Chapitre II : Analyses et appréciations de la légitimité ou de l'illégitimité des différentes formes de transpositions du sens de la perception et de la sensation.

Le précédant ableau nous a aidé à apprécier les différentes formes de formulations et de reformulation de chaque auteur, tout en en appréciant la légitimité ou l'illégitimité de sa transposition didactique. Avant de procéder à la comparaison des différentes formes expressives de chaque discours, nous devons d'abord souligner quelques remarques d'ordre général quant à ce tableau que nous avons proposé d'intituler : transposition didactique, transposition pédagogique ou transmission et mise en forme et en mouvement des connaissances et des savoirs notionnels ?

On constate d'emblée que le taux de figuratif (des analyses réflexives portant sur des principes méthodologiques et notionnels) est plus élevé dans les textes de Husserl et de Merleau-Ponty par rapport à ceux de Fraïsse et de Reuchlin. Cela est due en fait à des fonctions sociales bien précises que chaque texte s'astreint à accomplir. En effet, les deux premiers textes ont une vocation philosophique. Ils s'adressent à un public spécialisé et ésotérique. Bien que le texte de Husserl soit un texte didactique (puisqu'il fut un cours destiné à des philosophes), cela n'a pas empêché pour autant l'auteur de Chose et espace de tomber dans des complications stylistiques et notionnelles qui sont restées insaisissables et incompréhensibles. On s'attendait à ce que Husserl ait le privilège d'emprunter des exemples plus explicatifs de la chose qu'il tentait d'élucider. Car la répétition de l'expression : "en chair et en os", n'est pas un exemple bien choisi pour la détermination et la désignation de la liberté en tant que présence en chair et en os. Il est vrai que toute présence en chair et en os n'est pas toujours une incarnation d'une véritable liberté, du moment que la présence s'astreint uniquement à s'affirmer sans se confirmer dans le dialogue, dans la communication et dans la discussion qui puise son fondement dans l'échange rationnel. Dire que le taux de figuratif des explications et des réflexions est plus élevé dans les textes à vocation philosophiques, qu'il ne l'est pas dans les textes à vocation pédagogiques et didactiques, revient enfin de compte à considérer le processus de la transposition didactique comme une sorte de tâche qui s'astreint d'une part à l'explication rigoureuse et exhaustive et d'autre part à l'économie expressive qui puise son fondement dans le renvoi et dans la concision. Faire brièvement c'est aussi un acte pédagogique qui pense que tout ce que l'on doit dire on peut le dire d'une manière directe et concise sans passer par des explications rigoureuses et exhaustives. Nous voilà donc avec ces textes face au paradigme de l'explication et de la signification en transposition didactique. Pour mieux expliquer ce paradigme revenons en donc sur toutes les formulations et reformulations de chacun des textes que nous venons de commenter, d'analyser et d'expliquer.

La distinction traditionnelle, entre substance et essence est largement explicitée à partir des formulations et reformulations portant le n°1 dans les textes que nous venons d'exposer à travers le tableau d'en haut, qui se présente sous forme de quatre entrées. D'emblée, on remarque un accord préalable portant sur l'accroissement possible des objets de la connaissance comme étant des entités objectives susceptibles d'être expliquées, analysées, commentés et mises en forme. Ce qui varie d'un texte à l'autre ce n'est donc pas le but à atteindre : la possibilité de connaître, mais la méthode de l'acquisition. Cependant, on peut se demander si la distinction méthodologique induit nécessairement la diversité cognitive des contenus à acquérir. Si Husserl pense que l'objet de la connaissance doit se fier à une argumentation fondée sur la structure du réel, sur des notions communes auxquelles on doit se référer continuellement pour ne pas perdre de vue l'objet de la connaissance réelle, alors cela aux yeux de Merleau-Ponty, ne peut avoir de sens que dans l'interrogation permanente sur l'attitude de l'acquisition, sur ce qu'il appelle : l'étude des essences, une approche qui s'oppose à l'étude et à l'arraisonnement de la substance. A la question : l'objet de la connaissance est-il celui de l'étude de des essences ou de la substance ? La réponse varie selon les attentes et les engagements philosophiques de chaque auteur. A nous maintenir par exemple à la confrontation qui surgit des formulations portant le N° 1 dans notre tableau, on s'aperçoit que Husserl et Merleau-Ponty assignent à l'objet de la connaissance des catégories déjà avancées dans l'histoire de la philosophie. En effet, à la substance est lié le système philosophique aristotélicien que Husserl évoque d'une manière implicite, alors qu'à l'essence est lié celui de Platon qui a pensé l'objet de la connaissance dans une relation assez large avec tout ce qui se passe aussi bien dans l'âme que dans les idées. Celles-ci sont inaccessibles, imprévisibles. L'organisation et la révision de l'intériorité des consciences peuvent nous renseigner sur les manières à travers lesquelles les sujets mémorisent ce qui est déjà connu. l'ouverture sur l'idéal rationnel de l'être commun peut nous faciliter l'accès à l'essence des choses du moment que le corps est d'une part un tombeau, et d'autre part le vrai être ainsi que sa facticité ne résident pas nécessairement dans la substance. Dire avec Husserl qu'il n'y a de l'être que dans la substance nous rappelle cette phrase de Heidegger, là où ce dernier a écarté délibérément la catégorie de l'essence du royaume de l'être. C'est ainsi qu'il a souligné : “ ‘L'être réside dans la substance, l'être réside dans l'existence, l'être réside dans l'il y a en quel étant pourrait-on lire le sens de l'être, l'être là relativement à son être.... ’”. On voit bien que Husserl ne s'oppose pas à Heidegger sur ce point précis. Pour les deux hommes, il n'y a donc pas d'être dans l'essence. Avec Merleau-Ponty, il existe en effet de l'être dans l'essence puisque et à l'en croire : “ Ce "quelque chose" n'est d'ailleurs pas nécessairement un objet identifiable ”. Cela veut dire en fait que le véritable être n'est pas celui qui réside dans la substance, mais il est un invariant fonctionnel commun à tous les âges. Il est quelque chose qui relève de l'ordre du toujours-déjà ayant des effets dans le déjà-là. Du processus de l'acquisition que l'on rencontre chez Husserl, on glisse avec Merleau-Ponty à celui de la réminiscence. Si l'on compare les deux formulations portant le N° 1 dans le tableau d'en haut, on s'aperçoit qu'entre Husserl et Merleau-Ponty il existe une confrontation qui se traduit par la diversité de l'argument d'autorité que chacun s'astreint à mettre en forme. Si Husserl a cherché à fonder son autorité sur des principes réels, sur des arguments fondés sur la structure du réel, puisque la phénoménologie est pour lui l'étude des substances factices, alors Merleau-Ponty a cherché à fonder son autorité sur des principes émanant du domaine du possible. Si pour le premier le fait est une chose factice, alors il est pour le second une chose factice de la non-facticité. Si pour Husserl on part du fait au fait, de la Loi pour arriver à la règle, alors avec Merleau-Ponty on part du domaine du possible pour arriver à celui de la réalité qui fait la règle de la Loi. Cependant, on glisse avec Husserl de l'argumentation fondée sur la structure du réel, pour arriver avec Merleau-Pontu à une autre qui fonde la structure de celui-ci. Ce glissement s'inscrit dans un domaine disciplinaire bien précis : celui de la philosophie phénoménologique. Dans cette discipline il existe en effet des engagements, des inspirations et des dépassements notionnels de la part des philosophes les uns envers les autres. Car chaque philosophie se construit sur la base d'un arraisonnement critique des systèmes philosophiques qui l'ont précédés ou qui lui sont contemporains. Cela n'est pas toujours le cas pour les textes psychologiques et psychopédagogiques que l'on présente à travers notre tableau d'en haut. Bien que le texte de Fraïsse (à travers sa proposition portant le N°1 dans le tableau) soit une reprise indirecte de l'effort phénoménologique concret, cela n'a pas empêché l'auteur de La Psychologie expérimentale, de laisser une place remarquable aux acquis théoriques antérieurs, qui (à l'en croire) ont toujours un impact sur la manière de l'acquisition des connaissances et des savoirs. Les unités discrètes dont parle Paul Fraïsse, qui sont à l'origine de toute capacité d'appréhension relèvent de l'effort mémoriel dont use le sujet pour accéder à l'essence des choses. A travers les formulations N° 1 des textes psychologiques et psychopédagogiques, on constate une relation de connexion nécessaire qui réside entre les deux catégories : essence et substance. Leur sens est tout à fait particulier. Le texte pédagogique de Maurice Reuchlin est proche du texte ésotérique de Husserl car à travers la formulation N° 1 du tableau l'accent est mis (de la part des deux auteurs) sur l'aspect substantiel des actions stables et cohérentes. Comme on peut le constater, Maurice Reuchlin est un acteur qui s'astreint à comprendre et à analyser des situations concrètes. Cela fut aussi la tâche de Husserl qui fut acteur de situations pédagogique puisque son cours de 1907 (comme nous venons de l'expliquer) portait des fictions de la politique. Ainsi on peut donc dire que le psychopédagogue Maurice Reuchlin n'a pas altéré le texte ésotérique de Husserl puisque l'accord entre les deux hommes a porté sur l'ouverture aux choses concrètes où l'on se donne le temps de la réalisation des projets. Les deux hommes sont à vrai dire des phénoménologues de l'action pédagogique et éducative. On voit bien donc que ce qui détermine l'identité épistémologique de leurs discours est le public auquel ils s'adressent. Les quatre auteurs sont donc en parfait accord sur la possibilité d'arraisonner et d'étudier les faits objectifs en tant que données immédiates auxquelles on se heurte comme on se heurte à un étant. D'ailleurs le texte psychologique lui-même le laisse entendre à travers la formulation N° 1 du tableau. Sur ce point précis, la psychologie expérimentale de Fraïsse qui se veut une étude concrète est objective des données, ne se contredit pas avec la formulation N° 1 du texte phénoménologique et du texte de la psychopédagogie expérimentale de Maurice Reuchlin. Si l'on en croît la formulation de Paul Fraïsse, alors on peut dire que l'appréhension d'un fait immédiat repose sur la perception immédiate de celui-ci sans que l'on puisse chercher à le reproduire d'une manière répétitive. L'étude de toute perception susceptible d'être appréhendée, repose sur notre capacité non seulement à le reproduire, mais aussi à le pénétrer avec force pour en calculer les différentes unités en vue de les programmer. On voit donc que cette mise en mouvement des connaissances et des savoirs d'un champs disciplinaire à un autre enrichit d'une manière générale et sous les effets des altérations positives la connaissance que l'on peut avoir d'un fait, d'une proposition, d'une notion bref, des contenus.

Les différentes formulations et reformulations portant le N°2 dans le tableau prolongent le sens des précédentes qui portent le N° 1. L'accord porte ici sur la facticité du monde physique, sur l'étendue de son pouvoir. Ce qui est ordinaire peut en effet caché dernière lui quelque chose d'extraordinaire. Les liaisons logiques que renferment les choses du monde les mieux réparties en est un exemple probant. En effet lorsque le texte ésotérique laisse entendre la possibilité de l'expérience qui repose sur le commencement par les immédiats et par les premiers éléments, il voulait par là-même attirer notre attention à l'étude objective d'un fait. Cette étude incarne la logique de la découverte scientifique qui emprunte la méthode du saut, une méthode selon laquelle comme le disait déjà Claude Bernard le sujet se jette à travers champs pour en discerner les différentes strates, en expérimenter l'étendue. Ce n'est rien d'autre qu'une connaissance objective des faits objectivant. La reprise de Merleau-Ponty est proche de cette conception. Comme on peut le constater à travers la reformulation N° 2, le monde pris dans son sens le plus large et le plus étendu, s'impose à nous avant toute appréhension spéculative organisée. La pensée si l'on en croit les deux auteurs (Husserl et Merleau-Ponty) ne peut penser que dans les signes mondain et non pas avec les signes spéculatif et interprétant de la pensée abstraite. Heidegger avait déjà laissé entendre que la pensée est obscure par elle même, et que le plus important est de nous effacer (en tant que sujet pensant d'une manière imaginaire) devant les choses que l'on aperçoit. Le texte pédagogique de Paul Fraïsse et le texte psychopédagogique de Maurice Reuchlin ne s'éloignent pas de cette conception. D'ailleurs si l'on se réfère à leurs formulation portant le N° 2 dans le tableau, on s'aperçoit qu'une donnée n'est appréhendée pour Fraïsse que par la détection de la simultanéité : par la présentation concrète et immédiate des stimuli, que l'on peut apercevoir, entendre et organiser. La simultanéité des stimuli auditifs ou visuels à laquelle Paul Fraïsse fait ici allusion dans son texte pédagogique témoigne en effet de la possibilité d'une observation organisée des faits concrets que l'on peut organiser pour en sortir des modèles perceptifs. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle l'auteur de La psychologie expérimentale s'est donné le temps pour organiser des expériences et des séquences expérimentales. Cela correspond dans une large mesure à la conception qu'il se faisait de la psychologie expérimentale en tant que discipline, étudiant concrètement le domaine de ce qui est aussi bien prouvé qu'éprouvé. D'ailleurs, on voit mal la raison pour laquelle Merleau-Ponty réfute et récuse l'approche psychologique et psychophysique qui ont affaire aux vécus. Car l'auteur de la phénoménologie de la perception cherche lui aussi l'étude objective du monde avant toute appréhension scientifique. Lui-même en tant que phénoménologue, n'a pas échappé à cette approche expérimentaliste qui s'ouvre sur l'étude du caractère en tant que loi de la liberté de l'action concrète des sujets pensant et agissant. Le rejet de la psychologie et de la psychophysique n'est pas un rejet de la psychologie expérimentale qui est une approche descriptive des phénomènes. Merleau-Ponty avait déjà avancé que sa phénoménologie se veut une sorte de psychologie descriptive. Sur ce point précis, il ne peut donc y avoir d'altération entre les deux formulations du texte psychologique et du texte phénoménologique. Le texte psychopédagogique va confirmer cette non opposition surtout lorsqu'il déclare un rapprochement entre psychologie expérimentale et psychologie clinique. Ce rapprochement peut être considéré comme une sorte de critique implicite à l'égard de la phénoménologie de la perception qui rejette et récuse ces deux approches lorsqu'il s'agit d'une étude objective des faits. Le psychopédagogue (Maurice Reuchlin), dans sa référence à la Gestaltthorie se veut fidèle aussi bien au texte ésotérique de Husserl qu'à celui de Merleau-Potnty, encore moins à celui de Fraïsse. En effet, la théorie de la forme pense que l'on aperçoit l'organisation du tout avant même d'apercevoir ses parties. Cela veut dire que le monde est organisé d'avance et que l'important serait d'apprendre à penser avec lui : de choisir les questions que nous devons lui poser. Penser avec la nature des choses telle est la devise de ce texte pédagogique, qui pense la possibilité d'une organisation de toute apparence réelle. Dans le domaine pédagogique, cela se traduit par la possibilité de l'éducabilité des intelligences apparentes qui se donnent d'une manière fortuite. Dire que le champs perceptif se structure spontanément explique tout le processus de l'apprentissage au sujet duquel Ph. Meirieu dit que le désir d'apprendre est à la fois connu et inconnu. La spontanéité structurelle à laquelle Maurice Reuchlin fait ici allusion correspond en fait à cette attitude à travers laquelle on se jette à travers champs pour en extraire des modèles de vie. Les champs pédagogiques et éducatifs sont en effet riches d'énigmes, de problématiques et de contenus perceptifs. Le renvoi auquel on se heurte à travers ce texte pédagogique, traduit une altération positive, car il incite l'étudiant du D.E.U.G à la recherche par lui-même du sens que la théorie de la forme (dont le contenu a été hérité de l'effort philosophique hégélien) avait donnée à la structure organisationnelle de l'acte perceptif. Le renvoi (qui malgré tout peut altérer et appauvrir le contenu d'un texte) est parfois légitime puisqu'il est une provocation intellectuelle qui s'astreint à convoquer l'autre à la recherche des différents sens d'une proposition. D'ailleurs Kant en tant que philosophe, avait déjà employé l'expression : “ Cela a déjà été démontré ailleurs ”, et ce pour convoquer ses lecteurs à la connaissance globale de son système philosophique.

Les formulations et les reformulations portant le N° 3 dans notre tableau, prolongent le sens de la continuité de l'être des choses que les précédentes formulations ont évoqué. A la vie des objets on peut assigner – comme le souligne fort bien le texte pédagogique de Maurice Reuchlin – une autonomie organisationnelle. La spontanéité à laquelle on rattache une importance capitale est expliquée dans le texte pédagogique en faveur de la place qu'occupent les formes apparentes qui s'organisent mutuellement sur un fond. Bien que la formulation du texte pédagogique soit si concise, elle est pourtant susceptible d'être expliquée. Cette explication ne peut être comprise que par la référence aux autres formulations qu'incarnent les textes ésotériques de Husserl et de Merleau-Ponty. A vrai dire, le texte pédagogique qui est marqué par la permanence du renvoi, devient illégitime là où le sens des propositions est évacué. Car l'évacuation dont témoigne la formulation du texte de Reuchlin, métamorphose les résultats en les rendant secs : on les livrant sans amples d'explications à des auditoires présumés. D'ailleurs le texte ne s'est pas donné ni le temps ni les moyens pour élucider les manières dont lesquelles les formes sont perçues sur un fond relativement indifférencié là où figure et fond peuvent s'influencer mutuellement. Cependant le texte pédagogique, au lieu qu'il soit organisé autour du paradigme de l'explication, il s'organise autour du paradigme de la signification qu'il perd par là-même sa propre fonction didactique tout en tombant dans l'ésotérisme, la complexité et l'exhaustivité générale. Pour comprendre cette organisation des formes dans le monde réel, il aura fallu remonter aux textes ésotériques pour mieux discerner le problème de l'organisation des formes. D'abord toute forme perçue ne peut être appréhendée que par une ouverture sur toutes les autres formes qui l'entourent. C'est ce que Descartes avait déjà proposé dans la règle VI des Règles Pour la Direction de l'Esprit 1252 . Cette proposition se trouve en fait confirmé par le texte ésotérique de Husserl, là où ce dernier explique (à travers la formulation N° 3) la possibilité d'une ouverture inachevée sur l'extension du pouvoir physique du monde qui continue à exister et à s'étendre devant nos yeux. Toute perception doit en effet prendre en compte les différents états des choses dans le monde. Il peut y avoir en effet des choses qui se décomposent, qui se métamorphosent, qui se produisent et se reproduisent par la voie du principe de la combinatoire que l'homme leur impose. L'esprit en tant que chose, lorsqu'il s'ouvre sur la quasi-totalité des choses du monde les mieux réparties, s'aperçoit que le monde réel jouit de la continuité comme étant l'invariant fonctionnel de sa propre destinée. Nietzsche avait en effet laissé penser qu'il n'existe qu'un seul temps : celui du présent qui se prolonge du passé vers l'avenir. Les attitudes présentifiantes dont parlent Husserl correspondent en effet à ce que Nietzsche avait déjà pensé en terme de continuité des choses du monde réel, desquelles on pourrait apprendre sans cesse. Apprenons de la plante et de l'animal ce que c'est que s'épanouir, disait-il. dans la totalité de ces formulations portant le N ° 3, on constate aussi un accord entre les auteurs.

