Les locuteurs muets

Le jugement des locuteurs "muets" à l'égard de leurs compétences en patois est en général beaucoup plus ambigu et cette catégorie de locuteurs ne présente pas de comportement homogène.

Les femmes mariées avec un locuteur pratiquant la langue régionale affirment qu'elles comprennent tout ce qui est dit lors des conversations en patois, conversations auxquelles elles participent parfois mais en utilisant le français exclusivement. Certaines prétendent qu'elles ne savent pas parler patois ou qu'elles le parlent mal. Il n'est pas possible de connaître précisément les compétences actives de ces femmes puisqu’elles refusent généralement de participer aux enquêtes linguistiques. Toutefois, il semble que certaines tout au moins minimisent leurs compétences actives : lors des enquêtes auprès de leur mari, il leur arrivait d'intervenir pour souffler une réponse ou en corriger une autre. S'il est vrai qu'aucune pratique ne leur permet d’évaluer leurs compétences actives, il n'est néanmoins pas certain qu'elles les sous-estiment : il semble plus justifié de parler de négation179. D’ailleurs, certaines informatrices disaient qu’elles ne voulaient pas parler patois, ce qui suppose donc qu'elles pensaient pouvoir le faire.

Les autres locuteurs muets forment une catégorie indénombrable. Certains habitants de la région du Pilat se présentent comme des non-locuteurs du patois ou des anciens locuteurs : ils prétendent ne pas savoir parler patois, parfois même ne pas être capables de le comprendre, ce qui est sans doute vrai dans de nombreux cas. Cependant, certaines de ces personnes sont décrites comme très compétentes par des dialectophones de leur village180. Il est impossible de savoir qui a raison puisque les locuteurs niant leurs compétences refusent de se soumettre à des tests linguistiques. Même si, par recoupements de témoignages, il est possible d’identifier quelques locuteurs muets, on ne peut savoir à quel point ils minimisent leurs compétences.

Notes
179.

N. Dorian signale l’existence, dans la communauté gaélique qu’elle a étudiée, de ces locuteurs muets, qu’elle a nommé disclaimer. Elle a pu tester les compétences de l'une de ces personnes qui niait son statut de locuteur (status speaker) et ne parlait le gaélique que quand elle ne voulait pas être comprise de son fils monolingue en anglais ; il s’avéra que ses compétences étaient assez élevées, plus importantes, par exemple, que celles d’un membre de sa famille du même âge qu’elle, qui se considérait comme locuteur et qui parlait très fréquemment gaélique (Dorian 1986a, p. 563).

180.

Par exemple à Saint-Genest-Malifaux (n° 13), Marlhes (n° 23) ou au Bessat (n° 11) : dans cette dernière localité, j’ai rencontré, lors de ma premier tentative d’enquête, qui était restée infructueuse, un homme âgé qui avait énergiquement prétendu ne presque rien connaître du patois, qu’il ne parlait jamais. Quand, par un intermédiaire extérieur au Bessat, s’organisa une enquête collective, cet homme était présent, comme spectateur précisa-t-il, mais il se révéla, malgré ce qu’il continuait à prétendre, être un témoin très compétent. Il était d'ailleurs considéré comme quelqu'un sachant parler patois par les témoins les plus compétents.