les excitations visuelles sont organisées entre elles de même que les excitations sonores, cela nous renvoie à penser que dans la nature, tout est organisé et qu'il faut simplement instaurer une méthode de l'ouverture à l'égard des choses pour en apprécier les liaisons logiques reconnue en elles. C'est là tout l'intérêt philosophique de l'information. Celle-ci vue son utilité, peut devenir aussi bien une formation qu'une déformation. Elle est formation lorsqu'elle est bien pensée, bien organisée et bien utilisée pour servir d'exemple d'illustration ou de modèle de mise en forme des valeurs cognitives. Elle peut devenir déformation, lorsqu'elle est livrée à elle-même, apprécier d'une manière fortuite et soutenue délibérément sans sa mise en mouvement et sans sa soumission à une discussion d'argumentation rationnelle. Cette effort de construction du sens correspond donc à une observation organisée des différentes formes de l'apparence. Mais il existe aussi une autre forme d'organisation : celle qui construit le sens sur la base des acquis préétablis, cadrés dans un système de représentation. Cela nous ramène à un autre niveau de perception possible à savoir ce que Paul Fraïsse appelle : l'ordination construite.

Ce troisième niveau, nous incite à construire le sens des contenus et des notions, sur la base d'une ouverture d'altérité radicale à l'égard des acquisitions (par le sujet dans un système donné), des différents contenus et formes de comportements. Par exemple, un enfant ne comprend pas la raison pour laquelle on fait arrêter et déplacer des petits bonhommes sur une table lors d'un jeu d'échecs. Il ne comprend pas parce qu'il n'est pas encore prêt à admettre que l'ordre de la succession n'est pas toujours organisé selon des moments événementiels. Cependant, le sens de la représentation dans le domaine de l'andragogie n'est pas la même chose dans celui de la paidologie. Car le système des représentations est différent. L'appréciation d'une série organisée au sein d'un système de représentation est toujours plus facile que l'appréhension des constructions mentales d'autrui. Car comme le disait déjà Kant, on ne sait pas comment la causalité noumènale (encore moins la causalité phénoménale) produit ses effets. Cela est une chose que l'on ne saura jamais. C'est d'ailleurs dans ce sens que Paul Fraïsse souligne : “ ‘Il nous est facile d'évoquer l'ordre des événements de notre vie qui appartiennent à une même série naturelle comme ceux de notre vie privée, ceux de notre carrière, ceux des événements politiques, vécues à la même époque par exemple, mais nous ne sommes capables d'ordonner des événements de séries différentes que par une construction mentale où nous utilisons des repères et où nous tenons compte simultanément de l'ordre et des intervalles entre événements’ 1054  ”.

Tous ces trois facteurs témoignent de l'aspect factice commun à tous les corps qu'elles que soient leurs formes. La perception de la succession ne dépend pas seulement des impacts qu'à l'environnement sur notre comportement, mais aussi de l'état de notre corps lorsqu'il est prêt ou n'est pas prêt à répondre à des stimulations. Cet état de la disposition est aussi factice, car bien qu'il soit opéré intrinsèquement, il reste toujours factice puisqu'il se présente sous forme d'excitations. Toute intuition de cet ordre est sensible. Nous voilà donc devant le principe Kantien de la causalité, un principe qui pense que toute les intuitions sont de l'ordre du sensible. Chose que Husserl reprendra en laissant entendre que l'acte de la visée est d'abord autopositionel qu'il s'apprête ensuite à poser des avis, des actes dans le monde sensible. Cependant, il n'y a donc aucune raison de penser à l'altération des textes ésotériques "originaires", puisque (aux yeux des philosophes empiristes) même la pensée humaine est une chose pensante.

Lorsque Paul Fraïsse place la perception entre excitation et succession, il veut par là-même mesurer l'importance de l'intervalle qu'occupe la perception en tant que telle. C'est ainsi qu'il souligne : “ ‘Nous pouvons poser, en premier analyse, qu'à des excitations simultanées et qu'à des excitations successives correspond la perception de la succession. Ce raisonnement implique que la perception de la succession ne dépend pas seulement de la succession des événements physiques mais aussi des conditions de la perception. Si l'intervalle entre deux événements est très net, cette manière d'envisager le problème a peu d'intérêt et l'important est alors la perception de la durée de l'intervalle. Le problème de la succession n'est intéressant qu'au seuil du passage de la simultanéité à la succession’ 1055  ”. Cela veut dire d'une part, que toutes les perceptions fortuites, que l'on peut réaliser d'une manière simultanée dans le monde sensible, ne sont de véritables perceptions que si elles correspondent et d'autre part, à un temps de la simultanéité dont témoignent nos manières d'être et de viser en direction des choses. Ces manières nous les construisant dans le temps de la réminiscence et dans celui de l'acquisition. Lorsqu'elles sont posées, ces manières occupent un lieu, un intervalle dit espace-temps. L'aspect de leur position témoigne de l'acte de l'exposition qui se construit dans la continuité de la visée autopositionnelle du sujet qui met en forme le réel, tout en l'apercevant, tout en en estimant la durée.

Notes
1053.

Fraïsse (P.), Traite de psychologie expérimentale Tome VI intitulé : La perception. Op cit. p : 62.

1054.

Ibid. p : 64.

1055.

Fraïsse (P.), Traite de psychologie expérimentale Tome VI intitulé : La perception. Op cit. p : 60.