6.1. L'importance grandissante de l'école

Dès le début du XXe siècle, le réseau scolaire est déjà assez dense dans la région du Pilat, du moins en ce qui concerne l'école primaire. Mais beaucoup d'enfants d'agriculteurs ne la fréquentent alors que quelques mois par an, durant l'hiver, car ils aident aux travaux agricoles pendant la belle saison. Dans les années 1900-1920, les enfants qui passent le certificat d'étude sont peu nombreux, et il s'agit surtout de garçons. Car, si l'année scolaire est courte, la période totale de scolarisation est brève également : les enfants, essentiellement les garçons, sont placés comme petits domestiques et beaucoup de très jeunes filles vont travailler à "l'usine" (dès l'âge de 10-12 ans pour certaines). Mais l'école prend une importance de plus en plus grande aux yeux des parents. Cette valorisation de l'école s'explique par plusieurs raisons. Le nombre d'emplois disponibles à la campagne diminue : les parents, de plus en plus conscients que l'exode rural attend une partie de leurs enfants, souhaitent qu’ils "apprennent un métier". Les garçons qui se destinent à reprendre la ferme familiale, ou que leur parents destinent à cette transmission du domaine familial, sont moins encouragés à "continuer leurs études". Jusque dans les années soixante, sur le haut plateau, un enfant de la famille devait garder le troupeau familial : parfois, les enfants se succédaient dans cette tâche, mais d'autres fois c'était le même qui assurait cet emploi, parce qu'il était moins doué ou moins intéressé par "les études". J'ai parfois entendu les regrets de certaines de ces personnes à qui ce travail avait été dévolu alors qu'elles auraient préféré aller plus longtemps à l'école. Cette contrainte cessera avec l'arrivée des clôtures électriques, vers 1960 environ dans le canton de Saint-Genest-Malifaux (n° 13), mais depuis quelques temps déjà, c'était parfois des enfants plus âgés placés comme bergers, des personnes âgées et les femmes qui se chargeaient de la surveillance du bétail : la pression scolaire était devenue très forte, à la fois auprès des parents, mais aussi de la part de l'institution scolaire qui réprouvait de plus en plus cette pratique ancestrale responsable d'absentéisme136. Ce phénomène était de moindre ampleur dans la région du plateau intermédiaire où les activités agricoles s'orientaient de plus en plus vers la viticulture et surtout l'arboriculture, au détriment de l'élevage.

Comme le note J.-Cl. Bouvier à propos de la situation du patois en 1973 dans la Drôme : "les parents actuels mettent leur point d'honneur à ne parler que le français, jugé socialement supérieur et surtout plus utile, à leurs enfants, dès le plus jeune âge". (Bouvier 1973, p. 231)

Notes
136.

Les jeunes garçons placés comme bergers étaient souvent des enfants d'agriculteurs du haut plateau ou de la région voisine du Velay (en Haute-Loire) ou des enfants d'ouvriers stéphanois. Des habitants de la région du Pilat m'ont dit que ces adolescents avaient droit à des "vacances agricoles", mais l'institution scolaire n'a jamais autorisé le départ, avant la fin de l'année scolaire, de ces enfants.