5.3.2. Le renversement linguistique dans la région du Pilat

Dans la région du Pilat, le déclin du patois résulte en grande partie d’un abandon de la transmission de la langue ancestrale. En effet, d’après les témoignages des personnes dont les parents parlaient patois entre eux et avec leurs enfants, tous les témoins qui ont été exposés à cet environnement linguistique sont parvenus à développer une compétence relativement complète en patois. D’ailleurs, aucun témoin appartenant à cette catégorie de locuteurs ne m’a jamais dit que, durant son enfance, il répondait habituellement en français à ses proches s’adressant à lui en patois (même si cela est sans doute arrivé sporadiquement). Ce type de locuteurs se décrit toujours comme étant monolingue ou bilingue avant l’entrée à l’école. Il peut pourtant arriver que certains de ces témoins prétendent être, aujourd’hui, peu compétents en patois et que des tests linguistiques révèlent, en effet, que leur niveau de patois n’est pas très élevé. Mais cette compétence relativement faible, quand elle est réelle, doit sans doute être mise sur le compte d’une dégradation des compétences, par manque d’exposition ou de pratique de langue régionale, plutôt que sur une acquisition incomplète. Tant que les parents ont parlé patois à leurs enfants, ceux-ci ont pu l’acquérir.

Contrairement à la situation de la communauté gaélique décrite par N. Dorian, les pressions sociolinguistiques extérieures à la famille n’ont pas été suffisantes pour entraver l’apprentissage du patois et imposer l’usage exclusif du français chez les enfants. L’usage du patois dans la famille était-il, alors, le fruit d’un choix délibéré des parents ? Il semble qu’il s’agissait plutôt de la conservation d’un usage. Il est possible toutefois qu’un sentiment de manque de maîtrise du français, justifié ou pas, ait pu contrebalancer l’intérêt, déjà perçu par certains parents, de faciliter l’apprentissage du français aux enfants.

Dans la région du Pilat, le renversement qui modifia l’usage linguistique a commencé, dans certaines des parties du domaine, avant 1900, la date la plus ancienne à laquelle nous permettent de remonter les témoignages directs des personnes les plus âgées. A cette date, les trois sous-parties que nous distinguons dans notre domaine n’avaient pas encore subi, à un même degré, les assauts de la francisation.