1.3. Conclusion

L'étude et la cartographie des principales caractéristiques phonétiques distinctives des parlers de la région du Pilat permettent de dresser un tableau précis de la géographie phonétique de cette région. La superposition de la quarantaine d'isoglosses qui traversent le domaine ne peut pas être représentée sur une même carte, car celle-ci serait indéchiffrable. Toutefois, de grandes tendances se dessinent.

La plus générale et la plus évidente est l'orientation selon un axe ouest / est, et même nord-ouest / sud-est de la région du Pilat : presque toutes les isoglosses sont orientées dans ce sens et le domaine n'est jamais partagé selon l'axe nord-sud. La majorité des limites phonétiques passe, à l'ouest, entre Planfoy (n° 6) et Saint-Etienne (n° 1). Les isoglosses se déploient ensuite vers l'est, formant un éventail dont la partie évasée couvre la vallée du Rhône, de Clonas (n° 5) à Andance (n° 35).

Toutefois, un grand nombre d'isoglosses se concentrent le long du tracé de la limite de palatalisation de A précédé de palatale (finale -AS, E bref, groupe -TR- intervocalique, palatalisation de K, G + A...) : la limite "classique" entre le francoprovençal et l'occitan n'est pas une limite isolée.

Mais certains faits distinguent les parlers de la frange nord de la région du Pilat des parlers du reste du domaine (U final, résultat de la palatalisation de A accentué précédé de palatale...). Les villages de cette région relèvent clairement du domaine francoprovençal et ils connaissent un grand nombre de traits communs avec les parlers de la région lyonnaise.

Entre cette frange nord et l'isoglosse de A précédé de palatale, dans une région qui correspond à peu près à celle qui a été appelée "aire de transition" d'après l'évolution de la désinence -ARE, plusieurs développements particuliers révèlent que cette zone a connu une certaine autonomie, se distinguant à la fois des parlers du nord et de ceux appartenant au domaine occitan : parmi les particularités attestées dans cette aire, on peut citer le traitement de A accentué devenu final de bonne heure, l'évolution de A accentué précédé de palatale, l'amuïssement de A final, l'évolution de la finale -IVU....

Une autre partie de la région du Pilat peut également être distinguée : les parlers occitans du haut plateau connaissent quelques traits qui les opposent à la fois aux parlers francoprovençaux du domaine et aux parlers occitans ardéchois (finale -AS, traitement de A accentué devenu final de bonne heure...) et qui les rattachent aux parlers voisins du Velay et du plateau de Saint-Bonnet-le-Château, à l'ouest.

La rencontre entre l'occitan et le francoprovençal dans la région du haut plateau donne au villages situés aux confins des deux grands domaines linguistiques (points 10, 11, 14, 15, Tarentaise, le Bessat, Thélis et Saint-Julien) un caractère hybride très marqué, tandis que sur le plateau intermédiaire et dans la vallée du Rhône, l'étagement des isoglosses crée une zone de flottement assez large (voir par exemple les cartes récapitulatives 23 et 37).

La comparaison entre les données anciennes et les relevés récents ne montre pas d'évolution géographique notable entre francoprovençal et occitan. Quand un recul est constaté (palatalisation de A précédé de palatale...) ou quand il est suspecté (U final...), il ne s'explique pas par une progression du groupe linguistique voisin, mais par un processus de nivellement analogique. Les traits phonétiques peu fréquents tendent à être supplantés par les traits majoritaires. Les séries peu nombreuses se révèlent plus fragiles (U final), et l'influence du français semble plus souvent les affecter (diphtongaison spontanée des voyelles latines). La francisation est plutôt d'ordre lexical (A initial non précédé de palatale...), même si certains phonèmes dialectaux sont parfois remplacés par leurs équivalents français (i > e ; j, š > z, s...). Les parlers qui présentent le plus fréquemment ces emprunts sont ceux qui sont en contact depuis longtemps avec le français (vallée du Rhône et plateau intermédiaire).

Auprès des bons locuteurs, le système phonétique du patois a peu subi l'influence du français : il n'y a pas eu de "métissage" important entre la langue régionale et le français. Il était donc possible, à la fin du XXe siècle, de retrouver les grandes lignes de la géographie linguistique de la région du Pilat telle qu'elle devait être à l'époque où le patois était encore la langue majoritaire. La plupart des points litigieux posaient déjà des difficultés d'analyse dans les régions voisines.

Toutefois, sur le plateau intermédiaire mais surtout dans la vallée du Rhône, le paysage phonétique est en partie brouillé. Mais cette évolution ne pourra pas se poursuivre, faute de patoisants. Du point de vue phonétique, le patois des locuteurs traditionnels et des locuteurs tardifs âgés semble devoir disparaître sans avoir connu d'évolution importante.