2.5.3.2. Imparfait de l'indicatif (carte 56)

Dans les parlers du francoprovençal de l'Ouest, le verbe "être" est, à l'imparfait, représenté par le type èt-. Les formes issues de ERAM apparaissent toutefois dans le nord-est, près de Mâcon, "extrémité ouest d'une vaste zone qui s'étend jusqu'en Suisse, vers le nord-est" (Michel 1993, p. 212). Par contre, à l'ouest et au sud du domaine francoprovençal, le type èr- resurgit dès que l'on pénètre en domaine occitan, comme le montrent les cartes 1268-70 de l'ALLy. A la jonction de ces deux aires, S. Escoffier et P. Gardette ont relevé quelques exemples de séries mêlant les deux types (Gardette 1941b, p. 67) ou des cas d'hybridation entre les formes en èr- et celles en èt- (Escoffier 1958a, p. 243).

Les points de l'ALLy montrant que les deux types coexistent dans la région du Pilat, il est intéressant de préciser la limite entre les formes en èr- du sud du domaine et les formes en èt- du nord et, d'autre part, d'observer si la rencontre de ces deux types a donné lieu à des phénomènes d'hybridation ou à des cas de mélanges à l'intérieur d'une même série.

Saint-Etienne (n° 1) appartient clairement à l'aire où l'imparfait du verbe "être" est en èr - : en effet, à propos du patois stéphanois, E. Veÿ note : "le rad. èt- fréquent en lyonnais (Rive-de-Gier : j'etsïns, etc. [...]) est tout à fait inconnu à notre dialecte" (Veÿ 1911, p. 252 ; voir aussi Straka 1954, p. 145 et Vacher p. 47).

Contrairement à la majorité des limites phonétiques, l'isoglosse qui sépare les deux types d'imparfait se situe dans le nord du domaine : seules cinq localités septentrionales emploient le type ét- (points 2, 4, 7, 12 et 5, c'est-à-dire Sainte-Croix, Pélussin, Roisey, Véranne et Clonas) (voir carte 56). Cette aire correspond exactement à celle formée par les villages qui connaissent la forme ès à la 2e personne du singulier de l'indicatif présent (cf. chapitre précédent et carte 55).

La limite des formes en èr- est très nette et les exceptions relevées lors des enquêtes récentes sont peu nombreuses. Voici quelques exemples pour une localité occitane (Marlhes), une localité francoprovençale employant la forme ér- (Vinzieux) et les séries basées sur la forme ét- dans deux villages francoprovençaux du nord-est de la région du Pilat :

Marlhes (n° 23) Vinzieux (n° 17) Roisey (n° 7) Sainte-Croix (n° 2)
é ru é:r étsi étsi
é é:r étsyo é tsyo
èr é:r étiy étsy
érã érõ étyõ étsyõ
éra éra étyo étsyo
éru érã étyã étsã

A Saint-Genest (n° 13), j'ai obtenu auprès du témoin A. a. la forme éto pour "(il) était". Il s'agit à l'évidence d'un emprunt du radical français -ét (avec la désinence -o caractéristique de la première personne du singulier des verbes en -ARE au présent ou à l'imparfait de l'indicatif) car le même témoin a employé à une autre reprise èr, unique forme d'ailleurs recueillie auprès des autres témoins de ce village, et conforme au reste de la série (voir ci-dessus l'exemple de Marlhes où la conjugaison du verbe "être" à l'imparfait est identique à celle de Saint-Genest).

A Serrières (n° 22), le témoin a donné les formes : éra, éra, èr, érõ, étya, érã. A la deuxième personne du pluriel, la désinence est normale (cf. l'exemple de Vinzieux ci-dessus) et le radical ét- peut également être le résultat d'une méprise due au français. La poésie serrièroise en patois de 1909 ne comporte que des formes de la troisième personne du singulier et de la troisième personne du pluriel, toutes en ér- (respectivement ère ou ére et éran ou èran ; Revoil 1909). Ces données anciennes ne vont pas dans le sens d'une hypothèse d'emprunt des formes en ér- aux parlers occitans voisins par les villages francoprovençaux de l'aire de transition (points 16, 17, 18, 21, 22, c'est-à-dire Brossainc, Vinzieux, Limony, Félines et Serrières) : le radical èr- semble autochtone dans cette région.

La dernière exception a été relevée à Tarentaise : éré, éré, èr, étã, érã, éru . Elle est plus troublante car la première personne du pluriel est étã alors que la seconde est érã. Cette dernière forme correspond normalement à la première personne du pluriel (cf. l'exemple de Marlhes ci-dessus) : on attendrait plutôt éra. Mais il peut s'agir d'une simple confusion et ce contre-exemple ne suffit pas à remettre en cause le tracé de la limite entre les formes en ér- et celles en ét-. En effet, à l'inverse, il n'existe aucune forme en ér- dans l'aire ét-.

Cette homogénéité distingue la région du Pilat des régions voisines comme le Forez (cf. ci-dessus) ou le Nord-Dauphiné (voir par exemple le point 63 de l'ALLy sur les cartes 1268-70 ou le point 71 de l'ALJA, cartes 1749-52). Les quelques formes en èt- relevées dans l'aire èr- résultent sans doute de l'influence du français. La propagation des formes èt- dans une partie du domaine francoprovençal a peut-être débuté par ce type de prémices.