La majorité des parlers de la région du Pilat présente, pour l'article défini, une double opposition du genre et du nombre.
En ancien francoprovençal comme en ancien occitan, l'article défini masculin singulier était lo. Dans le Registre audiencier de la Châtellenie comtale de Malleval (1358-1380) 226, localité proche de Saint-Pierre-de-Boeuf, on relève la forme lo pour le cas régime (Gonon 1974, p. 390-400). Les formes actuelles de l'article défini masculin singulier dans la région du Pilat en sont issues, tout au moins quand elles proviennent d'une évolution phonétique locale. Quatre formes différentes sont représentées dans le domaine : lo, lu, lü, le (voir carte 44).
La forme lo n'est conservée qu'à Sainte-Croix (n° 2), et, de façon sporadique, à Pélussin (n° 4)227 et à Clonas (n° 5)228.
A Saint-Etienne (n° 1), la forme ancienne de l'article était lu (cf. Veÿ 1911, p. 152-153 ; Straka 1954, p. 119 ; Vacher p. 41) mais le, d'après C. Januel, peu avant la disparition complète du patois stéphanois. L'influence de la forme française est sans doute à l'origine de ce changement, comme à la Valla (n° 3) où les relevés de l'ALLy montrent un nombre à peu près équivalent de formes le que de formes lu (voir dans l'ALLy les cartes 9, 92, 96, 121, 131, 151, 157, 179, 217, 317...).
L'aire d'extension de le occupe le sud-ouest de la région du Pilat. Dans cette partie du domaine, les données des quatre points d'enquête de l'ALLy (Saint-Romain, Saint-Sauveur, Vanosc, Boulieu, enquêtes datant de plus de cinquante ans) montrent que la forme le est ancienne : sur les dix cartes de l'ALLy mentionnées ci-dessus, l'article est le dans tous les cas229. L'aire de le dans la région du Pilat prolonge celle qui s'étend dans la presque totalité du domaine d'enquêtes de P. Gardette (voir Gardette 1941b, carte 1). Ce dernier estime que la forme le peut provenir d'une évolution de lo, palatalisé en loe (forme que P. Gardette a relevée dans le nord-est de la Loire) qui se serait confondu avec le du français (cf. Gardette 1941b, p. 14). Toutefois, la forme *loe, éventuelle étape entre *lo et le, n'est pas attestée dans la région du Pilat. L'article défini masculin singulier le du sud-ouest du domaine ne résulte pas forcément d'une évolution phonétique locale : on a vu qu'à la Valla, le remplaçait lu sans l'intermédiaire d'une forme *loe.
Il s'agit sans doute plutôt d'un emprunt aux patois foréziens voisins (à l'est du domaine, l'ensemble des parlers du plateau de Saint-Bonnet-le-Château (ALF 816) a toujours le), évidemment facilité par l'influence du français. Mais il paraît peu probable que le français soit directement à l'origine de la forme le relevée depuis longtemps dans les patois de cette partie de la région du Pilat : cette aire est celle qui est habituellement la moins francisée.
Dans l'est de la région du Pilat (point 5, Clonas), et le sud, à Ardoix (n° 37) et Annonay230, l'article défini masculin singulier est lu. L'aire lu se prolonge dans le nord de l'Ardèche (point 75 de l'ALLy) et de la Drôme (points 85 et 86 de l'ALJA).
Entre les aires lo et lu (> le) du nord de la région du Pilat, le du sud-ouest et lu du sud et de l'est (où lo est également attesté), l'article défini masculin singulier est lü dans le centre du domaine. Cette forme est rare en domaine francoprovençal. Dans la région du Pilat, lü n'apparaît ni dans l'ALLy ni dans l'ALJA car il est attesté dans une aire assez petite entre les différents points d'enquête de ces atlas. La forme lü doit provenir d'une palatalisation de u (lu est attesté à l'est et au sud) plutôt qu'être le résultat de l'évolution u > oe, lequel se serait fermé en ü. La palatalisation de u est peut-être récente. Toutefois, la poésie en patois de Serrières, publiée en 1909, note toujours lu [lü] l'article défini masculin singulier (ex. lu chamin "le chemin", lu sô "le sou"...) (Revoil 1909).
Le français le tend à envahir l'ensemble du domaine. A Pélussin (n° 4), la forme lo n'apparaissait que rarement dans les récits de M. Champailler (qui datent de 1986). Dans le conte en patois de Véranne (n° 12) publié par J.-B. Martin, l'article défini masculin singulier est toujours le (Martin 1983) mais lors des enquêtes récentes j'ai quelquefois entendu lü : lü fyõ "le fumier", lü fumura è "le tas de fumier"... A Saint-Pierre (n° 8), le français le prédominait également nettement. Par contre, certains villages résistent bien à l'intrusion du français : à Serrières (n° 22), par exemple, j'ai obtenu lü presque systématiquement.
Sur la carte 44 ne figurent que les formes traditionnelles, anciennes, voire archaïques : ainsi par exemple, à Saint-Etienne (n° 1), la forme lu avait été supplantée par le (cf. Januel 1980), forme qui s'est également imposée presque totalement à Véranne (n° 12), Pélussin (n° 4) ou Saint-Pierre (n° 8). Mais le parti pris qui a présidé à l'établissement de cette carte permet de visualiser clairement les différentes formes de l'article défini masculin singulier. La forme lo est conservée au nord du domaine, bordure d'une aire qui occupe le centre du domaine de l'ALLy 231. A l'Ouest, la forme le a été adoptée par l'intermédiaire des parlers foréziens. Au sud-est et à l'est, les formes lu proviennent directement de lo (étape attestée à Clonas avec la forme notée lu o, ALLy 131 "fouet"). Par contre, la forme lü qui occupe le centre de la région du Pilat est le produit d'une évolution secondaire. Cette forme peu fréquente occupe une zone un peu plus vaste que la zone appelée "aire de transition" d'après les formes de -ARE, débordant sur le domaine occitan.
Le données dialectales figurant dans ce registre sont de peu d'utilité pour l'étude des parlers de la région du Pilat : il s'agit essentiellement de quelques paroles de plaignants, souvent très colorées, transcrites de manière non homogène. De plus, certains de ces plaignants n'habitaient pas dans la région de Pélussin mais en domaine occitan.
La forme le prédomine nettement dans les récits de M. Champailler, mais l'article défini masculin singulier est parfois lo (ex. lo bure "le beurre" Champailler p. 96).
Les cartes 9, 92, 96, 121, 131, 151, 157, 179, 217, 317 de l'ALLy montrent que la forme lu est nettement majoritaire, mais on relève également lo, lu o et le ; cette dernière forme doit être un emprunt au français. Dans l'ALF, l'article défini masculin singulier est également noté lu le plus souvent (cf. ALF 193 "le café" par exemple).
Dans la chanson de Richigny, écrite à la fin du XIXe siècle dans un patois proche de celui de Jonzieux, l'article défini masculin singulier est toujours noté le.
Dans l'article de Cl. Fréchet portant sur deux contes recueillis à Annonay, la graphie occitane note lo l'article défini masculin singulier. Mais, dans une cassette audio éditée par l'Association Parlarem en Vivarès et le Centre des Musiques Traditionnelles Rhône-Alpes, deux chansons enregistrées auprès d'une femme originaire d'Annonay montrent que l'article défini masculin singulier était prononcé lu (Association Parlarem en Vivarès 1989).
Au nord de Sainte-Croix (n° 2), l'article défini masculin singulier était lo à Rive-de-Gier, comme l'indiquent les écrits de G. Roquille.