1.2.5.3. Tendance de l intervocalique à devenir r (carte 39)

Cette évolution est attestée dans un domaine géographiquement limité : en Forez, c'est la région de Saint-Bonnet-le-Château (ALF 816) qui la connaît surtout (cf. P. Gardette 1941a, p. 121-123 et carte 24). Ce phénomène se continue dans le nord-est du département de la Haute-Loire, mais de façon sporadique (cf. P. Nauton 1974, p. 188-192 et carte 50). Il s'explique par un affaiblissement articulatoire : l intervocalique s'est détaché du palais et s'est trouvé dans la position du r apical.

Les cartes 822 "soleil", 833 "étoile", 1141 "toile" de l'ALLy pourraient laisser croire que seul l'ouest de la région du Pilat connaît ce phénomène. Il est vrai que dans la partie occitane de la Loire, le phénomène est très présent, et touche même les mots récemment empruntés. Mais en fait, une bonne partie de la région du Pilat a sans doute connu autrefois l'évolution -l- > -r- dans certains mots. C'est ce qu'attestent les diverses formes de MUSTELA "belette" que l'on a vues ci-dessus (1.2.5.1.3.1.). On trouvera de nombreux exemples en feuilletant les pages qui précèdent et celles qui suivent.

J'ai parfois noté ŗ le son intermédiaire entre r et l. Il est assez fréquent dans les villages occitans du haut-plateau, mais également dans les trois villages qui se distinguent par leur traitement de a accentué final (qui donne è aux points 21, 16, 17, à Félines, Brossainc et Vinzieux). Le témoin unique de ce dernier village, locuteur tardif, a même tendance à l'employer très fréquemment, par hyperdialectalisation.

Dans la région du haut plateau, la variation entre -l- et -r- intervocaliques présente des similitudes avec la diphtongue ao. Si toute la partie occitane du plateau du Pilat connaît l'évolution -l- > -r-, sa fréquence et la connotation sociale qui lui est attachée varient selon les villages. Les parlers de Marlhes (n° 23), Jonzieux (n° 19) et Planfoy (n° 6) sont ceux où l'évolution de l vers r est la plus fréquente (je ne dispose pas de données suffisantes pour pouvoir évaluer la fréquence de cette évolution aux points 9 et 24, Saint-Romain et Saint-Régis, ni le jugement social que les locuteurs de ces localités portent éventuellement sur elle).

A Saint-Genest (n° 13), ce trait de prononciation est considéré comme "grossier" et il passe pour fautif selon la norme de ce village (il est cependant également attesté, au moins sporadiquement). Ainsi, très fréquemment, ma prononciation de formes en -r- était corrigée par les témoins. Cette appréciation négative du phonème r intervocalique engendre de fausses régressions. J'ai ainsi relevé dans ce village :

ulo "heure" (< HORA) ; polo, paulo "pauvre (< PAUPERE)...

A son tour, cette prononciation est stigmatisée par les patoisants de Marlhes, Jonzieux et Planfoy, qui la considèrent comme affectée, "précieuse".

Les exemples d'évolution l intervocalique > r sont peu nombreux à la Valla (voir toutefois arola "araire" ci-dessus) et surtout à Clonas (n° 5) et Saint-Pierre (n° 8), mais comme le village plus septentrional de Sainte-Croix (n° 2) est parfois affecté par cette tendance (sorèy "soleil" par exemple"), ces deux localités l'ont peut-être connue.

Toutefois, les cartes 153 "filer", 138 "étoile" et 356 "soleil" de l'ATF ne montrent aucun cas d'évolution de -l- > -r-. E. Veÿ signale que "ce phénomène [...] n'est qu'exceptionnel dans le Dauphiné septentrional" (Veÿ 1911, p. 336). Les parlers des localités de Clonas (n° 5) et Saint-Pierre (n° 8), proches des parlers dauphinois, sont peut-être restés à l'écart de cette évolution (voir carte 39).