2.4. Le pronom démonstratif neutre (carte 52)

Les textes anciens de Saint-Etienne (n° 1), du Forez et du Dauphiné septentrional indiquent qu'au Moyen Age, les parlers francoprovençaux de cette région connaissaient tous, pour les démonstratifs, des formes issues de *ECCE- (voir par exemple Gardette 1941b, p. 34). Pourtant, le témoignage des patois actuels montre qu'une large bande de l'ouest et du sud du francoprovençal a été gagnée par les formes issues de *ACCU-, caractéristiques de l'occitan.

Dans les parlers actuels de la région du Pilat, l'ensemble des démonstratifs provient de la base *ACCU-. Cette base ne permet donc pas de distinguer les parlers occitans des parlers francoprovençaux du domaine. Mais, dans l'article "Une caractéristique du francoprovençal : le pronom démonstratif neutre" où il précise la chronologie du remplacement des formes en *ECCE- par les formes en *ACCU- dans le sud du francoprovençal et l'extension actuelle de ces formes récentes, J.-B. Martin a également mis en relief une caractéristique qui semble propre au francoprovençal : alors que le pronom démonstratif neutre remonte, en français comme en occitan, à une base composée *ECCE/*ACCU+HOC, la présence d'une nasalité dans la presque totalité des parlers francoprovençaux semble supposer une base *ECCE/*ACCU+INDE (Martin 1974). La carte "ça" de l'ALF (carte 188) montre la coïncidence presque exacte entre les limites du domaine francoprovençal et l'aire du pronom démonstratif neutre présentant une forme avec nasalité.

La carte 1204 "ça" de l'ALLy, les travaux sur le dialecte stéphanois, qui signalent l'existence à Saint-Etienne (n° 1) de la forme ikõ (Veÿ 1911, p. 160 et 164 ; Straka 1954, p. 129 ; Vacher p. 42-43), montrent que dans la région du Pilat, le pronom démonstratif neutre peut provenir soit de *ACCU+HOC, soit de ACCU+INDE.

Les données des enquêtes récentes révèlent en effet la coexistence des formes éko, ko, iko (< -HOC) et des formes ékã, ikã, ikye , ike (< -INDE). La répartition de ces formes correspond à peu près à la limite entre le francoprovençal et l'occitan (voir carte 52). Les données sont manquantes pour les points 15, 27, 28 et 35, mais, à cette imprécision près, le seul écart entre l'isoglosse de A précédé de palatale et la limite entre les deux types de pronom démonstratif neutre concerne Tarentaise (n° 10) et le Bessat (n° 11) : ces villages francoprovençaux dont on a vu qu'ils possédaient de nombreux traits occitans, emploient une forme occitane, respectivement éko et ékw a i.

Comme le montrait déjà, par exemple, l'aire de répartition de l'adjectif possessif notrõ, ou, d'une manière moins tranchée, l'emploi et les formes de pronom personnel sujet dans la région du Pilat, le pronom démonstratif neutre indique que l'axe nord-ouest / sud-est n'est pas uniquement un axe important pour la géographie phonétique du domaine : il conditionne également certains traits de la géographie morphologique de la région du Pilat.