Conclusion : Fins et limites de la transposition didactique en tant qu’art de mise en forme des savoirs à être enseignés

Le sujet de notre travail porte sur un concept général et englobant tout à fait particulier. Il est un concept parce qu'il est difficile à discerner d'une manière précise puisqu'il comporte des antinomies latentes. En effet, parler de la transposition didactique présuppose, au préalable, d'une part la mise en forme et en mouvement des connaissances et des savoirs, et d'autre part un passage des savoirs dits ésotériques aux savoirs que l'on qualifie parfois d'exotériques. Cependant, la transposition didactique en tant que concept général renvoie à des méthodologies d'arraisonnement de l'être et des manières d'être des sujets connaissants. Car, comme Husserl et Merleau-Ponty l'ont déjà laissé entendre, toute connaissance est d'abord connaissance de quelque chose et ensuite chaque connaissance témoigne non seulement des idées les plus hautes de ceux qui s'astreignent à la mettre en forme mais aussi de l'écologie de son savoir, de son œil à travers lequel il met en forme le réel. Il est évident que la méthodologie de l'ouverture, à l'égard des sujets connaissants, est une technique qui puise son fondement dans la reconnaissance de la vérité comme étant un processus complexe et non pas un simple état fortuit. A partir de là, le concept de la transposition didactique est aussi une méthodologie qui considère les faits comme étant factices et c'est ainsi qu'elle se donne le temps de les comprendre, de les arraisonner tout en les mettant en forme. A cette technique correspond le paradigme nomothétique, qui dans le domaine de la recherche didactique, se donne le temps et les moyens pour la compréhension des apparences et des états de l'apparition. Il cherche le sens des propositions sur la base d'une logique de la découverte scientifique qui puise son fondement dans l'aspect sociologique qu'elle se trace pour penser et nommer les faits tout en les humanisant. Mais, il existe aussi un autre aspect paradigmatique que se trace la transposition didactique dès lors qu'elle se dessine des formes sémantiques. En effet, à partir d'une mise en forme de certaines vérités pro-jetées dans le monde sensible, la transposition didactique se force de classer des propositions à travers l'effort taxonomique qui puise son fondement dans le paradigme herméneutique. De ce fait, et du moment que ce dernier paradigme est celui de la recherche du sens véritable et adéquat des propositions à mettre en forme et en mouvement, on peut donc considérer la transposition didactique comme étant une méthodologie réfléchie qui se donne aussi le temps de se retourner contre l'ordre établi tout en mettant en transe des connaissances à acquérir. Par conséquent, le processus de l'acquisition des connaissances et des savoirs se construit aussi bien dans le risque gratuit que dans le vivre dangereusement car le fait de se jeter à travers champs pour découvrir d'une part les manières d'être, de faire et de voir des sujets connaissants, et d'autre part les états de la connaissance établie, engage en fait une donation du temps de la réflexion et de la découverte. Car, comme Gaston Bachelard l'avait déjà laissé penser, tout esprit scientifique qui se considère apte à poser des raisonnements adéquats dans le monde sensible doit avoir présent à l'esprit que rien n'est donné d'avance et que tout est construit à travers l'essai et l'erreur. Nous testons, en fait, pour la vérité tout en éliminant des faussetés, disait Karl Popper. Le travail sur le faussaire, qui prolonge les séries des vérités acquises, rejoint la méthodologie de la vulgarisation scientifique qui, elle aussi, prolonge le vrai tout en simplifiant les concepts ésotériques difficiles d'accès. Voilà donc, une nouvelle définition de la transposition didactique qui peut se définir comme le passage de l'ésotérique à l'exotérique.

