2.2. L'adjectif possessif des 1e et 2e personnes du pluriel (carte 48)

Le francoprovençal présente une caractéristique qui l'oppose à la fois à l'occitan et aux parlers d'oïl : l'adjectif possessif des 2e et 3e personnes du pluriel est généralement notrõ, votrõ, issues de l'analogie avec les trois personnes du singulier : , , .

L'aire d'extension de la forme notrõ occupe plus des deux tiers du domaine francoprovençal, et les limites de cette aire coïncident presque exactement, à l'ouest et au sud, avec celles du domaine francoprovençal. La forme notrõ n'empiète jamais sur les domaines linguistiques voisins, comme le révèle la carte dressée par B. Hasselrot dans l'article "Sur l'origine des adjectifs possessifs nostron, vostron en francoprovençal" (cf. dans Hasselrot 1938 la carte en fin d'article). La cartographie illustre pourquoi la formation analogique de notrõ sur , , est propre au francoprovençal. Une condition particulière a permis sa création : B. Hasselrot a montré dans cette étude que le maintien de la voyelle latine finale -U, quand elle était nécessaire comme voyelle d'appui (cf. ci-dessus), a facilité l'évolution notro > notrõ, alors que l'absence de la voyelle atone finale -o ne l'a pas permis en occitan ou dans les parlers d'oïl. Le maintien de la voyelle latine finale -U étant un trait caractéristique du francoprovençal, la forme notrõ, qui lui est assujettie, ne peut donc se rencontrer qu'en domaine francoprovençal.

La proximité de la limite d'extension de la forme notrõ avec la limite entre l'occitan et le francoprovençal (c'est-à-dire l'isoglosse de A précédé de palatale) a été décrite par P. Gardette en Forez (cf. 1941b, p. 42-44 et carte 10).

En Dauphiné, notrõ est une forme bien attestée : A. Devaux écrit "nous avons notron = NOSTRUM proclitique, forme toujours vivante dans presque tout le Dauphiné : notron, noutron, nontron, neton, neton" (Devaux 1892, p. 375).

Dans les parlers du nord de la Drôme, notrõ et votrõ n'apparaissent que "dans une frange assez étroite qui court le long de la frontière traditionnelle avec le francoprovençal" (Bouvier 1976, 391).

Comme pouvaient le laisser présager les grandes lignes de la géographie linguistique de la région du Pilat et des régions voisines, les formes francoprovençales de l'adjectif possessif existaient dans le parler de Saint-Etienne (n° 1) (cf. Veÿ 1911, p. 169 ; Straka 1954, p. 126-127 ; Vacher p. 41-42).

L'ensemble des parlers francoprovençaux de la région du Pilat présente des formes de l'adjectif possessif masculin de la pluralité analogiques des formes du singulier (voir la carte 48). La limite méridionale des formes en -õ correspond à la limite de A précédé de palatale (comparer la carte 48 avec le transparent). Le seul écart entre ces deux limites concerne la localité de Champagne (n° 32) : je n'ai pas obtenu les formes notrõ, votrõ auprès du témoin de ce village. Il est possible que ces formes n'aient jamais existé dans le patois de Champagne, mais deux autres hypothèses, basées sur un recul de ce trait francoprovençal, peuvent être évoquées : les formes notrõ, votrõ ont pu disparaître à date récente, sous l'influence conjuguée du français et des parlers occitans voisins, mais il se peut également que le parler du témoin de Champagne, qui n'était pas originaire du village lui-même, ne soit pas très représentatif du patois du bourg (lequel n'ayant de toute façon jamais été, comme toute langue, parfaitement homogène).

Une autre caractéristique de l'adjectif possessif distingue les parlers occitans des parlers francoprovençaux de la région du Pilat : les localités connaissant les formes notrõ, votrõ présentent toujours des formes féminines de l'adjectif possessif des 2e et 3e personnes du pluriel accentuées sur la voyelle finale -a :

notra, votra

Ces formes du féminin s'opposent aux formes occitanes qui ne sont jamais accentuées sur la dernière voyelle :

n u tra, v u tra.

La limite entre ces formes accentuées différemment correspond exactement à l'isoglosse de l'adjectif possessif notrõ.

Les parlers de la région du Pilat ne connaissent pas la forme de l'adjectif possessif de la 3e personne du masculin pluriel :

lorõ

Cette forme analogique, signalée par P. Gardette dans une petite aire au centre du Forez (Gardette, 1941b, p. 42-44 et carte 10) est d'ailleurs peu fréquente.

La comparaison de la carte 48 avec celle de l'aire actuelle de maintien de la voyelle latine finale -U comme voyelle d'appui (carte 14) révèle qu'il n'y a pas coïncidence entre la limite des formes notrõ, votrõ et celle du maintien de U final : cette dernière est nettement plus septentrionale que la première. Cet écart confirme l'hypothèse d'un recul récent de la limite de maintien de -U (cf. ci-dessus), puisque B. Hasselrot a montré que ces deux phénomènes étaient étroitement liés. Il paraît peu plausible d'invoquer l'emprunt lexical pour soutenir que la limite de conservation de -U puisse être la limite ancienne et celle de notrõ une limite secondaire, postérieure : l'isoglosse de l'adjectif possessif des 2e et 3e personnes du pluriel, qui se confond presque exactement avec celle de A précédé de palatale, peut difficilement être le résultat d'une coïncidence.