A l'époque romane, c et g suivis de a se sont palatalisés dans la plus grande partie du domaine d'oïl, dans tout le francoprovençal et dans le nord du domaine occitan (ce trait permet de distinguer le nord occitan des autres dialectes occitans ; cf. par exemple Bec 1967, p. 37-38 ou Bouvier 1976, p. 47-74 ; voir également carte I). Les résultats de cette palatalisation sont ordinairement ts et dz en occitan, alors qu'en domaine francoprovençal, c et g suivis de a présentent aujourd'hui une diversité de produits : s, š, ts...
Mais les cartes 262 "chemin", 603 "fourche", 812 "marché", 1349 "vache" de l'ALF, synthétisées dans la carte 3 de l'article de G. Tuaillon "Analyse d'une carte linguistique : "cheval-chevaux" (ALF 269)" révèlent qu'entre le nord-occitan et le francoprovençal, le phonème š s'est infiltré le long de la limite entre les deux aires linguistiques, depuis la région de Vichy jusqu'aux environs de Grenoble (Isère), en passant par Roanne, Saint-Etienne et Lyon (Tuaillon 1971a). La forme curieuse de cette "longue bande étroite" suscita la curiosité des linguistes et inspira plusieurs explications. L'hypothèse d'une progression du phonème français le long de voies de communication reliant les cinq cités importantes qui se trouvent sur le parcours de cette aire allongée (Dauzat 1927, p.72) ne pouvait être retenue : aucune route importante ne relie ces villes. P. Gardette a soutenu que l'invasion de la forme française, qui suit de très près l'isoglosse de A précédé de palatale distinguant le domaine francoprovençal du domaine occitan s'expliquait ainsi : "dans la région frontière où les nombreux produits francoprovençaux de K + A (ts, s, š, šy) s'opposaient au produit occitan plus uniforme (partout ts, sauf une petite zone de tš en Auvergne) et créaient une zone d'incertitude, le ch français est venu au secours en supprimant l'incertitude" (Gardette 1970, p. 300).
L'étude détaillée des parlers du Forez conforte cette hypothèse : la limite de l'aire où c aboutit à ts correspond à la partie occitane du Forez, alors que la forme française š a envahi la partie francoprovençale, où le polymorphisme était important (cf. Gardette 1941a, p. 70-73, carte 13 et carte récapitulative 32 ; il n'existait pas de mots-témoins en G "vraiment populaires" pour illustrer le traitement de G + A). Dans l'article Rencontres de synonymes et pénétration du français dans les aires marginales, P. Gardette signale que cette coïncidence entre l'aire où c > ts et l'isoglosse de A précédé de palatale se poursuit dans le nord de l'Ardèche (Gardette 1970).
Le réseau serré formé par les points d'enquête de cette étude permettra de vérifier la coïncidence des deux isoglosses dans la région du Pilat.
Dans le dialecte de Saint-Etienne (n° 1) "k et g devant a, à l'initiale et à l'intérieur des mots derrière consonne, se sont palatalisés en š et j" (Straka 1954, p. 109).
En Haute-Loire, C + A et G + A évoluent en ts et dz au nord-ouest du département, région contiguë à la partie sud-ouest de la région du Pilat (Nauton 1974, p. 157-159 et carte 43).
A propos des parlers situés à l'est de la région du Pilat, A. Devaux écrit : "le Dauphiné septentrional appartient [...] tout entier au domaine de c (+ a) palatalisé" et plus loin : "le g vélaire, initial ou appuyé, se change en j devant a" (Devaux 1892, p. 275 et 290 ; voir aussi dans l'ATF les cartes 56 "chemin" ou 180 "glace" par exemple).
Dans la Drôme, la limite entre ts, dz et š, j est légèrement plus méridionale que la limite de palatalisation de A précédé de palatale (cf. Bouvier 1976, p. 47-49 et carte 10).
Si la région du Pilat palatalise toujours c et g suivi de a, le résultat n'est pas similaire dans la partie occitane et dans la partie francoprovençale.
