3.2.22. chêne (carte 78)

ALLy 427 ; ALP 578 ; ALF 265 ; ALJA 525 ; ALMC 262 ; Tuaillon (1971b), p. 106-130 ; Martin 1986, p. 57

français régional : roule Pilat ; roure Ardèche, Drôme, Isère (La Mûre), Hautes-Alpes

La région du Pilat est située à l'intersection de plusieurs aires lexicales de tailles diverses. L'ensemble du domaine francoprovençal est occupé par des formes issues de CASSANU, alors que des formes remontant à ROBORE s'étendent au sud. A l'Est, la forme française a été adoptée par les parlers limousins et auvergnats. Mais à la frange ouest du domaine francoprovençal apparaissent quelques formes issues de COR "coeur" : korè, kura.

La forme kura avait été relevée par l'ALLy à Saint-Romain (n° 9). Les enquêtes récentes n'ont pas permis de trouver des formes apparentées : l'ensemble de la région du haut plateau du Pilat présente la forme tsén, šèn en domaine francoprovençal. La présence de cette forme est ancienne (elle apparaît à Riotord (n° 33) dans l'ALF). Cette région appartient à la vaste aire du centre du nord-occitan qui a adopté le type français.

A l'est, Clonas (n° 5) présentait à la fois la forme šèn et une forme r e vu : cette forme est le produit local de l'évolution de ROBORE dans une aire dauphinoise qui semble en recul si l'on compare la carte "chêne" de l'ALF et à celle de l'ALJA. Cette forme était toutefois vivante dans l'extrémité nord de la Drôme (voir aussi ALP 578). Elle n'apparaît pourtant en aucun point d'enquêtes récentes dans la vallée du Rhône. Le centre et le sud de la région du Pilat connaissent les formes rul (en domaine francoprovençal), rur (dans les parlers occitans). Au nord, la forme šèn est ancienne (Sainte-Croix (n° 2) et Clonas (n° 5), points de l'ALLy), mais le long de la vallée du Rhône et sur le plateau intermédiaire, elle semble récente, entrant en compétition avec rul, rur (points 12 et 28, Véranne et Peaugres), ou l'ayant déjà supplanté (point 21, Félines). A Roisey (n° 7), le témoin interrogé par J.-B. Martin en 1985 a d'abord donné le type français avant de reprendre à son compte la forme de l'ALLy (f. J.-B. Martin 1986, p. 57).

A la jonction des deux aires, nombre de villages connaissent à la fois šèn et rul/rur. Certains ont mis à profit ces doublets pour établir une distinction sémantique : ainsi, à Limony (n° 18), šèn est, d'après les dires du témoin le terme générique, roer ne désignant que les taillis de jeunes chênes. Au Bessat (n° 11) où les chênes sont rares234, chaque type lexical est censé désigner des variétés différentes de chênes : mais les témoins n'étaient pas d'accord entre eux sur ces différentes variétés et ils avaient du mal à les distinguer. Cette ambiguïté peut provenir d'une diminution des connaissances traditionnelles de la faune et de la flore, que J.-B. Martin a constaté lors des enquêtes dans le lyonnais 30 ans après celles de l'ALLy (cf. J.-B. Martin 1986, p. 142) et dont nous rencontrerons d'autres exemples. Mais elle peut également être le résultat d'une francisation récente qui sème le trouble dans le système lexical du patois et le désorganise.

L'étude des mots désignant le chêne illustre une nouvelle fois l'affinité des parlers du haut plateau du Pilat avec ceux du Velay, le rôle de la vallée du Rhône dans la francisation, ainsi que les tentatives parfois ambiguës pour attribuer à des synonymes des emplois spécialisés.

Notes
234.

Il est intéressant de signaler que la limite de l'aire occidentale de šèn correspond à la limite de la présence du chêne : à l'intérieur de cette aire, l'altitude est trop élevée pour qu'il croisse.