L'évaluation par les dialectophones du nombre de locuteurs actifs ou passifs à l'intérieur d'un village ou d'un hameau témoigne des mêmes tendances contradictoires. Le choix de l'espace d'un village s'est imposé très rapidement quand il s'est agi de tenter de comparer les estimations de certains témoins : ils se sentaient totalement incapables d'évaluer les dialectophones habitant dans d'autres villages que celui dont ils étaient originaires (ou qu'ils habitaient depuis longtemps), même s'il s'agissait de localités très proches et/ou entretenant des liens étroits avec le leur. Pour leur propre localité, ils éprouvaient de grandes difficultés d’appréciation et ils se montraient en général très prudents dans leurs estimations (beaucoup ont proposé des fourchettes assez larges). La possibilité d'enquêter dans un hameau permettait des évaluations plus précises, aisées à confronter et presque exhaustives.
Dans les deux parties les plus conservatrices de la région du Pilat tout au moins, le haut plateau et le plateau intermédiaire, les habitants les plus âgés appartiennent en majorité aux catégories des locuteurs traditionnels, des locuteurs tardifs âgés, des locuteurs muets ou des anciens locuteurs182. On a vu que ces différentes catégories de dialectophones (à l’exception toutefois de certains anciens locuteurs) ont a peu près la même conception de ce que serait, selon eux, la capacité de "savoir parler patois" et de "pouvoir le comprendre" : ils sont d'accord pour attribuer à certains groupes de locuteurs une compétence active en patois (locuteurs traditionnels, locuteurs tardifs âgés, locuteurs muets et, partiellement, jeunes locuteurs tardifs), et à d'autres une compétence passive seulement (semi-locuteurs et certains anciens locuteurs). On pouvait donc s'attendre à ce que les locuteurs âgés fournissent des évaluations du nombre de dialectophones de leur village plus basses que celles estimées par les autres locuteurs (locuteurs tardifs jeunes, semi-locuteurs), dont les critères d'admission dans la communauté linguistique dialectophone sont plus larges.
Dans la vallée du Rhône, la situation est relativement différente. Les témoins, quel que soit le niveau de leurs compétences, hésitaient à formuler des évaluations, et quand ils fournissaient des estimations chiffrées, elles étaient trop faibles pour montrer des différences significatives entre les diverses catégories de locuteurs (certaines de ces catégories ne sont d’ailleurs représentées que par un seul témoin, et d’autres ne le sont pas du tout).