4.2.4. Axe nord / sud

Un autre facteur géographique semble jouer sur la vitalité du patois. Peu sensible à l'échelle du Pilat, il se confirme si l'on considère les régions voisines : le patois tend à être plus usité en direction du Sud. A l'intérieur de la région du Pilat, il existe déjà quelques différences. Pour la vallée du Rhône, l'exemple des communes situées aux deux extrémités du domaine d'enquête est intéressant. A Saint-Pierre-de-Boeuf (n° 8), mes démarches ne m'ont pas permis de trouver des locuteurs traditionnels dans le bourg, et j'ai dû rendre visite à un ancien paysan célibataire (environ 70 ans) qui habitait dans un hameau surplombant la vallée. Au contraire, à Andance (n° 35), il a été facile d'identifier rapidement quelques patoisants, et les enquêtes se sont déroulées dans une salle de la mairie. Mais dans le reste de la région du Pilat (plateau annonéen et haut plateau du Pilat), cette tendance n'est pas très marquée. Pourtant, les témoignages des témoins et mes propres observations semblent indiquer que l'usage du patois (seul aspect de la vitalité d'une langue facilement observable, contrairement au nombre des locuteurs et à leurs compétences) est plus important au sud de la région du Pilat qu'ailleurs. Ceci s'explique en partie par la géographie de la région : la région du Pilat est bordée par des zones de forte francisation (vallée du Rhône, vallée du Gier, Saint-Etienne et sa banlieue industrielle) qui entraînent une discontinuité avec les communautés linguistiques patoisantes voisines. J'ai peu d'indications sur la vitalité actuelle de la langue vernaculaire à l'est de la région du Pilat, mais des enquêtes dans les Monts du Lyonnais (au nord de la vallée du Gier) en vue de l’élaboration d’un CDRom sur les parlers de cette région du domaine francoprovençal m'ont montré que le nombre de bons locuteurs n'était pas très important et que leur moyenne d’âge était assez élevée. Au contraire, en effectuant une enquête à Saint-Romain-d'Ay, village ardéchois situé à quelques dizaines de kilomètres au sud de la région du Pilat, j'ai trouvé très rapidement un très bon locuteur d'une soixantaine d'années, et son frère plus jeune était presque aussi compétent. La fille du premier, âgée d'une trentaine d'années, était capable de comprendre leurs conversations et l'enquête linguistique effectuée auprès d'elle révéla une compétence qu'aucune personne de son âge n'atteignait dans la région du Pilat. Les autres enfants de la famille semblent posséder des connaissances similaires, et les indications que ces témoins m’ont données sur les locuteurs de Saint-Romain-d'Ay et des communes voisines montrent que le cas de cette famille n’est pas isolé. Les instituteurs que j’ai interrogés ont parfois occupé des postes au sud de la région du Pilat et certains étaient parfois originaires du nord de l’Ardèche ou du Velay, en Haute-Loire : leurs informations sur l’usage du patois pendant leur enfance et alors qu’ils étaient encore en activité, les enfants dialectophones qu’ils ont éventuellement rencontré, confirment que le déclin du patois est plus récent dans ces régions avoisinantes (cf. ci-dessous Chapitre 6. Le déclin du patois pour le témoignage des instituteurs). Dans l’introduction du dictionnaire du parler occitan d’Yssingeaux, ville située dans la Haute-Loire, à une trentaine de kilomètre au sud-ouest de Riotord (n° 33), J.-B. Martin indique, à propos de la pratique linguistique de la campagne environnant cette localité : "beaucoup de parents se sont encore régulièrement adressés en patois à leurs tout jeunes enfants jusqu’aux environs de 1950" (Martin 1997a, p. 6) ; nous verrons que, même dans la partie la plus conservatrice du Pilat, la transmission du patois aux enfants a cessé plus tôt.