2.5.2. Passé simple : le radical en -g- en domaine occitan (carte 54)

Dans la zone de rencontre entre le francoprovençal et l'occitan, S. Escoffier, dans le Puy-de-Dôme, et P. Gardette, dans la Loire, ont relevé pour le passé simple des verbes autres que ceux de la première conjugaison, des formes dont le radical était terminé en -g- (Escoffier 1958a, p. 231-235 ; Gardette 1941b, p. 69-75). Ces formes n'apparaissent que dans la partie occitane des domaines d'enquête respectifs de ces deux auteurs. Elles sont caractéristiques de l'occitan (cf. Dufaud 1986, p. 37-47 ; Martin 1997a, p. 229-232 ; Fréchet 2000, vers 51 par exemple).

Dans la région du Pilat, le passé simple en -g- est également propre à la partie occitane du domaine (voir carte 54). Pour les villages les plus septentrionaux, on a par exemple vãgè "il vint" à Planfoy (n° 6), ve "il vint" à Peaugres. Le village du Bessat (n° 11) et d'Andance (n° 35) ont été ajoutés à l'aire du passé simple en -g- car si aucune forme de passé simple n'a été obtenue, les formes de l'imparfait du subjonctif du verbe "venir", vãgèz "qu'il vinsse" au Bessat, vãg è su "qu'il vinsse" à Andance, sont des indices assez sûrs que le passé simple doit ou devait être en -g-. En effet, dans les villages qui connaissent les formes en -g-, ces deux conjugaisons ne se distinguent que par le suffixe, en -r- ou -s-. Ainsi, à Marlhes (n° 23), on a :

"prendre" passé simple subjonctif imparfait
1e p. sg. pre g é ru pre g é su
2e p. sg. pre g é pre g é
3e p. sg. pre pre gés
1e p. pl. pre g é pre g é
2e p. pl. pre g é ra pre g é sa
3e p. pl. pre g é ru pre g é su

Le recours à des formes du subjonctif imparfait, le tracé sinueux de la limite dans la région du plateau intermédiaire s'expliquent par la difficulté rencontrée dans certains villages à obtenir des formes du passé simple. La méthode d'enquête, par questionnaire, l'âge des témoins, expliquent en partie ces lacunes : pour certains points d'enquête, le recours à des paroles spontanées, aux textes de chansons, a été nécessaire pour recueillir quelques indices.

Toutefois, l'ensemble des villages où il n'a pas été possible d'obtenir des formes du passé simple forme une aire cohérente (voir carte 54 ; les points d'enquête manquants correspondant aux localités où le passé simple n'a pas été demandé). Ces villages se situent essentiellement dans la vallée du Rhône et sur le plateau intermédiaire.

Plusieurs raisons peuvent expliquer cette extension particulière. L'âge moyen des témoins de ces deux parties de la région du Pilat est plus élevé que celui des témoins du haut plateau (ce décalage est une conséquence du changement linguistique, qui s'opéra à des époques différentes dans les trois sous-parties du domaine) : l'obtention d'une forme peu usitée en français est plus difficile auprès de personnes très âgées.

Mais une autre cause explique peut-être ces données lacunaires : dans l'article sur le francoprovençal du Lexikon der Romanistischen Linguistik, J.-B. Martin signale, à propos du passé simple en francoprovençal : "à l'heure actuelle, ce temps a disparu de la plus grande partie du domaine" (Martin 1990, p. 682). En 1971, R. Forest, auteur d'un mémoire sur le patois de Pélussin, mentionnait ses difficultés à recueillir quelques formes de passé simple auprès de patoisants âgés, et il écrivait : "il n'est plus employé de nos jours" (Forest 1971, Morphologie p. 27). On peut également remarquer que lors des enquêtes de l'ALLy, peu après la seconde Guerre Mondiale, H. Girodet n'avait pu recueillir les formes du passé simple du verbe "venir" à Clonas (n° 5, point 63 de l'ALLy, cartes 1283, 1284, 1285).

Dans la région du haut plateau au contraire, l'emploi du passé simple est très courant, s'apparentant sans doute à la situation en Forez qu'a décrite P. Gardette (cf. 1941b, p. 69) ou à celle qu'a rencontrée S. Escoffier à l'extrémité ouest du domaine francoprovençal (cf. 1958a, p. 231). Je ne pense pas que la différence entre le haut plateau de la région du Pilat et le plateau intermédiaire ou la vallée du Rhône tienne uniquement aux dates de "francisation" respectives de ces trois régions : à niveau de compétences plus ou moins similaire, un patoisant du haut plateau emploie beaucoup plus facilement le passé simple qu'un patoisant des régions moins élevées. Un autre indice de cette différence dans la fréquence d'emploi de ce temps réside dans la comparaison des compétences des semi-locuteurs : alors que ceux du haut plateau peuvent retrouver quelques formes ou même les employer, dans des phrases figées par exemple, les semi-locuteurs des deux autres parties de la région du Pilat sont en général incapables de s'en souvenir. Que la disparition de ce temps soit motivée uniquement par un remplacement par d'autres formes, imparfait ou passé composé, ou qu'elle résulte au moins en partie de l'influence du français, plus forte et plus ancienne dans ces deux régions, elle semble donc ancienne puisque les semi-locuteurs n'ont pas eu l'occasion, dans leur enfance, de l'entendre suffisamment pour s'en souvenir.

Malgré la défaveur dont souffre le passé simple, il est encore possible de dessiner assez précisément la limite septentrionale des formes du passé simple en -g-, en particulier grâce aux points 28 et 21, Peaugres et Félines (voir carte 54). Elle était sans doute proche de l'isoglosse de A précédé de palatale : le seul décalage se situe peut-être au Bessat (n° 11), village dont le parler possède de nombreux traits occitans.