Pour vulgariser des connaissances et des savoirs, cela présuppose des conditions de vulgarisation. Parmi celles-ci, il y a en effet la maîtrise des connaissances dites originaires, difficiles d'accès et susceptibles d'être vulgarisées. Cette maîtrise n'est pas toujours facile à réaliser, puisque – comme Philippe Roqueplo 1271 le laisse entendre – le savoir n'est pas toujours apte à être partagé. La transposition didactique est, par essence, problématique puisqu'elle se donne aussi comme tâche l'ouverture sur ce qui se passe dans la tête des sujets, qui mettent en forme des connaissances et des savoirs. A partir de là, en tant que méthode, le concept de la transposition didactique embrasse le paradigme pragmatique tout en fournissant la preuve et l'adéquation de la faisabilité d'une action. Tous ces paradigmes contrastés convergent autour de la possibilité du passage d'une connaissance déjà acquise à une autre qui est à acquérir. Cela, en fait, ne peut être établi qu'à partir de la compréhension des phénomènes perçus que nous devons soumettre (d'une manière générale) à une méthode dialectique qui puise son fondement dans le passage de la logique de la découverte scientifique à la psychologie de la recherche des sentences de la création des concepts scientifiques adéquats. Cela nous renvoie à l'étude du langage des pratiques proprement savantes. La question que nous nous sommes posé est celle de la détermination du statut épistémologique d'un discours scientifique. Ce dernier est-il donc déterminé par l'emploi des métaphores et des figures stylistiques qu'incarnent les processus rhétoriques et argumentatifs ou par la prise en considération du public auquel s'adresse chaque questionneur ? Nous avons répondu à cette question par l'étude du langage des textes que nous avons choisis, car nous avons considéré que chaque auteur choisit ses mots, ses concepts, dès lors qu'il est en mesure de s'adresser à des auditoires présumés. Il est vrai que l'on n'écrit pas à un public conscient d'une tâche engagée, de la même manière qu'on pourrait le faire lorsqu'on s'adresse au public du monde de l’ouï-dire et du sens commun, un public que recouvre les opinions admises par les "vulgaires". La prise en compte de la réciprocité entre catégories de langue et catégories de parole nous a aidé à instaurer la réciprocité entre les faits et la parole langagière exprimée par des jeux de langage dont témoignent les principes rhétoriques et argumentatifs. Mais, puisque la parole est d'abord aux faits, comme le disait déjà Hegel, alors l'arraisonnement d'un fait nous engage à la maîtrise de ce que nous avons appelé : la méthodologie de l'ouverture et de l'achèvement qu'incarne le concept de la transposition didactique qui puise son fondement dans la méthodologie expérimentale devenue pour nous une technique problématique dont le rôle est encore à chercher dans l'extension du progrès scientifique. Elle nous force à nous ouvrir sur les manières de dire les choses et de les nommer. A la question : ‘“ Qu'est-ce qu'un fait ?’ ”, nous avons donc répondu qu'il est aussi bien un état qu'un processus factice. C’est-à-dire qu'il est une composante du réel du monde de l'apparence et de celui de l'apparaître. L'étude et l'exposé de la méthodologie expérimentale depuis l'antiquité, nous ont aidés à discerner le problème de la mise en mouvement des connaissances et des savoirs. Il y a, en effet, dans toute mise en forme des connaissances et des savoirs, une part d'intention qui s'opère dans le toujours-déjà qui a des effets dans le déjà-là. Et d'autre part, il y a un degré d'implication dans le choix par les auteurs de certains mots, de certaines expressions et propositions. Voilà la raison pour laquelle nous avons considéré que toute fonction expressive d'un discours remplit une fonction phatique centrée sur l'acte de l'acquisition des connaissances et non pas sur celui de la réminiscence bien que toute acquisition finisse tôt ou tard, peu ou prou par embrasser le procédé de la réminiscence car l'homme en tant qu'être raisonnable ne peut pas toujours penser d'une manière anhistorique. Mais, si le souvenir existe, alors cela n'est pas pour autant une raison de penser que l'homme est incapable d'oublier ou de faire le deuil de sa culture "originaire". L'homme est, en effet, le seul être raisonnable à pouvoir obéir à la loi, à pouvoir se retourner contre toute autre loi, y compris la sienne. Tout le problème de la transposition didactique est aussi celui de la recherche d'une méthodologie adéquate qui prend en compte aussi bien le toujours-déjà que le déjà-là. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous l'avons située entre ouverture et achèvement : une ouverture aux choses à comprendre et à prendre en compte, et un achèvement des concepts inventés par des raisons incarnant un pouvoir et un idéal rationnel admissible jusqu'à preuve du contraire.

