1.1.4.2. A atone final précédé de consonne palatale (cartes 7, 8, 9, 10)

Le traitement de A atone final précédé de consonne palatale est, avec le traitement de A accentué précédé de palatale, le critère principal qui permet de distinguer les parlers occitans des parlers francoprovençaux. Tandis qu'en occitan le A subsiste intact ou s'affaiblit en -o à date récente (cf. ci-dessus), en francoprovençal le A atone final précédé de consonne palatale se palatalise et aboutit à i, qui parfois finit par disparaître.

Une partie du Forez connaît le traitement francoprovençal de A atone final précédé de palatale mais P. Gardette a montré que l'isoglosse de ce traitement ne coïncidait jamais, dans son domaine d'enquêtes, avec l'isoglosse de palatale + A accentué : cette dernière "étant beaucoup plus orientale" que la première (Gardette 1941a, p. 187 ; voir aussi carte 39). L'auteur de la Géographie phonétique du Forez suppose d'ailleurs que "au Sud du Forez ces deux limites doivent se réunir assez vite, car Saint-Etienne a le traitement francoprovençal dans les deux cas et Bourg-Argental a le traitement provençal dans les deux cas" (Gardette 1941a, p. 187).

Dans le parler stéphanois, le A atone final précédé de palatale connaît en effet la même évolution que le A accentué placé dans un contexte identique : "après palatale, -a en finale absolue a abouti à -i, comme partout en francoprovençal" (Straka 1954, p. 99 ; cf. aussi Veÿ p. 51). Mais J.-B. Martin note que la finale i tend parfois à disparaître dans les oeuvres de J. Vacher : "le remplacement de i par e a lieu parfois sans raison apparente et est dû probablement à une francisation" (Vacher, p. 35). C. Januel signale d'ailleurs que cette évolution est arrivée à son terme bien avant l'extinction totale du parler stéphanois. En 1980, il écrit : "il y a belle lurette qu'à Saint-Etienne, les atones finales -u et -i étaient tombées".

Les parlers de la Haute-Loire ignorent le traitement francoprovençal de A précédé de palatale, que ce A soit accentué ou en position atone finale (Nauton 1974, p. 49-50), comme ceux de la région de la Louvesc (Dufaud 1986, p. 20).

A l'est du Rhône, G. Tuaillon ou J.-Cl. Bouvier ont montré que le traitement de A atone final précédé de palatale concernait les parlers les plus septentrionaux de la Drôme (Tuaillon 1964 ; Bouvier 1974, p. 41 et carte 9), tandis que, pour le Nord-Dauphiné, A. Devaux indique que "quand a final est précédé d'un son palatal, c'est-à-dire d'un i, d'un yod primaire ou secondaire, il disparaît, ou plutôt ya se réduit à i" (Devaux 1892, p. 222).

Pour ce qui concerne la région du Pilat, Cl. Fréchet note que le parler d'Annonay est de type occitan (Fréchet 1995, p. 77) tandis que J.-B. Martin indique que dans les parlers de Véranne (n° 12) et de Pélussin (n° 4) A atone final précédé de palatale s'est palatalisé (Martin 1983, p. 216 et Champailler, p. 238). Dans l'article décrivant la limite entre occitan et francoprovençal dans le Pilat, J.-B. Martin a distingué le traitement de A accentué et de A atone final, montrant que les isoglosses de ces deux évolutions ne se juxtaposaient pas exactement (Martin 1979a, p. 78-82 et cartes 1, 2 et 3). Les enquêtes effectuées pour cette étude, postérieures d'une vingtaine d'années et qui portent sur un nombre de mots plus élevé, permettent de tracer une limite de palatalisation de A atone final presque identique à celle dressée par J.-B. Martin (voir la carte 7 sur laquelle les points de l'enquête de 1979 ont été reportés, et qui montre l'extension maximale de la palatalisation de A atone final précédé de palatale).

