Etude Linguistique

Le domaine de l'étude linguistique est plus vaste que celui de l'étude sociolinguistique : alors que celle-ci portait sur les villages proches de la limite entre le francoprovençal et l'occitan, l'aire de l'étude linguistique a été étendue aux points voisins des atlas linguistiques (ALF et ALLy ; cf. Introduction, Les points d'enquêtes).

La description linguistique de cette région repose sur des données qui ne sont pas un reflet parfaitement fidèle de l'état actuel de la langue : recueillies essentiellement à partir d'enquêtes basées sur un questionnaire187 établi pour pouvoir dresser la cartographie de certains traits phonétiques, morphologiques ou lexicaux caractéristiques de cette région de rencontre entre le francoprovençal et l'occitan, ces données sont le témoignage d'un état de langue relativement archaïque. Les témoins principaux de ces enquêtes, locuteurs traditionnels ou locuteurs tardifs âgés (cf. Table des principaux témoins), étaient invités à fournir les mots les plus anciens dont ils pouvaient se souvenir. Certaines personnes ont mis à contribution leurs proches pour retrouver, entre deux enquêtes, des termes oubliés. La présence, lors des enquêtes, de patoisants peu compétents (semi-locuteurs, anciens-locuteurs ...) a été utile car ces locuteurs sont parfois les seuls à se souvenir d'un mot ancien (ayant peu pratiqué le patois depuis leur enfance, ils peuvent se souvenir de mots aujourd'hui tombés en désuétude). Des termes employés dans des villages proches ou issus des enquêtes anciennes ont parfois été suggérés : quand ils étaient acceptés par les témoins, la prononciation locale était notée. Toutefois, les emprunts, les hésitations, les doublets, les réponses réfutées après réflexion ont été prises en compte.

L'organisation de cette étude correspond au plan habituel de ce type de travail (phonétique, morphologie, lexique). Il ne s'agit pas d'une description exhaustive des parlers de la région du Pilat : l'étude des principaux traits distinctifs entre occitan et francoprovençal a été privilégiée (voir particulièrement les traitements de A précédé de consonne palatale, qui permettent de délimiter au sud le domaine francoprovençal), mais d'autres traits ont également été sélectionnés, parce qu'ils illustraient l'unité du domaine, l'intrusion du français ou le "délitement" de certains parlers.

En effet, au-delà de la description de la rencontre entre les deux langues régionales, des phénomènes qui pouvaient l'accompagner et de son éventuelle évolution, observable grâce à la comparaison entre les relevés anciens et les enquêtes récentes, l'étude des parlers de la région du Pilat pouvait permettre de mesurer l'influence du français dans les différentes parties qui composent le domaine. Dans la vallée du Rhône et, dans une moindre mesure, sur le plateau intermédiaire, le contact entre les parlers locaux et le français est plus ancien et plus intense que dans la région du haut plateau. Il était donc intéressant d'observer si cette proximité s'était traduite par des interférences entre le patois et le français, et de vérifier si cette francisation éventuelle pouvait être cartographiée et mise en relation avec le renversement linguistique, qui ne s'est pas opéré de la même façon et aux mêmes dates dans les diverses parties de la région du Pilat.

Il fallait également mesurer l'ampleur de l'influence du français : donnait-elle à la langue des locuteurs les plus compétents un caractère "métissé", désorganisant profondément le système linguistique ancien, ou restait-elle cantonnée à quelques pans peu importants, zones de fragilité importantes à identifier ? Dans une situation de changement de langue, la part de l'influence de la langue dominante sur les changements en cours dans la langue en déclin est discutée (voir Dorian 1978, Campbell - Muntzel 1989, Romaine 1989 par exemple) : les évolutions récentes que connaissent certains parlers de la région du Pilat s'expliquent-elles systématiquement par l'influence du français ou des parlers voisins, ou sont-elles le résultat de tendances internes ?

Chacune des grandes parties de l'étude linguistique (phonétique, morphologie, lexique) sera suivie d'une brève conclusion. Une synthèse générale permettra ensuite d'apporter des éléments de réponse aux différents points soulevés dans cette introduction et de les mettre en relation avec les enseignements de l'étude sociolinguistique.

Notes
187.

Ce questionnaire comportait environ 1200 entrées. Grâce à leur classement par thème, de nombreux mots ont pu être obtenus spontanément au cours des rencontres. Dans quelques localités (points 23,15, 32...), une partie seulement des 1200 mots a pu être demandée (au minimum 400, choisis à l'avance pour leur intérêt), pour des raisons qui tiennent surtout à l'âge des témoins (capacité de concentration, maladie, départ en maison de retraite, décès).