Admettre une proposition revient donc à comprendre le lien qui existe entre l'énoncé et l'énonciation qu'elle reflète. Car, nous dit-on, tout énoncé présuppose une énonciation. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous avons considéré le rapport entre le sujet (qui comprend et aperçoit les choses) et les phénomènes (perçus dans le monde sensible), qui s'imposent à nous et auxquels on se heurte comme on se heurte à un étant, comme un rapport de connexion nécessaire et de connexion réciproque. Il y a en effet un rapport de connexion nécessaire parce que du moment que les choses sont organisées en séries, l'homme peut les apercevoir pour en déduire et en discerner les différentes liaisons logiques qu'elles incarnent. D'autre part, il y a rapport de connexion réciproque parce que le questionneur en direction des choses peut parfois user de ses propres capacités d'appréhension pour comprendre le sens des phénomènes fortuits. Il transforme cependant le frisson du sens en sens par excellence car l'art réside parfois là où l'on ne s’en rend pas compte.

Du fait que la pédagogie, la didactique sont des arts de la transmission et de la transposition des connaissances et des savoirs, alors il nous a été d'un grand intérêt de penser que le questionneur en direction des choses de l'univers doit se tracer la méthode de l'ouverture d'altérité radicale à l'égard des choses. Car, l'homme est d'abord un être du monde, qu'il n'est pas étranger à ce monde, et en plus, il est fait pour étendre ses pouvoirs cognitifs pour mettre en forme le monde tout en contribuant à l'extension du pouvoir physique de celui-ci. Cela ne peut être réalisé qu'à partir de la démarche que Claude Bernard voire Aristote et Descartes avant lui, ainsi que Nietzsche après eux, a qualifiée d'attitude où l'homme se jette à travers champs dans le risque gratuit, l'aventure et le vivre dangereusement. De ce point de vue, nous avons cherché à donner à la transposition didactique plusieurs sens possibles car elle est pour nous un concept polysémique à haute densité discursive.

De ces sens, nous retenons que la transposition didactique est un concept problématique englobant. A la première qualification (la problématisation) est liée la polysémisation qu'incarne ce concept, quant à la seconde (la globalité, l'exhaustivité) est liée son appartenance à des différents champs de pensée disciplinaire. D'une manière générale, nous avons cherché à lier la transposition didactique à l'activité de l'enseignement, une activité dont nous avons vue qu'elle est en elle-même difficile à discerner d'une manière précise. Enseignant (en effet, qui ne l'est pas !), nous sommes tous des enseignants, des "enseigneurs", dès lors que l'on se donne le temps de la mise en forme et en mouvement des connaissances et des savoirs. D'ailleurs, les expressions courantes : “ ‘Vous m'apprenez quelque chose ”, “ Vous m'enseigner quelque chose ”, “ Vous m'informer et vous me renseigner de quelque chose ’”, etc, sont des exemples probants. Nous venons de dresser un bilan de ce que fût l'enseignement jadis. En tous cas, depuis l'antiquité, l'enseignement était une pratique non seulement de la mise en forme des savoirs et des connaissances au sein d'une institution réglée par des rituels donnés, mais aussi une ouverture à l'égard de la vie, de la nature et des hommes desquels le sujet connaissant, questionneur en direction des choses, se donne le temps de s'en inspirer pour mettre en forme des valeurs adéquates. La nature, dans son sens le plus large du terme, peut en effet nous donner des modèles de vie cognitifs. Questionner en direction des choses de la nature est un acte que nous avons qualifié d'utile et de nécessaire, car l'enseignement peut trouver son sens dans une École à ciel ouvert. Cette formulation nous a conduit à distinguer dans l'enseignement deux pôles : celui de la formation et celui de l'information. Elle nous a conduit par là même à une comparaison de deux techniques (la transposition didactique et la vulgarisation scientifique) de la mise en forme des connaissances et des savoirs. Nous avons vu qu'à la première est liée (au sein d'une situation donnée) l'organisation et la programmabilité des connaissances et des savoirs. Cette organisation est gérée par des attentes, par des objectifs implicites et explicites à atteindre. Quant à la seconde, est liée