Cet accord est fondé sur l'aspect substantiel des contenus mondains. Si les textes phénoménologiques de Husserl et de Merleau-Ponty ont pensé (à travers les formulations N° 3) la substantialité et la facticité des contenus du monde, alors il en va de même pour les autres reformulations des textes psychologiques et psychopédagogiques. L'oeil à travers lequel on met en forme le réel est un comportement factice susceptible d'être non seulement observé, mais aussi reproduit à maintes reprises. Cette reproduction est traduite par ce que Paul Fraïsse pense en terme de capacité de dénombrement et d'arraisonnement des faits mondains. Chose que Maurice Reuchlin n'a pas ignoré lorsqu'il a assigné au sujet la capacité de la reproduction de son expérience antérieure, qui n'est rien d'autre qu'un comportement, un oeil factice à travers lequel il se donne le temps de la mise en forme du réel. Cet accord entre les différents auteurs est préalable à toute discussion. Car ils ont décidé de prendre en considération les données du monde, qui, elles, se donnent à l'appréhension. Cet accord a rendu leurs textes accessibles à l'argumentation rationnelle. Il y a – comme on peut le constater – une cohérence interne entre les formulations et les reformulations portant le N 3, puisque le problème qui se présente à cet endroit précis est celui d'un apprentissage à ciel ouvert. Pourquoi donc ces textes portant le N° 3 nous incitent-ils d'une part à l'appréhension de la spontanéité, et d'autre part à la prise en considération de l'autonomie organisationnelle du monde réel ? L'une des raisons pour cela est la nécessité de la construction du sens. Dans le monde de l'immédiateté rien n'est donné tout est construit. Cette construction du sens n'est pas extra mondaine. Elle s'effectue dans le monde réel, dans le monde des phénomènes, car le sens peut parfois résider dans la fiction et dans le frisson du sens qui sont l'oeuvre des paraboles et des catégories de paroles, avant même que celui-ci soit organisé, administré par les différents systèmes du langage. Austin avait déjà laissé penser que le langage ordinaire est le premier venu avant le langage administré. L'important serait donc non pas de nous laisser aller avec celui-ci, mais l'important est de savoir maîtriser les questions à lui poser. Cependant lorsque les formulations et les reformulations portant le N° 3 questionnent en direction du monde, en direction des choses du monde les mieux réparties, elles ont cherché par là-même à prouver la possibilité de l'acquisition du sens sur la base d'une ouverture d'altérité radicale à l'égard des processus et des états mondains. A partir de là, on peut dire que ces formulations et reformulations sont sur la même ligne que celle d’Aristote qui a pensé l'extension du pouvoir physique du monde lorsqu'il a laissé entendre que l'être se prend en plusieurs acceptions qu’il n'est pas une simple homonymie. Les formes que l'on aperçoit dans le monde s'organisent sur des fonds différents. Du point de vue pédagogique on peut dire que l'influence mutuelle (à laquelle le texte pédagogique fait ici allusion) et qui réside entre figure et fond, est une réalité incontournable, car toute image réelle traduit une relation de connexion nécessaire entre substance et matière, entre forme et contenu. Par exemple, un comportement dans une classe ne peut être expliqué seulement par les actions produites dans l'instant du moment, il est au contraire le fruit de tout un travail d'appréhension des processus complexes qui le constituent : sa relation avec le pôle de la famille et avec le système de relations combinées dans leurs rapports avec d'autres comportements. La forme n'est donc pas un état. Elle est un processus qui forme un fond, et pour la comprendre on doit l'arraisonner au trèsfond dans sa relation avec l'écologie du savoir qu'elle reflète.

A travers les formulations et les reformulations portant le N° 4 dans le tableau, on s'aperçoit que les textes ont un même lieu commun : le temps de la subjectivité objectivante. C'est-à-dire, (et si l'on en croit les quatre auteurs), il existe un rapport de connexion réciproque entre le sujet et l'objet. Chez Husserl, les objets sont factices de la non-facticité : ils témoignent de quelque chose qui va au-delà de leur être apparent. Ce quelque chose n'est pas de l'être. Il est au contraire apparenté – dans sa dimension spatio-temporelle et spirituelle – , au devoir être. Cela veut dire en fait, que l'objet pour lui-même ne vaut que par l'intermédiaire du sujet qui l'arraisonne, qui le transforme, qui le rematérialise, ou encore (comme cela arrive parfois dans certaines cultures) qui le sauvegarde quitte à le vénérer. Les deux formulations de Husserl et de Merleau-Ponty (portant le N° 4 dans le tableau) sont fidèles à la proposition hégélienne quant à la place de l'objet de l'art dans son rapport au sujet qui le contemple. Si dans les textes on ne retrouve – comme Merleau-Ponty vient de le faire remarquer – que ce que nous y avons mis, alors il en va de même pour le statut de l'objet au sujet duquel Hegel disait déjà que c'est dans l'art (en tant qu'objet chosique) que le peuple a déposé ses idées les plus hautes. Il existe donc une analogie entre le texte écrit dans des mots bien choisis, et l'objet d'art figuratif. Cette analogie repose sur le principe logique : la combinatoire. Cependant on peut dire que les objets d'arts dans leurs organisations en séries, sont à la langue des textes ce que les mots des propositions expriment comme sens immanent. Le rapport dans les deux cas est fondé sur l'organisation sémantique selon laquelle le sens se construit d'une manière combiné traduisant un système de données. Si l'objet crée un monde, un espace figuratif auquel le sujet se heurte comme il se heurte à un étant, alors cela n'a pas échappé aux deux auteurs : Husserl et Merleau-Ponty, de la phénoménologie, leur argumentation est fondée sur la structure du réel. Car pour eux, même l'histoire idéaliste est considérée comme quelque chose de factice. A les en croire sur ce point précis, on ne peut guère penser donc d'une manière anhistorique. Car le souvenir mémoriel est une chose qui se prolonge dans l'étant et dans l'espace. D'ailleurs, la nostalgie que peut avoir le sujet à l'égard de la mémoire de l'histoire, y compris la sienne propre, est largement explicitée par Merleau-Ponty dans cette formulation N° 4 dans sa reprise de Husserl. Si l'auteur de La Phénoménologie de la Perception pense que chaque sujet doit retrouver au sein même de sa propre civilisation contemporaine, l'idée au sens hégélien, alors cela doit être compris dans la perspective de la relation de connexion nécessaire entre ce qui est réel et ce que est rationnel. Autrement dit, le comportement réel d'un sujet doit être mis en forme d'une manière rationnelle. Cette manière doit être (aux yeux de Merleau-Ponty) fondée sur la relation d'altérité radicale à l'égard de la Nature. Cette dernière est ici prise dans une acception plus large pour designer la réalité factice de tous les comportements. L'historien en tant que sujet acteur de sa propre histoire qu'il cherche à construire, doit donc assumer les faits réels en les mettant en forme dans le dialogue rationnel avec autrui. Parler d'un acte à travers lequel on doit assumer notre propre histoire, est en soi une action lourde de sens, car cela nécessite une philosophie de l'engagement, qui se trace un projet, qu'elle se donne le temps de le soutenir et de le défendre. Sur ce point précis, il n'y a pas d'altération de la proposition de Husserl par Merleau-Ponty, car le projet politique du premier a été prolongé par le second, puisque pour l'un comme pour l'autre, la politique est au fondement de l'acte et du comportement réel. Le sujet se donne le temps en effet de rationaliser la politique d'une manière aussi bien violente que pacifiste. Le projet politique dont il était question, fut celui de l'extension du pouvoir cognitif, que les deux auteurs ont cherché à mette en évidence lorsqu'ils ont insisté sur l'exploitation du monde, sur la reconnaissance de la vérité qui émerge de la rencontre et du rendez-vous avec l'autre et est le processus qui l'accompagne. Apprendre à connaître autrui, est en soi un projet politique qui se donne le temps de la reconnaissance du droit à la différence dont témoigne le monde des réalités chosiques. C'est ce que Husserl et Merleau-Ponty ont pensé (à travers ces deux formulations portant le N 4) en terme d'ouverture sur des comportements chosiques, incarnant des réalités factices. Le vrai art est donc celui qui s'astreint à reconnaître des comportements tout en cherchant à comprendre le sens inhérent à ceux-ci.

D'ailleurs lorsque Adorno 1253 a laissé entendre que l'oeuvre d'art est en elle-même un comportement, il voulait par là-même laisser penser que l'activité artistique véritable réside là où l'on ne se rend pas compte. Autrement dit (et comme Hegel l'a laissé penser), l'art qui véhicule un sens immanent réside dans le frisson du sens. C'est ce que les textes exotériques à vocation pédagogique et didactique vont (à travers leurs formulations portant le N° 4) nous faire comprendre. Puisque la pédagogique et la didactique sont des activités artistiques, alors le fait que Paul Fraïsse et Maurice Reuchlin aient centré leurs efforts sur les manières de l'acquisition du sens, est en soi un prolongement enrichissant de l'effort des textes ésotériques. En effet, l'appréciation de l'organisation en séries combinées d'un ordre naturel appareillé, est largement explicitée par la formulation du texte psychologique de Paul Fraïsse. Cela ne contredit en rien l'argumentation fondée sur la reconnaissance des liaisons logiques, que l'on peut reconnaître dans les choses les mieux réparties, auxquelles les deux auteurs des textes ésotériques n'ont pas cessé de se référer pour expliquer le monde en terme de tâche. De même la réalité mondaine est définie par Husserl et par Merleau-Ponty en terme de tâche, de même le comportement éducatif (dont témoignent des activités diverses de toutes les intelligences mentales), est aussi défini par Paul Fraïsse et par Maurice Reuchlin en terme de tâche à laquelle tout didacticien tout pédagogue doit d'emblée être attaché d'une manière soucieuse. Avoir en effet le souci des apprentissages des différents apprenants, est en soi un geste de l'humanisation de l'acte d'apprendre, une humanisation qui se traduit par le concept nouveau : l'éducabilité des intelligence, un concept chèr à l'action éducative. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les deux textes (psychologique et psychopédagogique) dans leur formulation N 4 ont tenu à mettre en évidence le caractère expérienciel de l'organisation en séries des expériences antérieures d'un sujet donné dans le temps et dans l'espace. Le sens du "spatio-temporel" et du "spirituel", évoqué par le texte de Husserl, est largement élucidé, expliqué et démontré par les deux formulations des textes psychologique et psychopédagogique, portant le N 4 dans notre tableau.

Mais si l'on s'astreint à la comparaison des styles des différentes formes de formulations et de reformulations, on s'aperçoit que la trajectoire du savoir varie dans son étendue expressive, d'une proposition à une autre. Cette variation est due aux changements des répertoires lexicaux, un changement qui survient à cause du public auquel chaque auteur s'astreint à s'adresser. Puisque les Cours de Husserl professés en 1907 s'adressaient à un public de spécialistes : à des philosophes en premier lieu, alors l'effort pédagogique qui fut celui de l'abstraction engendrée par des réalités politiques que l'époque imputait aux penseurs, varie par rapport aux textes de Reuchlin ou de Fraïsse, qui ont pris l'initiative de s'adresser dans des mots simples à un public d'initié, qui cherche à donner sens à des catégories psychologiques et psychopédagogiques. Cette clarté discursive et esthétique est due à des réalités politiques naissantes où la liberté d'expression, d'action et de production, est devenue la devise de la recherche de l'extension du pouvoir cognitif, pour remédier par exemple à des réalités psychologiques et pédagogiques inadaptées et inadéquates. L'accroissement (après la deuxième guerre mondiale) des laboratoires de psychopédagogie pathologique qui avaient centré leurs tâches sur la compréhension des situations d’enfance inadaptée, était un exemple probant. Si les textes psychologiques et psychopédagogiques n'ont pas cherché à étendre leurs projets dans des mots et dans des expressions à haute densité discursive, cela était à cause de la spécificité de l'écologie de leur savoir. L'écologie du savoir de l'époque de Husserl fut celle de la recherche de la sensibilisation à la mobilisation, alors que celle des auteurs comme par exemple Fraïsse, Jean Piaget voire Reuchlin et Antoine Léon, est une écologie qui demande d'agir pour remédier dans la mesure du possible à certaines pathologies engendrant l'inadaptation et l'inadéquation des comportements. Il y a donc à travers les différentes formes de formulation et de reformulation, une différence stylistique dues aux attentes causées par les besoins de l'époque. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle Paul Fraïsse parle des besoins de l'époque, qui constituent l'expérience de notre vie, à laquelle on se réfère parfois sans cesse. Si les textes ésotériques cherchent à marquer des projets à travers la haute densité discursive inhérente à la clarté stylistique, alors les textes exotériques de Fraïsse et de Reuchlin, cherchent à se faire remarquer à travers la prise en compte des situations complexes, auxquelles ils ont cherchés à donner des solutions possibles. Il y a donc deux niveaux d'organisations possibles sur lesquels se construisent les textes de nos auteurs. A la haute densité discursive incarnant la clarté stylistique dont témoignent les textes de Husserl et de Merleau-Ponty, est liée l'organisation syntagmatique, là où le sens des sonorités stylistiques est organisé autour de l'emploi des différentes figures rhétoriques et des différentes métaphores, alors qu'à la clarté artistique et esthétique auxquelle les textes pédagogiques et didactiques nous incitent à être docile et bienveillant, est liée l'organisation paradigmatique centrée sur la classification des actes. Si dans le premier niveau, il est question d'un choix privilégié des mots, alors dans le second cas il est donc question du choix des situations à résoudre, des modalités adaptées à la résolution des inadaptations et des inadéquations appareillées. Mais entre l'organisation paradigmatique et l'organisation syntagmatique il y a une convergence dont témoigne l'échos engendré aussi bien par l'action pratique des pédagogues et des didacticiens que par l'action spéculative des philosophes. Car l'expression est en elle-même une action, une pression active, puisque comme le pense JaKobson 1254 le discours expressif articulé peut parfois remplir la fonction phatique centrée sur l'action. Cette dernière est parmi les six autres fonctions expressives du discours.

Ce n'est pas seulement l'expression exprimant un énoncé discursif qui traduit un acte factice, qu'engendre notre mémoire collective et individuelle, mais la conscience en tant qu'activité mémorielle, consciente de quelque chose, est aussi un acte qui accomplit une fonction phatique. Au sujet du sens de la conscience, les quatre auteurs que nous étudions ici, (à travers leurs formulations portant le N° 5 dans notre tableau), vont maintenant expliquer le sens de cette composante qui renferme en elle-même les deux catégories philosophiques : essence et substance qui depuis longtemps se sont opposées l'une à l'autre. Ce lien dont on doit maintenant étudier les différentes formes de transposition didactique nous semble tout à fait nouveau car depuis longtemps l'essence et la substance ont toujours traduit deux courants philosophiques à savoir l'idéalisme et le matérialisme qui sont restés antagonistes jusqu'à nos jours. Du point de vue épistémologique, on peut dire que la conscience qui est à la fois essence et substance, un concept général et englobant n'est rien d'autre qu'un choix que privilégient Husserl et Merleau-Ponty pour enfin avoir une idée globale sur la connaissance générale des faits objectivant. La conscience est la chose non seulement du monde la mieux partagée, mais elle au fondement de l'être de toutes les choses susceptibles d'être arraisonnée, exprimée et mis en forme et en mouvement. C'est d'ailleurs ce qui ressort aisément des deux propositions (portant le N° 5) de Husserl et de Merleau-Ponty.

Le modèle général réel sur lequel est construit le sens de la conscience chez Husserl et Merleau-Ponty est un modèle ouvert à des interprétations possibles, car la conscience est en elle-même un concept général englobant. Mais cette généralité et cette globalité ne sont pas expliquées de la même manière chez Husserl et chez Merleau-Ponty. Le premier en effet souligne avec énergie et dynamise l'aspect objectif et chosique de la conscience qui traduit d'autres comportements connaissables comme par exemple le jugement, la perception, intuition générale et choses semblables..., quant au second, il reprend la même formulation de Husserl c’est-à-dire : la conscience en tant que conscience de quelque chose, pour la dépasser en disant que la conscience n'est pas nécessairement un objet identifiable. De ce fait, on part avec Husserl d'un effort réflexif ouvert à la conscience pour arriver avec Merleau-Ponty à l'élucidation de l'aspect essentiel de la conscience à travers un effort de classification des différents états de celle-ci. Si avec Husserl on passe donc de l'effort taxinomique pour arriver à l'effort taxonomique, alors il n'en va pas de même pour Merleau-Ponty là où l'on assiste à travers (sa formulation N° 5) à l'opération inverse. Le fait que Husserl ait un projet politique dès le début de ses réflexions philosophiques, alors cela rendu sa proposition organisée autour du paradigme de l'objectivité du sens de la conscience qui surgit de cette formulation exprimant un but bien précis auquel le sujet doit s'orienter sans tarder, car la taxinomie est la science des objectifs. Cela n'est pas le cas pour Merleau-Ponty, qui se propose la donation du temps de la classification et du discernement du sens de la conscience. Car si l'on s'astreint à nous référer d'une manière permanente à notre monde, nous nous éloignerons davantage de la connaissance de la perception et du perçu puisque la compréhension de l'un ne doit pas être privilégiée au détriment de l'autre. Les deux sont en effet au coeur du monde objectif. Alors que la compréhension de celui-ci repose sur la manière de sa mise en forme : une chose à laquelle on attache rarement de l'importance. Sur ce point précis, Husserl est dépassé du moins partiellement par Merleau-Ponty, car c'est bien l'essence qui est pour lui une substance, alors que pour Husserl c'est au contraire cette dernière (la substance) qui est du domaine de l'essence. C'est d'elle que surgissent les enchaînements chosiques de la conscience substantielle, qui se heurte aux choses de l'étant. Du domaine de l'objectif rencontré chez Husserl, on glisse avec Merleau-Ponty à celui de l'objectivé.

Dire avec Husserl que “ la conscience (en tant qu'objet) a un privilège qui justifie d'opposer de manière fondamentale conscience et objet au sens strict ”, est en soi une proposition incarnant une argumentation de substitution et de coexistence. Cette liaison est servie par l'emploi de la métaphore du réel : l'intentionnalité qui se fait jour, et ce pour exprimer la possibilité réelle d'une liaison entre le possible (la conscience de l'intentionnalité) et le réel (les choses et les enchaînements du monde les mieux réparties). Lorsque Husserl s'astreint (d'une manière tantôt implicite et tantôt explicite), à faire parler l'objet de la conscience, il procède par là-même à la mise en forme du temps de la prosopopée. Car cette figure rhétorique qui fait parler l'objet en faisant de lui un sujet, capable de discourir sur des faits agissants, rend possible l'accès à tous les aspects de l'objet. Dans cette formulation de Husserl en s'aperçoit en effet que le terme : objet, est cité au moins cinq fois de suite. Cela explique fort bien le procédé rhétorique : la prosopopée, autour duquel est organisé presque tout le texte et en particulier cette formulation N° 5. A la relation de connexion nécessaire qui réside entre l'objet et la conscience (une relation que l'on rencontre chez Husserl) correspond la relation de connexion réciproque que l'on rencontre chez Merleau-Ponty à travers cette formulation portant le N° 5 dans le tableau. En cette dernière on remarque d'emblée que le mot : notre conscience, est cité au moins cinq fois de suite. Quel hasard organisateur de l'antagonisme sémantique ! le fait de s'adresser à notre conscience tout en la faisant parler incarne la figure rhétorique : l'apostrophe qui s'oppose à la précédente figure : la prosopopée. L'apostrophe comme nous l'avons déjà fait remarquer dans nos précédants chapitres, est une figure rhétorique qui incarne l'universalité, qui s'adresse à un absent personnifié que l'on construit comme auditeur. Ici et à travers cette formulation N° 5, Merleau-Ponty veut en effet s'adresser à toute les conscience humaines qui cherchent à donner un sens véritable au monde. Ce dernier n'est pas simplement comme disait Heidegger notre monde et nulle autre, il est aussi le monde des choses qui nous environnent, et celui des autres individus avec lesquels on entre en contact. Par conséquent, le monde n'est pas un état comme Husserl le laisse entendre, il est au contraire un processus complexe difficile d'accès puisqu'il n'est pas une chose identifiable. Pour identifier le quelque chose de la conscience, on doit (si l'on en croit Merleau-Ponty), nous tracer (comme le disait déjà Descartes de la Règle VI des Règles pour la Direction de l'Esprit), une technique d'ouverture à l'égard de toutes les choses pour en identifier ce qui ne se donne pas à première vue à l'identification. Car comme le disait Gaston Bachelard, rien n'est donné, tout est construit.

