3. Structure des représentations sociales

Nous avons insisté sur les représentations sociales comme produits de l'histoire. Celles-ci s'inscrivent dans une filiation de telle sorte qu'il est toujours légitime, d'après M.L. Rouquette, "d'entreprendre une recherche en paternité où la psychologie sociale et l'histoire se conjuguent dans l'approche d'un même objet" 71 . L'auteur ajoute que les représentations ont une double historicité. Le deuxième niveau se situe, en effet, dans la structuration interne des représentations qui assure la stabilité et la solidité de ces dernières.

S. Moscovici a mis en évidence, par le processus d'objectivation, la présence d'un modèle ou noyau figuratif dans les représentations. Ce noyau, formulé à partir de certains éléments sélectionnés et décontextualisés, a statut d'évidence et constitue, on l'a vu, un élément stable. Son rôle est prépondérant car, en définitive, c'est lui qui va fournir le cadre de catégorisation des nouvelles informations parvenant au sujet sur l'objet représenté. En s'inspirant de ces avancées, J.Cl. Abric 72 a formulé l'idée que toute représentation est organisée autour d'un noyau central. Ce noyau est caractérisé par deux fonctions: une fonction génératrice (c'est ce par quoi les éléments prennent un sens) et une fonction organisatrice (c'est l'élément unificateur qui va lier les différents éléments de la représentation). Le noyau central est caractérisé par la stabilité, c'est l'élément qui va résister au changement. A côté de ce noyau central, existe un système périphérique, plus souple, plus labile qui assure une fonction de médiation entre les groupes générant les représentations et ce noyau central.

Le système périphérique va supporter les transformations des représentations mais aussi les différences intergroupes liées à ces représentations, il protégera ainsi la stabilité du noyau central pérennisant par là certains éléments contenus dans les représentations. Cette thèse ne nie pas l'évolution ou la transformation toujours possible des représentations: de nouveaux schèmes, en effet, peuvent s'intégrer progressivement au noyau central en traversant la barrière périphérique. Néanmoins, le noyau central structure la représentation et plusieurs caractéristiques lui ont été associées. Tout d'abord, celui-ci est lié à la mémoire sociale (entendu dans le sens de la définition de D. Jodelet), il est donc en interaction avec les conditions historiques, sociologiques et idéologiques d'une société ainsi qu'avec le système de normes auquel cette dernière se réfère 73 , ainsi sa détermination en est essentiellement sociale. Ensuite, ce noyau constitue la base commune, collectivement partagée des représentations sociales, sa fonction est ainsi consensuelle. Enfin, celui-ci résiste au changement. On peut donc ajouter que ce noyau est relativement indépendant du contexte social immédiat de la représentation générée.

Le noyau central d'une représentation est en fait un ensemble organisé d'éléments normatifs 74 qui constituent le cadre de référence à partir duquel l'objet est socialement évalué et d'éléments fonctionnels qui vont orienter les conduites et les pratiques face à cet objet. C'est ainsi que cette théorie consolide le lien existant entre le noyau figuratif engendré par le processus d'objectivation et le rôle du processus d'ancrage, à savoir, d'une part, l'inscription de tout élément nouveau dans un cadre de pensée préexistant (ou à défaut son rejet dans la zone périphérique), d'autre part, et en aval de la formation des représentations, sa fonctionnalité dans la manière d'appréhender le monde qui nous entoure.

Les "conserves culturelles" transportées par notre mémoire sociale s'inscrivent au cœur du noyau central. Constituées d'éléments pérennes, traces d'une pensée instituée, protégées derrière la barrière périphérique, elles opèrent en silence et façonnent nos discours. Bien plus, elles orientent nos jugements et pèsent sur nos pratiques car le noyau central sert aussi de "guide pour l'action" 75 .

Entendre l'exclusion et la question S.D.F. comme éminemment contemporaines et négliger leur ancrage historique, c'est renier ou, pire, méconnaître les avancées théoriques sur les représentations et la pensée sociales. C'est réduire les représentations à un simple outil de collecte, ne faire d'elles qu'un cliché instantané de notre quotidien et restreindre, par là, leurs possibilités immenses à l'unique domaine de l'observation.

Notes
71.

M.L. Rouquette, Sur la connaissance des masses, op. cit., p. 180.

72.

J.Cl. Abric, "L'artisan et l'artisanat: analyse du contenu et de la structure d'une représentation sociale", Bulletin de psychologie, n°366, 1984, pp. 861-875.

73.

J.Cl. Abric, "Les représentations sociales: aspects théoriques", op. cit.

74.

J.Cl. Abric, E. Tafani, "Nature et fonctionnement du noyau central d'une représentation sociale: la représentation de l'entreprise", Cahiers internationaux de psychologie sociale, n° 28, 1995, pp. 22-31.

75.

L'expression est de S. Moscovici.