Opinions des locuteurs tardifs âgés et des locuteurs muets

Les locuteurs tardifs âgés partagent les mêmes jugements que les locuteurs traditionnels, ce qui est également le cas, plus curieusement, des locuteurs muets. Certains de ces derniers sont même très sévères dans leurs jugements, parfois plus que les locuteurs traditionnels ou tardifs. Ces locuteurs muets, qui se présentent comme peu compétents, sont très sélectifs quand il s'agit de déterminer qui parle patois et qui le comprend : ils nient leurs compétences mais tendent aussi à minimiser celles d’autrui, locuteurs tardifs âgés, semi-locuteurs, anciens locuteurs. Seuls les jeunes locuteurs tardifs échappent à leurs critiques : s'ils admettent que ces jeunes locuteurs sont capables de parler patois, c'est en fait qu'ils le parlent "anormalement" bien pour leur âge.

Les femmes mariées à des locuteurs usagers du patois constituent la catégorie des locuteurs muets que je connais le mieux : malgré leurs dénégations, elles sont pratiquement toujours considérées par les locuteurs traditionnels, les locuteurs tardifs âgés, les anciens locuteurs mais également par les autres locuteurs muets comme des personnes capables de parler patois. L’opinion de ces locuteurs, dont certains sont très compétents, est un indice de plus qui donne à penser que ces locutrices sont plus compétentes qu’elles ne le prétendent. Il est d’ailleurs possible que, dans certaines circonstances, elles se laissent aller à parler patois, quoiqu’elles disent. De plus, elles parlaient peut-être encore patois il y a peu de temps (dans le cadre de certaines relations privilégiées, comme avec leurs parents ou leurs frères ou soeurs par exemple), ce dont se souviendraient les autres locuteurs de la même génération qu’elles. Par contre, les locuteurs plus jeunes, semi-locuteurs, ou jeunes locuteurs tardifs, sont souvent dupés par leurs propos et ils pensent qu’elles ne sont pas capables de parler patois (ou de le parler "correctement"). Dans certains cas, leurs propres enfants partagent cette opinion (par exemple le fils du témoin B. b. de Marlhes (n° 23), qui vit pourtant avec ses parents).

Outre certaines épouses de locuteurs traditionnels, quelques autres locuteurs muets sont connus des dialectophones du même village : ces derniers leur attribuent des compétences qu’eux-mêmes réfutent. Mais d’autres échappent sans doute à la connaissance des membres actifs de la communauté linguistique dialectophone : dans de tels cas, ils passent pour des non-locuteurs ou des anciens locuteurs.