7.3. Pourquoi utilise-t-on le patois ?

La langue régionale est employée, comme moyen de communication à part entière, sans fonction particulière, par un nombre très faible d'habitants de la région du Pilat : quelques couples âgés, quelques célibataires vivant ensemble, l'utilisent entre eux comme langue de tous les jours. Parmi les usagers partiels du patois, ceux pour qui l'emploi du patois est un emploi "neutre" sont peu nombreux. Il s'agit de locuteurs traditionnels qui l'utilisent fréquemment ou régulièrement entre eux et souvent depuis longtemps : parents, amis de longue date... Chez les personnes qui emploient naturellement le patois entre elles, l'usage de cette langue ne marque pas la connivence, bien qu'il s'agisse toujours de personnes proches les unes des autres, à quelque titre que ce soit.

Mais, pour beaucoup d'usagers partiels, y compris parmi ceux qui sont compétents et qui l'utilisent souvent, l'usage du patois marque au moins la familiarité. Face au français, le fait même d'employer le patois a une fonction dans leurs échanges, alors que pour les locuteurs qui l'emploient naturellement entre eux, l'usage du patois ne s'explique pas par rapport au français. Mais ces dialectophones peuvent parfois faire un emploi "marqué" du patois. C'est le cas par exemple entre des usagers à temps plein et leurs enfants : entre ces deux générations, l'usage du patois n’est pas habituel et il est donc significatif au delà même de ce qui est dit.

A quelles fins le patois est-il utilisé par les locuteurs partiels qui ne recourent à la langue régionale que rarement ? Plusieurs raisons expliquent leur emploi du patois, des raisons qui coexistent souvent dans une même interaction et dont certaines se laissaient déjà apercevoir dans la description de l'usage du patois par des différents locuteurs168. Il est relativement difficile de distinguer les fonctions principales de l’emploi du patois par ces locuteurs du contenu lui-même de leurs échanges en patois.

Dans nombre d’échanges actuels en patois, on peut s’apercevoir que la dimension informative est souvent secondaire. Pour la majorité des personnes qui parlent patois aujourd’hui, c'est-à-dire une minorité d’habitants de la région du Pilat, l’emploi de cette langue se cantonne à quelques domaines limités, pour aborder des sujets particuliers et il ne remplit souvent qu’un nombre réduit de fonctions linguistiques. De plus, la plupart de ces fonctions peuvent être assumées par le français, et le recours au patois, rarement nécessaire sociolinguistiquement, ne l’est jamais linguistiquement.

Notes
168.

Il n’y a pas lieu de s’interroger sur les raisons de l’emploi du patois par les locuteurs passifs qui sont pourtant des usagers réguliers - les personnes qui refusent de parler la langue régionale mais qui participent régulièrement à des interactions où cette langue est utilisée - puisqu’ils ne sont pas des initiateurs de cet emploi.

169.

La disparition d'une langue ne s'accompagne pas forcément de la disparition totale de la culture orale qu'elle véhiculait. P. Kwachka, par exemple, décrit un cas de conservation de la culture traditionnelle d'une ethnie d'Alaska de la langue ancestrale dans la langue dominante, l'anglais (cf. Kwachka 1993). Mais ce maintien n'est que partiel ; cf. l'article de A. Woodbury, A defense of the proposition, “When a language dies, a culture dies", qui montre qu'un appauvrissement stylistique est inévitable (Woodbury 1993). Un sentiment d’appartenance ethnique puissant semble être nécessaire pour que la culture orale puisse survivre. Dans la région du Pilat, ce sentiment n'existait pas et la disparition de la culture orale traditionnelle a favorisé le déclin du patois autant qu'elle en était le résultat (sur la "perte de la culture patoise", voir Châtenet 2000, p. 43).

170.

S. Petit a également relevé cet emploi particulier de la langue régionale en Bresse bourguignonne : "ceux pour qui parler patois était encore monnaie courante il y a cinquante ans semblent en avoir actuellement abandonné la quasi exclusivité de la pratique au seul exercice du souvenir" (Petit 2000, p. 129).