10.1.3. Un décalage fréquent entre compétences réelles et compétences supposées

Dans la région du Pilat, il ressort donc que les cas de surestimation des compétences sont peu nombreux : ils sont presque exclusivement le fait de certains anciens locuteurs et peut-être de quelques locuteurs tardifs âgés. Ces cas sont surtout attestés dans les localités où la vitalité du patois est très faible : ces locuteurs ont rarement l'occasion de confronter leur parler à celui d'autres dialectophones et ils sont souvent les derniers de leur village à connaître le patois, ou pensent être les seuls et ils passent, auprès des habitants, pour en être les derniers locuteurs (ce qui n’est pas toujours le cas).

A l'opposé, les personnes qui sous-estiment leurs compétences en patois sont très nombreuses. Elles se recrutent essentiellement parmi les locuteurs dont les compétences sont partielles : anciens locuteurs, semi-locuteurs jeunes ou âgés. Leur manque de pratique active mais aussi passive puisque le patois s'entend aujourd'hui rarement, explique ce décalage entre compétences réelles et compétences supposées.

Toutefois, pour les semi-locuteurs les plus compétents, même la pratique du patois ou les bons résultats à des tests linguistiques ne parviennent pas à modifier leur propre jugement sur leurs compétences : élevés de manière qu'ils soient non-locuteurs, ils persistent à se considérer comme tel même si leur exposition au patois leur a permis de développer de très grandes compétences181.

Quant aux locuteurs muets, on peut s'interroger sur la sincérité de leurs propos concernant leurs compétences : quand ils affirment qu'ils maîtrisent mal le patois, il n'est pas certain que ce soit réellement leur opinion. C’est plutôt ce qu'ils veulent laisser paraître, ne désirant pas passer pour des patoisants.

Notes
181.

V. Châtenet indique que, dans le village de Saône-et-Loire où elle a enquêté (Saint-Gervais-sur-Couches), les "personnes (les plus de 40 ans) connaissent très bien le patois et sont capables de le parler. Mais ils ne le font pas. Si on leur parle en patois, ils répondent en français" (Châtenet 2000, p. 38). Cette catégorie de locuteurs pourrait s’apparenter à celle des semi-locuteurs âgés de la région du Pilat.