Les sous-locuteurs et les non-locuteurs

Les opinions sur le patois des francophones exclusifs ou presque exclusifs peuvent être très diverses. Certains ignorent l'existence de la langue régionale. Parmi les autres personnes, qui sont en général peu exposées au patois, l'indifférence est l'attitude la plus commune : le patois appartient à un passé révolu. Si cette langue a disparu, comme le pensent certains, ou est en train de disparaître, c'est la preuve qu'elle est inadaptée aux besoins actuels : face à la concurrence du français, la disparition du patois leur paraît évidente, naturelle. Tous ne connaissent pas l'existence de la variation géographique - cette connaissance dépend de leur exposition au patois et/ou de leurs relations avec des patoisants - et personne n'en mesure précisément l'ampleur. Il n'existe pas non plus de consensus sur le statut du patois : pour certains, il s'agit d'une "véritable" langue, alors que pour d'autres ce ne serait qu'une sorte d'argot ou de registre familier du français, un système linguistique simple et rudimentaire, tout juste suffisant pour aborder quelques domaines limités (comme par exemple les nécessités prosaïques de la vie quotidienne ou celles de certains domaines techniques - élevage, agriculture...). Pour certains des francophones qui sont originaires de la région du Pilat, et en particulier pour les petits-enfants de locuteurs traditionnels ou de semi-locuteurs, le patois est un symbole de la culture locale traditionnelle, mais un symbole du passé et qui n’a aucun avenir. Les personnes appartenant à cette catégorie connaissent souvent quelques mots de patois, mais elles ne sont pas à l’origine des projets de cours de patois et peu auraient l’intention de les suivre.

Contrairement à la plupart de leurs aînés, elles ne considèrent pas le bilinguisme français / patois comme un handicap (sauf si elles imaginent que le patois était une sorte d’argot, de "sous-langue") et celles qui pensent que le patois est une langue à part entière envient le bilinguisme de leurs grands-parents. Certaines envisageraient avec bienveillance une transmission éventuelle du patois auprès de leurs enfants, ou une initiation par des personnes âgées dans le cadre scolaire, mais elles estiment souvent que l’apprentissage d’une langue étrangère, et, en premier lieu, de l’anglais, serait beaucoup plus utile.

Peu de personnes de cette génération établissent un lien entre la connaissance du patois et le fait d’être "retardataire" : auprès de ces jeunes habitants de la région du Pilat, la connaissance du patois est surtout associée à l’âge. Toutefois, la pratique quotidienne du patois entre frères vivant ensemble, par exemple, passe, pour ceux qui en connaissent l'existence, pour un signe de mode de vie passéiste, archaïque. Mais cet indice est corroboré par d’autres : ces célibataires, souvent d’anciens agriculteurs, vivent souvent de manière assez autarcique dans des fermes isolées peu modernisées.

Certains regards sur le patois de la part de vacanciers ou de néo-ruraux n’ayant pas d’attache familiale dans la région sont parfois mal ressentis par les patoisants. Nombre de personnes d’origine étrangère à la région ignorent l’existence de la langue régionale. D’autres toutefois savent qu’elle a été parlée, parfois qu’elle l’est encore. Mais il est intéressant de noter que ceux qui tentent, quelquefois avec maladresse, de s’intégrer au tissu social de la région, ne le font pas par le biais du patois : aucune personne relevant de cette catégorie de la population ne s’était, par exemple, inscrite dans un cours de patois de Marlhes (n° 23). Elles appuient parfois les projets de ce type, mais ne comptent pas y participer. Le patois ne leur apparaît donc pas comme un moyen d’intégration.

Les habitants âgés de la région du Pilat qui sont d’origine autochtone imaginent, souvent à tort, que les vacanciers ou les néo-ruraux pourraient les prendre, s’ils les avaient entendu parler patois, pour des "attardés", des "paysans" au sens péjoratif du terme, ou pour des sujets d’une curiosité qu’ils imaginent hautaine, ce en quoi ils ont parfois raison : des touristes interrogés trouvent cela "charmant", "très couleur local", "folklorique", presque exotique même s’ils ne vont pas jusqu’à utiliser ce dernier terme (mais les trois précédents ont été prononcés).