Sur le plan psychologique et psychopédagogique – comme on va maintenant le démontrer à travers les deux autres reformulations – , le concept de la conscience va subir d'autres sens qui correspondent aux attentes de chaque auteur. De prime abord, on constate que la relation de connexion nécessaire à laquelle nous venons de faire allusion chez Husserl n'est pas ici altérée par la reformulation de Paul Fraïsse, portant le N° 5. En effet, et à en croire cet auteur, il existe une relation de connexion nécessaire entre l'avoir de la conscience et la perception immanente. Qu'est-ce que cela peut-il donc signifier ? Il y a une fidélité principielle à la prise de conscience des liaisons logiques reconnues dans les choses, une conscience qui se dégage à première vue de cette reformulation N° 5. Car Paul Fraïsse a tenu à fonder sa psychologie sur le modèle scientifique qu'incarnent les sciences dites exactes. Il en va de même pour la phénoménologie de Husserl qui, (dès le début de l'introduction de son cours portant sur la relation entre chose et espace), n'a pas hésité à affirmer la possibilité de construire un monde d'expérience dans lequel on peut organiser les connaissances expérimentales issues de l'observation phénoménologique du monde naturel immédiat. Car les connaissances qui en découlent forment un système à vocation scientifique. Lorsque Paul Fraïsse parle d'un avoir de la conscience qui se construit dans une perception immanente, il voulait par là renforcer son argumentation d'autorité, puisque l'avoir dont il est question ici est un avoir sous-la-main qui se construit par la capacité qu'à la conscience humaine à montrer le contenu immanent. L'homme a en effet l'oeil à travers lequel il met en forme le réel. Ce n'est rien d'autre qu'une autorité qui fait de lui (comme disait Heidegger) un mon-stre, capable de porter les mots aux choses qu'il rencontre, qu'il aperçoit et qu'il cherche à avoir sous-la-main. Cela correspond largement au domaine de ce qui est prouvé, dont Paul Fraïsse disait qu'il est au fondement de toute idée hypothétique. L'attention que l'on rattache à un stimulus, repose sur une autorité objectivante, une autorité qui transcende les objets qui témoignent des épreuves organisées selon la meilleure forme possible. Cette forme qui fait désormais l'objet d'impression est perçue beaucoup plus rapidement qu'une autre qui est inattendu, présentée d'une manière hasardeuse et fortuite. A maintenir cela, on peut laisser penser qu'il y a là aussi un dépassement du texte phénoménologique par le texte psychologique. Car si pour la phénoménologie, l'autorité de la conscience se construit dans l'organisation spontanée et immédiate via l'arbitraire, alors il n'en va pas de même pour la psychologie expérimentale (dont parle ici Paul Fraïsse) qui pense la conscience en relation avec l'organisation conventionnelle qui se construit dans le débat rationnel et le rendez-vous avec d'autres processus à caractère systémique. Pour le texte psychologique, l'important ce n'est pas le déjà-là présent, mais ce qui est primordiale est l'impact qu'ont nos souvenirs sur notre comportement. Les manières d'être peuvent en effet être expérimentées, puisqu'il nous arrive parfois (sinon dans la plupart des cas), d'agir selon le mode de représentation auquel on porte une attention particulière. Le toujours-déjà fonde en effet le déjà-là. Lorsqu'on procède à la mise en forme de nos idéaux – par la référence permanente – à l'antériorité de nos souvenirs, on est plus actants de nos manières d'être qu'acteurs de situations. Mais on peut devenir à la fois acteur et actant de situation lorsqu'on est soumis à l'effort de l'acquisition du sens. C'est d'ailleurs ce que le texte pédagogique va maintenant s'efforcer de démontrer.

La référence permanente du texte psychopédagogique à la théorie de la forme n'est pas un hasard. La force des formes s'explique en effet par le processus d'information qu'elles tentent de mettre en mouvement. En les formes, il existe en effet un lien entre les deux catégories philosophiques : la substance et l'essence. Ce lien s'explique en pédagogie et en didactique par le sens que peuvent avoir l'École ou l'Université en tant qu'institutions ouvertes sur des valeurs qui fondent leur caractère systémique. Lorsque le texte pédagogique marque une pause pour souligner avec force le lien entre figure et fond, il veut par là-même mettre en évidence le lien entre la forme d'un contenu et sa substance. Du point de vue de la transposition didactique et pédagogique, cela signifie qu'un élève ou un étudiant par exemple, arrive à l'École ou à l'Université avec des valeurs déjà acquises. L'important pour l'acquisition du sens des nouvelles propositions, est de l'aider à pouvoir changer de culture expérimentale tout en s'appuyant sur ce qu'il sait pour suggérer par là-même ce qu'il doit réellement savoir. L'École ou l'Université ne sont donc pas des lieux qui doivent remplir la fonction de service. Ils sont au contraire des endroits qui doivent s'opposer à toute tentative de mise en forme des valeurs de l'opinion admise et ordinaire. Le seul service que ces institutions doivent à nos yeux accomplir est de se retourner contre l’ordre établi au lieu de venir en aide à celui-ci. Bien que cette proposition N° 5 soit marquée par du renvoi et par une clarté esthétique, elle est malgré cela, porteuse de sens à haute densité discursive. La référence permanente en effet à la notion de forme, témoigne de la possibilité de l'organisation de la pratique pédagogique et didactique en tant qu'art d'enseigner tout à tous. Si des formes issues des différents stimuli peuvent s'organiser tout en formant des groupes et des notions, alors il en va de même pour un groupe d'élèves et d'étudiants qui apprennent dans leurs relations avec leurs maîtres et leurs semblables dans leur ouverture à l'égard des différents systèmes de valeurs auxquels ils appartiennent. Si la bonne forme peut donc s'organiser (comme le dit le texte pédagogique) selon la même forme possible, alors cette possibilité est aussi celle d'un groupe d'apprenant qui s'organise selon l'adéquation du système d'enseignement.

A travers la reformulation N° 5 du texte pédagogique de Maurice Reuchlin, on s'aperçoit que ce texte est laborieux. Il reflète une activité artistique à travers laquelle le lien entre essence et substance, n'altère pas l'argumentation de la substitution et de la coexistence, chères au texte ésotérique de Husserl. Cela est dû en fait à la spécificité de l'action pédagogique en tant qu'art de la mise en forme des contenus qui sont aussi bien connus qu'inconnus. L'argumentation fondée sur la structure du réel dont témoigne aussi ce texte pédagogique annonce la possibilité de l'organisation de l'apparence, la possibilité de l'interpellation du déjà-là. Parler de loi de proximité ou de similitude est en soi une approche qui témoigne de la possibilité du discernement de la ressemblance et de la différence qui pourraient exister entre les apprenants, entre leur histoire propre, qui l'une et l'autre, organisent le processus de l'acquisition du sens. Cela veut dire en fait que c'est à travers l'art des apparences (auquel s'attache la pédagogie en tant qu'activité artistique) que l'on peut rencontrer les différentes formes de l'apparaître, les différentes manières d'être des sujets. Car toute expression, tout énoncé présuppose une énonciation. L'organisation de la prise de la parole et de l'expression puisant leur forme dans une éthique de la communication liant entre eux les individus d'un groupe, est la seule technique adéquate pour l'avènement de ce que le texte pédagogique appelle : "la bonne forme", qui s'organise (comme le pense le texte) selon la meilleure forme possible. Ce domaine de la possibilité n'est rien d'autre que celui de l'enseignement qui puise son fondement dans le processus de la transposition didactique dont nous venons de définir le sens dès notre introduction à ce travail. Si dans le domaine de l'art le sens s'organise dans la plupart des cas par le biais du déchiffrement des différentes combinaisons, alors il en va de même dans le domaine pédagogique, là où le sens est aussi organisé par la suite d'une ouverture d'altérité radicale à l'égard des énoncés et des énonciations. Derrière toute proposition il y a comme disait Michel Foucault des cris : des actes, des propos susceptibles d'être posés en fonction de ce qui a été posé dans le processus intentionnel. C'est en ce dernier que les formes peuvent être perçues, car c'est ce fond de l'intention qui est (comme dit le texte dans sa proposition N° 5) l'objet d'impression puisqu'il est relativement indifférencié. Voilà donc comment le texte reconnaît la pédagogie différenciée dans sa prise en considération des différentes liaisons logiques reconnues dans les choses des apprenants au sein d'une classe. On voit bien que ce texte (à travers sa reformulation portant le N°5) est marqué par la permanence du renvoi. Cela veut dire en fait que le maître doit se donner le temps pour comprendre les choses des apprenants, en procédant à ce but par l'ouverture permanente à l'égard des processus de communication pédagogique. Autrement dit, pour "‘organiser la meilleure forme possible’", dont parle ici le texte pédagogique, nous ne devons pas nous fier au donné, on doit au contraire chercher à construire et à organiser les situations pédagogiques qui sont à la fois connues et inconnues. Leur arraisonnement nous permet de donner un sens véritable aux institutions scolaires et universitaires, un sens qui est pensé par Morrison et Macintyre 1255 en terme d'approche systémique.

Au sujet du sens de cette approche, les textes vont (à travers les différentes formulations et reformulations portant le N° 6 dans notre tableau) donner un sens au processus perceptif, un sens qui varie d'une proposition à une autre. D'abord on remarque un accord entre les propositions portant le N° 6. Cet accord est fondé sur la logique de la relation de la connexion nécessaire et réciproque qui réside entre les notions à caractère systémique. A vrai dire, si Husserl pense que les intuitions sensibles faisant l'objet d'impression, sont marquées par des relations ouvertes sur le domaine de possibilité, alors cela signifie au fond que nos attentes qui apparaissent dans l'état présent sont dans une large relation avec des possibilités divergentes dites prospectives, que l'on ne peut en aucun cas discerner d'une manière précise. Car et si l'on en croit Husserl toutes les attentes prospectives du sujet sont incommensurables, qu'elles ne peuvent s'expliquer que par la mise en forme concrète de ce qu'il appelle : "l'avoir-été-perçu". Au sujet de celui-ci Heidegger dira que l'il y a (l'histoire) est une chose qui appartient à l'homme. Elle est une chose qui doit nous faire réfléchir. Cette première approche systémique qui se traduit par l'ouverture de nos manières d'être effectives (incarnant des possibilités divergentes), au monde des impressions sensibles, est suivie d'une seconde approche systémique que Husserl pense en terme de relation de connexion nécessaire qui réside entre notre histoire passée, qui se projette dans l'avenir à travers les choses que l'on rencontre dans le présent et le monde qui témoigne des liaisons posées à travers l'auto-position. Il y a donc (si l'on en croît Husserl) une relation de connexion nécessaire qui réside entre le domaine de l'effectivité et celui de l'affectivité, entre le toujours-déjà et le déjà-là. Cette même relation que Hume a qualifie de connexion nécessaire, n'est pas tout à fait altérée de la part de Merleau-Ponty, de Fraïsse et de Reuchlin. En effet, la réciprocité entre le monde et ma propre perception historiciste de celui-ci, est une conception que soutient Merleau-Ponty. Cette réciprocité repose sur le renvoi permanent de mon esprit (acteur et actant de la situation mondaine) à des actes qui prolongent l'histoire passée dans le présent tout en créant un monde de possibilités. La connexion entre l'historique et l'historial, est ici soulignée par Merleau-Ponty à travers sa reformulation N° 6, une reformulation qui reprend la précédente approche de Husserl. Ce dernier et comme Merleau-Ponty vient de le faire remarquer n'a pas négligé la relation de connexion nécessaire qui réside entre ma propre histoire factice, qui s'ouvre au monde qui continue à exister et à subsister grâce au prolongement de ma propre histoire qui s'y déploie. Cette même idée est reprise (indirectement ou directement) par le texte de la psychologie expérimentale, qui pense l'historicité de l'acte perceptif en terme de classification, de taxonomisation des différentes expériences observées dans le monde, par les sujets à la fois acteurs et actants de la situation expérimentale. Dans cette perspective, on peut donc dire qu'il y a une approche de connexion nécessaire qui réside entre l'être du monde des sujets, et les manières d'être de ceux-ci. Cette même idée relationnelle n'a pas été altérée par le texte psychopédagogique de Maurice Reuchlin, qui lui aussi, pense qu'il existe une relation de connexion nécessaire entre les réponses perceptives et les manières d'être et de voir des sujets. Du point de vue pédagogique et didactique cela doit être compris dans la perspective de la relation de connexion réciproque entre catégories de parole et catégories de langue. On peut donc poser les questions suivantes :

Qui parle t-il au sein d'une classe ou d'une institution universitaire ? la personne en tant que déjà-là, ou la personne en tant que toujours-déjà ?

A vrai dire lorsque le texte psychopédagogique de Maurice Reuchlin pense que le temps de l'appréciation des mots dans une langue est plus long plus probable pour le sujet en fonction de la situation, il veut par là même attirer notre attention à la relation de connexion réciproque qui réside entre les catégories de langue et les catégories de parole, entre le pôle éducatif et le pôle pédagogique. C'est d'ailleurs à cette même idée que Gaston Bachelard a été sensible lorsqu'il a mis en garde les enseignants à la méconnaissance de l'obstacle pédagogique. C'est ainsi qu'il souligne : “ ‘Dans l'éducation, la notion d'obstacle pédagogique est également méconnue’ ‘ 1256 ’ ‘. J'ai souvent été frappé du fait que les professeurs de sciences, plus encore que les autres si c'est possible, ne comprennent pas qu'on ne comprenne pas. Peu nombreux sont ceux qui ont creusé la psychologie de l'erreur, de l'ignorance et de la réflexion. (...), Les professeurs de sciences imaginent que l'esprit commence comme une leçon, qu'on peut toujours refaire une culture nonchalante en redoublant une classe, qu'on peut faire comprendre une démonstration en la répétant point par point. Ils n'ont pas réfléchit au fait que l'adolescent arrive dans la classe de physique avec des connaissances empiriques déjà constituées : Il s'agit alors, non pas d'acquérir une culture expérimentale, mais bien de changer de culture expérimentale, de renverser les obstacles déjà amoncelés par la vie quotidienne’ 1257  ”. Si la parole est d'abord aux faits, (comme Hegel l'a laissé entendre) alors, on peut dire que ce sont les processus systémiques qui recouvrent la vie concrète des sujets qui parlent à première vue. En éducation cela est pensé avec Reuchlin en terme de situation expérimentale incarnant à la fois l'expérience antérieur et l'expérience présente des sujets. En didactique cela est baptisé avec Chevallard : l'écologie du savoir. L'ouverture sur l'état des processus, permet en fait de discerner le sens de la parole qui s'organise en langage articulé. Car avant de penser avec les signes, l'homme se réfère d'abord aux situations, aux signes immotivés, déjà-là. Ces signes forment des touts et des parties qui s'organisent à travers des relations diverses. C'est à ces relations dont témoignent les différentes propositions et formulations (portant le N° 7 dans notre tableau), que les auteurs que nous présentons ici vont donner des sens particuliers.

Dans la proposition de Husserl, il s'agit de situer la place de la pensée face à sa perception du tout et de la partie. La partie et le tout se rencontrent en effet dans un lieu de l'unité à savoir la pensée qui en discerne les qualités et les niveaux. La partie et le tout n'ont de sens que pour la pensée qui les arraisonne. Le monde de la pensée seul peut (si l'on en croît Husserl) déterminer le sens du lien qui réside entre la partie et le tout. Cela n'est pas le cas pour Merleau-Ponty, qui pense que c'est la pensée du monde qui détermine la destinée de la partie et du tout. Car le lieu de l'unité auquel participent ces deux composantes (la partie et le tout) est celui du monde. C'est dans le monde en effet que la partie et le tout se manifestent tout en faisant apparaître la vérité (obéissant à des lois de séries combinées), qu'ils dissimulent. Mais Merleau-Ponty ne s'arrête pas là. Il va plus loin pour donner un sens à l'acte de penser. Ce sens est hérité probablement de la pensée des Lumières, car le mot : lumière, est ici évoqué par le biais de l'emploi de la métaphore de la lumière : “ ‘Nous sommes tous une seule lumière et que nous participons à l'Un sans le diviser’ ”, disait Merleau-Ponty. Il y a ici deux pensées qui sont visées. La première est celle de la psychologie génétique, qui pense l'enfant comme un être explorateur de l'univers du monde puisque dès ses premiers pas, l'enfant porte des objets à sa bouche pour en explorer les contenus et les effets. Quant à la deuxième pensée qui est ici visée est celle de l'AufKlärung. Celle-ci pense la pensée travaillante comme une composante factice de tous les êtres humains, capables d'arraisonner et de pénétrer les choses d'une manière transcendante. L'unité du genre humain à laquelle Merleau-Ponty fait ici allusion ne se distingue donc en rien du lieu de l'unité dont parle Husserl en assignant à la pensée un acte de visée auto-positionnel. Le texte psychopédagogique de Paul Fraïsse met aussi l'accent sur l'importance de la pensée dans sa mise en forme du réel. Dire que notre perception n'est jamais un décalque de la réalité physique est en soi une approche philosophique qui s'astreint à mette en évidence la réminiscence et l'histoire factice dans toute action d'acquisition du sens. Le déjà-là est pensé dans sa relation de connexion nécessaire avec le toujours-déjà. Le lieu de l'unité : la facticité de la pensée réelle dont parlent Husserl et Merleau-Ponty, n'est donc pas ici altéré. On voit bien que ce qui détermine le statut épistémologique des savoirs de ces textes est l'universalité cognitive. Car les mêmes problèmes, les mêmes préoccupations sont ici posés à travers des visées communes. Si les mêmes problèmes sont parfois communs à toute pensée, c'est parce qu'il existe un aspect universel de l'acte de penser qui cherche à résoudre les mêmes problèmes aux quels l'homme se heurte dans sa pratique quotidienne. Ce qui détermine l'aspect épistémologiques des textes peut aussi être un destin commun à l'humanité. Le cas échéant ici est la recherche (de la part des auteurs) de la maîtrise factice du monde des choses organisées et inorganisées. Bien que le texte pédagogique de Maurice Reuchlin soit (à travers cette reformulation N°7) marqué par du renvoi, il n'empêche que ses reformulations n'ont pas altéré négativement les autres reformulations des textes ésotériques Lorsqu'il parle en effet de l'ouverture inachevée du monde en disant que celui-ci n'est pas une sphère close. Il voulait par là-même, nous rendre docile et bienveillant à la possibilité de l’arraisonnement du monde par la pensée. Le monde est donc animé par un achèvement ouvert, qui s'ouvre l'ouverture inachevée de la pensée travaillante, qui arraisonne les choss du monde les mieux réparties et organisées. La précision capitale de ce propos ressort de la dernière phrase de la reformulation N° 7 qui souligne : “ ‘Le sujet utilise dans la perception outre les données actuelles, son expérience antérieure ’”. Cela veut dire en fait que le sujet ne peut en aucun penser d'une manière anhistorique. Voilà donc comment les quatre propositions, participent à un même lieu de l'unité : l'universalité de l'acte du bien penser les choses du monde les mieux réparties, les mieux organisées en séries. Au sujet de l'appréciation de cette organisation, les propositions portant le N° 8 dans le tableau, en donnent des sens parfois proches et parfois différents. Par exemple entre les propositions de Husserl et celles de Merleau-Ponty, l'écart sémantique n'est pas significatif. Si Husserl pense que les faits empiriques sont factices et s'exposent effectivement selon leur état réel et présumé, alors il en va de même pour Merleau-Ponty, qui pense que le fait réel est un La qui s'impose à nous, qui se donne à la description. Le lien entre Husserl et Merleau-Ponty sur ce point précis, se traduit par le lieu commun traduisant l'apport empirique descriptive, à laquelle les deux propositions N° 8 font ici allusion. A la question : qu'est-ce qu'un fait ? On voit bien que les propositions de Husserl et de Merleau-Ponty en donnent des réponses semblables puisque pour l'un comme pour l'autre, le fait est une composante mondaine. Il se donne (dans sa réalité et sa préemption) à l'appréciation et à la description. D'ailleurs, même le fait de pensée dite spéculative, est pensé (de la part des deux auteurs de la phénoménologie) en terme de réalité physique. Dire que l'esprit est une chose factice, nous rappelle l'idée de Gassendi dans sa reprise critique à l'égard de Descartes. Car le premier a reproché au second, de ne pas avoir penser l'aspect chosique de l'acte de penser. La pensée est une chose pensante, disait Gassendi. Décrire la facticité du réel est donc (si l'on en croit Merleau-Ponty et Husserl) un acte qui définit les données chosiques comme étant des faits objectifs susceptibles d'être travaillés par la pensée travaillante qui s'ouvre sur la facticité du réel. Du point de vue pédagogique et éducatif, ce sens est-il donc maintenu de la part de Fraïsse et de Reuchlin ?

