2. Le collectif et le sujet

En forgeant la notion de représentations sociales, S. Moscovici a suggéré une diversité des contenus des représentations, s'éloignant par là des travaux d'E. Durkheim sur la conscience collective. Selon, M.L. Rouquette 110 , les représentations sont dites collectives en tant qu'elles sont consensuelles entre les groupes ou sociales si ces dernières se révèlent différentes d'un groupe social à l'autre.

Entamer une étude des représentations dans une perspective socio-historique et culturelle nous place dans cette dimension du collectif. Néanmoins, celle-ci n'entérine pas une coupure radicale d'avec le sujet.

En référence au "mitsein", ce monde de l'"on", J. Maisonneuve 111 souligne que notre monde est un "mitwelt": un monde avec autrui. D'emblée, nous sommes plongés dans un monde social. La situation collective correspond à ce domaine du "on", le "nous" étant, en quelque sorte, la différenciation intergroupe découpant l'espace du collectif ou bien l'élément désignant l'unité du groupe 112 .

C.Castoriadis 113 qualifie l'individu de fondamentalement hétéronome arguant que ce dernier ne fonctionne qu'à l'intérieur d'une culture particulière. La culture, érigée dans le modèle freudien sur la répression pulsionnelle 114 , fonctionne comme un cadre contenant mais aussi comme un système de dédommagement qui aura en charge de résoudre les tensions créées par cette répression. Ce système de dédommagement de la culture va s'organiser autour de la religion, de la moralité et du mythe.

Les mythes et les légendes apparaissent, dans la théorie freudienne, comme "les souvenirs d'enfance des peuples" 115 . Ces souvenirs servent de couverture à un souvenir antérieur refoulé qui sera réélaboré. Dans ce cadre, le discours collectif va créer un champ où peut se dire ce qui ne doit pas être agi. Ainsi, les mythes nous donnent accès au refoulé et donc à la pensée inconsciente, ils portent en eux la dramatisation de nos conflits psychiques mais aussi les questions spécifiques posées à notre société. R. Caillois 116 affirme que c'est dans le mythe que l'on saisit le mieux, à vif, la collusion des postulations les plus secrètes, les plus virulentes du psychisme individuel et des pressions les plus impératives et les plus troublantes de l'existence sociale. Par leur dimension intemporelle, les mythes fonctionnent telles des "conserves culturelles", une mémoire vive en quelque sorte, dont les traces perdurent dans notre quotidien. Au delà de leur rôle latent dans la fondation de l'ordre social, les mythes se situent au carrefour des autres et de nous-mêmes. C'est un tissu "(…) liant ce qui se trouve au plus secret de notre inconscient et ce qui s'expose au grand jour de la culture." 117

Notes
110.

M.L. Rouquette, P. Rateau, Introduction à l'étude des représentations sociales, P.U.G. éd., 1998.

111.

J. Maisonneuve, La psychologie sociale, P.U.F. éd., (1950), 1985.

112.

J. Barus-Michel, Le sujet social. Etude de psychologie sociale clinique, Dunod éd., 1987, p. 29.

113.

C. Castoriadis, L'institution imaginaire de la société, Seuil éd., 1975.

114.

Assoun P.L., Freud et les sciences sociales, A. Colin éd., 1993, p. 45.

115.

S. Freud, Psychopathologie de la vie quotidienne, (1923), Payot éd., (1967), 1997, p. 60.

116.

R. Caillois, Le mythe et l'homme, (1938), Gallimard éd., 1987.

117.

A Clancier et Coll., Mythes et psychanalyse, Colloque de Cerisy, Réflexions du temps présent, In Press éd., 1997, p. 1.