2.1.5. Le système de l'article défini dans la région du Pilat (carte 47)

Dans son étude "L'article défini en francoprovençal central", J.-B. Martin a montré la spécificité du système francoprovençal de l'article défini (Martin 1972). Alors qu'en français, les formes du pluriel sont identiques, que les parlers nord-occitans distinguent en général le féminin singulier et du féminin pluriel par une opposition de longueur (parfois de timbre), les formes de l'article défini sont différentes les unes des autres dans la majorité des parlers francoprovençaux : la structure de l'article défini en francoprovençal se caractérise par la double opposition du genre et du nombre.

Dans la région du Pilat, le système caractéristique du francoprovençal est utilisé dans la majeure partie du domaine : seuls deux points du nord-ouest (points 1 et 3) et la frange sud de la région du Pilat connaissent un système différent (cf. carte 47). Dans une aire au nord et à l'est du domaine, délimitée par les points 2 (Sainte-Croix), 15 (Saint-Julien) et 35 (Andance), le système se présente sous la forme :

singulier pluriel
masculin lo / lü lu
féminin la le

A l'ouest de la région du Pilat, le système de l'article défini présente également la double opposition du genre et du nombre, mais elle se réalise différemment :

singulier pluriel
masculin le lu
féminin la

L'emprunt ancien de la forme le pour le masculin singulier, forme identique au français, a été possible parce qu'il n'entraînait pas de dérogation aux normes de la structure de cette région, ne bouleversant pas le système ancien si le a remplacé *lo, ou même le rapprochait de la structure francoprovençale si le a remplacé un ancien lu. Les deux autres formes identiques aux formes françaises, la au féminin singulier et au féminin pluriel, résultent d'une coïncidence puisqu'elles sont les produits d'évolutions phonétiques régulières (le français a toutefois pu jouer dans un éventuel changement > dans certains villages ; cf. ci-dessus).

A Saint-Etienne (n° 1) et à la Valla (n° 3), le système traditionnel se composait de deux formes identiques, celle du masculin singulier et celle du masculin pluriel :

singulier pluriel
masculin lu lu
féminin la le

Ce système est relativement fréquent dans le domaine francoprovençal (cf. Martin 1972, p. 354 et cartes 9 et 11), et il se distingue à la fois du système français et du système occitan. Mais l'évolution récente, en créant une distinction entre ces deux formes, a entraîné une confusion entre le masculin singulier et le féminin pluriel :

singulier pluriel
masculin le lu
féminin la le

Les systèmes de ce type sont peu fréquents dans le domaine francoprovençal : dans son étude sur l'article défini en francoprovençal, J.-B. Martin n'en a relevé que quelques exemples à partir des données de l'ALJA et de l'ALLy (Martin 1972, p. 354-355 et cartes 10 et 11). D'après l'auteur, "ce système qui est très différent des autres puisque les formes semblables ne sont ni du même genre ni du même nombre repose probablement sur la coïncidence fortuite de l'évolution phonétique de deux formes différentes" (p. 355). L'origine du système qui figure dans le tableau ci-dessus, et vers lequel tendent également les villages de Pélussin (n° 4), Véranne (n° 12) ou Saint-Pierre (n° 8) par exemple, puisque le masculin singulier lo ou est pratiquement remplacé par le, ne provient pas d'une évolution phonétique locale : l'emprunt au français de la forme le désorganise l'ordre ancien et l'amène à un nouveau système, d'un type "aberrant" pour des parlers de cette aire linguistique.

Au sud de la région du Pilat, le système de l'article défini se rapproche du système occitan :

singulier pluriel
masculin lü / le lu
féminin la la

La confusion des deux formes du féminin est totale à Riotord depuis déjà longtemps comme l'indiquent les cartes 829 "la chaleur", 224 "la chambre", 247 "la chasse"... et 129 "les bêtes", 1349 "les vaches"... de l'ALF : au singulier comme au pluriel, l'article féminin a toujours été noté . Par contre, comme on l'a vu, l'identité des deux formes du féminin n'est pas absolue dans les autres parlers occitans de la région du Pilat. Mais la distinction :

singulier / pluriel

n'est pas systématique dans les parlers les plus méridionaux, et elle n'est (aujourd'hui ?) que sporadique dans les villages proches de la limite entre l'occitan et le francoprovençal (aux points 26, 27, 28, 31, 35, c'est-à-dire Saint-Marcel, Savas, Peaugres, Davézieux et Andance).

Par contre, l'opposition portant sur la longueur de la voyelle dans les formes du singulier et du pluriel du masculin au point 37, Ardoix (singulier lu / pluriel lu:) illustre la prégnance de la structure du système de l'article défini, qui veut que dans les parlers occitans les formes du singulier et du pluriel soient différentes au masculin.

L'analyse du système de l'article défini dans la région du Pilat montre que ce domaine situé à la limite de l'occitan et du francoprovençal est également influencé par les structures respectives des deux systèmes linguistiques en contact.

L'importance de la structure se manifeste à travers la stratégie adoptée pour maintenir une distinction ou par la perméabilité ancienne à une forme venue d'ailleurs à condition qu'elle ne modifie pas l'équilibre de la structure ou qu'elle permette de s'en rapprocher.

L'influence plus ou moins forte du français dans certains parlers de la région du Pilat, bien que d'apparence peu importante puisqu'elle ne porte que sur la forme de l'article masculin singulier, conduit en fait à une modification d'un trait structurel de la langue.