Les anciens locuteurs

Les anciens locuteurs forment une catégorie de dialectophones assez hétérogène. Ils ont acquis, pendant leur enfance qui s'est déroulée avant ou pendant le renversement linguistique, une compétence en patois assez importante. Ceux qui ont été élevés dans des familles où la langue quotidienne était le patois auraient pu devenir (ou rester) des locuteurs traditionnels si leur exposition à la langue régionale n'avait pas cessé précocement. Quant aux anciens locuteurs élevés dans des familles où l'on parlait français, ils étaient souvent exposés au patois à l'extérieur puisque cette langue était encore, durant leur enfance, très usitée. Ils ont donc pu développer des compétences passives au moins partielles. Mais quel que soit le niveau d'acquisition qu'ils avaient pu atteindre, l'ampleur du déclin des compétences en patois n'a pas été identique chez tous les anciens locuteurs (l’érosion dépend sans doute en partie de l’exposition ultérieure et de l’attitude envers le patois). Ils présentent donc aujourd'hui des niveaux de compétences très différents, qui peuvent s'échelonner depuis un oubli massif jusqu'à des compétences lexicales et phonétiques encore très élevées et une compétence passive presque intacte. En règle générale, ils évaluent mal leurs propres connaissances en patois et ils tendent à les sous-estimer. Toutefois, quelques-uns sont moins compétents qu'ils ne l'imaginent ou, parfois, qu’ils ne le laissent croire. Lors de la recherche de locuteurs traditionnels pour l'enquête de géographie linguistique, j'ai parfois rencontré certains locuteurs appartenant à cette catégorie. Ce fut par exemple le cas à Saint-Pierre-de-Boeuf (n° 8) avec le témoin A. : il était connu pour être patoisant, et il s’est présenté comme quelqu'un sachant parler patois. Mais ses compétences étaient très limitées, plus qu’il ne le pensait lui-même.