9.3.2.5. Le patois, une menace pour le français ?

Lors des premiers contacts avec les témoins très âgés, certains d’entre eux se sont montrés réticents pour participer aux enquêtes : ils craignaient, reparlant patois, ou même, pour quelques-uns, en le parlant avec un interlocuteur "inhabituel", de mélanger patois et français, et même de "perdre leur français". Cette réaction s’explique en partie par la crainte de "retomber en enfance", assez vive chez ces personnes âgées. Mais une croyance est souvent sous-jacente :

l’usage du patois pourrait nuire à la maîtrise du français.

C’est en raison de cette croyance que certaines personnes refusent de parler patois ou évitent de le faire. Toutefois, les dialectophones qui partagent cette conviction sont peu nombreux. Mais il existe une version moins extrême de cette opinion qui, elle, est partagée par la majorité des locuteurs :

la connaissance du patois ou son apprentissage risquerait de nuire, chez les enfants, à l’apprentissage du français.

Par contre, ces derniers locuteurs pensent qu’il est possible de connaître et maîtriser les deux langues, ce qui peut paraître contradictoire. En fait, il semble que ces locuteurs considèrent l’enfance comme une période cruciale pendant laquelle, pour apprendre le français dans les meilleures conditions, il ne faut apprendre que cette langue. Quand le français est acquis, ou au moins que ses bases sont bien établies, les risques sont perçus comme négligeables, ou au moins peu importants. Cette opinion explique l’apprentissage tardif du patois par certains jeunes gens, des garçons essentiellement, qui ont commencé à le parler à l’adolescence sans rencontrer d’opposition. Mais la croyance en un conflit possible entre les deux langues pendant l’enfance est si tenace qu’elle est encore évoquée aujourd’hui par des grands-parents à qui je demandais pourquoi ils n’apprenaient pas le patois à leurs petits-enfants, alors qu’aucun enfant ne le parle et que personne ne se propose de le transmettre.