7.2. Où peut-on entendre parler patois ?

Une autre manière de décrire l’état du patois dans la région du Pilat en l’an 2000 consiste à relever systématiquement les lieux où le patois peut être parlé ou entendu. Certains ayant déjà été cités ci-dessus, nous allons présenter brièvement la "géographie" de l’usage actuel du patois.

Dans les lieux publics, son usage est aujourd’hui assez rare. Dans certaines communes, le patois peut parfois être employé dans les bourgs et les hameaux. L’emploi du patois dans l’espace public est peu fréquent et il l’est de moins en moins : beaucoup de vacanciers séjournant dans la région du Pilat pendant quelques semaines et même des personnes qui y habitent m’ont affirmé qu’ils n’entendaient jamais personne parler patois.

Dans les commerces, il n’est pratiquement plus utilisé. La plupart des commerçants sont d’ailleurs trop jeunes pour savoir parler patois. Je n’ai jamais observé de conversations en patois entre clients dans des commerces et personne ne m’a dit qu’il lui arrivait de le parler ou de l’entendre dans un tel lieu.

Dans quelques villages toutefois, le patois est encore parfois employé dans des cafés, dont certains sont en même temps des commerces (presse, tabac, épicerie...), ce qui augmente les chances que des conversations en patois puissent être entendues. Mais, d’après mes observations et les témoignages des habitants de la région du Pilat, le patois est loin d’être utilisé dans ces lieux dans tous les villages : je sais seulement qu’on peut entendre parler patois dans certains cafés de Marlhes (n° 23), Tarentaise (n° 10), Planfoy (n° 6), Jonzieux (n° 19), Saint-Régis-du-Coin (n° 24) et, pour la région du plateau intermédiaire, à Peaugres (n° 28). Mais les hameaux et certains petits villages n’ont pas, ou n’ont plus, de cafés.

Hors des bourgs ou des hameaux, le patois peut encore être pratiqué : à la chasse, au jardin, sans doute dans les champs entre des agriculteurs proches de la retraite ou des paysans retraités mais qui continuent à exploiter quelques terrains, la langue régionale survit comme langue des champs, mais elle a peu de chance d’être entendue par d’autres personnes que les interlocuteurs eux-mêmes (à moins qu’ils ne soient accompagnés d’usagers passifs ou de francophones exclusifs, mais la présence de ces derniers est une entrave à l’usage du patois).

A mi-chemin de l’espace public et de l’espace privé, on peut entendre parler patois dans les repas collectifs qui rassemblent une partie des villageois et quelques personnes issues d’autres régions. Les plus fréquentes de ces rencontres réunissent les membres d’une même génération seulement. Dans un contexte assez proche, le patois est employé entre certains membres des clubs du troisième âge. Je n’ai pas cité, dans le chapitre qui décrit qui parle patois, cette autre situation où la langue régionale est régulièrement employée car il semble, d’après les témoins concernés, que lors de ces rencontres, les différents échanges en patois correspondent à ce qui se déroule ailleurs : seuls les interlocuteurs habituels du patois le parlent entre eux dans les clubs du troisième âge et ce contexte n’est pas, comme on aurait pu l’imaginer, une occasion où se créent de nouvelles relations dans lesquelles le patois serait la langue utilisée (même si ce peut être le seul lieu où, aujourd’hui, se rencontrent d’anciens interlocuteurs habituels). C’est par contre un des rares endroits où certaines personnes peuvent encore entendre parler patois et même l’employer de temps en temps (chants, parties de cartes...). Dans les maisons de retraite, le patois est également employé, mais surtout entre personnes qui l'utilisaient déjà entre elles avant leur hospitalisation.

Certains habitants m'ont affirmé que l'une des rares occasions où ils entendaient parler patois était les fêtes folkloriques. Mais il s'agissait le plus souvent de fêtes qui s'étaient déroulées hors de la région du Pilat et les spectateurs, qui sont en grande partie issus d'autres villages que de ceux où se tenait la fête, n'ont qu'un rôle passif. Ces festivités ne sont pas des occasions, pour des personnes qui ne sont que spectatrices, de parler patois.

Pendant quelques années, une radio locale a diffusé, toutes les semaines, une émission en patois enregistrée à Annonay. Cette émission était organisée par l'association Parlarem en Vivares, qui regroupe surtout des habitants du sud de la région du Pilat (le président de cette association donne des cours d'occitan à quelques élèves du secondaire à Annonay). Des patoisants du Vivarais participaient parfois à ces émissions et certains des dialectophones âgés que j'ai rencontrés dans la région du Pilat étaient des auditeurs assidus (par exemple témoins A. à La Versanne (n° 20), B. à Davézieux (n° 31) ou le témoin de Vinzieux (n° 17)). Certains possédaient des cassettes audio de l'association Parlarem en Vivares et les prêtaient à des amis. Mais les personnes qui écoutaient l'émission de radio ou les cassettes estimaient toujours que le patois employé était différent du leur (ils n'éprouvaient toutefois pas de problèmes pour le comprendre).

L'écrit n'est pas plus aujourd'hui qu'autrefois un support important du patois. La presse régionale ou les bulletins locaux ne publient plus d'articles en langue régionale. Les publications grand public concernant la région du Pilat sont en français, un français qui laisse parfois une place à quelques régionalismes. Pour l'ensemble des dialectophones de la région, le patois n'est de toute façon pas une langue écrite et ne peut pas l’être.

La majorité des échanges en patois a donc lieu dans un cadre privé. Les quelques personnes qui emploient quotidiennement la langue régionale la parlent chez elles. Les échanges réguliers entre voisins, amis ou personnes apparentées se déroulent en général au domicile d'un des interlocuteurs, ce qui explique que des vacanciers qui séjournent longuement dans la région du Pilat et même les personnes qui y résident toute l'année puissent ne jamais entendre parler patois.