l'humanisation de la connaissance et des savoirs déjà réussis et acquis dans des sphères données. Ces savoirs sont ceux que l'on cherche à populariser en vue d'accéder à l'extension du pouvoir cognitif. A la transposition didactique est liée ce que nous avons appelé : l'ésotérisme de la pensée ; quant à la vulgarisation scientifique est liée l'aspect exotérique de la visée d'un grand public large. Viser en direction des choses, en direction d'un public engage d'une part une qualification des statuts épistémologiques des différents discours, et d'autre part la recherche du sens de ce qui se passe dans la tête des sujets. C'est la raison pour laquelle nous avons cherché à comprendre le langage de la transposition didactique tout en lui appliquant des techniques argumentatives et rhétoriques, comme on s'est forcé aussi de comprendre le sens de l'âme, de l'esprit, qui sont des lieux spécifiques où résident (pour la plupart des humanistes) les contenus qui sont soit déjà-connus, soit à découvrir, à acquérir et à connaître. Cela nous a amené à un long développement sur le sens de l'ouverture et de l'achèvement de notre âme, de nos manières d'être et de voir. Puisque c'était la psychologie expérimentale qui était visée dans cette même perspective, alors la transposition didactique peut être définie comme une action qui cherche à sensibiliser pour mobiliser, à provoquer pour convoquer. Tout cela se déroule à travers des techniques dont témoignent différentes méthodologies :

Toutes ces méthodologies (parmi d'autres) coïncident dans la méthodologie expérimentale qui est, elle aussi, un concept problématique englobant. L'exposé global des enjeux épistémologiques qui résultent de la mise en forme empirique des connaissances et des savoirs nous a été utile pour mieux comprendre la portée de la transposition didactique dont l'ambition est d'une part l'éducabilité de toutes les intelligences, d'autre part la mise en forme et en évidence de l'extension du pouvoir cognitif. A la technique de la transposition est liée le sens étymologique du mot : trans-pose qui signifie en fait l'acte de poser en transe c'est-à-dire que l'art de la mise en mouvement des connaissances et des savoirs, que peut traduire certaines formes de la transposition didactique, finit tôt ou tard soit par se retourner contre l'ordre établi, soit de venir en aide à celui-ci. Il y a en effet des systèmes qui acceptent la modifiabilité structurale des actions, mais il y en a d'autres qui conservent l'ordre des choses déjà-là connues et admises comme vraies. Ces systèmes conservateurs réfutent toute modification extrinsèque. L'ordre, dit établi, conserve son organisation intrinsèque tout en considérant l'étrangeté extrinsèque comme un élément éminemment corruptible. De ce fait, le concept de la transposition didactique est désormais soumis entre-deux. Cette formulation de l'entre-deux nous a posé des problèmes d'ordre philosophique et pédagogique puisqu'elle a été employée par Heidegger pour désigner le rapport qui réside entre nous et les choses, comme elle a été reprise par D. Jacobi pour designer la place du savoir entre une école parallèle et une école organisatrice et programmatrice des connaissances et des savoirs. Dire que la transposition didactique est d'emblée entre-deux, signifie pour nous la recherche de son sens entre l'ordinaire et l'extraordinaire, entre une logique de la découverte et une psychologie de la recherche scientifique. Le tableau que nous avons dressé pour comparer et confronter les avis de deux grands épistémologues (Karl Popper et Thomas Kuhn), quant au sens de l'ouverture de notre pensée à l'égard des choses, nous a été utile pour enfin comprendre le sens de la transposition didactique qui peut d'emblée constituer deux grandes tendances de pensée opposée en didactique. La première, nous l'avons qualifiée de didactique de la transcendance et la seconde, de didactique de l'immanence. La vraie transposition didactique réussie se situe à nos yeux entre les deux. Celle-ci est représentée par le modeste travail que nous venons de présenter. Elle consiste à arraisonner les contenus des différentes disciplines que nous venons de présenter, tout en faisant correspondre les tâches conceptuelles communes aux différents auteurs qui se rapprochent et qui s'éloignent quant au sens qu'ils donnent aux différentes propositions. Cet arraisonnement