Tel qu'il est proposé par les semi-locuteurs, le nombre de personnes qui seraient capables de parler patois est toujours nettement plus élevé que celui indiqué par les locuteurs plus compétents : l’estimation des semi-locuteurs est environ de deux à quatre fois plus élevée. Cette appréciation des semi-locuteurs était également prévisible : moins "sévères" que les locuteurs plus âgés, dans leurs jugements sur la compétence d'autrui, les semi-locuteurs comptent comme dialectophones aptes à s'exprimer en patois un plus grand nombre de personnes.
La même tendance se vérifie quand les semi-locuteurs évaluent le nombre de personnes capables, selon eux, de comprendre le patois. Cette tendance est même plus marquée pour leur décompte des locuteurs passifs : les semi-locuteurs proposent des estimations au moins quatre fois plus élevées que la moyenne de celles proposées par les locuteurs plus âgés.
On observe toutefois des variations assez importantes dans les évaluations des semi-locuteurs. Ces différences ne peuvent être mises sur le compte de leur propre niveau de compétences. Ainsi, les jeunes semi-locuteurs ne proposent pas systématiquement des estimations plus élevées que celles des semi-locuteurs âgés : à Marlhes (n° 23), par exemple, le témoin D. b. du hameau de l’Allier, une femme née en 1947 et appartenant à la catégorie des jeunes semi-locuteurs, estimait à une centaine les personnes capables de comprendre le patois, alors que la plupart des semi-locuteurs plus âgés et plus compétents qu’elle pensaient qu’ils étaient nettement plus nombreux (de 200 à 400 selon les témoins).
La mentalité propre à un village, qu'elle soit favorable ou au contraire hostile au patois, semble jouer un rôle limité sur l'évaluation proposée par les locuteurs âgés. Par contre, elle peut influer sur celle des semi-locuteurs : à Saint-Genest-Malifaux (n° 13), où le patois est socialement réprouvé et où sa connaissance est considérée comme une caractéristique très dévalorisante, les semi-locuteurs tendent à proposer des évaluations assez basses. Ainsi, l’informatrice A. a. et sa fille A. b. évaluaient toutes deux à une dizaine les dialectophones actifs et à une cinquantaine les dialectophones passifs183. Il s’agit du seul exemple d’évaluations identiques entre témoin jeune et témoin âgé.
Même si l’on ne considère comme locuteurs actifs que ceux qui correspondent aux critères des témoins âgés, ces chiffres semblent assez faibles : à Saint-Genest-Malifaux, sept locuteurs traditionnels ont participé aux enquêtes linguistiques, et il aurait été aisé d’en rencontrer d’autres.