1.1.2. A accentué devenu final de bonne heure (carte 2)

1.1.2.1. A l'Ouest, A accentué devenu final de bonne heure devient o

Dans différents parlers francoprovençaux de Suisse romande (cf. Hasselrot p. 4650) ou de l'ouest du domaine francoprovençal, le A accentué devenu final par suite de l'amuïssement à date ancienne d'une consonne finale a subi un traitement particulier : alors qu'il est souvent resté a quand il était suivi de R ou S par exemple, le A accentué s'est vélarisé vers o quand il était suivi d'une dentale ou d'une labiale.

Mais dans certaines parties de l'ouest du domaine francoprovençal, la vélarisation récente du A accentué libre (cf. cidessus 1.1.1.) a, sembletil, "masqué" ce traitement ancien (cf. par exemple Gardette 1941a, p.177186 et carte 37). Estil possible de préciser si ce phénomène a affecté la région du Pilat, alors qu'elle a subi dans sa partie nordest et est l'influence de la vélarisation récente du A ?

Le dialecte de SaintEtienne (n° 1) est resté à l'écart de ce traitement : "a devenu final de bonne heure (ATE, ATU, AVE) est représenté par un à antérieur" (Straka 1954, p. 73 ; voir aussi Veÿ p. 2 et Vacher p. 35192). Par contre, la majorité du Forez, à l'exception du nordouest, connaît ce traitement, et en particulier le plateau de SaintBonnetleChâteau qui borde l'ouest de la région du Pilat193 (cf. ALF n° 816 et Gardette 1941a, p. 177181). En prolongement de cette aire, le A tonique final devient également o (quand il était suivi d'une dentale) dans l'extrémité nordest de la HauteLoire : la limite de ce traitement passe au sud de Riotord (n° 33, ALF n° 817), comme l'a montré P. Nauton (Nauton 1974, p. 4747 et carte 4).

Par contre, à l'est de la région du Pilat, ce traitement était inconnu dans les textes anciens du Dauphiné septentrional (cf. Devaux 1892, p. 104) et il n'apparaît pas dans l'extrémité nord de la Drôme, qui appartient pourtant au domaine francoprovençal (cf. Bouvier, p. 422425).

En fait, dans la région du Pilat, la vélarisation récente de A accentué et la vélarisation de A devenu final de bonne heure forment deux aires séparées. Voici quelques exemples de ce second traitement pour A suivi d'une consonne dentale (nous verrons dans le chapitre concernant les consonnes le traitement des mots terminés par une labiale (cf. ci-dessous 1.2.4.), car cette consonne se vocalise dans une partie de notre domaine) :

cantatu cantare bladu blados pratu pratos mercatu
"chanté" "chanter" "seigle"194 "blés" "pré" "prés" "marché"
Planfoy 6 ša to ša ta blo bla pro pra maršo
StRomain 9 tsa tò  tsa blò blá prò prá martsò
St Genest 13 tsa to tsa ta blo bla prò pra martso
Jonzieux 19 tsa to tsa ta bló blá martso
Marlhes 23 tsa to tsa ta blo bla pro pra martso
StRégis 24 tsa to tsa ta blò bla pró pró

Ces exemples montrent que seule la partie ouest de la région du Pilat, à l’exclusion de Riotord (n° 33) et de Saint-Etienne (n° 1), connaît la vélarisation du A devenu final de bonne heure, dans une aire qui correspond en partie au haut plateau du Pilat.

On constate qu'il existe une alternance entre l'infinitif et le participe passé masculin singulier des verbes en ARE dans cette aire de la région du Pilat : les formes pour "chanter" et "chanté" montrent que, contrairement à la région où, sous l'influence lyonnaise, le a accentué est devenu o ou a o, dans les six villages qu'englobe cette aire, seul le participe passé masculin singulier des verbes en ARE est en o, et il s'oppose donc nettement à l'infinitif, toujours terminé en a :

infinitif : ša ta ou tsa ta / participe passé masculin singulier : ša to ou tsa to

La finale R a donc empêché l'évolution de a vers o dans cette partie de la région du Pilat.

En faisant figurer, pour les continuateurs de BLADU et PRATU, les formes du pluriel, on peut remarquer que, dans ces six villages de la région du Pilat, il existe également une alternance entre les formes du singulier et celles du pluriel :

singulier o / pluriel a

Suivi de S, a est resté intact dans ces deux mots (sauf à SaintRégis (n° 24) où la forme du singulier du mot "pré" semble s'être généralisée195). Deux autres mots peuvent confirmer le rôle du S final, amuï plus tardivement, dans le maintien de a : NASU "nez" et LATUS "côté", dans l'expression "de l'autre côté"196, où il était terminé par s dans son emploi adverbial (Gardette 1941a). Dans cette aire où ATU > o, le A tonique devenu final est, dans ces deux mots, resté a :

Planfoy StRomain StGenest Jonzieux Marlhes StRégis
6 9 13 19 23 24
NASU - na - na na
LATUS la la la -
Notes
192.

Le mot "pré" est cité à plusieurs reprises dans les écrits de J. Vacher (p. 70, 132...), toujours sous la forme pra conformément à la phonétique francoprovençale, bien que le parler de l'auteur soit parfois influencé par ceux du haut plateau du Pilat où il passa une partie de sa petite enfance.

193.

Le plateau de SaintBonnet et le haut plateau du Pilat sont toutefois séparés par la vallée de l'Ondaine. Dans cette banlieue ouvrière de SaintEtienne, le patois a déjà presque totalement disparu : à propos de cette région, J.B. Martin signalait en 1979a dans "limite entre l'occitan et le francoprovençal dans le Pilat": "il est très difficile de trouver des patoisants" (Martin 1979a, p. 75, note 5).

194.

Le blé, autrefois moins fréquemment cultivé que le seigle avec lequel on faisait le pain, est appelé froma. Par contre, dans l'expression "de beaux blés", c'est un continuateur de la forme BLADU qui est généralement utilisé.

195.

La disparition de l'alternance singulier / pluriel résulte peutêtre d'une erreur du témoin principal. L'influence de son épouse, originaire de Tarentaise (n° 10) ne peut être invoquée car dans son village natal, le mot “ blé ” est bla au singulier comme au pluriel.

196.

Cette expression figure dans un des deux contes relevés à Annonay par CL. Fréchet. Elle est notée las mais la graphie occitane ne permet pas de connaître la prononciation réelle de -as. Par contre, dans ces deux contes, les participes passés masculins issus de verbes en ARE sont en a, notés -at (exemple : sias pas arrivat "tu n'es pas arrivé" (p. 71)...) ce qui montre qu’Annonay ne connaît pas ce traitement qui ne touche que l’ouest de la région du Pilat (Fréchet 1995, p. 71).