Certains villages méritent quelques explications particulières :

vacca *blank+A branca planca
vache blanche branche planche
Brossainc 16 v a o ši bla š bra š pl a ši
Serrières 22 v a ši bla š bra š pla š

Dans cette région où la voyelle atone finale a tendance à disparaître ou à s'affaiblir en e, la présence d'un i en finale est la preuve qu'autrefois A atone final s'est palatalisé derrière palatale. Aux exemples ci-dessus, on peut rajouter par exemple, pour Brossainc (n° 16), le nom du département :

Par contre, à Serrières (n° 22), v a ši "vache" est le seul exemple obtenu spontanément sur plus d'une trentaine de mots susceptibles d'illustrer le traitement francoprovençal de palatale + A atone final. La présence, dans certaines occurrences, de la finale -a dans le mot bla š par exemple s'explique par l'analogie avec la finale provenant de A atone final non précédé de palatale. L'exemple unique du mot v a ši constitue une preuve bien ténue, mais l'emprunt à un village plus septentrional peut être exclu : le poème en patois serrièrois daté de 1909 apporte la confirmation que dans le parler de Serrières (n° 22), le traitement francoprovençal de palatale + A atone final est bien autochtone (Revoil 1909). Dans cette Poési patuéza, de nombreuses formes présentent un i final : valsi "valse", sagi "sage" (deux fois), jeunessi "jeunesse", diomanchi "dimanche"...

  • L'enquête sur le parler du Bessat (n° 11) de C. Januel confirme cette évolution diachronique déjà signalée dans le parler stéphanois : effectuée en 1965, cette enquête montre qu'à l'époque, le Bessat connaissait la finale atone -i. Voici quelques mots relevés par C Januel et ceux que les témoins de l'enquête récente ont fournis :

le Bessat (n° 11) enquête de 1965 enquête de 1993
cloche kl o ši kloš
pioche py a uši pyauš
cage à fromage šaz é iri šazéir
faux d a yi day

Il faut noter que dès 1965, certains A finals précédés de palatales disparaissaient ou étaient représentés par -a : ex. b i za "vent du Nord"... En 1978, J.-B. Martin obtenait encore -i dans ses quatre mots-témoins : "vache", "planche", "branche" et planche". Par contre, sur une trentaine de mots susceptibles de présenter le -i final, je n'en ai entendu aucun en 1993. La chute de la voyelle finale caractéristique du francoprovençal est donc assez récente. L'image négative et la vitalité faible du patois dans ce village explique peut-être cette "dégradation" : le village voisin de Tarentaise, resté à l'écart des vagues de touristes qui ont envahi le Bessat depuis très longtemps, montre une conservation presque absolue de la finale -i.

  • A Champagne (n° 32), les mots-témoins ne comportent jamais la finale -i. Le plus souvent, A est représenté par -a ou -o, et, dans quelques mots seulement, par -e. Faut-il considérer cette dernière voyelle comme une trace du traitement francoprovençal de A atone final ? Le chapitre précédent a montré que -e pouvait provenir de A atone final non précédé de palatale, et que cette évolution survenait aussi bien dans les parlers occitans que dans les parlers francoprovençaux (d'après le traitement de A accentué précédé de palatale). C'est par exemple le cas à Davézieux (n° 31) et à Andance (n° 35), ou dans la région voisine du nord de la Drôme, où l'affaiblissement de A en -e est même propre aux localités occitanes situées au sud de la limite entre occitan et francoprovençal (cf. Bouvier 1976, carte 62). Il n'est donc pas possible, à partir des données fournies par le dernier ou l'un des derniers locuteurs traditionnels de Champagne, de considérer que le parler de ce village appartient au domaine francoprovençal par le traitement de A atone final. D'après les enquêtes récentes, l'isoglosse de ce trait phonétique passe donc au nord de Champagne (n° 32).

  • Le patois de Davézieux (n° 31) avait été considéré par G. Tuaillon comme francoprovençal d'après le seul traitement de palatale + A atone final, et parce que ce A était représenté par -e (Tuaillon 1964, p.131, carte p. 142). Mais, comme le relève J.-B. Martin, A atone final non précédé de palatale est également représenté par -e dans les relevés du GPFP sur lesquels s'est appuyé G. Tuaillon (Martin 1979a, p. 82). Dans les enquêtes effectuées pour cette étude, les deux témoins n'ont fourni que quelques formes en -e, proportionnellement pas plus nombreuses dans les mots en palatale + A final que dans ceux en A final non précédé de palatale. Tous les mots présentaient une voyelle atone finale, qui était en général -a, parfois -o, mais jamais -i. D'après ces données, le patois de Davézieux (n° 31) ne peut être considéré comme francoprovençal d'après le traitement de palatale + A. Mais, contrairement aux villages du Bessat (n° 11) et de Champagne (n° 32), il ne s'agit pas d'un recul du traitement francoprovençal : il y a une vingtaine d'années, J.-B. Martin excluait également Davézieux du domaine francoprovençal (cf. Martin 1979a, carte 3).