Si l'on se réfère aux propositions N° 8 des textes exotériques, alors on s'aperçoit que le sens qu'elles donnent aux propositions des textes ésotériques a subi quelques changements notables. En effet, si avec Husserl et Merleau-Ponty il était question de la possibilité de l'arraisonnement des faits physiques factices et objectifs, alors il n'en va pas de même par exemple pour le texte pédagogique de Paul Fraïsse, qui cherche à donner un sens à la capacité de dénombrement. Cette capacité (à en croire la proposition du texte) n'a de sens que dans sa relation de connexion nécessaire et réciproque avec la capacité d'appréhension des stimuli. Y a t-il donc de la part de Fraïsse, dépassement, altération ou inspiration des autres formulations ésotériques de Husserl et de Merleau-Ponty ? Si l'on examine de près le sens de ces propositions de Paul Fraïsse, on s'aperçoit alors que l'appréhension d'un stimulus immédiat, d'un fait ordinaire et fortuit correspond dans une large mesure à la reconnaissance de la vérité qui se donne à première vue lorsqu'on aperçoit un fait factice et ordinaire. Dire que l'appréhension est en lien intime avec la compréhension, revient enfin de compte à affirmer que le réel est à décrire (Merleau-Ponty), et à apprécier (Husserl). Parler de capacité d'appréhension et de capacité de dénombrement, est en soi un acte que le pédagogue doit suivre pour émerger le désir d'apprendre avec les faits factices et avec les apprenants en tant que faits qui se donnent comme des données réelles incontournables. Pour apprécier ces données, le pédagogue expérimentaliste doit donc se jeter à travers champs. Il doit (comme le pense la proposition du texte de Fraïsse) élaborer des expériences avant toute lecture des propositions et les énoncés des apprenants. Cela veut dire en fait que le monde de la recherche pédagogique est à décrire et non pas à construire ou à constituer, et que l'art de la construction des concepts et des contenus est là où l'on ne se rend pas compte. Mais cela ne va pas à l'encontre de l'effort pédagogique et didactique véritable. Car nous avons déjà fait remarquer avec Gaston Bachelard que rien n'est donnée, et que tout est objet de construction. Car il n'y a de science (comme le pense Emile DurKheim) que du caché. Par conséquent, l'effort pédagogique réussi est celui qui se donne le temps de la construction permanente du sens des propositions. Il n'est pas celui qui vient en aide à l’ordre établi, qui s'attache aux données immédiates tout en conservant le domaine de la réminiscence déjà acquis par les apprenants. L'art pédagogique véritable est celui qui va au-delà de ce que maîtrise les apprenants pour suggérer par là même ce qu'ils doivent réellement connaître et savoir. Ce n'est rien d'autre qu'un passage de l'arbitraire à la convention. Dans l'optique du texte pédagogique de Paul Fraïsse, il ne s'agit donc pas d'apprécier seulement le monde, mais il s'agit aussi d'apprécier le temps de la présentation des faits factices. A ce temps, sont liées donc l'appréhension et la compréhension de l'histoire d'un fait.

Cette histoire se construit à l'aide de la méthodologie de la critique de la provenance d'un fait, une méthodologie que le texte pédagogique veut explicative des faits. Elle ne laisse rien sous silence. Car le sens peut résider (comme disait Hegel) dans le frisson du sens. C'est ce que le texte psychopédagogique pense en vulgarisant les propositions du texte de Paul Fraïsse et celles des textes ésotériques. En effet, lorsqu'il annonce que “ la perception est en partie sous la dépendance de l'environnement social ”, il veut par là-même mettre l'accent sur l'aspect chosique et réel des données perceptives que le sujet s'astreint à acquérir. A partir de là, on retrouve ici notre idée du départ : la trajectoire du passage du savoir ésotérique au savoir exotérique. Cette trajectoire qui contribue à l'usure du savoir, est déterminée dans le texte psychopédagogique de la vulgarisation à travers les différents renvois que l'auteur du Guide pratique de l'Etudiant en psychologiea choisi pour inciter les apprenants à la recherche (par eux-mêmes) du sens de la perception. D'ailleurs l'expression : “‘Bon nombre d'études sont conduites sur les enfants dans une perspective génétique’ ”, choisie par l'auteur au titre d'une provocation intellectuelle, explique fort bien ce propos. Le texte psychopédagogique de Maurice Reuchlin est marqué par un effort de concrétisation des propositions. De ce fait, on peut dire que le texte psychopédagogique est plus du côté de l'effort de la recherche-action que du côté de l'abstraction, méthode propre à la recherche fondamentale qui s'astreint à la production des concepts. Si les textes philosophiques et ésotériques (ceux de Husserl et de Merleau-Ponty) sont du côté de l'effort spéculatif et réflexif, alors les textes pédagogiques et psychopédagogiques (ceux de Fraïsse et de Reuchlin) sont du côté de l'effort de l'exposition et de la description des pratiques, qui se donnent à première vue à la pensée réflexive. Le renvoi auquel nous incite implicitement le texte psychopédagogique de Maurice Reuchlin, est une technique bien qu'elle soit pédagogique, elle conduit à des glissements dans le non sens et à des conséquences fâcheuses du point de vue didactique. Car au lieu de procéder à la clarté exhaustive et à la simplicité significative et explicative des notions, les pédagogues renvoient à des procédés que le public auquel ils s'adressent ne maîtrise pas nécessairement. Que peuvent penser par exemple les étudiants de D.E.U.G de psychologie de la proposition : l'homme est un animal, une proposition qui surgit implicitement du texte de Maurice Reuchlin ? Il est vrai que pour en comprendre le sens et la portée, il faut que le public auquel on s'adresse soit physiologiste, possédant au moins des connaissances modestes et notables dans le domaine de la psychologie animale pour enfin répondre à l'une des questions philosophiques les plus obscures : qu'est-ce que l'homme dans son rapport avec l'animal ? Cette maîtrise de la relation qui réside entre l'homme et l'animal n'est toujours pas acquise par l'étudiant du D.E.U.G de psychologie, auquel ce texte de Reuchlin se propose de s'adresser. Voilà ce qui pose en fait le problème de l'organisation des connaissances et des savoirs dans le monde ainsi que le rapport des êtres humains entre eux. Cela sera l'objet des propositions portant le N° 9 dans notre tableau, dont on va maintenant analyser le rapprochement ou l'éloignement du sens posé par les différentes formes de formulations et de reformulations.

La proposition de Husserl tourne autour du sens du rapport que l'homme peut avoir au monde. Ce rapport se traduit par la réponse à la question philosophique la plus obscure : qu'est-ce que l'homme ? Une question à laquelle Husserl répond tout en marquant une référence implicite à Hegel. La réconciliation entre les différences (qui animent les êtres humains), au sujet desquelles Hegel a instauré une pédagogie de la rencontre et du rendez-vous en disant : “ Identité absolue comme étant identité de l'identité et de la non identité ”, est ici frappante chez Husserl. On peut laisser penser – à titre de remarque seulement – qu'il existe dans la pensée occidentale moderne trois penseurs dont la première lettre commence par un grand H en majuscule. Il y a en effet Hegel, Husserl et Heidegger 1258 . Comme par hasard ces trois philosophes n'ont pas trahi le commencement de leur nom propre, qui reflète l'attachement à l'humanité de l'homme dont le cri : "Oh Hommes soyez humains !", apostrophé par Rousseau, marque la possibilité d'apprendre avec d'autres hommes et avec d'autres je, dans ce monde. C'est ce qui ressort clairement des propositions N° 9 de Husserl et de Merleau-Ponty, où l'accent est mis sur l'importance du rapport de l'homme au monde et à son semblable. Ce rapport est pensé par Husserl dans une perspective non pas de limitation et de finitude entre les êtres humains, mais au contraire dans la perspective d'ouverture emphatique à l'égard de l'autre et est le processus qui l'accompagne. Il y a là un coup dur porté par Husserl au principe de la finitude à travers lequel Heidegger a ultérieurement laissé penser l'existence d'une relation, d'un commerce entre les êtres humains, un commerce régi par le principe de l'action réciproque. Les êtres humains (si l'on en croît Heidegger) agissent les uns sur les autres en vue d'accomplir des principes juridiques qu'ils cherchent à atteindre tout en étant limité par le déjà-là. L'ordre de cette action, n'est pas du domaine de la morale – comme Kant l'a laissé entendre –, mais elle est de l'ordre du juridique qui s'oppose à celui du pratique. Bien que l'accord entre Husserl et Merleau-Ponty puisse porter sur la possibilité d'ouverture à l'autre, il n'empêche qu'au sein de ce rapport il existe une divergence notable. Chez Husserl, les êtres humains se distinguent par leurs manières de viser en direction des choses : il existe un acte de la visée auto-positionnelle à travers lequel l'homme met en forme le réel selon sa propre capacité de montrer. L'homme comme dit Heidegger est un "mons-tre". Cette manière (si l'on en croît Husserl ainsi que Heidegger) n'est pas toujours susceptible d'être partagée. Mais il n'en va pas de même pour Maurice Merleau-Ponty, qui (tout en reprochant à Husserl le fait de poser en évidence le problème d'autrui) pense que auto-réflexion, l'auto-position n'ont de sens qu'en relation avec le monde au sens large du terme. Il n'y a pas deux monde : le mien et celui d'autrui, le seul monde qui puisse exister est celui qui s'impose à toute auto-reflexion spéculative et imaginative. Ce n'est donc pas ma conscience auto-positionnelle qui détermine mon rapport au monde et à autrui, mais c'est au contraire mon rapport factice à son égard dans ce monde qui règle toute situation historique interchangeable dans ce monde. La différence entre Husserl et Merleau-Ponty porte donc sur le lieu du préférable. Si avec Husserl il est question du lieu de la qualité, alors il n'en va pas de même pour Mereleau-Ponty puisqu'il valorise le lieu de la quantité. Si le premier fait basculer son analyse du côté du lieu de l'unité tout en incitant à l'amour de ce qu'on ne verra qu'une seule fois, alors le second, est du côté du lieu commun, puisque pour lui tout est durable, rien n'est précaire dans ce monde. Même l'histoire est factice du fait qu'elle reflète toujours un domaine de possibilité soumis d'une manière permanente à l'acquisition.

Si dans les textes ésotériques de Husserl et de Merleau-Ponty, il est question de l'exposé du rapport entre les êtres humains dans le monde, alors il n'en va pas de même pour les propositions exotériques portant le N° 9 dans notre tableau là où il est question du rapport des hommes aux objets. La vie des objets à laquelle les auteurs font ici allusion, incarne une approche philosophique bien déterminée. Cette approche nous rappelle le procédé leibnizien à savoir la nécessité de l'ouverture aux choses pour penser dans les signes. Heidegger dira plus tard que la pensée doit (pour apprendre à bien penser) s'effacer devant les choses qu'elle aperçoit, car plus on pense plus on se fatigue. Dans cette même direction François Guéry tout en paraphrasant aussi bien Nietzsche que Heidegger, pense que tout travail intellectuel n'est que de la merde et ne fait accoucher que de la merde. Qu'est-ce que cela veut dire par rapport aux propositions des textes exotériques des psychopédagogues (Paul Fraïsse et Maurice Reuchlin) que nous exposons à travers le tableau ci dessus ? Il y a à vrai dire un effort centré sur la compréhension de la part de ces auteurs (Paul Fraïsse et Maurice Reuchlin) des objets et des situations pratiques que l'on rencontre dans le monde sensible. L'homme dans son rapport à l'objet doit (si l'on en croit Fraïsse) apprendre à penser dans les signes et avec les objets factices, tout en s'effaçant en tant que pensée, devant les objets. Cela veut dire que l'effort pédagogique est toujours l'objet de l'illustration des situations concrètes, constantes que l'on n'explique pas davantage. Tout ce que l'on ne sait pas fait pourtant problème, car la définition d'un véritable problème repose non seulement sur la nomination de celui-ci, mais aussi sur son exposition. Il faut savoir poser les problèmes puisque ceux-ci ne se posent pas d'eux-mêmes. Par conséquent, les véritables problèmes ne sont pas toujours imaginés, ils sont au contraire posés et vécus dans la vie pratique des apprenants. C'est ce que le texte psychopédagogique nous fait comprendre tout en laissant penser que “ notre univers pratique est perçu d'une manière relativement cohérente et relative ”. Cela veut dire en fait que, bien que tout objet soit donné dans le monde en constance et en subsistance, rien n'est pourtant donné, tout est objet de construction. Cette construction doit se faire dans le monde et non pas à l'extérieur de celui-ci. C'est ce que le texte pédagogique de Reuchlin souligne à la fin de la proposition N° 9 en disant : “ Le monde n'est pas un objet dont je possède par dévers moi la loi de construction, il est le milieu naturel et le champ de toutes mes perceptions explicite ”. Sur ce point précis, cette proposition n'altère pas les propositions ésotériques de Husserl et de Merleau-Ponty, portant le N° 9 dans notre tableau ci-dessus. Cette non altération est due aux problèmes communs à l'explication phénoménologique des faits et à l'appréciation pédagogique des situations concrètes. Parmi ces problèmes on peut citer l'affranchissement des obstacles dès lors qu'il est question de la recherche du sens dont témoigne la vie des objets. Au sujet de cette recherche les propositions portant le N° 10 vont nous donner quelques pistes à suivre.

Lorsqu'on dit qu'un objet physique possède un sens pour nous, cela renvoie – comme nous l'avons déjà fait remarquer en évoquant la prosopopée socratique – à reconnaître en cette objet les qualités propres à notre manière d'être dont il témoigne. Sur ce point précis, Husserl considère l'objet physique : ce qu'il appelle le datum physique, comme étant soumis à l'appréhension. Il s'interroge en effet sur l'aspect de cette appréhension tout en cherchant si celle-ci n'est pas en relation de connexion nécessaire avec ce qu'il appelle l'appréhender transcendant. Autrement dit : notre conscience de la chose n'est-elle pas consciente de cette chose uniquement lorsqu'elle embrasse en elle la vérité factice qu'elle dévoile à l'appréhension ? Comme on le sait, l'être selon Husserl est un dévoilement de la vérité. Là où il n'y a pas d'histoire, il ne peut (selon Husserl comme selon Heidegger) y avoir d'être, pas même d'activité artistique non plus. Cela a été maintenu par Merleau-Ponty qui a pensé que l'existence d'un fait doit incarner au moins la possibilité de la mise en forme d'une situation historique. L'appréhender transcendant dont il est question chez Husserl, est une action factice, qui pénètre les choses avec force tout en les transcendant : en les pénétrant de l'intérieur, en faisant un avec elles. Husserl procède ici à la manière de Kant, qui dans la Critique de la raison pratique oppose partiellement (comme nous l'avons déjà démontré) le transcendantal et le transcendant. Ce dernier qui témoigne des Lois dynamiques, physiques, est ici privilégié de la part de Husserl. Le transcendant est en effet le Lieu commun où toute pensée, toute sensibilité et toute saisie individuelle ou collective sont amenées à coïncider. C'est ce que l'auteur du Cours portant sur la relation entre la Chose et l’ espace précise en effet à la fin de la proposition N° 9 de notre tableau, là où il fait allusion au lieu commun : le matériau sensible qui surgit de la saisie sensible que traduit notre acte de la visée. Viser en direction des choses est aussi la visée de Maurice Merleau-Ponty. Mais cette visée se distingue à certains égards de celle de Husserl. Chez Merleau-Ponty l'intérêt de la raison pratique ne doit pas porter sur un idéal rationnel abstrait : sur une sorte de disposition morale fondamentale que l'on doit chercher au-delà de l'être : dans le Cogito qui se donne à l'auto-réflexion permanente, mais au contraire l'important pour Merleau-Ponty est la découverte de la situation de pensée, une situation que l'on peut apercevoir dans notre relation de connexion nécessaire et réciproque que l’on se trace à l’égard des différents états de l'être. C'est l'argumentation du distinguo, qui est à l'opposé de l'argumentation de la substitution qui est ici prédominante chez Merleau-Ponty dans sa reformulation portant le N° 9.

Cette argumentation du distinguo s'oppose à celle de Husserl qui s'est donné le temps de la réflexion pour chercher une coexistence, une substitution entre l'être et le devoir être, entre le Dasein et le Wesen. Par contraire on constate aisément que Merleau-Ponty marque la distinction entre les deux ordres : le Dasein et le Wesen. Cette problématique on peut la rencontrer chez Heidegger de l'ontologie moderne. Le lieu de l'unité prend chez Merleau-Ponty un sens particulier. En effet lorsque cet auteur pense l'unité de la conscience et du monde, il se réfère implicitement (dans la Phénoménologie de la perception)à Kant, dont la problématique philosophique majeure fut le problème de l'unité. Si l'on s'astreint à la recherche du sens de la formulation N° 10, alors on s'aperçoit aisément que l'ordre du Kantisme est transposé de la part de Merleau-Ponty d'une manière explicite. Le lieu de l'unité dont il est question à travers cette reformulation de Merleau-Ponty, est celui de l'engagement en toute liberté, de notre conscience à la mise en forme d'un idéal rationnel concret, qui se manifeste dans le monde et à travers lui. Le passage de l'être au devoir être était en effet le rôle que Kant attribuait déjà au travail de la raison spéculative, pratique par elle-même. Entre le théorique et le pratique, le lien s'opère par le travail de la conscience dont l'intérêt intentionnel envers le monde des choses factices, ne cesse (dans la philosophie de Kant comme dans celle de Merleau-Ponty) de se multiplier et d'accroître. De ce fait et à travers cette reformulation N° 10, on peut dire que Merleau-Ponty est plus du côté de Kant (qu'il a dépassé ensuite) que du côté de Heidegger. Car pour le premier les relations entre les êtres humains ne sont pas finies, puisqu'il n'y a aucune finitude à l'égard de l'autre lorsqu'il s'agit du respect ; alors que pour le second, il existe bien une forme de finitude entre les êtres humains, une forme qui fait que l'on puisse rien échanger avec autrui sauf l'exister, car l'homme est un mons-tre disait Heidegger. C'est-à-dire qu'il possède une manière de mettre en forme le réel, une manière qui n'est pas toujours susceptible d'être partagée et échangée. La finitude est fondée par le Dasein, un être qui délimite les relations humaines.

On peut dans cette perspective se demander si vraiment Heidegger avait raison dans sa critique dirigée à l'encontre de Kant, lorsque dans Qu'est-ce qu'une chose ? il pense l'action de l'autre comme étant une forme de délimitation des actions humaines. A vrai dire si l'on s'attache à ce que Merleau-Ponty pense à travers cette paraphrase de Kant, on s'aperçoit que dans les faits, il n'y a guère d'action d'autrui. L'autre ne me fait aucun effet dans mes rapports avec lui. Ce sont au contraire les formes imposées par la Loi, qui délimitent mutuellement nos rapports. Si je dois donc faire attention, et craindre la menace d'autrui, je dois d'abord (pour faire dissiper) cette menace m'attaquer à la Loi, qui impose des normes, des actions à respecter par les individus dans leurs pratiques quotidiennes. C'est cette situation imposée par une légalité transcendantale (au sens où elle se réfère à un idéal rationnel de-l'être-commun) et transcendante (au sens où elle se réfère à des normes imposées par la disposition morale fondamentale comme étant un toujours-déjà ayant des effets dans le déjà-là), que nous devons interroger, que nous devons penser. C’est en la dirction de celui-ci que nous devons sans cesse diriger nos regards et nos cogitations. C'est d'ailleurs tout le contenu des dernières reformulations où Merleau-Ponty s'attaque au Cogito Cartésien en disant : ‘Le Cogito doit me découvrir en situation, et à cette condition seulement que la subjectivité transcendantale pourra, comme le dit Husserl, être une intersubjectivité ”. “ Le véritable Cogito ne définit pas l'existence du sujet par la pensée qu'il a d'exister, il ne convertit pas la certitude du monde en certitude de la pensée du monde, et enfin il ne remplace pas le monde même par la signification monde. Il reconnaît au contraire ma pensée même comme un fait inaliénable et il élimine toute espèce d'idéalisme en me découvrant comme être au monde’  ”.

La référence que Merleau-Ponty fait ici à Husserl est simplement d'une inspiration partielle, car il va le dépasser lorsqu'il s'agit du rapport que la conscience peut avoir à l'égard du monde des relations humaines. Si pour Husserl – comme le souligne fort bien Merleau-Ponty – il existe un problème d'autrui, alors il n'en va pas de même pour Merleau-Ponty qui pense qu'autrui ne me fait rien dans mes rapports avec lui. Cet autre est au contraire dans une situation mondaine, puisque c'est bien le monde qui fait problème pour tous les habitons de celui-ci. C'est le monde des choses en tant qu'états et non pas celui des consciences en tant que processus obscurs et inaccessibles, qui doivent être objets d'appréhensions et d'appréciations. Ce rapport à autrui ne pose pas seulement un problème philosophique, il pose aussi un problème psychologique et pédagogique. C'est ce que va démontrer la proposition N° 10 du texte psychopédagogique de Paul Fraïsse. Que signifie donc la perception d'autrui du point de vue de cet auteur ? A telle donc un sens proche ou différent des autres propositions des textes ésotériques ? A vrai dire la distinction est difficile à établir entre la proposition N° 10 du texte psychopédagogique et les autres formulations des textes dits ésotériques. Si l'on examine de près cette reformulation, alors on s'aperçoit qu'elle ne se distingue en rien des autres propositions, du fait qu'elle met l'accent d'une part sur la subsistance du monde des actes perceptifs, chose que Husserl et Merleau-Ponty n'ont pas négligé ; elle met et d'autre part, en évidence (à travers une argumentation du précédent) l'importance du domaine de la réminiscence dans son impact sur celui de l'acquisition. Cela ressort en fait du lieu du préférable : la constitution originaire, un lieu auquel cette proposition rattache toutes les apparences perceptives dans le monde des choses. L'argumentation du précédent 1259 (qui se distingue de celle de la direction), consiste en effet à penser la possibilité d'une répercussion des actions antérieures sur les actions ultérieures, une répercussion du toujours-déjà sur le déjà-là. L'appréhension du précédent repose sur l'appréciation d'autres actions de même espèce.

