1.1.4. Un groupe linguistique autonome à la spécificité reconnue tardivement

Ce groupe linguistique, dont l’appellation peut porter à confusion, n'a vu sa spécificité reconnue que depuis un peu plus d’un siècle. Auparavant, il était partagé par les linguistes entre les domaine d’oïl et d’oc. C’est G. Ascoli qui, le premier, a relevé l’originalité de ce domaine (Ascoli 1878). Il le définissait d’après quelques caractères dont certains lui étaient propres, mais dont d’autres étaient partagés soit par l’occitan soit par l’oïl, d’où le nom qu’il donna à ce groupe linguistique : franco-provenzale, franco-provençal. D’autres termes ont été proposés, pour éviter d’évoquer ce qui ne serait qu’un mélange de traits d’oïl et de traits occitans : rhodanien, moyen-rhodanien, français du Sud-Est, burgondien (à cause de l’influence supposée importante du superstrat burgonde)..., mais le terme franco-provençal a été en définitive retenu. Car, plus que le nom de ce nouveau groupe linguistique, c’est d’abord son existence même, puis son extension, qui ont été débattues. En effet, aucun des caractères retenus par G. Ascoli n’était propre au francoprovençal. Après diverses propositions, c’est le traitement particulier du A latin précédé de consonne palatale qui a été adopté comme le trait opposant le francoprovençal au groupe d’oc, tandis que l'accentuation paroxytonique le distinguait du domaine d'oïl. Le problème des limites à assigner au francoprovençal a en effet été beaucoup débattu : selon le trait envisagé, le territoire du francoprovençal pouvait se restreindre ou au contraire empiéter considérablement sur les domaines voisins. Un groupe linguistique indépendant pouvait-il avoir des limites aussi vagues ?

Mais, malgré l’absence de limites précises, les nombreuses variantes phonétiques internes et les problèmes d’intercompréhension à l’intérieur du domaine que cette variation engendre, le francoprovençal est aujourd’hui reconnu comme un ensemble gallo-roman spécifique. Délimité au Sud par l’isoglosse de la double évolution du A latin précédé de consonne palatale et au Nord par la limite de l'accentuation paroxytonique, ayant trouvé une explication historique grâce au réseau des voies romaines et à l’influence de Lugdunum, l’étude de son évolution ayant montré que l’on pouvait décrire cette langue comme "le proto-français resté à l’abri de certaines innovations septentrionales" (G. Tuaillon, 1972, p. 336), le francoprovençal perdit son trait d’union.