de la trajectoire poursuivie par la transposition didactique, permet enfin de comprendre la mise en mouvement des connaissances et des savoirs à travers l'étude des formes langagières articulées par les différents contenus. Cela veut dire, en fait, que la transposition didactique telle que nous la définissons n'est pas simplement une action centrée sur ce que nous avons appelé : le paradigme nomothétique et le paradigme pragmatique ; elle est à vrai dire celle qui est organisée autour du paradigme herméneutique dont le souci est la recherche du vrai sens par excellence. A la question : qu'est-ce qu'une idée vraie ? Nous avons répondu par la recherche de son sens dans la mise en forme du mouvement de la transposition didactique, et ce par la mise en place des différentes formes de formulation et de reformulation reflétant des contenus et des vérités. Mais, nous ne nous sommes pas arrêté là car une idée vraie est d'abord une vérité qui est non seulement donnée mais aussi à construire. En effet, rien n'est donné, rien ne va de soi, tout est construit. L'objet de cette construction était le but recherché par les analyses et les commentaires des différentes formulations que nous avons comparées à l'aide des textes choisis. Nous avons ensuite cherché à évaluer les sens équivalents d'une proposition qui se transpose, qui se transforme d'une discipline à une autre tout en devenant une autre proposition correspondante, bien que l'une et l'autre s'organisent autour d'un même noyau dur que nous avons qualifié d'accord préalable à toute discussion et à toute appréhension notionnelle. Le souci qui fut le nôtre à chaque moment, était celui de savoir si cette transformation était animée et accompagnée d'une altération négative ou d'une altération positive. Evidemment, ces descriptions ne peuvent convenir et ne peuvent convaincre que si l'on a compris le sens et la visée de toutes les procédures de transformation et de transposition. Pourquoi donc des chercheurs s'intéressent-ils à la transposition et à la transformation des connaissances et des savoirs ?

Les raisons en fait sont multiples. La vie et la mort d'un concept est une réalité vécue par les savants. Parfois des savants sont obligés d'abandonner des concepts et des vérités qui étaient commodes dans un lieu et temps donnés au profit de certains autres qui s'appliquent davantage dans la réalité mondaine par rapport à ceux qui viennent juste de précéder. Cela est appelé : l'usure des savoirs conceptuels. Cette usure est due non seulement à l'emploi d'un même concept d'une manière permanente, mais aussi à la vie des hommes qui en usent, qui deviennent conscients que le même concept ne remplit plus leur satisfaction. C'est ce que nous avons appelé : la modifiabilité conceptuelle structurale, qui n'est rien d'autre que la donation du temps du mouvement des connaissances et des savoirs qui se déplacent, qui vivent, tout en entrant en relation avec le pour-autre-chose. Nous venons de voir que la transposition didactique, en tant que forme de mise en mouvement des connaissances et des savoirs, donne lieu à l'extension du pouvoir cognitif, comme nous venons de voir aussi que les chercheurs se soucient de l'extension de leurs contenus à d'autres domaines de recherches. C'est ce que nous avons appelé avec Ph. Roqueplo : le partage du savoir. Mais ce partage est parfois difficile à mettre en forme à cause de la divergence des attentes et des "compétences" du public auquel on s'adresse. On s'est demandé, dans cette même perspective, s'il pouvait y avoir – comme Coménius l'avait déjà laissé penser – un langage, un art universel pour enseigner tout à tous. Cet effort de recherche trouve son fondement dans le débat théorique (penser dans le signe ou penser avec le signe), un débat que nous avons soulevé dans la confrontation que nous avons menée entre Peirce et Leibniz. Si des chercheurs transposent et transforment des connaissances et des savoirs c'est parce que seul l'homme, en tant qu'être raisonnable, peut en effet assumer ce travail. C'est la raison pour laquelle nous avons cherché à lier la question : “ ‘Qu'est-ce que la transposition didactique ? ” à la question : “ Qu'est-ce qu'apprendre ? ” qui est au fond une question qui se traduit par l'interrogation : “ Qu'est-ce que l'homme ’? ” Et la réponse nous a conduit à des problèmes philosophiques les plus obscurs.

