Consensus entre locuteurs

L'accord entre les locuteurs d'une communauté linguistique peut porter sur l'évaluation de la norme linguistique.

N. Dorian a montré que la notion de normes linguistiques partagées par rapport à la langue, qui permettraient de pouvoir considérer certains locuteurs comme des membres de la communauté linguistique, n’était pas satisfaisante dans la situation linguistique qu’elle décrivait (Dorian 1982). En effet, certains semi-locuteurs du gaélique dont les tests montraient qu’ils possédaient des compétences très limitées, étaient pourtant considérés par tous comme des membres de la communauté linguistique. Ces semi-locuteurs n’étaient pourtant pas conscients des nombreux écarts entre certains aspects de leur parler et ceux du parler des old fluent speakers (qui correspondent assez précisément aux locuteurs traditionnels de la région du Pilat). Le partage d’une norme linguistique n’est donc pas toujours un critère déterminant pour tracer les limites de la communauté linguistique. De plus, il faudrait parvenir à fixer un niveau de compétences permettant de respecter -suffisamment- cette norme pour pouvoir considérer certains locuteurs comme des membres de la communauté linguistique et pouvoir en exclure d’autres. Les tests que N. Dorian a effectués auprès de certains semi-locuteurs en présence de locuteurs plus compétents ont révélé que les personnes assistant à ces tests prenaient alors conscience du très faible niveau de compétences de personnes qu’ils considèrent comme des membres de leur communauté linguistique.

Dans la région du Pilat, il n'existe pas non plus d'accord sur une norme linguistique qui permettrait à tous les dialectophones de s'entendre pour inclure certains locuteurs dans la communauté linguistique et en rejeter d'autres, comme l'a montré la diversité des jugements sur les compétences d'autrui. Il n'y a pas non plus de consensus entre les dialectophones sur la variation géographique.

Une communauté linguistique pourrait également être définie par l'ensemble des locuteurs qui partagent un sentiment commun d'appartenance à un même groupe (la notion d'intégration symbolique mentionnée par J. Fishman). Ainsi, N. Dorian prend en compte le jugement des locuteurs pour parvenir à cerner la limite de la communauté linguistique gaélique qu’elle a étudiée. Mais aucun sentiment unanime ne relie entre eux les dialectophones de la région du Pilat : des locuteurs sont inclus dans la communauté linguistique par certains témoins, alors que d'autres estiment qu'ils n'en font pas partie. Quelques personnes prétendent savoir parler patois, ou être capable de le comprendre, tandis que d'autres pensent qu'ils n'en possèdent pas les compétences. Mais l'inverse est plus fréquent : certains locuteurs jugent qu'ils connaissent mal le patois. Pourtant, ils sont considérés comme compétents par d'autres témoins.

Quels que soient les critères envisagés, les dialectophones de la région du Pilat ne peuvent pas être considérés comme membres d'une même communauté linguistique : seules leurs compétences les réunissent, mais pour ne former qu'une communauté "virtuelle". Au cours du XXe siècle, la communauté dialectophone s'est "atomisée", divisée en une multitude de réseaux disjoints.