1.2.3.2. Palatalisation conditionnée moderne de t, d (carte 27)

La palatalisation conditionnée moderne de t, d devant y, i et u apparaît à Saint-Etienne (n° 1) dans des textes du début du XIXe siècle. G. Straka écrit, dans Poème contre une mission prêchée à Saint-Etienne... : "à Saint-Etienne, seules les alvéodentales t, d se sont ainsi palatalisées jusqu'à l'affrication , dj" (Straka 1954, p. 114).

Le Forez connaît aussi la palatalisation de t, d devant y, i et u, jusqu'à l'affrication dans sa partie francoprovençale (cf. Gardette 1941a, p. 51-61 et carte 9).

Pratiquement toute la Haute-Loire connaît également la palatalisation de t, d (à l'exception de l'extrémité sud-ouest du département) mais la palatalisation ne va pas jusqu'à l'affrication (cf. Nauton 1974, p. 164-171 et carte 46).

A l'est de la région du Pilat, tout le centre des Terres Froides, en domaine francoprovençal, palatalise t, d jusqu'à l'affrication, comme l'indiquent les cartes 111 "dire", 115 "dimanche", 367 "tenir", 368 "tirer"... de l'ATF.

Comme pour les autres traitements phonétiques présentant le même type de configuration dans les régions voisines de la région du Pilat, on peut s'attendre à ce que la partie occitane du domaine se distingue de la partie francoprovençale, la première connaissant la palatalisation de t, d, tandis que t, d seraient représentés par ts, dz dans la seconde.

C'est en effet à peu près la situation que l'on peut observer ; toutefois certains villages de la vallée du Rhône et du plateau intermédiaire ne connaissent ni palatalisation ni affrication tandis que quelques parlers présentent deux traitements.

Voici tout d'abord quelques exemples pour les villages situés le long de la limite de palatalisation :

  • Planfoy (n° 6) : mad i "matin", d ina "dîner", part u "trou"...

  • Saint-Genest (n° 13) : pet i "petit", t imu "timon", d imar "mardi"...

  • Thélis (n° 14) : mad i "matin", part u "trou", d imèkr "mercredi"...

  • Véranne (n° 12) : part u "trou", t õ "temps"...

  • Brossainc (n° 16) : part u "trou", t õ "temps", d isãd "samedi"...

  • Saint-Julien (n° 15) : t õ "temps", d isãd "samedi"...

  • Bourg-Argental (n° 25) : mad i "matin", part u "trou"...

  • Boulieu (n° 30) : t imu "timon", t i na "cuve"...

  • Davézieux (n° 31) : t imu "timon"...

  • Champagne (n° 32) : mad i "matin"...

Toutes les localités situées au sud-ouest de ces points d'enquête connaissent la palatalisation de t et d (aire en rouge sur la carte 27).

Dans la liste ci-dessous figurent quelques exemples pour les villages situés le long de la limite d'affrication (aire en bleu sur la carte 27) :

  • Tarentaise (n° 10) : madzoe "matin", dzisãd "samedi", tsõ "temps"...

  • le Bessat (n° 11) : dzesãd "samedi", tsõ "temps", tsemu "timon"...

  • Saint-Julien (n° 15) : dz a o "dieu"...

  • Brossainc (n° 16) : madze "matin", dzina "dîner", petsi "petit"...

  • Vinzieux (n° 17) : dzür "jour", tsimu "timon", petsi "petit"...

  • Limony (n° 18) : madze "matin", dzesãd "samedi", tsoe "timon"...

  • Saint-Pierre (n° 8) : dzesãd "samedi", partsü "trou", dzü "dur"...

Grâce aux données ci-dessus et à la carte 27, on voit que trois villages (hachurés de bleu et rouge) connaissent les deux traitements à la fois : Véranne (n° 12), Saint-Julien (n° 15) et Brossainc (n° 16). On ne peut pas formuler de règle expliquant pourquoi un mot présente la palatalisation de t ou d, et pourquoi un autre présente une forme en -ts ou -dz : la palatalisation affecte un mot dans un village alors que dans la localité voisine, ce mot se prononce en -ts ou -dz. Il n'est donc pas possible de préciser avec certitude quel pourrait être l'éventuel traitement indigène et quel serait le traitement importé (la fréquence de chacun des deux traitements n'apporte pas d'enseignement déterminant), à moins que les deux prononciations ne coexistent depuis longtemps.

D'après G. Straka, le parler de Saint-Etienne (n° 1), après un stade ts, dz, semble avoir également connu deux prononciations : ts, dz ou tš, dj (cf. Straka 1954, p. 115-116). Les nombreuses variantes graphiques employées par J. Vacher suggèrent également que "les deux prononciations avaient peut-être cours" (Vacher, p. 40).

La troisième aire (laissée en blanc) qui occupe la région du Pilat regroupe les villages qui ne présentent ni affrication ni palatalisation :

  • Clonas (n° 5) : "temps", mate "matin", timõ "timon"...

  • Vinzieux (n° 17) : dina "dîner", partü "trou"...

  • Saint-Marcel (n° 26) : "temps", dina "dîner"...

  • Savas (n° 27) : dina "dîner", partü "trou"...

  • Peaugres (n° 28) : mati "matin", tim "timon"...

  • Champagne (n° 32) : mate "matin", dina "dîner"...

  • Ardoix (n° 37) : mati "matin", timu "timon"...

Plusieurs villages présentent à la fois les consonnes t et d ou leurs correspondantes palatalisées : Boulieu (n° 30), Davézieux (n° 31), Andance (n° 35) (rond rouge sur la carte 27) ou affriquées : Vinzieux (n° 17) (rond blanc sur la carte). La carte 27 pourrait suggérer un recul de la palatalisation ou de l'affrication dans l'aire délimitée par les points 22, 26, 37 et 36 mais les données anciennes provenant de l'ALLy pour les villages de Boulieu (n° 30) et Ardoix (n° 37) montrent que la prononciation t, d est peut-être autochtone. Cette aire se prolonge dans les parlers voisins de la Drôme et de l'Isère (cf. par exemple ALLy 769 ou ALJA 44).

La cartographie des différents traitements de t, d devant y, i et u dans la région du Pilat révèle encore une fois le polymorphisme qui règne aux abords de la limite entre l'occitan et le francoprovençal mais également l'affinité qui existe entre les parlers de l'est du domaine et les parlers voisins de l'Isère et de la Drôme.