L'homme use en effet de plusieurs supports, de plusieurs pouvoirs pour transposer et mettre en forme un pouvoir concret. La raison humaine travaillant au service de l'extension du pouvoir cognitif ne peut en aucun cas s'effacer devant la vie des objets qu'elle aperçoit. C'est ainsi que nous avons reconnu des liaisons logiques que la raison s'astreint à extraire de la vie des objets pour mettre en forme un idéal rationnel de l'être-commun. Nous nous sommes référé à ce que Hegel pensait de la ruse de la raison qui utilise (à ses yeux) le sensible pour se manifester. De ce fait, on peut dire que l'homme transpose et transforme des connaissances et des savoirs puisqu'il est lui-même en relation de connexion nécessaire avec la nature physique et en relation de connexion réciproque avec les autres êtres humains. Cependant, la transposition didactique est aussi une ouverture, une maîtrise de l'écologie des savoirs des hommes. Ainsi, on peut dire que les chercheurs transposent et transforment des connaissances et des savoirs soit pour venir en aide à l'ordre établi, soit pour se retourner contre celui-ci. C'est la raison pour laquelle nous nous sommes interrogé sur la faisabilité de la démarche de la transposition didactique en tant que technique d'arraisonnement des connaissances et des savoirs. Nous avons fait remarquer que toute la difficulté d'une transposition didactique réussie réside dans la mise en mouvement des contenus dérivés, sans altérer d'autres contenus originaux. Cela nous a conduit à poser le problème de la connaissance entre l'originaire et le dérivé. A ce sujet, nous pensons que la question de l'origine, qui a travaillé certains philosophes comme Nietzsche et Heidegger, se pose aussi au niveau éducatif et au niveau de la connaissance. Car bien que des connaissances dites originaires soient l'une des conditions de la reconnaissance de la différenciation existante entre les êtres humains agissant et réfléchissant selon des manières qui leur sont propres, il n'empêche que cette originalité n'est pas toujours possible à maintenir, puisque (comme Adorno l'a laissé penser dans sa critique implicite à l'égard de Heidegger) l'origine des connaissances et des savoirs se construit et se transforme dans sa relation avec son autre et est le processus qui l'accompagne. Voilà la raison pour laquelle nous avons défini les institutions scolaires et universitaires comme étant des institutions qui sont vouées à se transformer en Écoles à ciel ouvert, – comme cela a toujours été dans l'antiquité et au Moyen Âge – là où l'on assistait à la dispute idéelle, à la rencontre dans l'argumentation rationnelle et dans l'échange spéculatif et réflexif des idées. C'est là le sens de l'école parallèle que veut Daniel Jacobi pour la vulgarisation scientifique qui est, à l'en croire, une grande didactique puisqu'elle aspire à la popularisation des connaissances et à l'humanisation du savoir via l'extension du pouvoir cognitif. Dans cette perspective, on peut donc laisser entendre que les chercheurs transposent et mettent en mouvement des connaissances et des savoirs pour lier le pôle de la formation à celui de l'information. Sur ce sujet qui pose le problème de la transposition didactique entre les objectifs de formation et ceux de l'information, nous avons tenu à fournir une analyse rigoureuse, quant à cette question problématique, tout en nous référant à des systèmes philosophiques et didactiques qui ont pensé la relation entre les deux pôles tantôt en terme de continuité, d'ouverture, tantôt en terme de rupture et de d'achèvement. Nous avons cherché des exemples dans l'histoire de la pensée humaine, depuis l'antiquité jusqu'à nos jours, pour montrer que le problème de la mise en mouvement des connaissances et des savoirs est un problème qui a occupé largement l'histoire de la pensée humaine. Cela nous a conduit à définir la problématique de la transposition didactique en terme de tâche. D'ailleurs, c'est la raison pour laquelle nous nous sommes référé à plusieurs reprises à Heidegger, qui a lui-même défini la transposition didactique (issue du sens qu'il a donné à l'acte d'enseigner) en terme de tâche puisqu'il lui a été difficile de la situer. En effet, nous avons montré que le maître de l'existentialisme Occidental moderne et contemporain a rencontré une difficulté pour situer la problématique de la mise en mouvement des connaissances et des savoirs ; tantôt il donnait la priorité à l'acte d'enseigner en disant : ‘“ Enseigner est plus difficile qu'apprendre, on le sait !’ ”, tantôt à l'acte d'apprendre en disant : “ ‘Apprendre est plus difficile qu'enseigner. ’” Cela nous a conduit en fait à situer de nouveau la transposition didactique entre la problématique de l'apprendre et celle de l'enseigner. Chose qui nous a conduit enfin à la perte du sens que nous lui avions attribué dès le départ, à savoir le passage de l'originaire au dérivé. On ne sait pas jusqu'alors où commence et où finit une œuvre réussie, susceptible d'être soumise à la transmission et à la transposition. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous avons pensé à la mise en forme et en mouvement de la transposition didactique dans sa méthodologie expérimentale entre ouverture et achèvement. Dire qu'il y a mouvement des connaissances nous rappelle en effet tout ce qu'Aristote disait du temps du mouvement, un temps où les imprévus ne cessent de se multiplier, un temps qui est nombré, qui échappe parfois au dénombrement. Cela a laissé Umberto Eco penser que l'œuvre réussie est une œuvre qui ne commence ni ne finit, d'autant plus qu'elle ne fait que semblant de débuter et de s'achever. Le concept esthétique de l'œuvre ouverte est en effet un concept qui s'applique aisément à la transposition didactique en tant que concept et non pas en tant qu'idée. Elle est un concept car depuis sa formulation par M. Verrêt dans Le temps des études, elle ne cesse de susciter des débats, des prises de positions différentes de la part des chercheurs sur le statut qu'elle doit avoir au sein des disciplines qui sont aptes à la représenter véritablement. En ce qui nous concerne, nous pensons que l'acte du philosopher est capable d'accomplir le sens du concept de la transposition didactique. Cette possibilité ne tourne pas seulement autour de la taxonomisation des savoirs avancés par les auteurs, les écrivains et les chercheurs, mais aussi elle peut constituer une recherche sur la généalogie (au sens philosophique et épistémologique du terme) des connaissances et des savoirs avancés par des systèmes donnés, par des auteurs donnés, dans un temps et milieu donnés, mais qui se transforment, se meuvent, se transmettent, se traduisent et se paraphrasent. Cela répond en fait au paradigme herméneutique qui est organisé autour du sens des propositions avancées par des auteurs partageant des tâches communes à travers des disciplines différentes. Nous avons remarqué cela tout au long de notre travail surtout à sa fin, lorsque nous avons comparé le sens des tâches communes à la phénoménologie descriptive, à la psychologie et à la psychopédagogie expérimentale. Au sujet de cette comparaison, nous retenons que la mise en mouvement des connaissances et des savoirs portant sur une même tâche, sur un même objet d'étude, un même objet de savoir à être enseigné, enrichit l'acte du connaître, l'étend à d'autres domaines de possibilités comme ce faussaire exposé dans le Musée ou sur le Marché de l'art étend et transforme l'acte de la mise en forme des œuvres d'arts en des faux-vrais et des vrais-faux. A l'issue de cette mise en forme, la vérité se dévoile partout : elle peut résider même dans la fiction et dans la fable. C'est pour cette même raison que Merleau-Ponty a laissé entendre que “ La vraie philosophie est de réapprendre à voir le monde, et en ce sens une histoire racontée peut signifier le monde avec autant de "profondeur" qu'un traité de philosophie. ” Former et informer sont donc deux aspects complémentaires de l'action didactique puisque le but recherché dans les deux cas est l'arraisonnement des données cognitives. De ce fait et du point de vue du paradigme herméneutique propre à notre recherche, l'action didactique s'astreint donc à mettre en forme les difficultés cognitives, les sens et les contresens que rencontrent les différents auteurs dans leur passage d'un savoir réflexif à un savoir explicatif, d'un savoir ésotérique à un savoir exotérique, d'un savoir originaire à un savoir dérivé et d'un contenu de savoir préscriptif à un contenu de savoir descriptif. Dans tous les cas, le but recherché est toujours le même : la mise en mouvement des connaissances qu'accomplit la transposition didactique en tant qu'œuvre d'art, ouverte et en mouvement...

Notes
1271.

. Roqueplo (Ph). Le partage du savoir Science, culture, vulgarisation. Edit. Seuil. 1974.