Voici quelques exemples pour les villages situés de part et d'autre de la limite entre les deux traitements :
calendas | casearia | vacca | gelare | galbinu | ||
"noël" | "cage à fromage" | vache | geler | jaune | ||
Planfoy | 6 | šarãd | šaz è ro | v a šo | jala | j o no |
Tarentaise | 10 | šarãd | šaz è ra | v a ši | jala | jon |
le Bessat | 11 | šarãd | šazèr | v a ša | jara | jon |
St-Genest | 13 | tsarãd | tsaz è ro | v a tso | dzara | dz o no |
Thélis | 14 | šarãd | tsaz è ro | v a šo | jara | jon |
Bourg-Argental | 25 | - | tsaz a ir | v a tso | dzara | dz a ono |
St-Julien | 15 | šarãd | šaz a ir | vaš | jala | jon |
Savas | 27 | tsalãd | šaz a ir | vatš | dzala | dzon |
Serrières | 22 | - | šazèr | v a ši | jala | jon |
Peaugres | 28 | tsalãd | tsaz è ro | v a tsa | dzala | jon |
Champagne | 32 | šarãd | šaz a ira | v a ša | jala | jon |
Davézieux | 31 | tsalãd | tsadz è ro | v a tso | dzela | dzon |
Andance | 35 | šalãdo | šazèr | v a ša | dzala | dz o no |
Ardoix | 37 | tsar ã do | tsaz è ro | v a tso | dzara | dz a un |
Les données ci-dessus montrent que les parlers de la partie occitane de la région du Pilat s'opposent à ceux de la partie francoprovençale : en nord-occitan, c et g suivis de a se palatalisent en ts et dz, alors que dans l'aire francoprovençale de la région du Pilat, c et g suivis de a évoluent en š et j (voir carte 28).
Les formes en š de la localité d'Andance (n° 35) résultent de l'influence du français : on trouve dans ce village tsam i zo "chemise", et les formes dzala "geler", dz o no "jaune" doivent être considérées comme représentatives du traitement phonétique local.
Le mot vatš "vache" de Savas (n° 27), sorte d'hybride phonétique, est une forme isolée : je n'ai pas noté d'autres formes en -tš-, ni dans ce village ni ailleurs.
La localité de Thélis (n° 14) présente une particularité notable : deux des trois témoins, les deux hommes, emploient systématiquement les formes notées ci-dessus. Mais l'épouse du témoin A. utilise toujours les formes occitanes : v a tso, tsavã, dzara, dzon... Cette femme est pourtant originaire de la commune, mais le hameau où elle a grandi est plus proche de Graix224, village francoprovençal d'après le traitement de palatale + A (Martin 1979a, carte 3), que Thélis.
Ce polymorphisme n'est pas surprenant : beaucoup de patoisants des villages proches de l'isoglosse de C, G + A sont conscients de l'opposition ts, dz / š, j et certains peuvent employer l'une ou l'autre prononciation selon les interlocuteurs. Ainsi, le témoin A de Tarentaise (n° 10), né à Saint-Régis (n° 24), employait plutôt les formes occitanes de son enfance quand il parlait avec moi (le patois que j'utilise est sur ce point de type occitan), mais il adoptait la prononciation francoprovençale avec les autres témoins de Tarentaise. A Planfoy (n° 6), les témoins avaient tendance, par une sorte de réaction d'hyper-dialectalisation, à remplacer les formes palatalisées par les formes affriquées qu'ils considéraient comme plus "patoises". Quant aux semi-locuteurs de l'aire occitane, ils manquaient rarement de transformer le š en ts et le j en dz dans les mots français qu'ils "patoisaient". A l'inverse, dans les mots de français régional issus du patois, les correspondances ts-š et dz-j étaient systématiquement respectées (ex. bats o lo "caisse en bois pour nourrir le bétail" > bašol, noté bachole ; fodza "bêcher" > fojé, noté foger...).
La coïncidence entre l'isoglosse de A précédé de palatale et la limite entre les différents produits de la palatalisation de K et G devant A est donc presque totale, même si les phonèmes français š et j tendent à être adoptés dans les parlers occitans les plus francisés. A l'est de la région du Pilat, dans la Drôme, cette coïncidence entre les deux isoglosses est moins nette : "ainsi la réduction de K- latin à la constrictive š n'apparaît-elle que dans la partie la plus septentrionale de la Drôme provençale, c'est-à-dire dans une région située à faible distance du domaine franco-provençal proprement dit" (Bouvier 1976, p. 50 ; voir aussi carte 10).
Cf. carte 7 par exemple pour ce village qui n'appartient pas au domaine d'enquêtes de cette étude.