3.2.15. ânesse (carte 72)

ALLy 312 ; ALF 41 ; ALJA 814 ; ALMC 481 ; ALP 1039 ; Gardette 1983, p. 738-739 ; Martin 1986, p. 56 ; Michel 1993, p. 247

français régional : saume Loire (Saint-Etienne, Jarez) ; saoume Drôme (sud) ; saume : Isère (La Mûre)

En francoprovençal comme en occitan, le terme héréditaire est issu de SAGMA "bât". Mais, dans la frange nord du domaine francoprovençal, s o ma a reculé devant les mots français ânesse ou bourrique. A l'époque des enquêtes de l'ALLy, ânesse parvenait jusqu'aux abords de Lyon et de Feurs.

Dans la région du Pilat, l'ALF signale le type som à Riotord (n° 33) et l'ALLy l'indique encore dans tous les points d'enquête (2, 5, 7, 9, 29, 30, 34, 37) sauf à la Valla (n° 3) où apparaissait la forme isolée sarb i na (qui "doit être de la famille de b i na 'jument'", cf. ALLy 5, 312). Mais à Clonas (n° 5), som était déjà senti comme un mot du passé et il était supplanté par anès. A Roisey (n° 7), le type som coexistait avec bur e ta, féminin de burõ "petit âne".

Au cours du XXe siècle, l'emploi des ânes comme bêtes de somme a disparu dans la région du Pilat, et cette disparition s'est accompagnée de celle des termes patois désignant l'ânesse : les formes sarb i na et bur e ta n'ont pas été relevées, et la seule attestation actuelle de som se rencontre au sud du domaine, à Andance (n° 35). Ce maintien dans un village de la vallée du Rhône peut s'expliquer par la plus grande résistance de som en domaine occitan : le français régional saume, saoume est d'ailleurs attesté un peu plus au Sud. A Peaugres (n° 28), le mot som était connu de certains témoins, mais ils pensaient qu'il désignait autrefois la mule.

Dans le reste de la région du Pilat apparaissent quelques formes anès, an é si, an é so, mais, plutôt que de recourir au type français qui leur paraissait suspect, la plupart des témoins de nombre de points d'enquêtes ont préféré ne pas répondre. A Pélussin (n° 4), le témoin interrogé par J.-B. Martin en 1985 ne se souvenait plus du terme som (cf. Martin 1986, p. 56). C'est également le cas à Jonzieux (n° 19) par exemple, alors que le type lexical subsiste dans le sens particulier d'ouvrière d'atelier de moulinage. Mais les témoins interrogés ignoraient que s a omo avait également désigné l'ânesse. Pourtant, à Saint-Etienne et dans le Jarez (Loire), ânesse ou saume désigne en français régional à la fois l'ânesse et les ouvrières ou les apprenties travaillant dans les fabriques de moulinage ou de soie.

A Marlhes (n° 24) et sans doute dans les villages alentours, s a omo survit encore dans le dicton portant sur le temps de gestation des animaux domestiques (cf. chapitre ci-dessus). Mais, comme pour é go "jument", il faut un certain temps aux témoins pour déduire le sens de s a omo d'après le nombre de mois de gestation.

La carte "ânesse" montre que la disparition des termes désignant l'ânesse, liée à des changements socio-économiques, est très importante : les seules attestations de formes dialectales datent des enquêtes anciennes (à l'exception du point 35, Andance). Les refus de réponse sont significatifs du sentiment d'insécurité linguistique éprouvé par des locuteurs invités à retrouver le mot patois désignant l'ânesse. Toutefois, cet oubli n'entraverait pas la communication dans un contexte normal : les bons locuteurs emploieraient sans hésitation le mot français patoisé, alors que les semi-locuteurs hésiteraient.

Le cas du mot s a omo à Jonzieux illustre un processus d'évolution linguistique "normal" (cf. par exemple Benveniste 1966, vol. 1, p. 290-291, voler "se déplacer" et voler "dérober") mais qui peut être plus fréquent dans une situation de disparition d'une langue : la restriction sémantique conduit à l'effacement de l'ancienne relation sémantique qui unissait deux emplois.

L'emploi d'un mot hors de son aire habituelle par le biais d'un dicton (ex. é go, s a omo), d'une chanson, est également intéressant car il peut avoir une incidence sur la langue des semi-locuteurs : certains de ceux-ci ne connaissent que le mot d'origine étrangère, et ils pensent qu'il s'agit du terme autochtone.