1.1.2.2. A accentué devenu final de bonne heure devient è

Ce traitement singulier ne concerne que trois villages de la région du Pilat. Mais il s'agit de localités voisines les unes des autres, qui forment ainsi une petite aire à la lisière nord de la limite entre occitan et francoprovençal (d’après l’isoglosse tracée en fonction du traitement de palatale + A, cf. ci-dessous 1.1.4.2.) (comparer la carte 2 avec le transparent). Dans cette aire, et dans cette aire uniquement197, on relève une finale è pour les mots "blé" et/ou blés", "pré" et/ou prés"198. Cette évolution peut, à première vue, paraître peu sûre, car les traitements ne sont pas tout à fait réguliers :

BLADU BLADOS PRATU PRATOS
"blé" "blés" "pré" "prés"
Brossainc 16 blè blè prè pra
Vinzieux 17 blè blá  prè prè
Félines 21 blè blá  prè pra

Ces données semblent pourtant indiquer que dans ces trois villages, ces deux substantifs se terminaient autrefois en è au singulier, et en a au pluriel. Mais il faut alors invoquer l'analogie (argument irrécusable ce qui en fait sa faiblesse) pour expliquer les irrégularités : Brossainc aurait adopté pour le mot "blé" la forme du singulier pour le pluriel et Vinzieux la forme du singulier pour le pluriel du mot "pré". Un mouvement inverse (sg. a, pl. è), statistiquement peu plausible à partir des données cidessus, est de plus infirmé pas les continuateurs de NASU et LATUS :

"nez" "côté"
Brossainc 16   (cóté, à deux reprises)
Vinzieux 17 na  
Félines 21 na la 

La présence d’un traitement particulier, attesté dans ces trois villages dont on verra qu’ils sont situés le long de la limite entre occitan et francoprovençal, est une caractéristique fréquente dans les régions frontalières. Dans la suite de cette étude, nous verrons que la région du Pilat connaît d’autres exemples de ce type.

La vélarisation de A accentué devenu final de bonne heure, qui ne concerne pas exclusivement les parlers francoprovençaux, illustre une autre particularité linguistique de la région du Pilat : comme d’autres traits phonétiques, morphologiques ou lexicaux le montreront, les parlers de la région du haut plateau connaissent une affinité étroite avec ceux du plateau de Saint-Bonnet-le-Château mais également, dans certains cas, avec les parlers du Velay ou du moins de la partie septentrionale du Velay.

A accentué devenu final de bonne heure connaît, dans le domaine étudié, trois traitements différents, sans compter l’évolution récente de A accentué vers o qui survient dans un contexte phonétique plus large. Ces traitements affectent un nombre restreint de substantifs (“ blé ”, “ pré ”, “ marché ” - en domaine occitan seulement pour ce dernier -...), mais ils sont toutefois d’une grande fréquence d’emploi par l’intermédiaire des verbes issus de la conjugaison latine des verbes en -ARE. Pourtant, ce trait distinctif n’a jamais été cité par les différents témoins des enquêtes quand ils évoquaient les différences entre le patois de leur village et celui d’une commune voisine. Pour les locuteurs les plus âgés, qui ont, plus souvent que les autres, employé le patois avec des habitants d’autres localités que la leur, le contexte devait suffire à lever les ambiguïtés que ces différences pouvaient engendrer, sans qu’ils aient, semble-t-il, jamais pris conscience de ces variantes : les locuteurs dialectophones étaient habitués à une variation linguistique plus importante que celle qui existe aujourd’hui en français.

Notes
197.

Il n'existe apparemment pas non plus de traitement similaire dans les régions voisines du Pilat (HauteLoire, Ardèche, Drôme, Forez...).

198.

L'influence du français sur les formes du singulier peut difficilement être invoquée car on voit mal pourquoi il y aurait eu un changement d'aperture entre le français en é et le patois en è.