1.2.4.1. finale -IVE (carte 29)

Il n'existe qu'un seul mot permettant d'illustrer le traitement de V entre I et E : il s'agit de NIVE "neige". Encore l'analyse est-elle limitée par l'intrusion du type nédz (forme du point 31, Davézieux), emprunt au français dont on va voir qu'il connaît, dans la région du Pilat, une extension qui n'est pas anodine.

A Saint-Etienne (n° 1), le V ne s'est pas vocalisé dans NIVE : E. Veÿ écrit dans Le Dialecte de SaintEtienne au XVII e siècle, "la finale -VE ne modifie ni l'a de CLAVE, ni l'i de NIVE" (Veÿ 1911, p. 24). J. Vacher par exemple écrit le mot "neige".

De même, le V de NIVE s'est amuï en Dauphiné septentrional (cf. Devaux 1892, p. 176 et 325)

P. Gardette a montré qu'à l'ouest de notre domaine "le provençal a connu la vocalisation du V de NIVE, tandis que le forez franco-provençal ne l'a pas connue" (Gardette 1941a, p. 85-87 et carte 17).

Dans le Dauphiné septentrional, le V de NIVE est tombé sans se vocaliser (voir Devaux 1892, p. 325

Dans la région du Pilat, il semble que le V ne se soit vocalisé que dans les parlers occitans :

  • au nord du domaine, on trouve les formes :
    • n à é à Sainte-Croix (n° 2), la Valla (n° 3), Roisey (n° 7) et Véranne (n° 12)

    • n a i à Tarentaise (n° 10), Pélussin (n° 4), Brossainc (n° 16), Vinzieux (n° 17) et Félines (n° 21)

    • na à Clonas (n° 5) et Limony (n° 18)

    • à Serrières (n° 22)

  • au sud-ouest de la région du Pilat, les différentes formes de NIVE supposent la vocalisation du V :
    • 011ny a o à Thélis (n° 14) et la Versanne (n° 20)

    • nyoe (parfois ny oe u) à Saint-Genest (n° 13), Bourg-Argental (n° 25), Jonzieux (n° 19), Marlhes (n° 23) et Saint-Régis (n° 24)

    • n è u à Riotord (n° 33) et Ardoix (n° 37)

    • ny è u à Saint-Romain (n° 9)

    • nyo à Planfoy (n° 6)

    • ny à u / né à Saint-Sauveur (n° 29)

    • n é u / né à Vanosc (n° 34)

Entre ces deux aires, le type français neige semble s'avancer, depuis la vallée du Rhône en direction de Saint-Etienne (n° 1), le long de la limite entre le francoprovençal et l'occitan, séparant les formes issues de la vocalisation du V de celles dans lesquelles le V s'est amuï (comparer la carte 29 avec le transparent). La forme n è dzo de Boulieu (n° 30), qui provient des enquêtes de l'ALLy effectuées il y a plus de cinquante ans, indique que l'irruption du français dans cette région n'est pas un phénomène récent.

Il est tentant d'imaginer que les parlers locaux, confrontés à deux formes concurrentes, ont eu recours au français pour trancher le conflit : l'aire d'attestation des formes n è dzo, qui, à échelle beaucoup plus petite, rappelle l'intrusion du phonème français š entre le nord-occitan et le francoprovençal, conduit naturellement à évoquer cette hypothèse. P. Gardette ou G. Tuaillon ont montré à plusieurs reprises, et à l'aide de nombreux exemples, que l'emprunt au français était fréquent dans les zones frontalières (cf. chapitre ci-dessus). Sur le plan lexical, J.-B. Martin a également relevé des faits analogues dans le chapitre "Appel au français dans les zones de rencontre d'aires différentes ou dans les cas de grande fragmentation" de Permanence et Evolution dans les patois du Lyonnais depuis les enquêtes de l'ALLy, à partir de la comparaison entre les données de l'ALLy et celles obtenues par des relevés effectués une cinquantaine d'années plus tard (Martin 1995, p. 225). Nous reviendrons dans la partie de cette étude consacrée au lexique sur d'autres faits de ce genre.

La carte 29 montre qu'aucun village de la partie francoprovençale de la région du Pilat ne présente de formes supposant la vocalisation du V. A l'inverse, toutes les localités occitanes présentent des formes avec vocalisation du V. Mais, à Saint-Sauveur (n° 29) et Vanosc (n° 34), les deux formes coexistent : à la question 799 "de la neige" de l'ALLy, la forme a été recueillie (en même temps toutefois que ny a u à Saint-Sauveur) alors qu'à la question "il neige" (ALLy 799), à laquelle les bons patoisants de la région du Pilat répondent par la périphrase "il tombe de la neige" (nédza est un néologisme des semi-locuteurs, calqué sur le français "neiger"), apparaissent les formes supposant la vocalisation de V : ny a u à Saint-Sauveur, n é u à Vanosc. La prosodie n'explique pas la variation entre les deux formes et le type neige de l'aire intermédiaire ne permet pas de savoir s'il y a eu continuité entre les formes francoprovençales et les deux attestations de dans cette partie de la région du Pilat.