Cette notion de la mêmeté a été avancée par Husserl qui considère tous les êtres chosiques dans un rapport aussi bien de connexion nécessaire à l'égard du monde physique que de connexion réciproque à l'égard des intentions, des actes de la visée dans le mêmeté, en direction des choses. La proposition du texte psychopédagogique nous propose une organisation du fortuit et de l'ordinaire en système cohérent. Ce n'est rien d'autre qu'un passage de l'ordinaire à l'extraordinaire, un passage d'une observation fortuite du monde, à une observation organisée et systématique de celui-ci. Ce passage est fondé sur l'apport empirique dont les normes et les buts se fondent sur l'analyse de la relation qui réside entre le hasard et la nécessité. Chose que Jacques Monod par exemple n'a pas négligée. Cet apport empirique renferme une action pédagogique digne d'intérêt à savoir ce que Paul Fraïsse tout en prolongeant Claude Bernard pense en terme d'une action qui se jette à travers champs. Les exercices que nous propose le texte psychopédagogique de Paul Fraïsse à travers la proposition N° 10, sont une sorte d'incitation des apprenants (de la part de cet auteur) à apprendre à s'exercer dans la maîtrise du monde des expériences, dans la maîtrise du monde physique. Si l'on doit donc (selon l'auteur de La Psychologie Expérimentale apprendre à vivre avec les choses, alors cela correspond largement à ce que les Stoïciens pensaient déjà de l'action du vivre conformément à la nature. Cela signifie à travers cette proposition (et dans une perspective stoïcienne bien précise), que dans le domaine pédagogique, on doit apprendre à vivre avec les choses des apprenants telles que celles-ci se présentent à nous. Faire du sens avec les choses, n'est pas simplement une action à travers laquelle on doit se laisser aller avec le monde ordinaire, c'est aussi une action qui nécessite un travail de la raison, qui arraisonne les choses. Car les Stoïciens ont aussi pensé l'acte du vivre conformément à la nature comme étant une action du vivre avec sa raison. Cela correspond fort bien à ce que la proposition du texte psychopédagogique pense ici (d'une manière simpliste incarnant le paradigme de la complexité de la simplicité) en terme de la recherche d'une méthodologie constitutionnelle de l'objet empirique.

Cette constitution n'est pas donnée d'une manière fortuite. Elle se crée dans la donation du temps de la perception en vue de comprendre ce que le texte lui-même appelle : le schématisme perceptif. Celui-ci est une sorte de trait qui détermine l'aspect perceptif du sujet que le texte psychopédagogique abrège en employant la lettre S en majuscule. Dire que le sujet indique chaque fois oralement (ou par écrit si l'expérience est collective) son estimation du nombre de points et on détermine le seuil d'appréhension comme précédemment, est une proposition qui correspond fort bien à l'acte de la visée dont Husserl et Merleau-Ponty ont mentionné les aspects et les caractéristiques. Parmi ceux-ci, on retrouve la continuité du trait de la tradition du sujet qui prolonge ses acquis antérieurs dans toutes ses pratiques du moment. Cela veut dire (et du point de vue pédagogique et éducatif) qu'on ne peut pas penser d'une manière anhistorique. D'ailleurs même le mot : tradition, renferme en lui un trait (droit ou oblique) continue ou discontinue, qui nécessite aussi bien la donation du temps de sa continuité, que celui de son dépassement. Car parfois l'homme dépasse sa propre histoire à travers une action que Nietzsche a appelé : l'attitude critique, une attitude à travers laquelle l'homme met sa propre histoire devant le tribunal de la raison. Le schématisme perceptif dont il est question d'une manière simpliste avec le texte psychopédagogique, doit donc être compris ici selon plusieurs acceptions, qu'il n'est pas une simple homonymie. C'est d'ailleurs à cette différenciation du sens de ce schématisme perceptif que les propositions N° 11 des auteurs (dont nous étudions la transposition didactique), vont attirer notre attention tout en nous rendant docile et bienveillant à des sens dont elles fournissent la classification.

Cette taxonomisation (de la part des auteurs), du schématisme perceptif pose la problématique de la perception entre l'ouverture et l'achèvement. Il y a en effet une ouverture de la perception aux choses du monde les mieux réparties, et achèvement des actes de la visée auto-positionnelle traduisant le processus de l'aperception. Cette dernière – comme nous l'avons déjà fait remarquer avec Husserl – est en relation avec un "idéal-rationnel-de-l'être-commun". Celui-ci – comme le pensait déjà Kant – est indéfinissable, incompréhensible, puisqu'il “ s'édifie sur le sentir et l'outrepasse ”, comme le souligne Husserl. Car c'est sur ce sens de l'aperception que porte son intérêt dans cette proposition N° 10. On remarque fort bien que l'auteur du Cours portant sur la relation entre Chose et espace est beaucoup plus scolaire qu'on ne le croit. C'est ainsi qu'il classe en effet (et à travers la proposition N° 10 de notre tableau) les différents sens de la perception. Cette taxonomisation est fondée sur la visée de l'auteur, une visée qui s'astreint à rendre ses auditeurs bienveillants et dociles à des réalités différentes de l'acte perceptif. Le sens de cette proposition s'organise donc autour du paradigme substantiel qui surgit de l'organisation taxonomique du sens de la perception définie en terme de processus. Le fait perceptif est donc un processus complexe et non pas un simple état fortuit. Dans cette classification, l'auteur est fidèle à la mêmeté, car et à l'en croire, c'est toujours une même perception qui se déploie à travers les différents états de la perception, puisque l'aperception repose sur l'appréciation et l'appréhension d'une même visée qu'on doit étudier pour elle-même, comme le pense Husserl (en laissant entendre à travers cette formulation N°10) que l'on doit étudier la perception pour elle-même, et non pas dans sa relation avec quelque chose d'autre qui est au-delà de son apparence. Nous ne devons pas chercher par exemple son état d'apparition qui se dévoile – si l'on en croit l'approche psychologique – derrière toute acte de la visée abstraite. D'ailleurs Husserl nous propose d'écarter cette vision psychique qui cherche le sens de la perception dans le processus d'apparition. La distinction chez Husserl est donc claire entre le domaine de l'apparence et celui de l'apparaître, puisque ce qui l'intéresse en premier lieu est le premier domaine qu'il considère factice, englobant le même chez tous les êtres humains. Il y a donc une différence entre l'être-commun (gemeinswesen et l'Etre commun (Gemeins Wesen) 1260 . En effet ce qui est commun aux êtres humains à savoir par exemple leur manière d'être et de mettre en forme le réel, se distingue de leur Etre Commun, leur réel, leur monde apparent. La disposition morale fondamentale (Gesinnung) n'est pas la même chose chez les êtres humains bien qu'elle soit comme disait déjà Descartes une sorte de bon sens, chose du monde la mieux partagée. La différence dans la mêmeté est donc la vision de Husserl lorsque ce dernier qualifie et classer l'acte de la visée auto-positionnelle. Si Husserl se donne à la classification de la perception sur la base d'un modèle substantiel et taxonomique, alors il n'en va pas de même pour Maurice Merleau-Ponty, qui sur la base d'un modèle essentiel et taxinomique se donne le temps (à travers la proposition N° 10) de valider et de légitimer la conscience transcendantale qu'il considère commune à tout acte perceptif. On constate en effet que Merleau-Ponty s'oppose ouvertement à Husserl en ce qui concerne la qualification de l'acte perceptif. Le premier comme on peut le remarquer aisément pense qu'il est immanent dans la conscience transcendantale, difficile d'accès à l'appréhension empirique, alors que le second pense qu'il est exposé à travers la visibilité d'une donnée absolue posée par l'acte de la visée auto-positionnelle. Chez Merleau-Ponty, on remarque aisément que l'unité de l'acte perceptif commun à tous les sujets est une donnée qui subsiste dans les faits factices de la non-facticité, puisque c'est l'expérience mentale du sujet qui en discerne le sens, la visée et la destinée. Par contre chez Husserl, le lieu de l'unité de la perception est d'abord un fait, bien que celui-ci “ ‘s'édifie sur le sentir et l'outrepasse’ ” comme le disait déjà Husserl. Car et à l'en croire, dans toute perception on va du fait au fait, et non pas du fait à la règle. La différence entre les deux hommes repose donc sur la qualification du lieu de l'unité. De ces deux lieux on retient donc la facticité intelligible de l'un (celui dont parle Merleau-Ponty) et la facticité sensible de l'autre (celui dont traite Husserl). On retrouve ici toute la problématique de la causalité libre, une problématique dont la synthèse entre le sensible et l'intelligible fut largement travaillée par le système philosophique Kantien. C'est cette synthèse que Paul Fraïsse va maintenant chercher à établir dans son texte psychopédagogique et plus précisément à travers la proposition N° 10 de notre tableau.

La synthèse entre le sensible et l'intelligible est la tâche que partagent la pédagogie et la didactique avec l'éducation en général. Cette tâche est celle de la problèmatisation de la définition de l'action éducative que Kant avait déjà défini dans ses Réflexions sur l'Éducation en terme de problématique. Dire avec Kant que “ l'Éducation est par essence problématique ”, est en effet la conception qui se dégage (d'une manière implicite) de cette proposition du texte psychopédagogique de Paul Fraïsse. Lorsque ce dernier reconnaît l'existence de deux causalités : une qui est antérieure et l'autre qui est présente, il fait par là-même un retour à Kant, qui a cherché dans la Critique de la Raison pratique à opérer la synthèse entre l'intelligible et le sensible. On constate d'emblée chez l'auteur du texte psychopédagogique, la marque d'une dualité (perceptions présentes et perceptions antérieures) dont il faut chercher en Éducation, aussi bien le sens que la synthèse. Mais malheureusement dans la proposition du texte psychopédagogique de Fraïsse, cette synthèse n'est pas largement élucidée. Elle est renvoyée à une ouverture sur des systèmes philosophiques et psychologiques (effet Köhler, effet Demoor, effet Gibson etc.), livrés aux auditoires d'une manière fortuite et sans précisions capitales et sans explication rigoureuse. Ce renvoi bien qu'il soit légitime, renforce le mal nécessaire de la transposition didactique qui use du renvoi sous prétexte de marquer une provocation intellectuelle à travers laquelle on convoque autrui à la recherche par lui-même du vrai sens des propositions. Cela risque de devenir une contre pensée, surtout lorsqu'il s'agit du temps de l'éducation que nous devons parfois (sinon dans la plupart des cas) chercher à le gagner au lieu de le perdre davantage. Lorsque la proposition du texte de Fraïsse parle de la dépendance entre nos perceptions présentes et nos perceptions justes antérieures, il ne précise pas le fondement de cette dépendance. En effet, on peut dire que le présent d'un élève juge sans jugement. Autrement dit, dans une situation pédagogique et didactique, nous devons nous restreindre à ce que font les apprenants en tant que déjà-là. Nous ne devons pas chercher le sens de leurs manières d'être. D’ailleurs ce qui puisse compter dans l'appréciation de toutes situations éducatives et didactiques, sont les faits perçus qui se donnent comme des déjà-là présents. Il y a là une critique fulgurante dirigée à l'encontre des systèmes de pensées ésotériques, car l'éducation et la pédagogie tout (en étant centrées sur la compréhension et l'appréhension des pratiques), problématisent les faits. La dépendance entre la cause et l'effet est ici largement évoquée de la part de Fraïsse, car la relation entre la cause et l'effet n'est pas seulement (si l'on en croit la proposition de l'auteur) abstraite et indéfinissable, elle est au contraire objet d'impressions possibles. Cette possibilité surgit en effet de la mise en forme des aspects fondamentaux propres à toute action humaine qui cherche à se réaliser en tant que projet. Ces possibilités qui sont susceptibles d'être projetées dans le monde sensible, se donnent à nous par le biais de la rencontre et du rendez-vous avec d'autres états de faits. Dire avec Kant que l'Éducation est par essence problématique, correspond fort bien à ce que le texte psychopédagogique de Fraïsse pense ici en terme de dépendance entre les deux causalités dites antérieures et présentes. On peut se poser malgré tout la question suivante :

Dans toute pratique éducative et pédagogique, y a t-il vraiment dépendance ou interdépendance entre l'historique et l'anhistorique ? D'abord on doit avoir présent à l'esprit le sens de la relation qui réside entre la cause et l'effet. Cette relation (si l'on en croît Kant) n'est pas de l'ordre du sensible. Elle est difficile d'accès, incompréhensible, mais nécessaire à mettre en forme pour comprendre la portée des idées qui s'opèrent sous formes de projets. Pour inciter à la mise en forme de la relation qui réside entre la cause et l'effet, le texte psychopédagogique de Fraïsse propose le passage de la perception de l'intervalle de la série à la perception de la série de l'intervalle. Qu'est-ce que cela peut-il signifier ?

Si parfois on devient incapable de comprendre le sens des propositions et des énoncés à caractère simplistes (comme nous le montre les textes psychopédagogiques), c'est parce que la réalité dont ils témoignent est beaucoup plus complexe que l'on peut le croire. D'ailleurs le sens du passage de l'intervalle de la série à la série de l'intervalle en est un exemple probant. Cette structure chiasmatique 1261 (série de l'intervalle ou intervalle de la série) n'est rien d'autre que l'affirmation (de la part de Paul Fraïsse) de la complexité des situations pédagogiques et éducatives. On doit rappeler dans cette même perspective tout ce que Descartes disait déjà (dans sa Règle VI des Règles pour la direction de l'Esprit) en ce qui concerne l'organisation des faits en séries. Ceux-ci ne sont pas donnés d'une manière fortuite. Ils doivent être recherchés dans la vie pratique amoncelées par la vie quotidienne. Cependant, les faits organisés en séries ne sont pas donnés, ils sont construits par la pensée du bon sens dont Descartes disait qu'il est la chose du monde la mieux partagée. L'acquisition du sens des pratiques savantes est donc quelque chose d'ambiguë dont on ne peut comprendre le sens que par l'arraisonnement des oppositions et des antagonismes. Car (comme disaient les Alchimistes) rien n'a de sens qu'en relation avec son opposé. C'est à cette opposition du sens des pratiques, que les propositions N° 12 de notre tableau, vont formuler des sens tantôt similaires et tantôt différents. Chez Husserl, on remarque que le sens des pratiques correspond à une unité dont le sens est à chercher dans la synthèse entre l'apparence et la réalité. L'unité entre ces couples philosophiques n'est pas déclarée ouvertement, elle est renvoyée à l'intuition individuelle qui en opère la synthèse. Si l'apparence et la réalité sont liées dans le processus de l'apparition, alors cela veut dire que toutes les différences que l'on aperçoit entre les événements et les faits peuvent se rapporter à un lieu commun qui s'expose en tant que donnée factice. Cela est la visée de Husserl dans cette proposition N° 12, car pour lui toute essence est substantielle. Ce que l'on sait bien qu'il soit déjà acquis, il ne peut l'être d'une manière véritable que si l'on reconnaît en lui les différents états d'apparition, qui sont toujours (si l'on en croît Husserl) factices et concrets. La métaphore réelle issue de l'emploi par Husserl du terme : la maison, est un exemple qui explique fort bien le lien entre les intuitions individuelles qui s'y jouent et les substances concrètes qu'elle manifeste. Car toute maison se donnent selon un esprit architectural donné et selon des motifs et des degrés d'implications qui les mettent en forme. Tous ces motifs ne deviennent réels que s'ils se manifestent dans le monde sensible. Si Husserl (à travers cette proposition N° 12 est donc du côté de la logique de la découverte des nouvelles acquisitions apparentes, alors Maurice Merleau-Ponty ne va pas s'opposer à cette manière de voir, car lui aussi est du côté de la recherche non pas des invariants statiques des conduites et des acquisitions, mais il est au contraire du côté de la mise en forme des invariants fonctionnels dont on doit reconnaître l'utilité au lien d'en affirmer et d'en soutenir la nécessité.

Mais dans cette convergence apparente, il y a une divergence de principe. Chez Husserl il est question de diriger notre regard envers les choses animées par la possibilité de la découvertes de nouvelles acquisitions apparentes, alors que chez Merleau-Ponty, on doit questionner en direction des essences dont l'unité est caractérisée par l'inachèvement. Dans les deux systèmes de pensée philosophique, il existe en tout cas une ouverture inachevée à l'égard des choses, mais au sein de cette ouverture la divergence est remarquable. En effet Husserl est du côté d'une ouverture permanente à l'égard des substances qui témoignent des modèles de vie, alors que Merleau-Ponty est du côté d'une ouverture permanente à l'égard des manières d'acquisitions. Si le premier cherche à mettre en forme la nécessité des substances et des essences, alors le second met en considération leur utilité. De la nécessité des principes de l'acquisition (l'unité des substances), que l'on vient de mentionner chez Husserl, on passe donc avec Merleau-Ponty à l'utilité des principes de la réminiscence (l'unité des essences). La divergence schématique qui réside entre les principes des deux auteurs est donc flagrante. Au sein d'un même lieu de l'unité, la divergence porte sur le passage du lieu de la quantité à celui de la qualité, un passage où enfin la distinction se dissout, puisque la substitution entre la qualité et la quantité est l'une des caractéristiques communes à ces deux formulations portant le N° 12 dans notre tableau. Cette unité va prendre une autre forme synthétique à travers la méthodologie que nous propose la proposition du texte psychopédagogique, qui porte le N° 12 dans notre tableau. Comme on peut le constater, cette formulation pose les notions de l'essence et de la substance face à problématique de l'ouverture et de l'achèvement. Elle parle de la dépendance et de l'interdépendance des deux notions. Le changement des répertoires lexicaux (impressions Kinesthésiques et visuelles) correspond il donc au sens de la substance incarnant chez Husserl la perception présente et l'intuition individuelle ? Ce sens, peut-il aussi correspondre au sens de l'essence dont Merleau-Ponty pense qu'elle est une vie irréfléchie ? D'abord le plus important dans cette formulation du texte psychopédagogique est la soumission de la Kinesthésie au mouvement de la dépendance et à celui de l'interdépendance. Cela est révélateur du sens, car le texte ésotérique de Husserl évoque largement ce problème dans un chapitre 1262 auquel nous avons arrêté nos explications du contenu de ses Cours portant sur la relation entre la chose et l'espace. Le contenu de ces lignes du texte psychopédagogique correspond dans une large mesure à celui du chapitre X de Chose et espace. En effet si Husserl pense que le mouvement des séries de remplissement (qui se remplissent) n'est qu'une série parmi une multiplicité de possibilité, alors cela n'a pas échappé ici au texte exotérique qui considère le mouvement qu'engendre le comportement factice des individus, dans une large relation avec des domaines de possibilité, avec les états d'apparitions. La relation entre l'apparence et l'apparaître est déterminée par l'état de l'apparition : par le système dans lequel s'établit le mouvement. Cela veut dire (dans une perspective pédagogique et didactique) qu'il existe une relation de connexion nécessaire et réciproque entre le savoir et son écologie, entre le savoir et la fonction qu'il accomplit dans le fait. Les exemples que donneent les textes psychopédagogiques, sont des illustrations des pratiques que l'on peut vérifier. Ils ont aussi attrait à des pratiques susceptibles d'être arraisonnées et étudiées. Cette proposition prend l'exemple de deux mouvements : l'un se prolonge vers le haut, l'autre est tiré vers le bas. Le premier, apparaît plus léger que le second qui est plus petit. cela veut dire que plus un objet possède une longue taille plus il est perçu plus léger que l'autre qui est petit est qui est attiré vers le bas par les effets des lois de la pesanteur. Ce texte est pseudo-scientifique, puisqu'il s'astreint à vulgariser des notions scientifiques en nous rendant bienveillant aux lois de la pesanteur. Il veut en fait inciter à l'étude et à la compréhension des pratiques savantes qui résident parfois là où l'on ne se rend pas compte.

