Introduction

1. Avant-propos

Les parlers de la région du Pilat, région traversée par la limite entre le francoprovençal et l’occitan, sont longtemps restés peu étudiés. De nombreux auteurs ont décrit la géographie linguistique des régions environnantes, précisant les isoglosses entre occitan et francoprovençal. Mais l’étude linguistique de cette aire restait superficielle. En 1930, J. Ronjat avait esquissé la limite entre parlers vivaro-alpins et francoprovençaux dans la région du Pilat, la décrivant grâce à une dizaine de localités (Ronjat 1930-41, vol. 1, p. 19). Plus tard, P. Gardette précisait le tracé de cette limite dans l’ouest de la région du Pilat (Gardette 1983, p. 176-8). La limite entre occitan et francoprovençal dans la partie est, aux abords immédiats du Rhône, a été dressée par G. Tuaillon (Tuaillon 1964, carte à la fin de l’article). Mais c’est J.-B. Martin qui, en 1979, définissait enfin précisément, pour toute la région du Pilat, cette limite essentielle, grâce à de nombreux points d’enquête. Dans "La limite entre l'occitan et le francoprovençal dans le Pilat" (Martin 1979a), il étudia, outre le traitement du A latin, qui permet de distinguer les parlers occitans des parlers francoprovençaux, quelques autres traits phonétiques qui distinguent le vivaro-alpin du francoprovençal.

Mais une description plus précise méritait d’être faite, dans la partie sud d’une région que P. Nauton nomme, à la suite d'Ascoli, "région amphizone" (Nauton 1966, p. 357) car les traits occitans et francoprovençaux se mêlent sur plusieurs dizaines de kilomètres. De plus, la situation linguistique actuelle de la région du Pilat présente un autre intérêt. Peu à peu, les parlers vernaculaires disparaissent, remplacés par le français. Cette intrusion bouleverse-t-elle les limites historiques entre l’occitan et le francoprovençal, dans cette partie de l'aire linguistique où la situation de contact entre les deux langues avait déjà entraîné, comme l’ont montré, par exemple P. Gardette et G. Tuaillon (Gardette 1970, intervention de G. Tuaillon, p. 304 ; Tuaillon 1971a...), des phénomènes particuliers : hybridations, recours au français... ?

La situation linguistique du Pilat peut être qualifiée de situation de "disparition" ou "mort" de langue. La géographie linguistique particulière de cette région est, à cet égard, d’autant plus intéressante que les parlers de deux langues différentes, l’occitan et le francoprovençal, semblent menacés d’extinction. L’impact du français est-il le même dans les deux langues ? Peut-on mesurer géographiquement ce remplacement de langue ? Quel en est le déroulement, des meilleurs patoisants jusqu’aux personnes seulement capables de comprendre quelques mots, en passant par les locuteurs encore aptes à produire des énoncés simples ?

Pour pouvoir répondre à ces questions, nous essayerons d’abord de mesurer l’ampleur de l’avancée du français en tant que langue exclusive. La mort des patois est annoncée depuis longtemps, mais elle n’est toujours pas avérée. Une enquête sociolinguistique, qui tentera d’évaluer la vitalité des parlers locaux, d’appréhender la conscience linguistique et les pratiques linguistiques des derniers locuteurs, permettra d’éclairer le processus à l’oeuvre dans cette situation de changement de langue et peut-être d’émettre un pronostic sur l’avenir des parlers occitans ou francoprovençaux de la région du Pilat.

Afin de décrire le "paysage linguistique" de cette région, nous commencerons par analyser la situation sociolinguistique qui prévaut. Les études portant sur divers cas de "substitution" de langue ont donné lieu à des essais de typologies des différentes situations de mort de langue mais également des locuteurs de ces langues en danger. Grâce à l’enquête sociolinguistique effectuée dans la région du Pilat, nous essayerons de rapprocher la situation de la région du Pilat d’autres situations ayant fait l’objet d’une étude, et nous tenterons de classer les patoisants en fonction de critères extra-linguistiques et linguistiques.