1.1.4.1. A atone final non précédé de consonne palatale (carte 6)

Conformément au traitement général du A, A atone final reste a en domaine francoprovençal, alors qu'il a évolué, à date récente, en o dans l'est du domaine occitan (parlers méditerranéens, provençaux et rhodaniens, cf. Bouvier 1976, p. 409).

Le parler de SaintEtienne (n° 1) relève du domaine francoprovençal par le traitement du A atone final. G. Straka indique que "comme partout en francoprovençal, a non précédé de palatale s'est maintenu" (Straka 1954, p. 96) et E. Veÿ ajoute que ce traitement est systématique au XVIIe siècle : "toutes les fois que A final est resté a, c'est qu'il était soustrait à l'influence de la palatale" (Veÿ 1911, p. 51). J. B. Martin note que, dans les oeuvres de J. Vacher, qui datent de la seconde moitié du XIXe siècle, "on observe cependant des exceptions, car le a ou le i atone final est parfois remplacé par e". Mais, dans le cas du a, la substitution graphique s'explique par des raisons stylistiques ("pour les besoins de la rime" Vacher, p. 35). Le maintien de la voyelle atone finale a est confirmé, dans une lettre manuscrite adressée à J.-B. Martin, par un érudit habitant le Bessat qui avait réalisé une brève enquête dialectologique sur le parler de son village pour le compte de P. Gardette. Cet homme, dont la mère était originaire de Saint-Etienne écrivait en 1980 que le a atone final s'était maintenu "jusqu'au bout" dans le patois stéphanois, ajoutant même "tellement bien qu'il semblait parfois attirer l'accent : f'na "femme"" (Januel 1980).

P. Gardette a montré qu'à l'ouest de la région du Pilat, le Forez est divisé en deux par le traitement de A atone final : les parlers de l'est présentent un a final alors qu'à l'ouest, A a évolué en a o. L'isoglosse qui sépare ces deux traitements parvient jusqu'aux abords de SaintEtienne, laissant présager que la région du Pilat pourrait également être partagée par le traitement occitan opposé au traitement francoprovençal (Gardette 1941a, p. 153156 et carte 32).

Cette division est d'autant plus probable que le nordest de la HauteLoire ne connaît que l'évolution occitane qui fait évoluer le A atone finale en a o, prolongeant ainsi l'aire forézienne qui suit la même évolution (cf. Nauton 1974, p. 4950 et carte 5).

Cette aire où A > a o englobe les parlers du nord du Vivarais situés au sud de la région du Pilat, comme le montrent certains mots cités dans l'article de G. Massot (Massot 1980, p. 224225 ; cf. aussi Dufaud 1986, p. 21 pour la région de La Louvesc).

A propos de l'est de la région du Pilat, A. Devaux signale que "le maintien de a final est général dans le nord du Dauphiné ; ce n'est que sur la lisière francoprovençale qu'il s'affaiblit en o, comme dans le provençal moderne (Devaux 1892, p. 22) et J.Cl. Bouvier a montré que la limite entre les voyelles a et o finales passe juste au sud d'Albon (n° 36) (Bouvier 1976, p. 410, carte 62).

On voit donc que l'axe SaintEtienne (n° 1) / Albon (n° 36) semble à nouveau diviser la région du Pilat. En effet, le A atone final s'est vélarisé à Annonay : si, dans les deux contes que Cl. Fréchet a publiés, la graphie occitane note a la voyelle finale issue de A, l'auteur indique que "A atone final a évolué en a o" (Fréchet 1995, p. 71). A Pélussin (n° 4) par contre, le A atone final est resté intact (Champailler, p. 238), tout comme à Véranne (n° 12) (Martin 1983, p. 216). Les cartes 701 “ fenêtre ” ou 706 “ table ” de l’ALLy ou la carte 1273 de l’ALF par exemple montrent que dans les localités situées au nord de l’isoglosse de A tonique précédé de consonne palatale (SainteCroix (ALLy 62, n° 2), La Valla (ALLy 67, n° 3), Clonas (ALLy 65, n° 5), Roisey (ALLy 66, n° 7), Clonas (ALF 829, n° 5)), la finale est -a, alors que dans celles situées au sud de l’isoglosse (SaintRomain (ALLy 67, n° 9), Riotord (ALF 817, n° 33), SaintSauveurenRue (ALLy 69, n° 29), Boulieu (ALLy 70, n° 30), Vanosc (ALLy 71, n° 34) et Ardoix (ALLy 73, n° 37)), le A atone final s’est vélarisé.

