INTRODUCTION

L'objet de ce travail consiste à analyser les représentations sociales véhiculées sur les personnes sans domicile fixe, communément appelées "S.D.F.", en articulant ces représentations aux cadres de pensée préexistants qui les structurent. Cette orientation génétique sera adoptée en effectuant une mise en perspective historique des représentations sociales. Nous proposons donc une lecture transversale et trans-temporelle des représentations formulées sur l'homme en errance, vagabond hier, aujourd'hui S.D.F, afin de rechercher dans les débats actuels des traces du passé. Plus largement, nous interrogeons, à travers ce travail, le poids de la mémoire dans la pensée sociale et, par extension, tentons de saisir la présence d'éléments invariants orientant notre perception du monde, nos cadres de classification des objets sociaux et les représentations que nous formulons sur autrui.

Depuis plusieurs années déjà, nous frayons avec les territoires de la marge et de l'errance. Nous y avons consacré nos mémoires de maîtrise, de D.E.A. et nos études de criminologie. Cette thèse s'inscrit dans un continuum. Elle est aujourd'hui contemporaine d'une notion que nous avons vu naître et croître, l'exclusion, et nos travaux sont venus rejoindre l'actualité des débats. En sciences humaines, nous sommes régulièrement heurtés par le présent, parfois happés par lui. Toutefois, rien ne serait plus réducteur que de croire en l'immédiateté des phénomènes sociaux et la nouveauté, bien souvent, masque quelques fantômes que l'on croyait à jamais disparus. Bien sûr, les phénomènes évoluent et ne sont pas rigides, néanmoins ils ne sont pas sans mémoire, tout comme l'homme ne naît pas sans héritage, si minime soit-il. Notre objectif sera donc d'inscrire les représentations sociales dans une perspective historique et de les soumettre à la question afin qu'elles nous révèlent l'héritage dont elles sont porteuses. Cette étude se situe à un niveau d'analyse bien précis, celui que W. Doise a nommé le niveau idéologique. Ce dernier niveau d'analyse et d'explication en psychologie sociale vise les idéologies, les systèmes de croyance et de représentations, d'évaluation et de normes qui justifient ou maintiennent un ordre établi de rapports sociaux. 1 C'est dire si nous souscrivons à la pensée de M. Foucault 2 prônant la compréhension d'une société par l'étude de ses marges. Cette thèse sur l'exclusion et les exclus, plus particulièrement sur les S.D.F., nous permettra de saisir les valeurs fondatrices de notre société et d'en comprendre peut-être leurs soubassements.

Notre travail s'inscrit dans le cadre d'une recherche, bien sûr, mais il est aussi poussé par l'action. Depuis de nombreuses années, nous intervenons comme bénévole dans un foyer d'hébergement d'urgence de la région lyonnaise, plus récemment comme animatrice d'un atelier d'écriture. Ces hommes en grande souffrance, profondément disqualifiés, nous ont accompagné tout au long de cette étude qui résonne, en filigrane, de leur présence.

Nous allons tout de suite donner le plan de ce travail afin que le lecteur, grâce à ce fil d'Ariane, puisse se repérer. La première partie de cette thèse expose, à partir d'une question de départ, notre problématique et formule, au final, nos hypothèses de recherche. La deuxième partie se centre sur la problématisation de la notion d'exclusion et tente de déconstruire la catégorie afin d'extraire les sous-types la composant et de décrire, plus spécifiquement, le S.D.F. Nous consacrons la troisième partie à une mise en perspective historique des représentations en étudiant les discours et les pratiques qui ont rythmé, au cours des temps, les traitements de l'homme en errance. Enfin, nous renouons, en quatrième partie, avec l'actualité et présentons l'analyse de deux événements médiatiques mettant en scène les exclus et les S.D.F. Nous considérons, en effet, le discours de presse comme une caisse de résonance des représentations collectives. En dernier lieu, trois entretiens effectués auprès de personnes sans domicile sont présentés. Cet éclairage permet d'entendre l'écho du collectif dans la parole singulière et d'apprécier, par là, l'intériorisation des systèmes de valeurs, de normes et de classification des objets sociaux.

Un plan plus détaillé de notre développement figure, sous forme de tableau, en fin de première partie et fait suite à la formulation de nos hypothèses.

Notes
1.

W. Doise, L'explication en psychologie sociale, P.U.F. éd., 1982, p. 33.

2.

M. Foucault, Histoire de la folie à l'âge classique, Gallimard éd., 1976.