1.2.1.1. Nasale devenue finale derrière A

1.2.1.1.1. cas de N devenu final derrière A (carte 20)

Le dialecte de Saint-Etienne (n° 1) connaît la nasalisation de A suivi de N final : les textes anciens présentent, par exemple, les formes mõ "main", põ "pain", demã "demain"... (Veÿ 1911, p. 14 et p. 135-138 ; voir aussi Vacher p. 37-38).

Les parlers du Dauphiné septentrional connaissent la même évolution, ainsi que ceux d'une grande partie de la Drôme (Bouvier 1976, p.365 et carte 54).

Voici quelques formes pour les localités de la région du Pilat situées de part et d'autre de la limite entre nasalisation de la voyelle et amuïssement de N final :

de-mane manu pane grane
"demain" "main" "pain" "grain"
la Valla 3 dem a u m a u -
Planfoy 6 demo mwo pwo gro
Tarentaise 10 dem a o mw a o grõ
Saint-Genest 13 demwo mwo pwò gro
le Bessat 11 dem oe o m a o grõ
Thélis 14 demo m a o gru
la Versanne 20 demò mwo gra
Saint-Julien 15 demõ grõ
Bourg-Argental 25 - me pe gra
Saint-Marcel 26 demó gra
Boulieu 30 demã -
Savas 27 demã gra
Peaugres 28 demã grã
Davézieux 31 demã gra
Andance 35 demo / demõ gra
Champagne 32 demã me grã
Ardoix 37 demò õ -
Vanosc 34 demã -
Saint-Sauveur 29 demò -

On voit que rares sont les villages qui connaissent un traitement unique pour ces quatre mots : seuls Saint-Julien (n° 15), Peaugres (n° 28), Champagne (n° 32) présentent une voyelle nasale dans chacune des quatre formes (et pour Boulieu (n° 30) et Vanosc (n° 34), dans trois formes sur trois).

A l'inverse, Planfoy (n° 6), Saint-Genest (n° 13), la Versanne (n° 20) et Saint-Sauveur (n° 29) délimitent l'aire où A suivi de N devenu final ne se nasalise jamais (cf. l'aire en blanc sur la carte 20). Cette région correspond à peu près à celle ou A tonique devenu final de bonne heure devient o, celle où la diphtongue AU se maintient encore très bien, celle aussi où -AS atone final devient -é, et elle correspond également à la partie occitane du haut plateau. Ces caractéristiques communes affirment l'identité particulière de cette partie de la région du Pilat.

L'absence de nasalisation dans les mots "main" et "demain" à la Valla (n° 3) et Tarentaise (n° 10) peut s'expliquer par la tendance, attestée à Saint-Etienne (n° 1) à la dénasalisation des voyelles õ, i et u derrière m (cf. Straka 1954, p. 87 et Vacher p. 39).

La région qui présente systématiquement la nasalisation de A suivi de N devenu final s'étend, dans le nord de l'Ardèche, légèrement plus au sud que la région de palatalisation de A accentué ou final (comparer la carte 20 avec le transparent). Par contre, dans la Loire, les villages de la Valla (n° 3), Tarentaise (n° 10) et le Bessat (n° 11), localités francoprovençales d'après le traitement de A précédé de palatale présentent des formes sans nasalisation.

Le timbre de la voyelle nasale est, dans la partie francoprovençale de la région du Pilat, soit õ soit ã. La tendance de A suivi de N à devenir õ dans la région du Pilat se retrouve dans le parler stéphanois (cf. Vacher p. 37), dans les parlers des Terres Froides, à Pélussin (Champailler, p. 240)... E. Veÿ signale également qu'au début du XXe siècle, on disait à Saint-Pierre (n° 8) : "pain", grõ "grain" (Veÿ 1911, p. 14) (les enquêtes récentes ont donné grõ "grain" mais demã "demain", "main", pain"). Il est difficile d'expliquer cette tendance qui n'affecte que certains mots. On peut remarquer qu'elle touche une région légèrement plus vaste que celle qui a connu la vélarisation de a accentué (plus vaste puisque Saint-Etienne (n° 1) n'a jamais connu la tendance au changement de a en o). Mais la tendance à la vélarisation de a est nettement plus récente que la nasalisation. De plus, la coïncidence des deux aires n'est que partielle.

La voyelle e, par exemple dans le mot signifiant "main" à Champagne (n° 32) ou à Bourg-Argental (n° 25), doit provenir de l'influence du français.

L'isoglosse de A + N est, dans la région du plateau intermédiaire, plus méridionale que celle de A précédé de palatale (comparer la carte 20 et le transparent). La carte 419 "pain" de l'ALLy montre que la forme s'étend au sud de la région du Pilat (voir aussi Bouvier 1976, carte 54). L'influence du français ne semble pas en cause : elle supposerait une forme pe.

Dans la région du Pilat, le traitement de A suivi de N devenu final dans la zone intermédiaire illustre encore une fois les flottements (polymorphisme, hésitation, variantes...) qui surviennent fréquemment à la lisière de deux aires linguistiques.