Bien que l'essence des choses soit donnée dans l'immédiateté, elle nécessite malgré tout, une construction de sens. Au sujet de cette construction, les propositions N° 13 s'interrogent sur la possibilité d'une ouverture à l'égard de toutes les essences. Mais comme on peut le constater, le sens de l'essence varie d'une proposition à une autre. En comparant la proposition de Husserl à celle de Merleau-Ponty, on constate que pour le premier l'essence est en relation de connexion nécessaire avec la substance, puisque l'essence est toujours pour lui objet du regard. Et même l'acte du regarder est considéré de la part de Husserl comme puisant son sens dans le principe auto-positionnel, objet de toute perception immanente. Si le modèle substantiel est présent dans la phénoménologie de Husserl du fait que toute organisation auto-positionnelle ne peut se construire que dans la référence permanente à l'historialité d'un fait déjà-là, alors il n'en va pas de même pour la phénoménologie de Maurice Merleau-Ponty, qui considère le domaine de l'essence comme quelque chose qui s'établit au-delà de toute expérience phénoménologique possible. Parler de l'existence d'un langage qui s'opère avant toute thématisation est en soi une idée proche de celle de Charles Peirce, qui considère l'homme possédant une essence, comme étant un interprétant de signes linguistiques possibles. L'essence chez Merleau-Ponty est plus adaptée à une réflexion sur l'origine du langage et du discours articulé qu'à l'origine des actes auto-positionnels bien que le discours articulé soit (comme nous venons de le voir avec Husserl) une action qui se met en forme qui dévoile une certaine vérité. Du modèle substantiel ancestral que l'on rencontre chez Husserl, on glisse avec Merleau-Ponty au modèle lucratif de conquête. Car chez l'auteur de la Phénoménologie de la perception la conquête du monde est la tâche de toute relation qui s'astreint à s'ouvrir aux choses du monde et des hommes. Dans la proposition du texte psychopédagogique, il ne s'agit ni de chercher à lier la substance à l'essence ni à définir celles-ci. Il s’agit simplement à les distinguer suivant une argumentation du distinguo, à travers laquelle on se donne le temps de distinguer l'être-apparent (l'image rétinienne) de l'être-réalité (la chose-sujet proprement dite). La légitimité de cette distinction est fondée sur la possibilité de mener une pédagogie différenciée, qui nous aide à apprendre (avec les différents sujets) apparents les fondements de leurs actions présentes qui prolongent d'autres actions antérieurs. La distance dont il est question ici correspond à la trajectoire, de la série de l'intervalle, que le texte (à travers la précédente proposition) vient d'en élucider le sens et la portée. Dans cette proposition, les deux modèles (ancestrale et lucratif) sont renvoyés à la perception de la distance qui réside entre notre manière d'observer un fait et l'état d'apparition de celui-ci. Cette observation doit donc distinguer tous les niveaux qui se donnent à première vue pour enfin comprendre le vrai sens des faits réels et apparents. C'est à cette argumentation du distinguo que se réfèrent les propositions N° 14 en vue de discerner les différents sens véritables de l'essence de la conscience perceptive. Dans la proposition de Husserl, on constate simplement un retour, un rappel de ce qui a précédé. Ce rappel est légitime, car il s'agit d'une technique propre à l'enseignement lorsqu'il est par exemple question de discourir autour d'une notion. Tel est le cas à travers cette proposition qui nous rappelle l'argumentation de la substitution et de la coexistence, une argumentation qui trouve son fondement chez le professeur Husserl dans le sens qu'il a attribué à la conscience de la mêmeté. Dire qu'il existe des perceptions qui se rattachent à d'autres perceptions, nous rappelle l'idée chère à Husserl qui a pensé la perception en relation de connexion nécessaire avec des états d'apparitions aussi bien immanentes que transcendantes. Le lieu de l'unité substantielle des notions : perception et aperception, est ici rappelé à l'ordre !

Dans l'optique de Merleau-Ponty, il n'y a pas de rappel, puisque (comme nous venons de le mentionner) le modèle sur lequel il construit le sens des essences perceptives n'est pas ancestral, il est lucratif de conquête. A travers cette proposition qui porte le N° 14 dans notre tableau, l'argumentation fondée sur la structure du réel emprunte la technique du saut. C’est-à-dire, il existe un saut dont on doit parfois user pour arriver au sens véritable des évidences essentielles. Ce saut est celui que le chercheur effectue lorsqu'il est soumis à des illusions. Dire que l'on doit sauter sur des illusions, nous rappelle la technique du saut dont parlait déjà Heidegger pour s'opposer à la recherche d'une origine historique des oeuvres d'arts. Le problème de la vérité est posé à travers la proposition de Maurice Merleau-Ponty en terme d'ouverture à l'égard des illusions que l'on doit affranchir lorsqu'on arrive à les déceler. Le modèle de la conquête est ici révélateur puisque la recherche des évidences repose (si l'on en croit ici Merleau-Ponty) sur notre capacité à devenir acteur de la vérité, que l'on construit dans l'évidence que nous faisons dès lors que l'on expérimente nos propres vérités. Ce pouvoir de l'expérience réside aussi dans notre capacité à dévoiler l'erreur de la vérité et la vérité de l'erreur. Le fait de se tromper ou d'avoir raison ne change en rien l'évidence de la mise en forme de la vérité qui se construit dans les essais et les erreurs. Une chose est sûre comme le disait déjà Karl Popper c'est que nous pouvons toujours apprendre de nos erreurs tenues (à tort ou à raison) comme des évidences. L'argumentation que fournit ici le texte de Merleau-Ponty est une argumentation quasi-logique, puisque le domaine de la vérité de l'évidence est celui du probable. Cette probabilité est renforcée dans le texte psychopédagogique, là où l'accent est mis sur des aspects obscurs de la perception. La relativité des évidences, induit donc nécessairement la relativité des vérités. On ne sait pas ce que signifie par exemple les cas de surconstances perceptifs. On ne sait pas non plus comment une constance est en général relative. Car si elle est ainsi elle devrait être relative par rapport à quelque chose d'autre qu'elle même. De renvoi en renvoi, on assiste donc à un appauvrissement notionnel inexpliqué.

Les propositions portant le N° 15 dans notre tableau, traitent de l'universalité des perceptions. Ce traitement diffère d'une proposition à une autre. Cette différence est due d'une part à la visée de chaque auteur, qui inscrit ses propos au sein d'un système disciplinaire donné, et d'autre part, à la capacité qu'à le public (auquel s'adresse chaque auteur) à assimiler le sens de la proposition. Par exemple Husserl qui s'adresse à des philosophes, à des futurs chercheurs en philosophie, emploie un langage à haute densité discursive. A travers sa proposition (portant le N° 15 dans notre tableau) Husserl n'hésite pas à engager ses auditoires présumés dans une perspective philosophique qui n'est rien d'autre que l'incitation de ces mêmes auditoires à la cohérence et à la conséquence. Cette incitation est en elle-même un retour au Kantisme puisque pour Kant “ ‘Etre conséquent est la condition primordiale d'un philosophe et c'est la condition à laquelle on se conforme rarement’ ”, disait-il. Cela surgit en effet de la proposition à travers laquelle Husserl lie intimement (selon leur état de fait) identité des objets et identité des perceptions,. Dans l'optique de Husserl, il y a en effet une unité entre des perceptions dites auto-positionnelles et les objets identiques. Cette unité est construite sur la base de la fidélité que Husserl (comme nous l'avons déjà vue à travers les précédantes propositions) attache au modèle substantiel. Ce lien est conçue sous une autre forme dans l'optique de La Phénoménologie de la Perception de Maurice Merleau-Ponty. Si l'on s'astreint à la proposition N° 15, on s'aperçoit en effet que la perception est le lieu où toutes les visions se rencontrent quelques soient leur nature. La paraphrase et la transposition didactique du système philosophique hégélien sont (à travers cette proposition de Merleau-Ponty) largement ressentis, car pour Hegel “ la conscience pour soi est la conscience pour autrui ”. Cela est exactement ce que pense l'auteur de La Phénoménologie de la Perception en élargissant en quelque sorte la proposition de Hegel. C’est ainsi qu’il note : “ ‘Le monde phénoménologique c'est non pas de l'être pur, mais le sens qui transparaît à l'intersection de mes expériences et de celles d'autrui, par l'engrenage des unes sur les autres, il est donc inséparable de la subjectivité et de l'intersubjectivité qui font leur unité par la reprise de mes expériences passées dans mes expériences présentes, de l'expérience d'autrui dans la mienne’ ”. Nous devons d'abord marquer une pause sur certains mots de ce passage de Merleau-Ponty. Que signifie donc l'expression : “ ‘La reprise de mes expériences passées dans mes expériences présentes, de l'expérience d'autrui dans la mienne’ ” ? L'universalité de la perception n'est pas une donnée comme le pense Husserl. Elle est au contraire objet d'une construction permanente. Elle puise son fondement dans ce que Jürgen Habermas pensera en terme d'Ethique de la communication 1263 . Celle-ci n'est rien d'autre que la mise en forme d'une argumentation rationnelle. Cette dernière est le résultat des échanges (en toute liberté) des différents avis, des différents points de vues auto-positionnels des sujets. Ces arguments doivent être perçus et mis en forme pour que l'universalité puisse en découler.

Cette vision nous la retrouvons chez Paul Fraïsse, transposée et paraphrasée d'une manière simpliste et amplifiée. Dans la proposition N° 15 de notre tableau, on remarque en effet une reprise directe ou indirecte des points de vues de Husserl, de Merleau-Ponty et d'Habermas. Dans cette reprise, c'est la mise en mouvement du savoir et des connaissances qui enrichie notre réflexion et notre comparaison des propositions que nous venons de choisir chez ces différents auteurs. L'enrichissement peut être élucidé davantage lorsqu'on compare la proposition N° 15, du texte psychopédagogique aux autres propositions des textes ésotériques. Le lien que Paul Fraïsse établit entre les quantités des stimulations et leur qualité, nous renvoie en fait à l'affirmation de l'existence d'une relation de connexion nécessaire qui réside entre ce que Paul Fraïsse appelle ailleurs : l'unité de la réponse perceptive. C'est ainsi qu'il souligne dans sa Psychologie Expérimentale que : “ ‘La réponse perceptive est unique mais elle doit tenir compte de plusieurs stimulus ’”. L'universalité bien qu'elle soit dans ce travail de Paul Fraïsse construite sur le modèle des sciences dites exactes, elle est malgré cela (dans ce travail du manuel psychopédagogique) construite sur la base du modèle anthropologique propre aux sciences humaines. Cela veut dire en fait, que l'identité épistémologique d'un discours est déterminée par le champs disciplinaire qui se construit selon les attentes que le chercheur s'astreint à accomplir dans l'accompagnement d'un public auquel il s'adresse. Tel est le cas dans la proposition N° 15 du texte psychopédagogique, qui pense que toutes réponses perceptives doivent être appropriées aux stimuli présentés. L'énoncé pris en soi indépendamment des énonciations qui l'ont mises en forme et en valeur, n'a donc aucun sens. L'approche systémique (qui pense que toute proposition n'a de sens que dans son ouverture d'altérité radicale à l'égard des choses et est le processus qui les accompagne) à laquelle nous avons déjà fait allusion, est ici rappelée à l'ordre. Ce rappel explique fort bien l'aspect scolaire du texte de Paul Fraïsse, de la même manière que celui de Husserl qui nous renvoie à chaque fois à des propositions déjà avancées dans les Cours précèdents. Le sens de ce rappel est à nos yeux à chercher ailleurs. Les auteurs qui en usent sont d'abord d'aspiration humaniste. Ils ont conscience du fait que l'homme ne peut en aucun cas penser d'une manière anhistorique. Ces auteurs traitent aussi de la mémoire, puisqu'ils nous incitent à penser dans la référence permanente à notre conscience qui est toujours conscience de quelque chose. Si l'on doit nous souvenir de quelque chose, c'est alors de ce toujours-déjà que l'on aperçoit à chaque instant dans le déjà-là. Sans le vouloir, ces auteurs sont nietzschéen. Car dans l'optique du Nietzsche des trois attitudes de l'homme face à son histoire, on ne peut guère penser sans la référence permanente à nos souvenirs. C'est ainsi que Nietzsche a laissé entendre ouvertement que le fait de “ Se souvenir de la promesse qu'on a faite dans le passé c'est l'engagement envers soi-même à la tenir dans le passé, dans le présent, mais aussi dans l'avenir ”. Le temps de la perception est donc un temps mémorial. Il se manifeste à travers les objets physiques 1264 ., à travers nos relations avec autrui 1265 et dans l'identification qu'on en fait dès lors qu'on est en situation 1266 .. L'avantage et le désavantage du souvenir perceptif pour la vie pratique, seront largement élucidés par les propositions N° 16 de notre tableau, là où tous les auteurs vont s'attacher à l'explication de la perception qui pourrait naître du schématisme perceptif et réflexif. A travers les trois formulations portant le N 16 dans notre tableau, on constate une unité qui surgit de la substitution des notions.

Cette unité bien qu'elle soit chez les auteurs, commune (en sa forme), elle se distingue sur le fond. Chez Husserl en effet, l'unité recherchée est celle qui se déroule entre la conscience et les perceptions d'un même objet. Cette unité s'explique par le principe de la mêmeté sur lequel Husserl revient à plusieurs reprises pour le mettre en évidence. Quant à Maurice Merleau-Ponty, l'unité qu'il cherche à établir entre le monde des informations et celui de la formation est fondée sur l'aspect pratique que nous procure le langage ordinaire, qui est le premier venu par rapport au langage articulé. Ce langage nous informe des différentes acquisitions réalisées par la mémoire d'un peuple. La profondeur dont il est question avec cette formulation, nous renvoie à la technique de l'ouverture dont Heidegger disait déjà qu'elle doit être un acte qui arraisonne : qui pénètre les choses avec force. Rien n'est donné, tout est construit. Cette unité sera reprise directement ou indirectement par le texte psychopédagogique de Paul Fraïsse, qui parle d'une unité entre toutes les réponses perceptives.

Cela veut dire en fait, que tous les sujets réagissent de la même manière à des problèmes similaires et à des stimulations communes. L'unité des réponses perceptives, repose aussi sur l'humanisation de toutes les conduites humaines. Car l'homme pris universellement, est caractérisé par la capacité de son langage, à travers lequel il énonce et met en forme le réel. L'unité du genre humain repose sur le fait qu'à l'homme à pouvoir porter les mots aux choses. La parole est d'abord aux faits disait Hegel. et puisque l'homme pris universellement est un fait, alors l'unité des réponse perceptive à laquelle il fait ici allusion est légitime, puisque la décision de parler, de s'exprimer pour ou contre les Lois, est une spécificité proprement humaine. L'homme nous dit-on est le seul être à pouvoir obéir à une Loi quelconque, le seul à pouvoir aussi se retourner contre toute autre Lois y compris la sienne. Ce ne sont que des formes d'expressions, qui nous montrent fort bien que le texte pédagogique est construit sur le modèle de l'universalité, puisqu'il est question de l'éducabilité de toutes les intelligences. Cette éducabilité est (comme le texte le laisse entendre) beaucoup plus complexe, car elle doit prendre en considération les attentes des sujets ainsi que leurs comportements au sein d'un système donné. Si le discours est l'une des caractéristiques de l'universalité de l'homme, alors les auteurs (à travers les propositions portant le N° 17 dans notre tableau), vont se forcer d'en déterminer les spécificités selon des points de vues tout à fait différents.

Chez Husserl, on rappel que la relation de connexion nécessaire que nous venons d’avancer entre chose et espace, est largement exprimée à travers cette formulation qui porte le N° 17 dans notre tableau. Si tout énoncé présuppose une énonciation, alors Husserl n'a pas négligé cette relation, puisque pour lui, toute position est en lien intime avec l'auto-position qui en détermine la portée. L'argumentation de la substitution et de la coexistence qui réside entre les notions est ici encore une fois rappelée à l'ordre. Cela veut dire que Husserl est conséquent dans ses Cours, qu'il cherchait à atteindre un but bien précis. Ce but surgit de l'argumentation de la direction qui ressort de la proposition : ‘“ En fait, nous pouvons transposer l'expression et son sens’ ”. Lorsque Husserl dit : "en fait", il veut par là-même attirer notre attention à la possibilité d'une mise en forme du réel, une mise en forme qui trouve son fondement dans l'extension du pouvoir cognitif qui se déploie à travers l'extension du pouvoir physique. Sur ce point précis, la transposition didactique de la conception husserilienne par Merleau-ponty est largement réussie, puisque la même idée est reprise dans La Phénoménologie de la Perception là où l'accent est mis sur la place qu'occupe le mot dans le comportement humain. Dire avec Merleau-Ponty que le mot n'est jamais distinct de l'attitude qu'il induit, nous renvoie en effet à ce que Adorno pense pour le langage des oeuvres d'arts. Pour cet auteur de la Théorie Esthétique, “ ‘l'oeuvre d'art est en elle-même un comportement’ ”, disait-il. Cependant, si l'expression est un art que l'on classe parfois dans l'art de la rhétorique, alors on peut faire une analogie entre les arts de la parole, de l'expression et les arts plastiques. Cette analogie ressort en fait de l'emploie par Merleau-Ponty de l'expression : “ la physionomie des mots ”, une expression qui désigne la présentation d'un comportement issu d'un langage articulé. Par conséquent on peut dire que les physionomies des mots sont aux expressions des comportements, ce que les oeuvres d'arts plastiques sont aux espaces concrets.

Cela veut dire en fait, que la ressemblance des rapports entre le langage qui articule des expressions et l'ouvre d'art qui manifeste des signes, est fondée non seulement sur la combinatoire des différentes classes d'unités, mais aussi sur la création d'espaces possibles. Car l'art est en général la mise en forme d'autres formes à la fois imaginaires et concrètes. L'art disait Heidegger est historial : il crée un espace possible. La relation de connexion nécessaire qui réside entre l'expression et sa forme, entre ce que les linguistes appellent la substance du contenu et la forme du contenu, est ici largement évoquée de la part des deux maîtres de la phénoménologie à savoir Husserl et Merleau-Ponty. Cette même relation n'est pas altérée (dans le fond) par le texte psychopédagogique de Paul Fraïsse. Elle est simplement renvoyée à un autre ordre formel qui se distingue uniquement par l'organisation intrinsèque que nous procure le langage dans sa dimension anatomique et syntaxique. A la première est lié l'ordre de la neuro-pédagogie qui cherche à classer et à examiner les différentes excitations visuelles et sonores ; quant à la seconde est liée l'organisation des mots et des propositions au sein d'un système syntagmatique. La relation de connexion nécessaire entre l'axe syntagmatique et l'axe paradigmatique est largement évoquée par le texte psychopédagogique de Paul Fraïsse, qui reste fidèle à sa proposition du départ : l'ouverture inachevée à l'égard des comportements des variables personnalités des sujets.

