CHAPITRE III. Formulation des hypothèses de recherche et plan de travail

SECTION I. Hypothèses de recherche

Les éléments développés dans ce chapitre éclairent d'un point de vue théorique, et sous plusieurs angles, les modalités de la question S.D.F.

Nous avons noté que la catégorie "exclu", malgré une apparente confusion, semble contenir un certain degré de structuration et s'accompagne d'une hiérarchisation de l'exclusion. La déclinaison en sous-types, organisant les catégories sociales, nous permet d'isoler la figure du S.D.F. et de situer ce dernier, fortement stigmatisé, au point extrême de l'exclusion condensant toutes les formes de manque.

En insistant sur le facteur symbolique de l'exclusion, nous avons pénétré le champ des exigences normatives de la société et des idéaux qui les génèrent. Deux valeurs nous paraissent primordiales: l'utilité sociale et l'appartenance territoriale. Ces valeurs se déploient dans un continuum historique et dans nos matrices inscrites dans notre culture fondant l'ordre social. Nous avons relevé que cet ordre s'articule sur des catégories de base de notre perception du monde comme le pur et l'impur qui valident ou invalident les objets sociaux. Prolongeant cette veine, nous avons situé l'exclusion comme une modalité de l'altérité et l'avons reliée au phénomène de l'abjection, corollaire de tout système symbolique de classifications et donc de mise en ordre du monde. Les catégories, instituant notre réel, fondent les constellations à l'intérieur desquelles les individus sont enchâssés. En laissant un effet qui leur survit, elles se cristallisent et opèrent en silence dans notre quotidien.

Nous nous sommes interrogé, au début de ce travail, sur la façon dont l'individu S.D.F. était construit dans et par les discours sur l'exclusion rejoignant en cela une problématique sur la catégorisation et les représentations sociales. En guise de réponse à cette question, nous articulons trois hypothèses:

  1. Les représentations formulées sur l'individu dit exclu sont une construction sociale structurée par une matrice trans-historique, elle-même ancrée dans notre mémoire sociale et émanant de notre culture qui est une organisation symbolique ordonnant le monde qui nous entoure.
  2. Cette matrice culturelle témoigne de l'invariance d'une pensée associant errance et déviance et, dès lors, décline les représentations sur un axe "bon/mauvais" (ou victime/coupable).
  3. Dans ce cadre, le S.D.F., par son errance ou son absence d'inscription territoriale, actualise la figure du mauvais pauvre entaché d'opprobre et voué à l'abjection.

Si ces hypothèses s'avèrent vérifiées, c'est un débat sur la place primordiale de la mémoire dans notre pensée sociale que les hommes se devront d'engager ainsi qu'une réflexion sur nos capacités à penser autrement. C'est aussi un travail sur nos pratiques quotidiennes et plus spécifiquement sur les politiques de l'action sociale qu'il faudra bien, à terme, mener car ces politiques sont une application concrète de notre perception du monde et du regard que nous portons sur autrui.