  • G. Tuaillon avait également placé Andance (n° 35) en domaine francoprovençal. Les relevés du GPFP indiquent des formes sans voyelle atone finale :

- bla š "blanche"(1445), fil "fille" (3707), vaš "vache" (9658)...

Si les témoins des enquêtes récentes ont parfois fourni quelques formes en -e, dans des mots issus de palatale + A final comme dans des mots où A n'était pas précédé de palatale, je n'ai pas relevé de mots sans voyelle atone finale : palatale + A atone final est représenté par -a dans presque tous les cas.

Quelles que soient les raisons qui expliquent ce décalage (régression de la tendance à la chute de la voyelle atone finale, origine des témoins, mode d'enquête...), le patois d'Andance (n° 35), qui ne figure pas sur les cartes de l'article de J. B. Martin, doit être considéré, d'après les données récentes, comme occitan d'après le traitement de A atone final.

  • Evolution de l'isoglosse de A atone final entre 1979 et 2000.

La carte 7 additionne les points d'enquête de J.-B. Martin et ceux de cette étude. Elle montre l'extension maximale du traitement francoprovençal de A atone final. Sur la carte suivante (carte 8), qui ne comporte que le nom des localités dans lesquelles j'ai effectué des enquêtes, ont été dessinées l'isoglosse tracée à partir des données de 1979 et celle que les données récentes permettent de tracer. Malgré des enquêtes portant sur un nombre de mots plus important, aucun nouveau village possédant le traitement francoprovençal n'a pu être dépisté. Mais on observe un décalage entre les deux isoglosses en deux points, le Bessat (n° 11) et Champagne (n° 32).

Dans cette dernière localité, le traitement francoprovençal n'est aujourd'hui plus observable, soit parce que, par analogie, -i final a été remplacé par -a, -o, parfois -e ou s'est amuï, soit parce que le déclin du patois est trop avancé, si l'on suppose que le dernier informateur disponible n'est pas un excellent témoin du parler de Champagne puisqu'il pourrait être originaire d'un hameau proche du plateau intermédiaire.

Au Bessat (n° 11), le traitement francoprovençal est à peine perceptible : même si l'amuïssement de la voyelle atone finale survient presque uniquement derrière consonne palatale, certains A finals non précédés de palatale disparaissent également ou ont été remplacés par -o : seules les données anciennes (Januel 1980, Martin 1979a) permettent d'avoir l'assurance que le patois de ce village doit être classé parmi les parlers francoprovençaux.

A Serrières (n° 22), un seul mot sur plus d'une trentaine, un mot qui aurait pu passer pour un emprunt sans le témoignage du poème local, montre encore l'appartenance de cette commune au domaine francoprovençal. La chute du -i final ne peut être un indice probant : à Serrières (n° 22), l'amuïssement de la voyelle finale issue de A final non précédé de palatale est un phénomène fréquent.

Dans certains villages, comme Pélussin (n° 4), -i s'est affaibli en -e à date récente. Comme les données actuelles de Brossainc (n° 16), Serrières (n° 22) ou du Bessat (n° 11) le montraient, la finale -i, caractéristique du traitement francoprovençal, tend à disparaître complètement dans de nombreuses localités. Cette évolution était même totalement achevée à Saint-Etienne (n° 1) quand le patois s'éteignit. A Véranne, -i final s'est également amuï (cf. Martin 1983, p. 216). Par analogie avec A atone final non précédé de palatale, certaines formes présentent parfois la finale -a, ou -o à Tarentaise (n° 10), village qui appartient à l'aire de vélarisation de A atone final non précédé de palatale. L'affaiblissement en -e du -i final ne semble pas être une étape systématique : au Bessat (n° 11), C. Januel signalait dès 1965 la raréfaction de -i, mais il n'indique pas de formes en -e, et je n'en ai relevé aucune une trentaine d'années plus tard, alors que le -i avait disparu. De même, à Brossainc (n° 16) ou Serrières (n° 22), où le -i final est aujourd'hui très rare, il s'est amuï sans que des formes en -e ne soient attestées.