Dans l’ensemble de la région du Pilat, A atone final peut aujourd’hui être représenté par quatre résultats différents : o, a o, a ou e. De plus, dans certaines localités, la voyelle finale s’est amuïe. Rares sont les localités de la région du Pilat qui présentent un seul type de finale. Mais, à travers le polymorphisme ambiant, il est possible de discerner différentes aires. Le tableau cidessous indique la fréquence de chacun des types de voyelles atones finales issues de A dans les 37 localités de la région du Pilat :

o a a o e ø
SaintEtienne 1 +++
SainteCroix 2 ++ +
La Valla 3 +++
Pélussin 4 ++ +
Clonas 5 ++ +
Planfoy 6 +++
Roisey 7 ++ +
SaintPierre 8 + + +
SaintRomain 9 ++ +
Tarentaise 10 ++ + +
Le Bessat 11 ++ +
Véranne 12 ++ +
SaintGenest 13 +++
Thélis 14 ++ +
SaintJulien 15 ++ +
Brossainc 16 ++ +
Vinzieux 17 + + ++
Limony 18 ++ +
Jonzieux 19 ++ +
La Versanne 20 +++
Félines 21 + ++
Serrières 22 + + ++
Marlhes 23 +++
SaintRégis 24 +++
BourgArgental 25 +++
SaintMarcel 26 ++ ++
Savas 27 ++ ++
Peaugres 28 ++ ++
SaintSauveur 29 + ++
Boulieu 30 + ++
Davézieux 31 + ++ +
Champagne 32 ++ +
Riotord 33 +++
Vanosc 34 +++
Andance 35 ++ + +
Albon205 36 ++ + +
Ardoix 37 ++ +

Légende :

+++ indique que la forme est nettement majoritaire

++ indique que la forme est fréquente

+ indique que la forme est relativement rare

Ces données permettent des constatations intéressantes :

  • Malgré le polymorphisme, le fait majeur reste la bipartition du domaine : le nord du domaine présente surtout des formes en a, tandis que la finale o est majoritaire au sud du domaine.

  • Dans cette dernière partie de la région du Pilat, Riotord (n° 33) et les localités de la Loire "occitane", c'estàdire la région que P. Gardette appelle "le Forez provençal" (cf. par exemple Gardette 1983, p. 149-171) présentent presque toujours le son o, finale fréquemment majoritaire (sauf à SaintSauveur (n° 29) où a o prédomine).

  • Ce dernier village fait la transition avec le nord de l'Ardèche où, en excluant les villages de la frange la plus septentrionale, la voyelle finale o, qui reste la plus fréquente, coexiste avec a o, comme par exemple à Davézieux (n° 31), ou avec a (à Andance (n° 35) ou Ardoix (n° 37)).

  • A l'extrémité nordest de la région du Pilat, dans une aire formée par les villages de SainteCroix (n° 2), Pélussin (n° 4), Roisey (n° 7) et Clonas (n° 5), les formes a, majoritaires, sont concurrencées par quelques formes en a o. Ce son intermédiaire n'est pas, comme à proximité de la limite entre le domaine occitan et le domaine francoprovençal (d’après la limite établie temporairement à partir de A accentué précédé de palatale), un indice de la transition entre les deux langues régionales. Il s'agit en fait de l'influence du traitement "lyonnais" de A accentué qui tend à devenir a o ou même o dans cette région (cf. ci-dessus 1.1.1. et carte 1). Cette tendance s’est étendue à certains A atones finaux, sans que ces A ne parviennent toutefois jusqu'au stade o.

  • La coexistence, à une fréquence égale, des formes en a et des formes en o n'existe que dans les localités proches de la limite entre occitan et francoprovençal : Savas (n° 26), Peaugres (n° 28), Champagne (n° 32)...

  • Quelques villages connaissent parfois un affaiblissement en e de la voyelle finale. Ces localités ne forment pas une aire cohérente mais elles sont toutes situées dans la Vallée du Rhône (SaintPierre (n° 8), Serrières (n° 22), Albon (n° 36)) ou à proximité de celleci (Vinzieux (n° 17)) et elles ne sont jamais très éloignées de l'isoglosse de A accentué précédé de palatale.

  • Enfin, la chute de la voyelle atone finale occupe une aire qui englobe de nombreux villages de la vallée du Rhône et une partie de ceux situés au nord de l'isoglosse du A accentué précédé de palatale, dans une région un peu plus vaste que celle où ARE précédé de palatale était représenté par des résultats très divers (région nommée pour cette raison "aire de transition" dans le chapitre ci-dessus 1.1.3.2.).

La cartographie permet de visualiser la rencontre ancienne entre le traitement occitan et le traitement francoprovençal de A atone final, le caractère "métissé" de certains parlers situés à proximité de la limite entre les deux domaines et l'irruption récente de phénomènes secondaires dans la zone frontalière (voir carte 6).

Pour avoir une vue plus générale des évolutions de A atone final non précédé de palatale dans la région du Pilat, seules les formes majoritaires (notées +++ dans le tableau cidessus) ou fréquentes (++) ont été retenues pour a et o. La finale a o a été associée tantôt à la finale a, tantôt à la finale o, selon qu'elle coexiste avec l'une ou l'autre finale (aucune localité du domaine ne présente, à un niveau significatif, les trois finales à la fois). Par contre, la carte 6 représente, sous forme de hachures blanches, l'extension de la finale e et celle de la chute de la voyelle finale (ronds noirs) même si ces deux traitements sont le plus souvent peu fréquents. Ainsi, ces données disparates s'ordonnent de façon cohérente.

Notes
205.

Pour cette localité, les données proviennent du GPFPP et de Bouvier 1976, p. 411 et carte 62.