Le point commun qui se dissimule derrière les trois propositions portant le N° 17 dans notre tableau, est l'humanisation du langage articulé, un langage qui n'est pas simplement un signe dans lequel on doit penser, mais aussi une forme à interpréter que l'on doit arraisonner sur la base des comportements qu'elle suscite. Mais cette forme réside t-elle dans la conscience en tant que toujours-déjà construit, ou au contraire, dans la connaissance (en tant que déjà-là) qui est donnée à construire ? Telle est la question qui surgit des propositions portant le N° 18 dans notre tableau. Dans la proposition de Husserl, la mêmeté (à laquelle il avait déjà fait allusion), est ici fondée sur la conformité de l'essence à l'objet exposé. Cette conformité est aussi un rappel de la relation de connexion nécessaire que Husserl a déclaré lorsqu'il a laissé entendre que toute auto-position est conforme à l'exposition : ce qui se déplace est la connaissance pure posée par l'auto-position. Si pour Husserl la mêmeté dont témoigne la conscience pure de l'auto-position est quelque chose de perceptible, alors il n'en va pas de même pour Merleau-Ponty, qui le reprend sur ce point précis tout en le dépassant. En effet, pour l'auteur de La Phénoménologie de la Perception d'abord ce qui est posé ne l'est, d'une part qu'en vertu de ce qui a été déjà posé, et ensuite bien qu'il soit posé, il demeure toujours ouvert à des interprétations diverses qui le rendent enfin de compte imperceptible. L'auto-position qui est quelque chose qui relève de la causalité intelligible est imperceptible. Cependant, Merleau-Ponty s'aligne sur la conception Kantienne de la causalité libre intelligible, qui est (si l'on en croit Kant), quelque chose d'imperceptible dont on ne peut guère discerner (d'une manière précise) les causes et les conditions exactes de son déclenchement. On ne saura jamais les manières dont lesquelles la causalité libre intelligible produit ses effets, disait Kant. C'est d'ailleurs ce qui ressort fort bien de la proposition de Merleau-Ponty, qui porte le N° 18 dans notre tableau. L'effort synthétique des deux points de vues (celui de Husserl et celui de Merleau-Ponty) est l'objet de la proposition du texte psychopédagogique, de Paul Fraïsse, portant le N° 18 notre tableau. Si l'on examine de près cette proposition on constate d'emblée que l'auteur en faisant allusion (d'une manière implicite) à la théorie du mouvement d'Aristote 1267 , il veut par là-même insister sur l'extension du pouvoir physique des choses, pour enfin nous faire admettre que le changement qui introduit nécessairement une succession du temps de la perception, rend difficile le discernement des principes auto-positionnels. Cela n'altère en rien ni la proposition de Husserl qui pense que la conscience s'édifie sur le sentir et l'outrepasse, ni la proposition de Merleau-Ponty, qui pense que la pure impression est impensable et imperceptible. Cette convergence des principes est due à la référence implicite de la part des trois auteurs à la conception aristotélicienne de l'ouverture de la pensée à l'égard des choses. Aristote a en effet laissé penser dans Les Topiques, que tout ce qui est posé ne l'est qu'en vertu de ce qui a été posé. C'est à ce mode (à travers lequel la conscience acquiert le sens des parties et des touts), que les auteurs des propositions portant le N° 19 dans notre tableau, vont se forcer à donner des différents aspects à cette acquisition. Chez Husserl, le mode de la prise de conscience du tout et de la partie, est un mode que l'on annonce, que l'on nomme. Autrement dit, la partie et le tout sont des énonciations, annoncées par notre conscience, notre visée que Husserl a déjà qualifié d'auto-positionnelle. En réalité, la partie et le tout n'existent que dans l'acte de nomination. Nommer le tout et la partie (à travers l'acte auto-positionnel de notre conscience qui vise en direction des choses), est en soi une reconnaissance de l'égalité du tout et de la partie puisque les deux notions, d'une part coïncident et coexistent dans l'acte auto-positionnel de notre visée en direction des choses, et d'autre part, elles ne sont rien d'autre que des descriptions que nous pensons, que nous exprimons à l'égard des choses.

Cela veut dire en fait, que la partie et le tout n'existent pas réellement puisqu'ils ne sont que des descriptions immanentes à notre conscience auto-positionnelle. Voilà la raison pour laquelle l'argument de la définition nominale trouve son fondement dans une argumentation quasi-logique, à travers laquelle Husserl présuppose l'unité de la partie et du tout dans l'acte de la conscience descriptive. Cette coexistence entre la partie et le tout correspond fort bien à ce qu'en pensait déjà Hegel qui a affirmé l'égalité de la partie et du tout. Cette égalité est l'objet de l'affirmation de l'esprit de la conscience transcendante, qui pénètre et qui arraisonne les choses. Cela n'est pas le cas pour Merleau-Ponty, qui va donner un autre sens à la partie et au tout. Pour l'auteur de La Phénoménologie de la Perception, l'égalité ou l'inégalité de la partie et du tout, ne peuvent être affirmé que dans l'accompagnement de la partie et du tout.

Dire que nous devons accompagner les choses de la partie et du tout, est au fond une action qui nous engage à arraisonner tous les niveaux déclenchant des mouvements naissants, des sensations perceptibles et des comportements susceptibles d'être expliqués, traduits et transmis. C'est dans le monde et non pas à l'extérieur de celui-ci que la possibilité de la perception des modes intrinsèques ou extrinsèques des choses, est susceptible de se réaliser. Si chez Husserl l'argumentation recherchée à ce niveau précis est celle qui fonde la structure du réel, qui prescrit des modes inhérents à la mêmeté de la conscience auto-positionnelle, alors, il n'en va pas de même pour Merleau-Ponty, qui fonde son argumentation (comme on le constate à ce niveau) sur une argumentation fondée sur la structure du réel, sur les différences des niveaux que l'on découvre dès lors que l'on accompagne des situations irréelles, possibles à mettre en forme dans notre vie réelle. Ces deux points phénoménologiques, se synthétisent difficilement dans le texte psychopédagogique de Paul Fraïsse. En effet, cet auteur laisse une ouverture possible à des domaines de possibilités tout en disant que la perception de la succession dépend des conditions de perception. Cette expression globale qui s'oriente vers la généralité, est d'un grand intérêt pédagogique. Elle laisse en effet un libre jeu entre toutes les facultés d'appréhension de toutes les choses, de la part les questionneurs et les répondants. Lorsque Paul Fraïsse se donne la peine de choisir la succession au lieu de la simultanéité comme l'une des caractéristiques d'une véritable perception adéquate, il veut par là-même mettre en évidence l'indiscernable au niveau de l'intervalle de l'événement. Dire que l'on perçoit la durée de l'intervalle, implique en fait la calculabilité des conditions de la perception qui est un processus et non un état. Pour en discerner le sens, la technique de l'accompagnement est plus adéquate que celle de la réflexion. Par conséquent, le texte psychopédagogique est précisément (à travers cette formulation) plus proche du point de vue de Merleau-Ponty que de celui de Husserl que nous venons d'évoquer à travers les formulations portant le N° 19 dans notre tableau. Cette technique d'accompagnement est celle de l'effort de la pédagogie, un effort qui se distingue de l'effort réflexif, propre à la philosophie de l'éducation. Cette même argumentation sera prolongée dans les propositions portant le N° 20. Comme on peut le constater, l'effort réflexif est centré sur l'argumentation de la coexistence et de substitution en ce qui concerne Husserl qui parle de “ la conscience de coïncidence ”. Cet effort sera centré en revanche chez Merleau-Ponty sur l'argumentation de la dissociation des notions et des contenus que l'on acquiert dans l'accompagnement et dans l'ouverture à l'égard des choses. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle Merleau-Ponty souligne : “ ‘L'objet ne se détermine que comme un être identifiable à travers une série ouverte d'expériences possibles et n'existe que pour un sujet qui opère cette identification’ ”. Quant à la proposition psychopédagogique portant le N° 20, va continuer d'adopter un effort synthétique des deux argumentations : l'une qui est fondée sur la structure du réel, l'autre qui la fonde, tout en adoptant le renvoi à des notions d'ordre global et général. C'est ainsi que Paul Fraïsse rappelle que “ ‘la perfection de la succession ne dépend pas seulement de la succession des événements, mais aussi des conditions de la perception’ ”.

Les propositions portant le N° 21, continuent dans la même voie que les propositions N° 20, car elles incarnent une argumentation du distinguo, qui se différencie d'une proposition à une autre. En effet, dans la proposition de Husserl, il est question de distinguer les différents énoncés possibles. Seulement cette même distinction ne peut s'exprimer que dans des formes a priori d’énoncés possibles. Autrement dit, c'est toujours la conscience de la mêmeté qui en discerne le sens. Par contre, chez Merleau-Ponty, la localisation des différents contenus n'existe pas a priori, elle existe a posteriori puisque (et à l'en croire) quant on aperçoit un champ, tous les points de son espace peuvent se rapporter à ses mouvements extrinsèques les uns aux autres. Cela veut dire en fait que les liens entre les points d'un champ sont à découvrir et à décrire dans le monde et non pas à chercher et à identifier extérieurement à celui-ci. Cette même possibilité est soulevée par le texte psychopédagogique, qui pense que l'on peut réagir empiriquement à des moments de perceptions, puisque toute réaction à un stimulus nous engage à le percevoir ou à ne pas le percevoir. Un objet (aux yeux de Paul Fraïsse) ne peut être perçu et senti réellement et simplement que lorsqu'on le possède en main propre. Cela veut dire que la perception réelle est celle qui affirme ce que l'on a en main propre, ce que l'on possède comme être sous-la-main. Voilà ce qui nous ramène au sens des propositions portant le N° 22, qui ont comme objet la distinction des choses perçues et des choses à apercevoir.

Dans la proposition de Husserl, il est question d'appréhender le lieu de la qualité, un lieu du préférable, puisque pour lui c'est l'exception qui fait la règle. Si nous devons prendre garde à ce que Husserl appelle : à part, alors cela veut dire que l'homme possède un oeil à travers lequel il met en forme le réel. Cet oeil n'est pas toujours susceptible d'être partagé. Prendre-garde-à-à part, est au fond une conception propre à Husserl, qui (comme nous l'avons déjà fait remarquer) pense que la partie et le tout sont des descriptions, des nominations posées par notre visée auto-positionnelle. La question qui s'impose d'emblée est de savoir si vraiment le fait de chercher à prendre-garde-à à part : à craindre en quelque sorte l'action d'autrui et sa visée, n'est pas une forme de rejet d'autrui, une forme de sa négation, puisque l'acte de prendre garde, finit tôt ou tard peu ou prou, par considérer l'autre comme un monstre, un élément éminemment corruptible. D'ailleurs nous avons déjà fait remarquer dans nos explications des différents chapitres de Chose et Espace, que Husserl a pensé ce constat tout en laissant entendre que l'on ne peut rien échanger avec l'autre : ni la manière d'exister, ni même l'exister ! Ce lieu du préférable qui surgit de cette proposition husserlienne, nous invite à aimer ce que l'on ne verra qu'une seule fois. Mais pour nous, ce quelque chose n'est jamais neutre. Il est un processus que l'on ne peut ni chercher, ni trouver, ni même reproduire puisque (comme Husserl lui-même le pense) il s'édifie sur le sentir et l'outre passe. Cela veut dire en effet que la question de l'origine qui est la visée auto-positionnelle, est un processus qui se construit dans son rapport avec son autre et est le processus qui l'accompagne. C'est cette même idée qui ressort de la proposition (N° 22 dans notre tableau) là où Merleau-Ponty va dépasser Husserl. Si pour ce dernier la qualité est privilégiée par rapport à la quantité, alors il n'en va pas de même pour Merleau-Ponty qui pense que la qualité de variation des contenus, n'est pas donnée fortuitement. Elle est d'une part en rapport avec nos souvenirs, et d'autre part en parfaite relation de connexion réciproque avec les qualités dont elle témoigne. Cela veut dire que ce que l'on aperçoit sont les processus et non pas les états des choses perçues. Dire que la grandeur varie en fait avec la distance, nous rappelle en effet la conception aristotélicienne du mouvement d'un corps. Aristote a laissé entendre en effet qu'un corps dans son mouvement se modifie et modifie le contour avec lequel il constitue une relation de connexion nécessaire et réciproque. Cela n'est rien d'autre que la conception de l'approche systémique de l'École et de l'Université, que nous avons déjà mentionné si haut avec Morrisson et Macintyre, une conception qui pense l'ouverture des deux institutions sur le pôle de l'information. Il y a donc un dépassement de Husserl par Merleau-Ponty, sur la question de la relation de la chose avec la visée auto-positionnelle. Si pour Husserl la visée est un état, alors pour Merleau-Ponty, cette même visée est un processus qui se constitue, qui se construit dans le mouvement avec son autre et est le processus qui l'accompagne. Dans la proposition du texte psychopédagogique, l'approche systémique qui synthétise le lieu de la quantité et celui de la qualité est largement avancée chez Paul Fraïsse. Il est vrai que l'effort pédagogique et didactique est celui de la recherche du sens non seulement des propositions mais aussi des actions empiriques.

Bien que l'argumentation fondant la structure du réel et l'argumentation fondée sur la structure de celui-ci soient deux argumentations distinctes, leur synthèse est largement recherchée par le texte psychopédagogique. Cette synthèse, pourtant difficile, correspond fort bien à la définition Kantienne de l'éducation en terme de problématique. Les termes : ‘“ Intensification, conditions de perceptions, et variation des contenus’ ”, employés par Paul Fraïsse, s'opposent en fait à ceux de “ ‘Acte de partition, de prendre garde à à part’ ”, employés par Husserl. Cette opposition sémantique engendrée par le changement des répertoires lexicaux, est due à des fonctions sociales que chaque auteur s'astreint à atteindre. Husserl voulait émouvoir ses auditoires à des souvenirs, à un passé perdu qu'il faut (à ses yeux) atteindre et faire revivre, alors que Paul Fraïsse – de la même manière que Merleau-Ponty –, veut rendre docile et bienveillant des lecteurs et des praticiens, à des réalités autres, que l'on rencontre dans le monde sensible. Au sujet du sens de ces réalités, les auteurs donnent des conceptions différentes. Celles-ci ressortent des propositions N° 23, 24 et 25 de notre tableau, propositions que nous avons choisi dans les écrits de chaque auteur. Qu'en est-il donc du sens du réel chez les trois auteurs ?

Pour Husserl le réel est mêlé. Il existe en effet deux niveaux de la réalité perceptive, qui finissent de coïncider dans la conscience auto-positionnelle de notre visée qui est toujours la même. L'important n'est donc pas de chercher à décomposer le tout en des parties, mais de les lier en vue de les assembler en un tout de propriété, un tout qui n'est rien d'autre que l'idéal rationnel du sujet. Car ce dernier arraisonne toutes les choses y compris la partie et le tout. Toutes les unités de partitions appartiennent à l'être intime du sujet, car pour Husserl ce qui prime dans les catégories de l'être d'un sujet, est la manière de son action, les possibilités qu'il dégage lorsqu'il est en situation du projet, un projet qu'il projette dans le monde sensible. C'est pour cette même raison que Husserl pense que “ la parenté eidétique constante réside dans le est ”. Il y a là chez Husserl un retour à l'argumentation fondant la structure du réel dont les liaisons ne peuvent être comprises que par l'intermédiaire de la réduction phénoménologique, qui signifie un rapport de toutes les données empiriques à l'idéal rationnel de la visée auto-positionnelle, qui, elle, s'édifie sur le sentir et l'outre passe. Cela n'est pas la cas pour Merleau-Ponty, qui reprend Husserl sur ce point précis tout en lui reprochant de se restreindre à une définition intrinsèque de l'acte perceptif. Pour l'auteur de la Phénoménologie de la perception, on voit bien en effet (à travers la reformulation N° 23 de notre tableau), qu'il revient sur l'argumentation fondée sur la structure du réel, tout en affirmant que la perception ne peut être définie que par le classement, la taxonomisation des faits factices, qui sont liés entre eux. Car rien n'est donné, tout est construit sur la base d'une ouverture permanente à toutes les choses dont on apprécie aussi bien les Lois de séries que les principes extrinsèques d'organisation. Chez Husserl, tout ce qui est intrinsèque ne peut être reconnu comme telle, que lorsque la visée auto-positionnelle le met en forme. Car bien que le fait de la conscience constituant une donnée soit en apparence intrinsèque et abstrait, il est pourtant un fait factice qui s'expose dans l'auto-position qui se donne à l'appréhension. De ce fait, on peut donc dire qu'avec Husserl on va aussi du fait au fait. On progresse dans l'analyse de la facticité des faits, par l'intermédiaire d'une restriction, que nous impose la réduction phénoménologique. Simplement avec Husserl c'est le travail de la conscience qui est mis en évidence, alors qu'avec Merleau-Ponty, c'est le travail des essences, qui est privilégié, puisque l'activité de liaison ne peut être découverte qu'à travers le travail des organes d'essence qui décomposent, qui classent les qualités et les sensations des perceptions. Cette confrontation des deux systèmes phénoménologiques, nous rappelle le débat (que nous avons déjà mené dans notre première partie en ce qui concerne le rapport d'Aristote avec Platon) quant aux différents sens de l'âme et du corps. Si pour Platon, le corps est tombeau, alors on voit bien à certains égards que cela est repris implicitement par Husserl qui insiste sur l'acte auto-positionnel de la visée, un acte qui détermine la portée du réel et du monde factice, alors que l'on constate avec Merleau-Ponty, une sorte de retour à Aristote, qui a laissé entendre que le corps, l'image peuvent nous renseigner et nous donner des modèles de vie, et nous informer des activités de liaisons qui surgissent – comme le pense ici Merleau-Ponty – du liée.

Dans le texte psychopédagogique de Paul Fraïsse, ces deux activités : la liaison et le liée, ne sont pas totalement rejetées, ni même valorisées l'une au détriment de l'autre. En effet, les phénomènes qui sont en apparence plus complexes sont étudiés à la lumière des méthodes adaptées pour la recherche du sens des différents stimuli. Parmi ces méthodes, il y a celle du pouvoir de décision que possède le sujet dans sa mise en forme du réel et dans son énonciation des différentes formes. Cela correspond donc à ce que Husserl a pensé en terme de pouvoir de décision propre à notre visée auto-positionnelle. Mais le texte psychopédagogique ne s'arrête pas là, il va plus loin pour annoncer la possibilité d'extraire de la nature sensible des modèles de vie cognitive.

A vrai dire, Paul Fraïsse rejoint l'idée chère à Merleau-Ponty qui pense que le liée est déduit concrètement d'une conscience que nous possédons dès lors que l'on découvre dans le monde sensible des activités de liaisons. L'exemple du visiteur d'un jardin botanique, que nous livre le texte psychopédagogique nous montre fort bien que l'être des choses est constitué de plusieurs éléments, de plusieurs constituantes qui se ressemblent et qui se distinguent. Ces constituants élèmentaires qui sont par essence réels ; le sujet ne peut même pas chercher à les identifier individuellement à première vue, car dans le monde de la botanique tout est mêlé. Mais cela n'est pas une raison pour que le sujet puisse chercher à s'effacer devant ce qu'il aperçoit. Il doit au contraire (et comme le disait déjà Nietzsche) apprendre de la fleur et de l'animal ce que c'est que s'épanouir. Parmi les aspects de cet épanouissement, il y a en effet la possibilité de percevoir la nature organisée des stimulations, sur la base de la classification et de la désignation des conditions de l'action du sujet. A partir de là, on voit bien que le texte psychopédagogique est synthétique des deux points de vue différents, avancés par les propositions des deux maîtres de la phénoménologie, connus dans la pensée moderne. Jusqu'alors on constate que l'effort synthétique des concepts et des actions antagonistes, n'est pas prêt d'être abandonné par la visée du texte psychopédagogique.

Les propositions de nos trois auteurs, portant le N°24 dans notre tableau tournent autour de la problématique de l'ouverture et de l'achèvement de la conscience de l'identité et de l'identité de la conscience à l'égard de l'espace concret. La structure chiasmatique : conscience de l'identité et identité de la conscience est une formulation que nous mettons en forme à la lumière de l'apport empirique auquel les auteurs soumettent la conscience. Chez Husserl par exemple, on peut parler de la conscience de l'identité, car pour lui (comme il le laisse entendre) l'identité de la conscience n'est pas la conscience de l'identité. Car si la première cherche les moyens pour se manifester, la seconde au contraire se manifeste, se modifie d'elle-même intrinsèquement et d'une manière autonome. La visée intrinsèque attribuée à la conscience de l'identité, nous force à admettre avec Husserl une définition nominale de la conscience, que l'auteur de La phénoménologie de La Perception utilise pour monter l'autosuffisance de la conscience dans son intime rapport à l'égard d'elle-même. Par contre, chez Maurice Merleau-Ponty, l'autonomie de l'identité de la conscience, n'est pas une donnée intuitive. Elle acquiert son autonomie dans le processus de construction du sens tout en s'ouvrant aux choses de l'espace concret. Du processus de la réminiscence que l'on rencontre chez Husserl, on passe avec Merleau-Ponty à celui de l'acquisition. C'est en effet l'interaction de notre conscience avec les choses, qui permet à l'identité de la conscience de former un sens dans le rapport permanent avec les choses et avec les processus qui les accompagne. La conscience de l'identité dont parle Husserl, est un acte qui pose le sens sans chercher le lieu propice à toute exposition possible. Cela ne va pas à l'encontre de l'identité de la conscience qui s'attache à la recherche d'un idéal conventionnel qu'elle soutient, qu'elle maintient et qu'elle expose dans un espace-champs donné, dans un lieu donné. Cette même idée est reprise par Merleau-Ponty sous une autre forme. En effet, si la conscience de l'identité pose des acquis antérieurs dans le monde, alors l'identité de la conscience expose les différentes liaisons logiques ou ontologiques, qu'elle extrait du préjugé mondain. Si avec Husserl, l'autosuffisance de la conscience de l'identité repose sur le retour au toujours-déjà, à la conscience de la visée auto-positionnelle qui s'édifie sur le sentir et l'outrepasse, alors chez Merleau-Ponty l'identité de la conscience suppose une ouverture d'altérité radicale à l'égard du déjà-là dont elle décrit et classe les différentes formes. Par conséquent, si la définition de la conscience de l'identité est chez Husserl une définition nominale, alors elle devient chez Merleau-Ponty une définition descriptive, puisque avec lui, il est question non pas de prescrire des notions, mais de décrire les formes du monde, qu'il a définies en terme de tâche.