Si l'on compare l'isoglosse actuelle de A atone final précédé de palatale (carte 7) avec l'aire où A atone final non précédé de palatale tend à s'amuïr (carte 6, aire hachurée de blanc), on peut constater qu'il existe une certaine coïncidence entre l'amuïssement du A atone final précédé ou non de consonne palatale : les parlers connaissant parfois la chute de la voyelle atone finale derrière une consonne non palatale sont des parlers qui connaissent également, mais à une fréquence beaucoup plus importante, cet amuïssement derrière consonne palatale. Le traitement presque systématique de palatale + A final est-il à l'origine de la tendance vers l'amuïssement de A final non précédé de palatale ? L'influence est possible, mais on peut remarquer qu'à Véranne (n° 12), l'amuïssement de la voyelle finale est systématique derrière palatale mais n'existe pas derrière consonne non palatale. A Pélussin (n° 4), ou A final non précédé de palatale s'est par contre maintenu, A final précédé de palatale donne -e. Il est vrai que ces deux localités sont plus éloignées de la limite entre occitan et francoprovençal et qu'elles sont donc dans une position moins "fragile" que les villages situés à la lisière du domaine francoprovençal. De plus, une autre évolution phonétique propre à de nombreux parlers francoprovençaux de la région du Pilat peut également avoir exercé une influence : il s'agit de l'amuïssement du A de la finale AS (cf. ci-dessous 1.1.4.1.).

  • Isoglosses de A atone final et de A accentué précédés de consonne palatale :

la limite du domaine francoprovençal (carte 9)

Comme le supposait P. Gardette (Gardette 1941a, p. 187) et comme l'a montré J.-B. Martin (Martin 1979a), la limite de palatalisation de A atone final et celle de A accentué sont très proches dans la région du Pilat. La carte 9 montre qu'elles ne coïncident toutefois pas parfaitement : trois points d'enquête ne connaissent qu'un seul des deux traitements francoprovençaux. A Tarentaise (n° 10) et au Bessat (n° 11) - jusqu'à une date récente seulement dans ce dernier village - seul A atone final précédé de palatale présente des cas de palatalisation : A accentué reste a. Au contraire, à Champagne (n° 32), il ne subsiste aujourd'hui des indices de palatalisation que pour A accentué précédé de palatale. J. B. Martin avait déjà constaté de tels décalages dans deux autres localités de la région du Pilat (Martin 1979a, p. 81, carte 3) : le cas de Saint-Jacques, village proche de Brossainc est similaire à celui de Champagne (n° 32), et celui de Eteize, près de Savas, analogue à celui de Tarentaise (n° 10) et du Bessat (n° 11)206.

Ces deux limites ont peu évolué à la fin du XXe siècle. On observe un faible rétrécissement du domaine francoprovençal, moins sous l'influence directe des parlers occitans voisins que par un processus interne d'analogie, qui ne permet plus de les distinguer des parlers occitans voisins, ou par des évolutions particulières qui gomment les caractéristiques francoprovençales de ces parlers plutôt qu'elles ne les amènent à se conformer à la phonétique occitane, même si ces deux processus récents (analogie et évolution locale) sont évidemment favorisés par la position inconfortable de ces parlers situés aux confins de deux aires linguistiques importantes. Ces évolutions s'expliquent par la situation sociolinguistique de la région du Pilat au cours du XXe siècle : la vitalité du patois diminue, ce qui favorise le développement de l'analogie. Par contre, l'emploi de la langue locale se cantonnant de plus en plus au cadre du village et même de la famille ou de réseaux de proches, les occasions d'emprunt récent aux parlers voisins sont limitées.

Grâce aux traitements de A précédé de palatale, on peut tracer la limite entre domaine occitan et domaine francoprovençal (traits gras sur la carte 9 et sur le transparent). Elle ne recoupe pas de limite historique ou géographique très marquée. Elle ne présente pas non plus de lien avec la distinction en trois parties de la région du Pilat, effectuée pour décrire la situation sociolinguistique du domaine (haut-plateau, plateau intermédiaire et vallée du Rhône). Mais ce découpage se justifie en grande partie par des différences relativement récentes, liées à l'avancée du français, alors que la limite entre occitan et francoprovençal est sans doute ancienne. Cette frontière, très importante pour la description linguistique de la région du Pilat, n'en n'est pas une pour les locuteurs actuels. Seul le traitement du A atone final a été mentionné spontanément, et dans un seul village : les habitants de Planfoy (n° 6) ont signalé que leurs voisins de Tarentaise (n° 10) prononçaient parfois un -i à la fin de certains mots, à la place du -o habituel du patois de Planfoy.

La délimitation des domaines occitan et francoprovençal portant sur un trait phonétique précis, il est nécessaire, pour décrire la situation géolinguistique de la région du Pilat, d'envisager d'autres traits distinctifs.

Notes
206.

Cf. carte 7 pour la localisation de Saint-Jacques et Eteize.