1.1.3. A accentué précédé de consonne palatale (carte 3)

Le traitement de A précédé d'une consonne palatale est une des caractéristiques les plus importantes des parlers francoprovençaux. Depuis G. Ascoli, c'est à partir de ce traitement que l'on tente de délimiter le domaine francoprovençal. En effet, dans cette aire linguistique, A accentué ou atone final précédé d'une consonne palatale s'est palatalisé, alors qu'il est resté a (qui a éventuellement pu se vélariser en o, cf. cidessus 1.1.1.), quand une autre consonne le précédait. Les parlers francoprovençaux s'opposent en cela aux parlers occitans, qui maintiennent le a quelles que soient les précessions (le a a toutefois pu se vélariser en o en position finale). La palatalisation de A derrière consonne palatale étant un trait essentiel du francoprovençal, la limite de ce traitement a été précisément tracée sur tout le pourtour de ce domaine.

Le parler de SaintEtienne était de type francoprovençal : en effet, comme le précise G. Straka, "précédé de palatale, a accentué et libre s'est palatalisé en ia qui a fini par aboutir à (accentué sur i) et, dès le XVIIIe siècle, à i" (Straka 1954, p. 81 ; voir aussi Veÿ 1911, p. 4 et Vacher p. 35).

Le nordest du Forez palatalise lui aussi le A accentué libre précédé de palatale. Mais, si SaintEtienne connaît le traitement francoprovençal, le plateau de SaintBonnetleChâteau (ALF n° 816), situé à l'ouest du plateau intermédiaire du Pilat, est de type occitan : A accentué libre précédé de palatale reste a (Gardette, 1941a, p. 189190 et carte n° 39).

Au sudouest de la région du Pilat, l'ensemble du département de la HauteLoire est de type occitan, comme l'a montré P. Nauton : "le traitement francoprovençal de A accentué précédé de consonne palatale, comme celui de A atone final précédé de consonne palatale, ne s'observe pas, en général, dans la HauteLoire" (Nauton 1974, p. 48). Seuls CAPRA ts o ra "chèvre", mot "voyageur" dont on sait qu'il est souvent un mauvais témoin d'un traitement phonétique local, ainsi que quelques toponymes, présentent des formes avec palatalisation de A accentué.

A l'est de la région du Pilat, le Dauphiné septentrional palatalise toujours le A accentué précédé de consonne palatale (Devaux 1892, p. 111). L'isoglosse entre traitement francoprovençal et traitement occitan se situe plus au sud : elle sépare les localités les plus septentrionales de la Drôme de celles du reste du département. Le long de la vallée du Rhône, Albon (n° 36) est le dernier village francoprovençal de la région du Pilat avant que ne commence le domaine occitan (cf. Bouvier 1976, p. 3941 et carte n° 9).

Dans l’Ardèche, la région de la Louvesc, située immédiatement au sud de la région du Pilat, ne connaît pas le traitement francoprovençal de A accentué précédé de consonne palatale (cf. Dufaud 1986 et 1998). Au regard de ce trait, le patois d’Annonay est également occitan, comme le signale Cl. Fréchet (Fréchet 1995, p. 77).

Dans le nord de l'Ardèche et le sudest du département de la Loire, les isoglosses du traitement de A (accentué ou atone final) précédé de palatale sont longtemps restées relativement imprécises. En 1930, J. Ronjat faisait passer, dans cette région, la limite entre occitan et francoprovençal entre "Riotord et SaintGenestMalifaux, BourgArgental et SaintJulienMolinMolette, Peaugres et Serrières, Annonay et Andance" (Ronjat 1930, vol. 1, p. 19). En 1944, P. Gardette corrigea et précisa cette première évaluation dans l'est de la région du Pilat en dressant une carte du Forez qui comportait des localités en partie différentes de celles citées par J. Ronjat (Gardette 1983, p. 154, carte 2). Il rétablissait SaintGenestMalifaux (n° 13) en domaine occitan, et prolongeait la limite au nord de la Versanne (n° 20), de BourgArgental (n° 25) et de Colombier199.

La carte que dressa, en 1964, G. Tuaillon dans "Limite nord du provençal à l'est du Rhône" (p. 142) comportait de nombreuses localités dans la région de Davézieux (n° 31), Andance (n° 35) et Albon (n° 37), ce qui permettait de préciser le tracé de la limite entre occitan et francoprovençal dans cette partie de la région du Pilat : d'après G. Tuaillon, cette limite passait juste au sud des trois villages citées cidessus.

L'article de J.B. Martin intitulé "La limite entre l'occitan et le francoprovençal dans le Pilat" résultait d'une enquête qu'il avait effectuée en 1978 (Martin 1979a, p. 7588). Le fond de carte comporte 31 localités entre SaintEtienne et le Rhône, et l'auteur distinguait la limite du traitement de A accentué et de A atone final. Le tracé exact de la limite entre occitan et francoprovençal dans la région du Pilat était ainsi établi. Il confirmait les cartes de P. Gardette et G. Tuaillon, à quelques exceptions près sur lesquelles nous reviendrons, et les précisait.

Les résultats des enquêtes effectuées dans les années 1990 pour réaliser cette étude permettent de dresser une carte sur laquelle le tracé du traitement du A accentué précédé de palatale correspond à celui qui figure sur la carte 1 de l'article de J.B. Martin (Martin 1979a, p. 78), même si certaines des localités de chacune des deux enquêtes ne sont pas les mêmes (voir carte n° 3 où les points d'enquête de J.-B. Martin ont été reportés). Cette carte du traitement du A accentué précédé de palatale a été dressée en fonction du principe établi par G. Tuaillon dans "Limite nord du provençal à l'est du Rhône" : "il ne faut pas prendre un seul cas, mais tous les cas, et appeler francoprovençal tout parler dans lequel on décèle la moindre tendance à la palatalisation de A derrière consonne palatale ; sont provençaux les parlers qui ne présentent aucun cas de palatalisation du A" (p. 131). Tout village dans lequel j’ai relevé un cas de palatalisation de A dans ce contexte est donc inclus, sur la carte 3, dans l’aire grisée.

Notes
199.

Ce village situé au nord de Thélis (n° 14) et de SaintMarcel (n° 15) ne fait pas partie des points d'enquête de cette étude ; cf. la carte 3 sur laquelle ont été ajoutés, en italique, les points de l'enquête de J.-B. Martin.