Cette définition est au fond d'inspiration heideggerienne, puisque – comme nous l'avons déjà fait remarquer – le monde est défini par Heidegger en terme de tâche, dont le commencement fut le saut. Cette technique du saut, rejoint celle de l'action du se jeter à travers champs (que Claude Bernard, Nietzsche et Paul Fraïsse ont évoqué) pour extraire des modèles cognitifs de la vie des objets chosiques. Si avec Husserl il est question de chercher le sens de la conscience de l'identité, et avec Merleau-Ponty il est question de classer les différents niveaux de l'identité de la conscience, alors à travers la proposition du texte psychopédagogique de Paul Fraïsse, il est question d'une synthèse des deux tâches, puisque avec cet auteur il est question de déterminer la conscience sociétale. Parler du sujet sociétal, est une forme globale pour désigner les deux niveaux de la conscience dont parlent les deux maîtres de la phénoménologie moderne. Cette conscience sociétale, nous permet en effet de définir l'identité comme un lieu où la conscience est conscience d'un processus sociétal complexe. A partir de là, la définition que la proposition de Paul Fraïsse donne de la conscience est une définition qui n'est ni nominale, ni descriptive, mais complexe. Cette complexité surgit du fait que dans le domaine de l'homme, on ne peut guère maîtriser les actions des sujets, puisque comme le disait déjà Marx, les imprévus dans ce domaine précis, multiplient et à l'infini, d'autres imprévus. De ce fait, si le sujet sociétal opère la synthèse entre le tout et la partie, alors l'effort pédagogique centré sur la pratique devient celui non seulement de l'appréciation des appréhensions, mais aussi la recherche de l'explication des manières d'être, de voir et de faire. Toute situation empirique doit désormais être appréhendée comme étant un système complexe, ouvert à des interprétations possibles, du moment qu'il est modifiable dans le temps et dans l'espace. La reconnaissance de ce qui est appelé : La modifiabilité structurale, nous permet en effet d'avoir une idée claire sur le sens de la conscience sosiétale qui elle aussi se construit dans son rapport avec les sentiments, les désirs et aspirations des sujets au sein d'un milieu donné. Si tous les comportements sont soumis à des changements et à des altérations, alors la modifiabilité structurale, est une vision qui doit chercher à comprendre les degrés d'implications (des sujets intelligent) dans une direction du changement plutôt que dans une autre. Telle est le souci de la pédagogie et de l'éducation, qui pensent que l'éducabilité des intelligences est une chose tout à fait possible voire nécessaire. C'est ce qui ressort du texte psychopédagogique de Paul Fraïsse qui synthétise dans la proposition N° 24 les deux autres propositions des textes ésotériques. Les contenus de la perception sont-ils donc susceptibles d'être modifiés ? Si oui, alors sur quelles bases et sous quels aspects ? Telles sont les questions que nous posent les deux formulations de Husserl et de Merleau-Ponty, portant le N° 25 dans notre tableau.

La divergence entre les deux maîtres de la phénoménologie moderne (quant au sens de la conscience humaine), se dégage de leurs conceptions de l'acte perceptif, dont témoignent ces deux propositions portant (dans notre tableau) le N° 25. D'emblée on remarque fort bien à travers ces deux formulations qu'il existe deux sortes de phénoménologie : celle de Merleau-Ponty que l'on peut qualifier d'empirique, l'autre, celle de Husserl que l'on peut qualifier de spéculative. Chez Husserl il est question de la définition de la sensation comme un état, alors que chez Merleau-Ponty, il est état de la définition de la perception comme processus complexe. Pour le premier, le sens de la vie repose sur une conception vitaliste où toute chose est autosuffisante. Par contre pour le second, le sens de la vie surgit de sa conception mécaniste, là où les choses existent dans le monde et jouissent d'une autonomie qui se donne à l'appréhension du sujet. Si pour Husserl, l'intuition sensible émerge de la sensation subjective qui appréhende les faits, alors pour Merleau-Ponty, l'intuition sensible émerge de la reconnaissance par le sujet, de la sensibilité objectivante. Celle-ci se construit dans son rapport aux processus perceptifs définis comme données objectives.

Du côté de Husserl, on est donc dans une structure cognitive objectivée qui se modifie par la suite de réflexions intrinsèques au sujet, alors qu'avec Merleau-Ponty, on est face à une structure objectivante, que le sujet appréhende extrinsèquement. A la première est liée l'historicité, quant à la seconde est liée l'historialité. Chez Husserl on constate une incitation à l'ouverture des savants aux idéalités, alors que chez Merleau-Ponty, on remarque un appel conséquent, pour l'ouverture des savants aux réalités. Pour Husserl, tout contenu doit se construire sur la base de l'acte de l'appréhender, car toute appréhension est catégorielle puisqu'elle juge avec un jugement qui puise son fondement dans le caractère, loi de la liberté sensitive, alors que chez Merleau-Ponty, tout contenu n'est objet de construction que dans la reconnaissance de sa portée et de ses limites, une reconnaissance qui intervient par la suite de l'arraisonnement des choses de la part de l'esprit critique. D'ailleurs dans les propositions portant le N° 26 dans notre tableau, il est question (de la part de Husserl et de Merleau-Ponty) de la recherche d'une méthode adaptée à la véritable action du philosopher. Chez Husserl, la véritable méthodologie philosophique repose sur la prescription de notions déjà acquises dans la visée dite auto-positionnelle. Par contre chez Merleau-Ponty, la philosophie doit se soucier de la description des phénomènes du domaine de l'apparence et de l'apparaître. Cependant, on constate à travers ces deux aspects contradictoires, deux sortes d'argumentations distinctes. A la première méthodologie est liée l'argument de l'analogie, quant à la seconde, celui de la double hiérarchie. Si pour Husserl la conscience se trouve regardée, du fait qu'elle soit d'abord conscience de quelque chose, alors il peut donc y avoir une ressemblance des rapports entre le monde de la visée auto-positionnelle et celui de l'acte de l'exposition. Cette ressemblance des rapport est fondée sur l'aspect chosique et de la conscience et de l'action qui s'expose. C'est la raison pour laquelle Husserl parle en effet du fait de la conscience, du fait du caractère. Cette formulation est empruntée à Kant, qui a considéré le fait de la raison (factum) comme étant une Loi de la liberté pratique. C'est dans l'acte de la mise en forme que le dynamique (dans sa relation avec la physique), et le synthétique (dans sa relation avec le mathématique) se synthétisent. Dire que la conscience de la raison prescrit des sentiments et des sensations dans le monde sensible est une approche presciptive que la méthodologie philosophique véritable doit emprunter. L'analogie entre ce qui est physique et ce qui est mathématique repose donc sur la possibilité de leur mise en forme puisqu'ils sont des données factices. Lorsque Husserl pense en effet que la conscience est une objectité, il veut par là-même nous faire comprendre que la conscience humaine est objectivée : qu'elle pense dans le signe et avec le signe, car elle est une chose à part. Elle est à la fois cause et effet. Faire coïncider la cause et l'effet, correspond fort bien à l'argumentation du départ à savoir l'argumentation de coexistence, de substitution et de liaison, argumentation dont témoigne le lieu de l'unité du préférable, que Husserl s'est donné de maintenir. La méthodologie philosophique si l'on en croit Husserl, doit prendre les actions des sujets, comme étant des réalités, des faits factices que nous procure la conscience produisant des effets. Cela veut dire en dernière analyse que les effets de la conscience sont d'une part factices et d'autre part chosiques : appareillés. Par conséquent, le lien entre l'apparence et l'apparaître est fondé chez Husserl sur la chosiété factice de l'une et de l'autre. Chez Merleau-Ponty la méthodologie philosophique doit emprunter une approche descriptive des phénomènes. Elle doit donc découvrir les différentes liaisons logiques que recouvrent les choses du monde les mieux réparties, et non pas les choses de la conscience les mieux partagées. A partir de là, on passe de l'acte qui s'astreint à prescrire à un autre acte qui se donne le temps de décrire, de comparer des hiérarchies connues à d'autres hiérarchies susceptibles d'être mises en formes et en mouvement. Tel est le cas par exemple pour Merleau-Ponty à travers cette formulation portant le N° 26 (dans notre tableau), là où son intérêt est porté sur la reconnaissance d'une hiérarchie qui réside à ses yeux entre les phénomènes physiques apparents dans leurs rapports à l'égard des systèmes naturels, et d'une autre hiérarchie qui existe entre les pensées des sujets dans leurs rapports à l'égard des systèmes sociaux qui les produisent. Il y a double hiérarchie, car Merleau-Ponty joue sur des rapports de comparaison traduisant une métonymie (la faune d'un pays lointain). On peut cependant construire une analogie qui surgit de cette comparaison pour dire : la faune d'un pays lointain est à la nature physique ce que l'oeil d'un sujet est à la nature humaine. Il y a là une comparaison et non pas une ressemblance des rapports, car si l'on se jette à travers champs, on peut découvrir une comparaison entre l'homme et bien d'autres créatures vivantes. Voilà la raison pour laquelle parfois on dit : comparaison c'est raison ! C'est d'ailleurs pour cette même raison que Merleau-Ponty vient juste avant cette proposition de dire que “ ‘L'expérience sensible est un processus vital, aussi bien que la procréation, la respiration ou la croissance’ ”. Cette divergence au niveau méthodologique entre les deux maîtres de la phénoménologie, va devenir une divergence principièlle puisque la méthodologie de la phénoménologie va prendre un tournant dont témoigne la divergence entre les formulations de chacun. En effet chez Husserl, il est question de la réduction phénoménologique, alors que chez Merleau-Ponty il est question de la réduction eidétique. Le sens de ces deux formulations est l'objet des formulations portant le N° 27 dans notre tableau.

De la réduction phénoménologique à la réduction eidétique, le changement des répertoires lexicaux témoigne d'un changement dans la visée de chaque auteur. Nous avons déjà avancé que Husserl pense que, pour apercevoir les phénomènes intentionnels, nous devons modifier d'une manière radicale notre attitude naturelle à l'égard du monde. Il appelle cette démarche : la réduction phénoménologique. Cependant, si Husserl pense que le sens du monde se défini par l'essence de la visée, alors cela est réfuté par Merleau-Ponty, pour qui “ ‘la réduction eidétique c'est au contraire la résolution de faire apparaître le monde tel qu'il est avant tout retour sur nous mêmes ’”. Le retour à nous-mêmes n'est donc pas le domaine du réel physique mais il est celui d'un autre réel à part, – Husserl parle en effet du prendre-garde-à à part – : une méthode qui met l'homme au centre de l'univers des possibilités imaginaires qui rendent l'homme désirable d'un monde qu'il pense dans la forme a priori de l'intention. Si avec Husserl il s'agit de faire répandre des principes du désir, alors avec Merleau-Ponty il s'agit de rendre docile et bienveillant les auditoires présumés à des principes possibles, amoncelés par la vie quotidienne. Les deux fonctions sociologiques qui ressortent de ces deux formulations sont tout à fait différentes. L'une est centrée sur un public ésotérique, l'autre sur un public exotérique. Cela renforce l'idée de Chaïm Perelman qui privilégie l'une par rapport à l'autre en disant : “ ‘Très souvent d'ailleurs, une discussion avec autrui n'est qu'un moyen que nous utilisons pour mieux nous éclairer. L'accord avec soi-même n'est qu'un cas particulier de l'accord avec les autres. Ainsi, de notre point de vue, c'est l'analyse de l'argumentation adressée à autrui qui nous fera comprendre le mieux la délibération avec soi même, et non l'inverse’ 1268  ”. Il y a là un rejet du principe husserlien de l'autosuffisance de la conscience de l'identité qui se retourne à elle-même en vue de poser le sens de la mêmeté issue de la visée auto-positionnelle. D'ailleurs cette idée avancée par Husserl est largement critiquée d'une manière implicite par Perelman qui dans un chapitre intitulé : L'auditoire comme construction de l'orateur 1269 , pense que tout orateur qui s'astreint à persuader ou à convaincre un auditoire doit s'adapter et s'ouvrir sur le milieu, sur l'écologie de son savoir. Cette écologie peut être caractérisée par des opinions dominantes, par des convictions indiscutables et par des prémisses que chaque sujet admet jusqu'à preuve du contraire. Cela est le contenu et la visée de cette proposition de Maurice Merleau-Ponty et je dirais même de toute sa Phénoménologie de la perception. Dire que le monde de la sensation n'est pas le monde de la perception est en soi une distinction de leur contenu. C'est ce que les propositions N° 28 illustrent d'une manière explicite.

Dans les contenus de sensation, le lien entre appréhension et sensation est un fait dont Husserl n'en doute guère. C'est ainsi qu'il joue à nouveau sur une construction chiasmatique en disant  : “ ‘Le contenu de sensation ne peut fonctionner comme appréhension, que l'appréhension ne peut fonctionner comme contenu de sensation’ ”. Il annonce cela pour montrer que la relation qui s'opère dans la conscience entre les deux contenus est une relation de coexistence, de connexion réciproquement nécessaire. Par contre dans la proposition “ équivalente ” de Merleau-Ponty, la sensation est une composante de la conscience constituante qui pense la vérité de l'univers et non pas uniquement sa propre vérité auto-réflexive et auto-spéculaive. La conscience constituante, possède une perception constituante arraisonnant les choses de l'univers qui aperçoit, appréhende et comprend les choses selon des modalités différentes. Elle en formule des notions et des concepts. Elle se donne à la rematérialisation et à la transformation des constituantes chosiques. Voilà la raison pour laquelle Merleau-Ponty note à la fin du troisième paragraphe : “ ‘Mais le spectacle perçu n'est pas de l'être pur. Pris exactement tel que je le vois, il est un moment de mon histoire individuelle, et, puisque la sensation est une reconstitution, elle suppose en moi les sédiments d'une constitution préalable, je suis, comme sujet sentant, tout plein de pouvoirs naturels dont je m'étonne le premier. Je ne suis donc pas, selon le mot de Hegel “ un trou dans l'être ”, mais un creux, un pli qui s'est fait et qui peut se faire’ 1270  ”.

La divergence entre Husserl et Merleau-Ponty ressort aussi des trois dernières formulations de notre tableau. En effet à partir des formulations N° 29 jusqu'à la proposition N° 31, l'opposition ne cesse d'accroître. Dans les propositions N° 29, on constate que Husserl revient sur le sens de la perception dont il disait qu'elle se donne à elle-même son propre objet. C'est dans la mêmeté de la conscience que se constitue l'identité perceptive qui se distingue de l'image de l'objet, disait-il. Cette conscience est ainsi, parce qu'elle est donatrice de sens. Le lieu de la qualité auquel il est fait allusion de la part de Husserl, est un lieu du préférable, car c'est la qualité unique à la conscience (dans son ouverture à tout ce qui la travaille comme toujours-déjà) qui marque d'une manière distincte sa place dans le monde des choses. Cela ne va pas à l'encontre de ce que pense Merleau-Ponty, qui (dans la proposition portant le N° 29 de notre tableau) centre ses efforts sur la préférence d'un lieu de la quantité qui puise son fondement dans le rapport à la quantité productive des différents sens. Le lieu commun, qui est inhérent au monde de l'existence est celui que préfère Merleau-Ponty, puisque c'est dans le monde réel que le vrai de l'un (dont Merleau-Ponty disait : nous participons à l'un sans le diviser) que se constitue la conscience qui est un fait irréfutable dans sa reconnaissance de la différence. L'autonomie – qui n'est pas l'autosuffisance – , ne peut se réaliser que dans la diversité. Cette divergence entre Husserl et Merleau-Ponty se dégage davantage à travers la proposition N° 30 de notre tableau, là où l'opposition est principièlle. En effet, on remarque que si Husserl est du côté de la légitimation du processus de la réminiscence comme principe, alors Merleau-Ponty est du côté de la reconnaissance du principe de l'acquisition. Enfin, si Husserl nous propose (à travers la formulation N° 31 de notre tableau) d'admettre que tous ce qui est prouvé dans le monde des phénomènes est toujours liée à ce qui est éprouvé dans la conscience auto-positionnelle, alors Merleau-Ponty pense que ce qui est éprouvé peut être démontré et prouvé sur la base du principe de l'acquisition, qui n'est rien d'autre qu'une ouverture d'altérité radicale à l'égard des phénomènes mondains.

Notes
1252.

Descartes op cit.

1253.

“ L'oeuvre d'art (dit Adorno) est en elle-même un comportement qui, même lorsqu'elle s'en détourne réagit à cette objectivité ” Op cit. p : 230. Cela veut dire en effet, et si l'on reprend les deux formulation de Husserl et de Merleau-Ponty, que la liberté se dévoile à travers les différents comportements des individus. Ces comportements veulent en effet signifier quelque chose, sur laquelle nous ne devons guère porter de jugement de valeur. Car et comme le pensait déjà Nietzsche, “ la manière dont laquelle je me porte libre est la même dans laquelle je me porte tyran ”. Chose que l'art poétique de Boileau n'a pas cesser de transposer d'une manière simpliste en disant:

Ma pensée au grand jour par-tout s'offre et s'expose

Et mon vers, bien ou mal, dit toujours quelque chose.

1254.

Voir à ce propos la classification par JacKobson des différentes fonctions du discours articulé, une classification rapportée par Olivier Reboul in Langage et idéologie , P. U. F. p : 46 et suiv.

1255.

Morrisson (A.) et Macintyre (D.), Teachers and Teaching , Hardmond-sworth, Penguin BooKs Ltd 1973 Profession : enseignants Paris A Colin 1975. Psychologie sociale de l'enseignement, Paris Dunod, 1976, 2 tomes.

1256.

Averroès dans son Discours décisif, avait déjà dit (dans cette même perspective tout en paraphrasant l'Aristote des Topiques) que l'important est de s'adresser aux gens dans ce qu'ils connaissent.

1257.

Bachelard (G.), op cit. p : 18

1258.

Ces propos sont exposés chez Hassan Hanafi, actuel Doyen de la faculté de philosophie au Caire en Egypte qui fut notre maître durant les années 1983 à 1985. Ils sont analysés en arabe dans son ouvrage : Attourat oi tajdid ( Patrimoine et Innovation ) notre traduction. Op cit. Cet auteur, lui aussi ajoute son nom à la liste des trois penseurs occidentaux commençant par un H majuscule, et ce pour affirmer d'une part son attachement à l'humanité de l'homme, et d'autre part à la recherche des réponses adéquates aux questions philosophiques : qu'est-ce que l'homme, qu'est-ce que soyez-humains ?

1259.

Voir au sujet de cette distinction Perelman op cit. p : 380 et suiv.

1260.

Voir au sujet de cette distinction Philippe Lacoue-Labarthe, La fiction du politique Heidegger l'art et la politique (op cit.).

1261.

Le chiasme est une figure de construction stylistique. Elle est la plus connue de toutes les figures fondées sur la symétrie. C'est une expression faite principalement de quatre termes, les deux derniers étant de même nature que les deux premiers, mais présentés en ordre inverse. On représente le chiasme par une figure en croix, ou par le sigle AB BA. dans la formulation d'en haut, on remarque en effet cet ordre, car il est inversé puisque cela se pratique aussi dans les faits pédagogiques et didactiques. L'opposition et le renversement du sens sont les caractéristiques que Kant a assigné à l'Éducation qu'il a défini en terme de problèmatique : “ l’éducation est par essence problématique ”, disait-il.

1262.

Husserl (E.), Chose et espace . Cours de 1907. Le chapitre dont il est question ici est le chapitre X intitulé : La chose en tant qu'unité dans une multiplicité d'apparition Kinesthésiquement motivée.

1263.

Voir à ce propos Habermas (J.), Morale et Communication Conscience morale et activité communicationnelle , traduction et introduction par Christian Bouchindhomme, Éditions du Cerf 1986.

1264.

Voir le texte ésotérique de Husserl.

1265.

Voir le texte ésotérique de Merleau-Ponty.

1266.

Voir les textes exotériques des psychopédagogiques comme Fraïsse, Reuchlin et Antoine Léon.

1267.

Nous avons déjà annoncé en effet que pour Aristote, le temps est en relation avec un certain mouvement qui est non seulement un nombre, mais qui est nombré : mis en forme et en mouvement.

1268.

Perelman (Ch.), Op cit p : 54.

1269.

Ibid p : 25.

1270.

Ibid. p : 249.